Je veux devenir blanche


Ausarbeitung, 2008

91 Seiten


Leseprobe


Inhaltsverzeichnis

Chapitre I Les hommes préfèrent les grosses

Chapitre II Qui êtes-vous, mademoiselle?

Chapitre III Pas de condamnation

Chapitre IV Les mêmes rengaines

Chapitre V Un grand privilège

Chapitrer VI Liberté limitée

Chapitre I Les hommes préfèrent les grosses

-Bonjour, maman.

-Bonjour, mademoiselle. Avez-vous besoin de quelque chose ?

-Non, maman.

-Cherchez-vous quelqu’un ? Il suffit de me donner son nom. Je vis ici avec tous mes enfants. Ils sont dans le bâtiment contigu et mon mari vit dans le bâtiment voisin. Ils sont tous épuisés, ,parce qu’ils ont passé toute la journée aux champs. C’est pourquoi ils se sont couchés très tôt, juste après avoir mangé.

-Je suis surprise, pourquoi me vouvoies-tu et pourquoi me poses-tu une telle question ? J’ai l’impression que tu ne me reconnais plus. Sans doute parce que la nuit commence à peine à tomber. Ce n’est pas ma faute, j’ai pris le train depuis hier matin et ce n’est que maintenant qu’il arrive. Il aurait dû arriver au lever du soleil. Aucun passager n’est surpris par ce grand retard. Tout le monde sait que le train ne respecte rigoureusement l’heure que lorsqu’il transporte une personnalité de la république, par exemple, un ministre.

-Depuis mon enfance, mes parents, qui sont déjà dans l’au-delà, m’ont appris qu’il fallait vouvoyer tous les étrangers, surtout les gens qu’on ignore, c’est-à-dire ceux qu’on n’a jamais vus. A votre avis, est-il anormal de vouvoyer un étranger ? Sans doute êtes-vous surprise parce que vous êtes encore très jeune. Ca se voit.

Mais la règle de politesse est valable pour tout le monde. C’est du respect pour tout être humain, fille ou garçon, homme ou femme. Et si vous m’appelez maman, c’est tout à fait normal, suivant nos traditions. Les petits doivent du respect envers les vieillards, sans distinction.

-Qui est étranger, maman ? Regarde-moi bien avant de me parler. Crois-tu vraiment que tu ne m’as jamais vue ? On dirait que tu as le sommeil dans les yeux, puisque tu ne portes pas de lunettes. Je sais que tu n’as jamais eu le mal des yeux, comme certaines mamans de ton âge. Dans ce cas, regarde-moi bien et tu me reconnaîtras.

-Vous, mademoiselle. Croyez-vous que je blague ? Ce n’est pas dans mes habitudes. Je suis bien éveillée. J’ai l’habitude de me coucher toujours tard et de me réveiller toujours très tôt pour superviser les travaux ménagers et apprêter le petit déjeuner pour tous. Est-il normal de jouer avec une inconnue, dès le tout premier contact ? Si je fais, allez-vous me prendre au sérieux ? Qui veut la fin veut les moyens.

-Maman, plaisantes-tu ou quoi ? Je n’ai que deux jours à passer ici. De plus, comme j’ai passé deux journée et une nuit sans sommeil, je voudrais aller au lit assez rapidement. Par conséquent, je n’ai pas beaucoup de temps à perdre. Je ne voudrais même pas manger avant d’aller au lit. J’espère que ma chambre est toujours libre. Pendant que tu t’amuses, je vais aller m’y installer en attendant que tu reviennes à toi. J’avais faim de vos nouvelles et je m’attendais à te voir contente de me retrouver après bientôt un an. A ma grande surprise, tu fais comme si je m’étais trompée de maison. Quand on n’a pas ce qu’on désire, il faut savoir désirer ce qu’on a.

-Sans blague, je ne plaisante pas. Je ne vous connais pas du tout. Peut-être vous ai-je déjà rencontrée quelque part. Franchement, je ne m’en souviens pas. Qui êtes-vous, mademoiselle ? Que vais-je faire pour vous prouver que je suis sérieuse ? Nul n’est prophète en son pays.

-Si tu ne dis pas : « Qui es-tu », je ne répondrai plus, et en plus je vais m’en aller. Si tu avais un téléphone portage comme nous en ville, je t’aurais prévenue avant de prendre le train. Sans doute es-tu surprise de me voir en ce moment et à cette période de l’année, mais que faire ?

-Pourquoi ? Bon, je suis ta volonté : qui es-tu ? Je te pose sincèrement la question et je souhaite une réponse identique. Nous ne sommes pas ici dans une région touristique pour que je dise qu’une touriste étrangère s’est égarée chez moi. Il y a au moins cinquante ans, personne n’a jamais vu un Albinos ici. Un animal tabou n’a pas peur.

-A la rigueur, un enfant peut vouvoyer ses parents, mais je n’ai jamais appris que les parents vouvoient leurs enfants, sauf peut-être chez les bourgeois qui n’ont plus rien à faire. Même si, par hasard, je devenais présidente de la République, je n’accepterais jamais que ma mère me vouvoie, même en public. Si tu me vouvoies, qui va alors me tutoyer ? Heureusement que nous ne sommes pas des bourgeois. Si au moins tu m’avais reconnue avant de me vouvoyer, j’aurais compris le jeu.

Au début de notre entretien, j’étais convaincue que tu voulais blaguer. Est-ce vrai que tu ne reconnais plus ta fille ? Je suis ta fille unique que tu ne peux pas oublier puisque nous ne sommes pas nombreuses. Si tu avais quatre-vingts ans, j’aurais pensé aux conséquences de la sénilité, mais il n’en est rien. Heureusement. Même les vieillards n’oublient pas leurs progénitures. Celui qui garde la loi aura les cheveux blancs.

-Ma fille ? Sans blague. Sans doute voulez-vous profiter du crépuscule pour m’induire en erreur, afin d’opérer comme font les enfants d’aujourd’hui. Le monde est en train d’évoluer dans un très mauvais sens. IL n’y a plus d’optimisme ni de confiance. Quand un chien mord son maître, c’est qu’il est enragé.

-Oui, ta fille qui est en classe terminale au lycée de Chit ; celle qui avait d’abord étudié au lycée de Tidon et qu’on a renvoyée pour des raisons d’âge et de redoublements fréquents de classes. C’est pourtant toi et mon père qui avaient soudoyé le proviseur pour qu’il accepte enfin de me recruter dans son établissement. Je me rappelle que vous aviez emprunté de l’argent à droite et à gauche pour lui donner et j’avais pitié de vous qui souffriez pour votre fille bien-aimée, l’unique fille de tes douze enfants.

