Les Justes. Ce titre soulève une ambiguïté fondamentale. Discutez.


Essai, 2000

7 Pages, Note: 68%


Extrait

Les Justes. Ce titre soulève une ambiguïté fondamentale. Discutez.

*Les références aux Justes renvoient à la collection «Folio», Gallimard, 1973.

Le Petit Larousse (édition 2000) définit un juste comme suit: «quelqu’un qui se conforme à l’équité, en respectant les règles de la morale ou de la religion.» Pourtant dans les Justes, une pièce basée sur un événement réel, la révolution de 1905 en Russie, une ambiguïté fondamentale est soulevée dans la mesure où les révolutionnaires (l’Organisation), appartenant au parti socialiste, qui tuent le grand-duc, sont considérés par Albert Camus comme «justes» ou des «meurtriers délicats» plutôt que des sanguinaires destructeurs. On peut résumer l’ambiguïté fondamentale par la question suivante: les justes sont-ils justes dans le cas du meurtre du grand-duc? Et plus précisément: quelles conditions leur permettent-elles de tuer le grand-duc et jusqu’à quel point peuvent-ils comme révolutionnaires tuer? Ce sont les questions qu’on s’efforce de traiter ici.

Commençons par considérer les conditions qui permettent aux justes de tuer le grand-duc. Sous le régime tsariste cruel le peuple russe souffre. Un bon exemple de cette souffrance est Stepan Fedorov, un des révolutionnaires dans la pièce, à qui on donnait le fouet au bagne. Les justes veulent comme l’explique Kaliayev «donner une chance à la vie» (p. 32). Le problème là-dessus est qu’afin de donner cette chance à la vie, il faut s’insurger contre l’injustice dans une Russie qui laisse souffrir son peuple. Donc, devant la résignation et le manque de pouvoir des masses, il faut que les justes agissent, et le meurtre apparaît comme la seule possibilité de s’éveiller la conscience des opprimés (1).

Les mobiles des actions des justes sont purs: ils veulent tuer le grand-duc dans la poursuite de la justice sociale. L’Organisation est investie d’une mission qui dépasse l’aspect strictement politique: en tuant le seul grand-duc, les justes sauraient prétendre détruire la tyrannie. Leur terrorisme a bien plutôt la valeur d’un appel lancé au monde pour en finir avec l’indifférence face à l’injustice sous le régime impérialiste (2). Les justes sont prêts à exécuter un acte injuste pour mettre fin à l’injustice et de cette façon créer la justice parce que s’ils ne le font pas, leurs frères continueront à souffrir.

Les justes veulent tuer le grand-duc grâce à leur philanthropie. Ils veulent le tuer pour la liberté, pour le plus grand bien du peuple. Ils ne sont révolutionnaires que pour servir leurs semblables. En tuant le grand-duc, les justes souhaitent améliorer la condition du peuple, quelque chose qu’ils ne voient pas dans l’immédiat sous le régime présent. De cette façon, ils peuvent arrêter la souffrance subie par leurs frères et la remplacer avec le bonheur.

Il y a deux limites dans la pièce qu’il faut considérer. Considérons tout d’abord la première, celle de la sainteté de la vie. En fait, les justes dépassent la limite sur la sainteté de la vie au moment où ils décident de tuer le grand-duc. Kaliayev s’enorgueillit de la justice et de l’innocence sur lesquelles il base sa conception de la vie comme affirme-t-il: «Les hommes ne vivent pas que de justice….et d’innocence» (p. 64). Pourtant il perd sans recours cette innocence qu’il défend et incarne lorsqu’il tue le grand-duc la deuxième fois. Alors, une expiation de la cruauté et de la culpabilité inévitables sont possibles: par la mort. Selon Roger Quilliot, si on accepte de tuer, on paie avec son propre vie:

«Il n’est de bonne et juste action que celle qui reconnaît ces limites et qui s’il lui faut les franchir, accepte au moins la mort.» (3)

Certes, le grand-duc est un représentant marquant d’un système tyrannique et inhumain, mais il est un être humain. Se rendant compte de cela, Kaliayev ne veut pas continuer à vivre ayant tué un semblable. Il reste ferme dans ses idéals. Il considère son acte comme une action illégale qui est entraînée par des circonstances exceptionnelles: socialement justifiables, mais humainement injustifiables. Aussi donne-il sa vie: il est prêt à accepter le châtiment que lui inflige la loi, à sacrifier sa vie pour la cause même qu’il défend:

Kaliayev: Mourir pour l’idée, c’est la seule façon d’être à la hauteur de l’idée. C’est la justification. (p. 38)

Une vie est payée par une vie. En donnant sa vie, Kaliayev reconnaît que son engagement à la justice sociale est obligatoire pour lui et peut trouver la voie dans son salut, faisant de lui un être humain juste. Le fait que Kaliayev expie le meurtre du grand-duc en donnant sa propre vie montre le respect qu’ont les justes pour la sainteté de la vie. De plus, Kaliayev meurt avec ses idéals intacts.