Tu sais que beaucoup de parents n’acceptent pas de gaspiller de l’argent pour leur unique fille, puisqu’on soutient partout que le mariage est l’unique emploi des femmes. L’école ne leur rapporte rien, ni à elles-mêmes, ni à leur famille. Tout ce qu’on attend de la jeune fille, c’est que son éventuel fiancé paie une dot importante pour soulager la famille. Maman, j’ai été très touchée par ce geste. Mais, je n’ai jamais eu le temps de vous le dire. A malin, malin et demi.

Certains vendent leurs terrains pour payer le concours d’entrée dans les établissements d’Etat pour leurs enfants, mais vous n’aviez pas de terrain. Le mérité n’existera jamais chez nous, tant que persisteront le tribalisme et la corruption à ciel ouvert.

Tout le monde me déteste partout où je passe parce que je ne sais pas mentir et que je suis toujours très rigoureuse en ce qui me concerne. Mais, personne ne nie le rançonnement généralisé des candidats aux examens. Je redoublais les classes non pas parce que j’étais faible, mais parce que je refusais absolument le droit de cuissage tant pratiqué dans nos établissements.

C’est pourquoi mes enseignants ne voulaient pas me sentir et tous mes camarades le savaient bien. J’étais toujours très forte en classe, pourtant j’échouais à tous mes examens. Il faut être un malade mental pour dire le contraire. Peut-on réduire le phénomène du favoritisme répandu partout à cause du tribalisme ? C’est l’hôpital qui se moque de la Charité.

- Je me demande si je rêve. La voix me dit effectivement quelque chose. Etes-vous donc Mirabelle Modié ? Pardon, vous m’avez demandé de ne plus vous vouvoyer. A vrai dire, ce n’est pas moi qui fais. L’habitude est une seconde nature, dit-on. Je suis habituée à me comporter ainsi. Je n’ai aucune intention de vous vexer.

Désormais, je vais faire un effort pour ne plus vous vouvoyer ; d’abord, parce que ce n’est pas normal qu’une maman vouvoie sa fille, même si cette dernière occupe la place de la belle reine d’Angleterre. Cela ne se fait dans aucun pays du monde, même chez les Albinos où l’on vouvoie tous les étrangers sans aucune distinction..

Ensuite, il est normal de tutoyer celui qui vous tutoie, afin de ne pas l’indisposer, surtout lorsqu’il s’agit de quelqu’une qui se dit votre propre fille. Encore faut-il prouver que tu es ma fille. Suis-je devenue aveugle ou folle ? Est-ce que d’autres personnes du village t’ont déjà vue et t’ont reconnue? Si oui, quelle a été leur réaction ?

Depuis quand es-tu ici ? Es-tu passée par l’autre bâtiment où se trouve ton papa chéri ? Essaie de me prouver vraiment que tu es ma fille, Mirabelle Modié. Si j’en avais plusieurs, je pouvais hésiter un peu. Pour abandonner ses œufs, la poule prétexte qu’on y avait touché.

- Non, j’ai quitté Chit pour venir directement ici. J’ai rencontré, bien sûr, des gens de chez nous, dès mon arrivée, mais comme je portais des lunettes fumées, ma modeste personne ne leur disait rien et de plus je ne voulais pas insister pour me présenter à eux. Je ne suis pas venue les courtiser. J’ai remarqué que personne n’avait deviné que c’était moi qui passais. Pour tout le monde, je suis devenue brusquement une inconnue.

Mais, dans mon établissement presque toutes les filles se sont transformées comme moi. Nous suivons les paroles des anciens, mais pas leurs pensées. Chacune de nous sait que nous allons vers un monde nouveau, où seul le mérite contera et non l’origine ethnique ou la couleur de la peau. La musique adoucit les mœurs.

-C’est bien toi, Modié ? J’ai vraiment de la peine à y croire. Comment as-tu pu être ainsi transformée ? Peut-être que je suis en train de rêver. J’ai toujours entendu parler du cinéma, mais je n’en ai jamais vu. Ou plutôt est-ce un miracle que je suis en train de vivre ? Moi, je crois en Dieu et je sais que rien ne peut le dépasser. Si c’est n’importe quoi, il m’aidera à tout vaincre. Avant de tuer votre chien, écoutez d’abord sa voix.

-Oui, maman. Je me demande si tu es devenue un peu malvoyante entre temps, au point de ne plus reconnaître ton unique fille. Ne reconnais-tu pas au moins ma voix ? Mon visage a-t-il changé ? Tous mes camarades de classe m’ont pourtant reconnue sans peine, lorsque j’ai changé de forme et de couleur. C’est vraiment curieux que tu n’arrives pas à me reconnaître. C’est vrai qu’il y a plein de gens malhonnêtes maintenant qui peuvent venir jouer la comédie pour t’induire en erreur, avant de te voler.

Heureusement que ce n’est pas mon cas. Je te prie d’avoir confiance en moi. Je le reconnais moi-même, il est vrai que tout a changé en moi, sauf ma voix et ma taille. Ce serait trop comique de chercher à changer de voix. Et en ce qui concerne la taille, il n’est pas facile d’y toucher. La médecine attendra encore longtemps, avant d’y parvenir. Et sans doute ce ne sera pas pour notre génération. Le chien aboie, la caravane passe.

-Si, si… mais rien que la voix, car tu es complètement méconnaissable. Jusqu’ici je ne crois pas que c’est toi, Mirabelle Modié. J’ai l’impression que nous sommes au théâtre. Mon Dieu, pourquoi me faites-vous ça ? Pourquoi cette malédiction ? Mirabelle Modié est mon seul enfant qui soit allé à l’école jusqu’en classe terminale.

J’espérais qu’elle allait poursuivre ses études jusqu’à l’Université pour faire la médecine afin de s’occuper de la santé de tous les membres de la famille. Et si à cet âge elle commence à se transformer, pourra- t-elle pousser ses études loin ? Les autres enfants ne sont malheureusement pas aussi doués qu’elle. Qu’allons-nous faire donc ? Le pipi a fait pipi sur le chien.

Mon mari et moi, avons toujours rêvé d’avoir un médecin dans notre famille. Et nous ne comptions que sur Mirabelle Modié, toujours brillante travailleuse depuis le cours d’initiation. Dans le primaire, tout le monde la prenait pour une surdouée ou une petite magicienne. Certains disaient même qu’elle deviendrait une voyante. Elle n’a jamais repris une classe, avant d’avoir obtenu son certificat d’études primaires élémentaires.

Voilà pourquoi elle fait l’honneur de la famille, voire de tout le village, car tout le monde est fier d’elle, sauf, sans doute , les jaloux. Quand je passe partout, on me désigne du doigt, en disant : voilà la mère de Mirabelle, la lycéenne. N’est-elle pas la première fille du village à avoir mis pieds à l’école moderne ?

Par ailleurs, certains parents sont contre nous, parce que nous avons laissé une fille aller à l’école et beaucoup se demandaient si une fille pouvait aller à l’école et accepter plus tard de se marier. Et qu’est-ce-ce qu’une célibataire ? Du jamais vu dans notre village. Qui peut imaginer une femme non mariée, pour quelque raison que ce soit ?

L’autre jour, lors de la réunion des femmes du quartier, l’une a blagué, en disant qu’en ville, certaines jeunes filles rejettent le mariage et passent tout leur temps à faire le commerce de leur corps. Cette histoire a fait éclater de rire tout le monde, pendant une dizaine de minutes. Chacune d’entre nous se demandait sincèrement comment une femme peut vendre son propre corps. Et personne finalement n’a cru à cette blague. L’accru a bénéficié d’une accrue.

Son unique difficulté rencontrée au cours d’initiation a été la prononciation de la lettre « r ». Elle n’arrivait pas à faire la distinction avec la lettre « l ». C’est ainsi qu’elle disait toujours la glammer flançaise, joglaphie, loman, glanmer, landle, plandle, au lieu de la grammaire française, géographie, roman, grand’mère, rendre, prendre. Naturellement, le maître était très mécontent d’elle et disait tout le temps :

« Voilà pourquoi nous n’acceptons pas les filles à l’école ; celle-ci n’ira pas loin ; la place des filles se trouve à la cuisine. Sa maman disait pourtant qu’elle était surdouée et avait beaucoup insisté pour l’inscrire dans notre établissement. Ne nous fera-t-elle pas honte ? »

C’est seulement dans le secondaire qu’elle a commencé à redoubler ces classes parce qu’il fallait pratiquer les dessous de table avec les professeurs qui corrigent les copies de leurs élèves. Certaines jeunes filles sont obligées d’acheter les notes avec leur corps. Heureusement que, sur ce point, j’avais déjà mis ma fille en garde contre le sida et toutes les autres maladies vénériennes dont on porte les séquelles toute la vie. Comme toute la famille est démunie, nous ne pouvions rien faire pour corrompre les enseignants.

L’argent achète tout, personne ne l’ignore. A force de redoubler les classes, elle a réussi à atteindre la classe terminale à vingt ans, au lieu de quinze ans, comme prévu, puisqu’elle a fait le certificat d’études primaires élémentaires à huit ans. Du jamais vu dans notre pays. C’est pourquoi il a fallu une autorisation spéciale du ministère de l’Education nationale, car, personne n’y croyait. Heureusement que le succès a été éclatant, puisqu’elle a beaucoup brillé à l’oral où elle a épaté les membres du jury avec ses chansons.

Mais que vois-je devant moi ? Ma fille, ( si tu es vraiment ma fille, car je n’y crois pas toujours, puisque rien encore n’a été prouvé) depuis quand es-tu malade ? La croix est plantée au cœur de notre vie. Es-tu entrée dans des sectes pour pouvoir passer ton baccalauréat sans fournir beaucoup d’efforts comme font les jeunes filles d’aujourd’hui ? Quant à moi, je t’ai toujours appris que la vraie magie, c’est le travail comme dit une chanson de chez nous.

Je vous ai toujours conseillés de bien travailler et d’avoir confiance en Dieu. Si tu as redoublé les classes dans le secondaire, c’est parce qu’on vendait les notes et que nous sommes pauvres, mais aussi croyants. Le mérite n’existe plus. L’argent et le tribalisme ont tout pris dans notre pays. En fin de compte, l’école est finie. Ma fille, tu connais mon courage. Ne me cache rien. Dis-moi de quel mal tu souffres. Nous ne sommes que deux et personne ne suit notre entretien. Le caméléon change cent fois de couleur.

-Maman, sois tranquille et ne pleure plus. Je ne suis pas du tout malade. Pardon, ne me donne pas la malchance. La malédiction d’une mère est d’une conséquence terrible durant toute notre vie. Mais qu’ai-je fait de mauvais pour que tu me maudisses ? Je n’ai fait que suivre la mode courante dans mon établissement. Je n’ai donc rien inventé. Si tu étais en ville, tu ne serais nullement surprise. Pas de roses sans épines.

-Comment une maman, même folle, peut-elle souhaiter la malchance à sa fille et de plus son unique fille? Ne sais-tu pas que tu es mon unique trésor ? Et puis, tu représentes un symbole pour notre région, car tu es la toute première fille à avoir fait des études dans notre grand village et même dans tout notre groupement. En plus tu as passé brillamment ton certificat d’études primaires élémentaires, sans aucune intervention, parce qu’à l’époque, seul le mérite comptait.

Toutes les familles attendent de voir ce que tu vas devenir avant d’envoyer leurs filles à l’école, bien que les hommes n’aiment pas beaucoup les femmes qui ont étudié, de peur d’être commandés par elles, dans leurs propres foyers. Mais que faire ? Désormais, ils seront obligés de s’adapter au temps. Jusqu’ici, il est inimaginable qu’un analphabète épouse une lettrée. Qu’ont-ils déjà vu ?

Beaucoup me reprochent d’avoir créé un précédent en t’envoyant à l’école. Comme tu vois, tu es un million de fois plus précieuse que tout l’or du monde. Tu es la chance de notre famille, voire de notre pays, pourquoi pas ? Tu es déjà entrée dans l’histoire de notre groupement. Si tu réussis à décrocher le baccalauréat, c’est fini.

Tu es partie pour de bon. Toute notre famille sera gâtée, car en parlant de toi, on ne manquera pas de dire la fille de X. Les garçons peuvent oublier leur maman à un moment donné de la vie, surtout lorsqu’ils ont la chance de tomber sur une épouse bien aimée, mais jamais les filles. Je prends l’exemple sur moi-même, je n’ai jamais oublié mes parents.

S’il y a un problème dans ton foyer, tu retourneras vivre avec moi, tandis que les garçons iront chercher une autre femme pour les accompagner. Il y a beaucoup de jeunes filles ou de jeunes gens comme toi, m’a-t-on dit, qui perdent leur peau naturelle définitivement, mais d’habitude, ça prend plusieurs années. Souvent de trois à quatre ans. Et c’est toujours irréversible. Ils perdent lentement leur belle peau noire et lisse pour entrer dans celle des guinguérous.

Ils deviennent alors complètement méconnaissables. Mais on n’a jamais vu ce phénomène ni dans notre famille ni dans notre village. Que dira-t-on de nous ? Si c’est vrai que c’est toi ma fille, Mirabelle Modié, sache que c’est ton cas. C’est curieux. Pourquoi c’est si rapide ? Voici seulement un an que tu nous as quittés ! Te voilà complètement transformée et méconnaissable.

Que sont devenus tes gros seins qui te rendaient si belle ? Qu’as-tu fait de tes fesses rondelettes que les hommes aiment caresser en dansant en plein air ou dans l’obscurité? Je pensais que c’était à cause de ta beauté qu’on t’ennuyait tant au lycée. Qu’as-tu fait de ta bouche sensuelle à lèvres lippues qui caractérisent nos filles ? Et d’où te vient la couleur bleue de tes yeux ?