En somme, les révolutionnaires sont justes vu qu’ils veulent payer plus qu’ils ne doivent, en ce sens que, comme l’explique Dora «aller vers l’attentat et puis vers l’échafaud, c’est donner deux fois la vie» (p. 40). Le martyre de Kaliayev apparaît par conséquent non seulement comme la suprême justification, mais aussi comme le bonheur même, celui de la tâche accomplie et de la paix désormais reconquise avec soi-même (4).

Considérons maintenant la nécessité des limites. Kaliayev reconnaît l’importance de son acte quand il voit les deux enfants dans la calèche, où se trouve le grand-duc. Sous ces circonstances, il ne peut pas lancer la bombe. Comme l’écrit Quilliot:

«La souffrance de tout un peuple aux fers appelait la révolte, mais deux visages d’enfants menacés retournent la révolte contre elle-même. La justice équilibre la vie, mais la vie équilibre les excès de la justice.» (5)

La vraie limite dans la pièce est le meurtre des enfants qui est une prolongation et un raffinement de la première limite, la sainteté de toute la vie (6). Il faut souligner qu’il y a un changement important dans la prise de position de Camus. D’une prise de position absolue, par laquelle tous les meurtres sont mauvais, Camus adopte le point de vue selon lequel la plupart - mais pas tous - des meurtres sont mauvais puisque le meurtre du grand-duc est maintenant secondaire. On remarque que dès que Kaliayev manque de lancer la bombe, il n’est plus question de tuer dans l’intérêt de la révolution, mais de tuer des enfants, s’il le faut. On a ici la question de la fin et des moyens. Il faut noter que la première limite apparaît comme oubliée:

Dora: Yanek accepte de tuer le grand-duc puisque sa mort peut avancer le temps où les enfants russes ne mourront plus de faim. Cela déjà n’est pas facile. Mais la mort des neveux du grand-duc n’empêchera aucun enfant de mourir de faim. Même dans la destruction, il y a un ordre, il y a des limites.

Stepan (violemment): Il n’y a pas de limites. (p. 62)

La citation ci-dessus montre que Dora met l’accent sur la futilité de tuer les enfants. En disant qu’il n’y pas des limites, elle exprime sa répugnance éthique à tuer les enfants.

Stepan engage une polémique avec les autres révolutionnaires à propos de la nécessité des limites. Son intransigeance fait obstacle aux autres membres au sens de la justice dans la mesure où il a une vision différente de la fin et des moyens pour arriver à libérer la Russie du despotisme. Pour lui, l’action révolutionnaire équivaut à la destruction, c’est-à-dire il ne voit pas des limites, croyant que «tout est permis». La vie de deux enfants importe peu chez lui en comparaison avec le salut futur de plusieurs Russes. A ses yeux, si on tue les enfants, on tue l’avenir. Sa justification de la violence commis au hasard révèle la vraie intention de l’action révolutionnaire: celle du despotisme idéologique. Stepan est le seul membre du groupe qui se sent à l’aise dans le meurtre. Les autres membres donnent la priorité au sens de l’honneur qu’à l’efficacité révolutionnaire prônée par Stepan. Ils ont de la compassion pour les innocents, les victimes de l’injustice. Ils veulent restaurer l’intégrité de la justice. Donc, ils refusent d’atteindre leur objectif par n’importe quels moyens:

[...]

Fin de l'extrait de 7 pages

Résumé des informations

Titre
Les Justes. Ce titre soulève une ambiguïté fondamentale. Discutez.
Université
University of Westminster  (Languages & Humanities)
Note
68%
Auteur
Année
2000
Pages
7
N° de catalogue
V11676
ISBN (ebook)
9783638177689
Taille d'un fichier
410 KB
Langue
Français
Mots clés
Camus, Justes
Citation du texte
Ali El-Hadi (Auteur), 2000, Les Justes. Ce titre soulève une ambiguïté fondamentale. Discutez., Munich, GRIN Verlag, https://www.grin.com/document/11676

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