D’où te viennent ces cheveux longs et jaunes ? Et ton nez ? Pourquoi ou comment est-il devenu si long ? Quand tu es partie d’ici, tu étais une fille en chair, alléchante, avec la peau noire et lisse, l’espèce que nos jeunes gens adorent. A l’époque, quand quelqu’un te voyait, il pensait tout de suite à ce passage de la Bible :

« Je suis noire, mais je suis belle, filles de Jérusalem, c’est pour cela que le Roi m’a aimée et m’a introduite dans sa demeure. »

C’est une femme noire qui explique à des femmes Albinos que le Roi l’a aimée pour sa beauté. C’est dire que la couleur noire n’est pas si répugnante qu’on le prétend. C’est dire également que la couleur noire n’est pas une malédiction divine, comme on le prétend depuis que nous vivons sous la domination des Albinos.

Et maintenant te voilà maigrelette comme je ne sais quoi. Crois-tu qu’avant l’arrivée des Albinos chez nous, nos hommes ne trouvaient pas leurs épouses belles ? A qui ressembles-tu ? Ni à ton père ni à ta mère ni à tes frères.

C’est du jamais vu dans notre famille, de génération en génération. Je me demande si tu n’es pas en train de me raconter une histoire des fées, une histoire à dormir debout. Tu sais que je crois fermement en Dieu et que vos histoires de magie et de sorcellerie ne me disent absolument rien.

C’est pour confirmer notre paresse et escroquer de l’argent, qu’on ne cesse de nous parler de la sorcellerie. Et c’est toujours notre ignorance de la science qui nous induit en erreur. Toi qui es encore sur les bancs, tu dois mieux comprendre ce que je te raconte en ce moment. Deux tortues ne s’insultent pas.

-Sois tranquille, maman. Ce n’est pas mon cas. Je vais te raconter tout. Tu sais bien que tu es tout pour moi. Je ne peux rien te cacher. J’ai seulement peur de dire la vérité, car elle blesse ou dérange tout le monde. Si je te dis que dans mon école, il n’y a aucune toilette et aucune goutte d’eau pour se rincer la bouche, lorsqu’on a soif, me croiras-tu ?

Et si tu l’écris dans un journal, tout le monde dira que c’est de la subversion, on va te renvoyer de l’établissement et t’envoyer méditer ton sort dans une prison politique afin que tu apprennes à voir sans réagir. Malheureusement certaines catégories de personnes ne supportent pas ses insanités, car l’homme n’est pas né pour être traité comme les animaux par d’autres hommes.

Si un écrivain dit que tout en Afrique se fait sous la pression extérieure et surtout internationale, aura-t-il la vie sauve ? Pourtant est que l’indépendance nous a été imposée par nos propres colonisateurs, aussi bizarre que cela paraisse. Le multipartisme a été imposé par l’extérieur, sans oublier les votes.

La démocratie n’est pas née chez nous. Et tout cela, parce que tous nos dirigeants estiment que nous ne sommes pas mûrs pour imiter les Albinos. Ceux qui refusent de quitter le pouvoir prétendent que les autres ne savent pas diriger les hommes.

Un journaliste serait très mal vu s’il écrivait que beaucoup de prisonniers dorment tous les soirs chez eux, parce qu’ils corrompent les gardiens de prison, on l’enverra aussi en prison pour méditer son sort. Personne n’ignore que les inégalités de salaires sont très grandes. Et de plus, les salaires sont très bas et n’ont aucun rapport avec le coût de la vie. Tout cela n’échappe à personne, mais il faut oser le dire à haute voix et vous verrez ce qui vous arrivera.

Nous retenons seulement que toute vérité n’est pas bonne à dire. Il faut créer des paradis fiscaux en Afrique, pour que l’argent de la corruption y reste et être investi sur place au lieu d’être entièrement envoyé à l’extérieur. C’est la population qui supporte le coût de la corruption, nous devons le salaire

Tu as l’air surprise, pourtant la plupart de nos cinquante universités vivent exactement le même drame, c’est-à-dire sans toilettes ni pour les enseignants ni pour les étudiants. Voilà une vérité qui surprend et choque tout le monde. Celui ou clle qui fait un reportage sur cette vérité sera très mal vu. Qui construit nos établissements d’enseignement supérieurs ?

Bien sûr, les Albinos. Pour eux, les Négrichon s n’ont pas besoin de toilette, puisque tous les établissements sont entourés de brousse. Mais que faire au moment des pluies torrentielles ? On me répond que c’est notre spécificité. On aura tout vu avant de mourir.

Et ce scandale ne dit rien à personne, puisque nous n’accordons aucune valeur à l’homme noir que nous sommes. Comment un architecte peut-il concevoir un bâtiment public, surtout des salles de classe, sans prévoir des toilettes pour les usagers? Quand je me pose de telles questions, tout le monde me répond que je cherche à imiter les philosophes Albinos et que je dois changer de comportement, pour faire comme tout le monde, puisque nous ne sommes pas en Occident.

C’est incroyable, pourtant vrai. N’est-ce pas que nous sommes dans un pays éternellement sous-développé ? Ne sommes-nous pas contents de notre statut actuel ? Que faisons-nous pour que ça change ? Peut-on rejeter le changement tout en recherchant le développement ? Tout cela ressemble à un conte de fée, n’est-ce pas ? Et pourtant, c’est la vérité.

Par conséquent, en changeant de peau, je change également de conduite et je rejette tout mon passé. Désormais, je me battrai pour le progrès de mon pays. Bien entendu, j’aurai une nouvelle philosophie de la vie. Je ne veux pas rester inerte comme nos ancêtres qui refusaient de transformer la nature autour d’eux, sous prétexte qu’ils voulaient respecter la tradition.

La conséquence est que nous sommes tous malheureux aujourd’hui et que nous cherchons à nous exiler pour pouvoir vivre en exerçant un petit job introuvable sur place, puisque le tribalisme empêche tout le monde de travailler. Justement, s’il y avait industrialisation de notre pays, la famine disparaîtrait avec notre paresse et le tribalisme ne saurait plus sur quoi s’appuyer. C’est dire que les tribalistes refusent le développement, de peur que toutes les ethnies en profitent. Et qui rejette le développement veut notre mort.

L’Afrique est devenue un enfer sur terre, parce que les aînés empêchent les gens de s’exprimer et de chercher une solution à nos problèmes. Hélas, on part de l’hypothèse que nous ne savons rien et que nous ne pouvons rien faire de bon. Pourquoi nous renier nous-mêmes ? Laissons les Albinos le dire pour nous exploiter et prouvons-leur le contraire, par nos actes. Or, personne ne peut poser de bons actes, sans passer nécessairement par la réflexion.

C’est la pensée qui fait la force de l’être humain et marque une nette différence entre l’homme et l’animal. Par conséquent, l’homme qui refuse de penser n’est en rien différent d’un animal. Et même entre les individus, c’est encore la pensée qui fait la différence et non la richesse. A quoi nous sert l’école si nous refusons de penser ? Et pourquoi penser si nous ne voulons pas résoudre nos problèmes quotidiens ?

Que ferons-nous pour éliminer le tribalisme sur notre continent ? Que ferons-nous pour amener tous les citoyens à travailler ? Certains répondent que nous travaillons, mais sans méthode et c’est pour cela que nous ne récoltons point ce que nous avons semé. Que ferons-nous pour que les hommes politiques acceptent de lutter contre ce fléau qui nous emportera tous ?

Encore faut-il qu’ils acceptent que cette pratique soit une mauvaise chose. S’ils aimaient leur pays, ils prêcheraient plutôt l’unité et respecteraient la Constitution. Hélas ! Ces disciples de Néron veulent tout diviser afin de rester le plus longtemps possible au pouvoir. Le mille-pattes cherche la maison des hommes, mais les hommes le fuient.

-Oui, laissons ces incongruités, pour revenir à notre préoccupation présente. Quand je t’ai vue arriver, j’ai pensé tout de suite à une Albinos. Dis-moi franchement, si tu es vraiment ma fille, où sont passées tes belles grosses lèvres d’antan ? Je n’arrive pas à croire qu’il s’agit d’une chirurgie esthétique. Avec une telle technique, on risque de créer des êtres artificiels. Et nous ne sommes pas loin du clonage que redoute tout le monde.

Car, on ne voit aucune trace ou alors, tout a été parfait. Nous avons ici des femmes qui ont déjà vécu en ville. Pourquoi ne se sont-elles pas aussi métamorphosées comme toi ? Si tu as bénéficié d’une bourse, c’était pour t’entretenir et non pour t’adonner à des extravagances.

Nos jeunes filles d’aujourd’hui sont incompréhensibles : quand elles n’ont pas d’argent, elles deviennent malheureuses et cherchent à se tuer. Et quand elles ont la chance d’avoir un peu d’argent, elles deviennent folles et font n’importe quoi. Les colonisateurs avaient donc raison de dire que nous ne savons utiliser l’argent en notre possession.

Voilà pourquoi nos salaires étaient toujours minables. Malheureusement cette pratique a continué, même et surtout dans nos administrations. C’est pourquoi nos travailleurs sont toujours malheureux et n’arrivent guère à s’épanouir. On ne sait plus à quel saint il faut se vouer. Une branche morte ne refuse pas de brûler.

- Jure-moi, maman, que tu ne seras pas scandalisée, lorsque je te dirai la vérité. J’ai peur que tu ne tombes brusquement évanouie ou malade, en écoutant mon long récit. Mais sache que je ne suis pas la seule à le faire. Bientôt toutes les femmes de notre pays seront comme moi, car nous cheminons vers un seul monde, comme le montre la nouvelle technologie de l’information et de la communication. Qui l’eût cru ?

A l’instant même, tu peux appeler quelqu’un à Beijing ou à New York pour lui demander quelle heure il est .Voici vingt ans, c’était impossible. La nouvelle technologie de l’information et de la communication nous introduit dans un monde nouveau où rien ne sera plus caché. Ne t’attends donc plus que les enfants d’aujourd’hui se comportent comme ceux de votre époque. Qui aime bien châtie bien.

-Tout dépendra des explications que tu me donneras sur ton corps et sa nouvelle couleur. J’espère que tu subis toutes ces transformations, parce que tu veux plaire aux hommes. Je fais cette observation parce qu’on m’a dit que les jeunes filles qui font de longues études comme toi ont la propension à rester célibataires, afin d’avoir la possibilité de posséder tous les hommes, même ceux qui sont mariés. Sur ce sujet, tu connais d’avance ma position. Je tiens absolument à ce que tu sois mariée.

Peu importe avec qui que ce soit. L’essentiel pour moi est que tu fondes un foyer, afin de perpétuer notre descendance. Quelle malédiction, si tout s’arrêtait sur toi ! Mais bien sûr, tout se fera à la fin normale de tes études, car il ne faut pas poursuivre deux lièvres à la fois. Je t’ai dit et redit que tu es chrétienne comme moi et que pour rien au monde, tu ne dois commettre le péché de fornication avant le mariage. Pour être calme, tu dois respecter rigoureusement les dix commandements de Dieu.

Or, le sixième commandement dit textuellement : « Tu ne commettras pas d’impureté ». Ma fille, j’y tiens beaucoup, car il y va de ton éducation dont je suis la seule responsable. Quand une jeune fille se comporte mal, tout le monde en rejette la responsabilité sur sa maman.

Je t’en prie ma fille, ne souille pas notre famille. Maintenant on parle partout d’une maladie incurable que répandent les méchants en cachette, tu le sais toi-même, je n’ai pas besoin de te le dire, il s’agit du sida, une maladie inventée dans des laboratoires pour décimer les Noirs qui sont trop bêtes et ne savent pas se protéger.

Tant pis pour toi, si tu l’attrapes, c’est irréversible. En mourant, tu n’emporteras personne avec toi, sauf les gens que tu auras contaminés toi-même. Et sache qu’aucun homme, fût-il ton propre mari, ne t’avouera qu’il a cette triste maladie. Dès qu’on est atteint, on devient cruel et on cherche à contaminer tous les gens sains. Je tiens à laisser un bon souvenir sur la terre avant de mourir. Supportez la fumée, c’est toujours cela pour vous chauffer.

-Maman, c’est une longue histoire. Je te la raconterai peu à peu. Ne sois pas trop pressée. Je te comprends d’ailleurs. Laisse-moi essuyer d’abord tes larmes, car ça me fait beaucoup mal de te voir pleurer à cause de moi. Je ne suis pas malade. Je ne vais pas mourir, du moins pas tout de suite. Avais-je su que cela te ferait tant de peine, je n’aurais jamais entrepris ces transformations physiques.

C’est bizarre, tu as toujours dit à tout le monde que je suis ton seul enfant, parmi les douze, en qui tu as le plus confiance. Et maintenant, pourquoi ne me crois-tu plus ? Attends au moins que je te raconte toute ma petite histoire. Et avant tout, tiens-toi tranquille, il ne s’agit pas d’une maladie. Aucun être humain normal ne peut aller chercher sciemment une maladie, en dehors du sida.

Aujourd’hui dès que tu me vois, tu te mets à verser des flots de larmes. Peut-être ne veux-tu plus me voir. Tu n’as qu’à me le dire carrément. Et pourquoi ce changement brusque ? Penses-tu sincèrement qu’une inconnue peut se présenter devant toi pour te raconter tous ces récits ? Et pourquoi seulement à toi et non à d’autres femmes ?

Essaie de me supporter pendant quelques heures et tu seras convaincue, j’en suis sûre. Je le sais, le vrai problème, c’est que tu ne crois pas aux grands progrès de la science et de la technologie. Si les gens ont renoncé à la recherche en Afrique, il n’en est pas de même, sur tous les autres continents. On ne compte jamais l’argent dans la poche d’autrui.

-Mets-toi à ma place, si tu as une personne en qui tu mets toute ta confiance, que dis-je, qui est toute ta raison d’être, mais que subitement une autre personne se présente devant toi, de façon inattendue et te jure qu’il s’agit d’elle, quelle sera ta réaction ? Tu sais ? Quoi qu’on me dise, j’ai peur que tu aies attrapé la maladie du siècle qu’on appelle aussi poison nocturne, pour éviter d’effrayer les gens en prononçant le mot sida.

Dès qu’on prononce ce mot dans certains milieux, certains s’évanouissent, même sans avoir écouté le récit. Que veux-tu ? Il a fait tant de ravages chez nous que mieux vaut en être effrayé, au lieu de s’amuser comme on l’a fait au début du siècle. Personne ne l’ignore, l’Afrique est la première victime de ce mal du siècle. Il ne faut donc plus se laisser faire. Se tromper de chemin, c’est apprendre à connaître son chemin.

-Non, maman, calme-toi d’abord. Je vais te raconter tout en détail. Je te promets de ne rien te cacher. Tu n’es pas contre le progrès comme certaines femmes obscurantistes. Nous allons changer le monde pour que le nouveau ne soit plus contre nous, c’est-à-dire contre les Noirs et leurs femmes en particulier. Tu verras et tu me remercieras plus tard, je suis sûre. Je voudrais servir de modèle chez nous et je souhaite que beaucoup de gens soient au courant de ce que j’ai fait et qu’ils sachent qu’ils peuvent le faire aussi.

Ce n’est pas réservé à une certaine catégorie de personnes. Un chercheur n’a pas le droit de cacher ses découvertes. Il faut les mettre au service du grand nombre. Le chercheur ne travaille pas pour lui-même, mais pour toute la communauté des hommes. C’est pourquoi tout le monde doit le respecter , voire l’honorer.

Veuille bien te calmer, car je n’ai pas le sida, puisque, suivant tes conseils, j’observe rigoureusement le sixième commandement de Dieu. Grâce à toi, j’ai su me maîtriser, par mon entière confiance en Dieu. L’amour est plus fort que la mort et je sais qu’on attrape le sida par d’autres moyens aussi. La jambe gauche marche toujours à gauche.

-Jusqu’ici, je crois toujours rêver. Je suis en train de vivre des choses que je suis incapable de décrire et à plus forte raison de raconter. En toi, je ne reconnais vraiment que la voix. Que vont en penser tes frères et ton père, sans oublier tes cousines et cousins et, bref, toute la grande famille au sens large ?

Que diront tous les villageois et notre chef supérieur qui est notre roi ? Ne va-t-on pas croire que je suis allée chez les magiciens avec toi, pour obtenir cette peau -là? Tu auras beau donner des explications, qui te croira ? L’avoir ne fait pas l’être.

Ton père ne va-t-il pas penser que je t’avais conçue avec un Albinos et que la vérité a fini par se dévoiler, c’est-à-dire que tu as retrouvé ta peau cachée ? Qui d’autre que moi te croira, quand tu auras fini de raconter ton histoire ? Et si moi-même je te crois, c’est parce que je suis une autre toi-même. Que diront les gens de notre cher village qui ne croient qu’à la magie ou à la sorcellerie ? Tout le monde va donc dire que tu es devenue magicienne et ma famille sera isolée.

On raconte qu’en Inde, les magiciens et les yogis sont capables de transformer des êtres humains en animaux et réciproquement. Peut-être as-tu été en Inde, que je sache. On nous a toujours dit que tout est possible en Inde, terre natale de la magie et de toutes sortes de miracles. C’est du jamais vu chez nous. Il ne faut pas oublier qu’en Inde, les Noirs qu’ils appellent Dravidiens, sont considérés comme les déchets de l’humanité et donc des essuie-pieds. Qui veut voyager loin ménage sa monture.

-Non, maman, je ne te laisse plus continuer. Je n’ai jamais été en Inde. Par bateau ou par avion ? Qui aurait pu me donner de l’argent pour les frais de transport ? Et pourquoi en cachette ? Je n’ai jamais quitté notre pays, tu le sais toi-même. Dieu aidant, je pourrai le faire un jour pour aller me débrouiller en Occident, puisque j’ai réussi à me débarrasser de cette triste peau noire qui nous cause tant de préjudices.

Quand un Noir va n’importe où, on ne le considère point comme un être humain, à cause de la couleur de sa peau. Inutile donc de te dire que mon rêve, comme celui de tous les jeunes de mon âge, est de sortir de ce pays maudit, à la fin de mes études secondaires, pour aller me débrouiller aussi chez les Albinos. Et comment y parvenir avec une peau toute noire ? Celui qui ne veut pas bouger n’a qu’à conserver sa peau noire. Il ne sert même à rien de la changer, lorsqu’on veut rester sur place.

J’aimerais vous aider, vous, mes parents, mais comment le faire, étant ici sur place où il n’y a pas d’emploi pour les allogènes ? Il faut retourner dans la région d’origine de nos parents pour trouver du travail. Or, je n’ai jamais été dans cette région, où , dit-on, règne le chômage. Heureusement que même en étant à l’étranger, je vous aiderai encore plus facilement. Maintenant, pour expédier de l’argent d’un pays à l’autre, les distances ne comptent plus, puisqu’à la minute même, on vous appelle pour que vous veniez retirer votre argent.

C’est formidable Il n’est plus nécessaire d’être à côté des parents pour leur venir en aide. Ici, lorsque quelqu’un te rencontre, avant de te dire bonjour, il commence par te demander de quel coin du pays tu sors. Et si tu n’appartiens pas à l’ethnie du président, tu ne vaux rien.

La réponse te classe tout de suite. Et le comportement devient différent. Si tu es d’une ethnie différente de la sienne, tant pis pour toi. Tu pourras crever devant lui, il ne bougera point. Les Albinos, m’a-t-on dit, sont très humains. Partout, ils reconnaissent la valeur humaine, sauf si la couleur de votre peau est d’une noirceur d’ébène. Avec ma nouvelle peau, je n’ai plus peur d’aller chez eux. Personne ne pourra me cracher dessus. Nous avons donc tout intérêt à changer de peau.

Toi-même, tu sais que mon père souhaitait me voir faire la médecine. Justement, je ne suis plus venue ici depuis longtemps, parce que j’étais concentrée dans la préparation de mon baccalauréat et du concours d’entrée à l’Ecole supérieure de médecine de Kouontap. Mais aussi parce que je voulais te faire une surprise avec ma nouvelle peau. Même un bébé sait que cet examen coûte les yeux de la tête. Et même lorsqu’on paye, on n’est pas sûr de l’obtenir à cause du quota tribal ou régional.

. Pour le grand concours, n’en parlons plus. Il revient à des millions de cauris et ici ce n’est pas le mérite qui compte, mais le quota régional qui semble satisfaire tout le monde et qui ressemble fort au quota tribal. Il est donc très important au moment de déposer son dossier de prouver qu’on appartient réellement à telle région, de peur que les allogènes ne volent les places des autochtones. Voilà ce qu’on appelle la politique de la protection de la race pure.

Il n’est donc pas nécessaire d’avoir la moyenne, pour être admis au concours. Ici donc, le mérite est complètement ignoré. Le concours sert seulement à voiler les yeux. Avant de composer, on connaît déjà le résultat. Avant le concours, les enfants des grands vous disent qu’ils sont déjà admis et qu’ils sont sûrs de fréquenter là-bas, l’année prochaine. Aux âmes bien nées, la valeur n’attend pas le nombre des années, disait Corneille.

-Ma fille, si l’on compare ton teint au mien, qui peut admettre que je suis ta vraie mère ? Qui veux-tu tromper ? Qui peut admettre qu’une peau si noire ait donné naissance à une Albinos ? Va le dire à ceux qui continuent de croire à la magie. De nos jours, la science a pris la place de la magie. Seuls les attardés obscurantistes et paresseux croient encore à la magie et à la sorcellerie A blanchir un Nègre, on perd son savon.

-Maman, que veux-tu dire par là ? N’est-ce pas des femmes noires, même plus noires que toi, donnent naissent à des guinguérous qui effraient les Albinos ? Mais aussi loin qu’on remonte, ces derniers n’ont jamais accouché d’un Noir. Voilà exactement ce qui prouve que nous constituons la souche de l’humanité. Ils n’ont qu’à me prouver le contraire. Qui ose encore dire que nous ne sommes pas des hommes ?

Sans nous que serait le monde ? Parlerait-on encore d’être humain ? Malheureusement, ils sont les plus nombreux et par leur travail, dominent le monde entier. Nous sommes donc obligés de compter sur eux. Nos ancêtres attendaient que la nature leur donne tout sans leur intervention. Comme quoi, l’homme ne peut rien sans le travail. La vache noire donne aussi du lait blanc.

-Oui, ma fille, nous avons assez bavardé, prends maintenant ton courage à deux mains et ton temps pour me raconter tout ce qui s’est passé. Tu sais bien que chez nous, le temps ne compte. Pourquoi se presser ? Le monde ne va pas finir. Et puis, nous ne sommes pas seuls sur la terre. Je meurs d’envie de connaître ce qui s’est passé exactement. Je ne sais pas si je serai d’accord, c’est pourquoi, il faut tout faire pour me convaincre. Mais évite de mentir.

D’ailleurs, ce n’est pas dans tes habitudes de mentir. Depuis ta naissance, tu as toujours été correcte, honnête et beaucoup de gens me félicitent de t’avoir assuré une très bonne éducation que tous envient. Ce n’est pas tous les jours qu’on rencontre des jeunes filles comme toi. Dieu merci. On aimerait que toutes les filles qui naissent maintenant soient comme toi. La langue a toujours envie de se placer là où une dent manque.

-Les gens n’aiment pas qu’on dise la vérité, parce qu’elle blesse et gêne. Les hommes politiques, par exemple, ont terriblement peur de ceux qui disent la vérité. Ils n’utilisent que la ruse, la zizanie et les mensonges, pour avoir les faibles en esprit. Un jour, à l’époque du fameux parti unique, un journaliste a écrit que tous les citoyens abandonnent boutiques et entreprises pour aller faire la politique, parce que cette dernière rapporte beaucoup et très rapidement.

Dès qu’on est nommé ministre, en un an, on devient milliardaire, alors qu’on était chômeur auparavant. Et dans ce cas, personne n’a parlé de la magie. C’est dire que nous trouvons le vol normal. Cette affirmation lui a valu cinq ans de prison fermes, parce qu’on a prétendu qu’il voulait pousser le peuple à la révolte, en lui révélant la vérité.

Perdre cinq années de sa vie pour rien, est vraiment trop. Les hommes politiques sont persuadés que le peuple est bête et ne voit rien ou ne comprend rien de tout ce qu’ils font. En d’autres termes, ce journaliste était un dangereux opposant. Il travaillait donc pour l’opposition et non pour le régime en place. Et c’était une raison suffisante pour l’envoyer méditer son sort en taule.

Cette punition n’avait choqué personne ; au contraire, beaucoup de gens disaient que le verdict avait été trop clément et qu’il méritait vingt ans de cachot. Ainsi va le monde d’aujourd’hui. Partout in glorifie les menteurs. Dans tous les domaines, nous avons renoncé à penser. L’homme ne revient pas dans le ventre de sa mère, mais il retourne bien à son village natal.

-Ma fille, maintenant ne tourne plus autour du pot. Va directement au but. La longue attente risque de m’enlever le goût de t’écouter. En ce temps-là tu parleras dans le vide et tu auras donc perdu ton temps. N’as-tu pas d’autres chats à fouetter ? La main n’oublie pas la bouche.

-Maman, je voulais tout simplement préparer le terrain, avant de planter la semence comme on fait dans tous nos villages. Tu sais, plus que tout autre, que je suis très obéissante. Bien, je t’obéis, puisque j’ai confiance en toi. Mais j’espère que la vérité ne te choquera pas.

Je ne voudrais pas provoquer en toi un infarctus de myocarde. Qui peut accepter d’être l’auteur de a disparition de sa mère ? Ce serait reprocher à la nature de vous avoir mis au monde. Tout sauf ça. La maman est sacrée. Chaque serpent rampe à sa façon.

- Vas-y seulement. N’aie plus peur. Je suis suffisamment consciente pour savoir me retenir et me tenir comme il faut. J’ai déjà tout vu dans ma vie. Rien ne peut plus me surprendre. Qui l’ignore ? Dieu seul sait comment j’ai trimé avant mon mariage. Je suis un enfant béni de Dieu. Le crapaud aime l’eau, mais pas l’eau chaude.

- Maman, sache désormais que je veux devenir blanche. Dans le mode entier, tout le monde aime et recherche la beauté. Quand un enfant vient de n’être chez nous, tout le monde crie : « Comme il est beau. Vraiment, il ressemble à un Albinos. » J’espère que tout le monde dira la même chose de moi, avec ma nouvelle peau. Et par conséquent, je renonce à tout mon passé. Au lieu d’attendre tout de l’extérieur comme nous faisons, je vais me battre pour réussir par mes propres moyens. N’ayant plus de peau noire, je ne vais plus douter de mon humanité .On ne va plus dire que certaines connaissances sont hors de ma portée, puisque je n’ai plus de peau noire.

Je vais échapper à l’esclavage, à la colonisation et au néo-colonialisme qui nous décime actuellement. Il n’y aura plus de raison de dire que je ne suis pas un être humain et que je n’ai droit à aucun respect. Ma vie sera donc prise au sérieux, puisque je suis classée parmi les humains. Que celui qui n’est pas d’accord veuille me prouver le contraire. Qui mange trop finit par vomir

-Devenir quoi ? Pourquoi et comment, ma fille ? Par quel miracle y parviendras-tu ? C’est vous qui croyez à la magie, n’est-ce pas ? Vas-tu aussi recréer le monde ? Qui partagera ta philosophie de la vie ? Même si tu deviens blanche de forme, ton comportement, ta vision du monde et ta philosophie de la vie ne changeront jamais. En effet, l’être humain, c’est son éducation et non la couleur de sa peau.

Qui peut confondre un Négro-Américain avec un Négro-Africain ? Avec la mondialisation, l’unité de tous les êtres humains deviendra une réalité, car l’éducation sera identique partout. Même les Noirs accepterons de se soumettre, en entrant dans le concert du monde. On ne parlera plus de la spécificité nègre qui est le refuge de notre paresse. Curieusement personne ne parle de la spécificité des Albinos, puisqu’ils n’en ont pas besoin. Une maman même avare ne refuse rien à son enfant.

-Parce que j’ai remarqué que tous nos hommes, sans aucune exception, adorent serrer dans leurs bras une Albinos. Ce sont, sans doute, les vieux rêves de la période coloniale qui persistent. Tu sais que beaucoup de Noirs étaient opposés à l’idée de l’indépendance de nos pays, parce qu’ils se disaient que les frères Noirs étaient incapables de diriger un pays, fût-il le pays des Noirs. Ils nous fallait encore, disaient-ils, au moins deux siècles pour devenir de vrais hommes, afin d’aspirer à l’indépendance.

Voilà pourquoi on dit partout que les Noirs n’aiment pas la liberté. Que faisions-nous avant l’arrivée des premiers Albinos ? A quoi sert la liberté quand on a le ventre vide ? Voilà pourquoi le mot démocratie ne veut strictement rien dire à nos dirigeants. C’est pourquoi, lorsqu’il y a des élections, tout le monde connaît le résultat avant le vote. Et pour cette raison, beaucoup de citoyens trouvent inutile de présenter devant les urnes le jour dit des élections. Où est donc la démocratie ? Pour me résumer, je dis qu’il faut servir à nos hommes ce qu’ils désirent. Il ne faut plus qu’ils nous abandonnent ici pour aller chercher les belles Albinos en Occident. La débaptisation, devenue fréquente en Occident depuis 1996, est le vrai signe de la fin du monde.

Heureusement que le temps de Dieu est bien différent du nôtre. Par conséquent, personne ne peut prévoir la fin du monde. Chaque année, au moins cent mille personnes renoncent au baptême. Ce phénomène ne tardera pas à être imité chez nous. Pour moi, c’est plus dangereux que le décapage de la peau des jeunes filles et des garçons.

Dans mon for intérieur, je pensais que tu allais au contraire me féliciter et te faire subir également le changement de peau, afin que tu sois la première à le faire ici au village. Dans tous les cas, tu n’y échapperas pas, puisqu’il s’agit d’un phénomène quasi universel.

Il suffit de voyager à travers le monde, pour se rendre compte de cette réalité. Ce n’est plus un projet. Je suis l’actualité sur toutes les chaînes de télévisions du monde. Le jour où notre pays développera l’énergie solaire, je t’apporterai un poste de télévision ici et ta vie changera du jour au lendemain.

Rien ne vaut la télévision pour le changement de mentalité qu’il nous faut absolument. Nous ne pouvons plus continuer sur les traces de nos ancêtres. Leur temps est déjà passé. Seuls les ignorants sont traditionalistes. Quel homme normal peut refuser de changer de vie dans le sens du progrès ?

Parce que nous manquons d’imagination et que nous sommes toujours en retard, personne de chez nous n’y a pensé auparavant. Tout vient du fait que nous n’avons aucune idée de la recherche ou de l’invention. A cœur vaillant, rien d’impossible.

- Ca ne me fait pas comprendre comment tu t’es ainsi transformée. Est-ce vraiment toi, ma fille, Mirabelle Modié, que j’ai portée pendant neuf mois dans mon ventre vide de nourriture ? Si ta réponse est positive, je vais commencer à croire désormais au miracle. Sans doute n’ai-je pas le niveau nécessaire pour mieux te comprendre. Les grandes douleurs sont muettes.

-Maman, je vois que tu es toujours sceptique. Que faut-il faire pour te convaincre et pour te calmer ? A cette allure, tu ne me croiras jamais, lorsque je te raconterai tout ce qui s’est passé. Malheureusement, je ne peux plus recommencer l’opération en présence de toi pour pouvoir te convaincre. Le problème, c’est que tu n’as jamais mis pieds en ville.

Si oui tu aurais compris tout de suite de quoi il s’agit. La dépigmentation ne surprend plus personne en ville. Ce qui est sûr, c’est qu’aucun Noir ne conservera encore sa peau. Ce n’est pas du tout un problème de manque de personnalité. C’est un passage obligatoire pour nous tous. L’eau chaude n’oublie pas qu’elle a été d’abord froide.

-Il y a de quoi, ma fille. C’est curieux, mais tu n’arrives pas à me comprendre. Ce que tu as fait est tout simplement incroyable, indicible et, pourquoi pas, inimaginable. Qui a donc été le premier à pratiquer le changement de peau ? Et dans quelle intention le fait-on ? en tout cas, tout le monde changera de peau, sauf moi.

C’est du jamais vu. Sois sincère. Qui, ici chez nous, peut te croire ? Es-tu devenue le bon Dieu pour recréer le monde ? D’abord, personne ne te croira ici, car c’est du jamais vu. Pour tout dire, tu t’es re-créée. Tu t’es redonné de nouveaux yeux, de nouveaux cheveux, de nouvelles lèvres, un nouveau nez et de nouvelles fesses.

Si tout le monde procède ainsi, on ne reconnaîtra plus personne. En fin de compte, on aboutira à une sorte de clonage, une confusion totale entre les êtres humains. Le mari ne fera plus de différence entre son épouse et sa fille. La maman prendra son fils pour son mari. Et le garçon confondra sa sœur avec sa fiancée.

La monotonie n’arrange pas la vie. Ce n’est pas pour rien que le créateur nous a donné des visages différents. La preuve est que chacun est confus devant les jumeaux. Où va alors le monde ? L’homme sage ne mesure pas ses pas à ceux de l’éléphant.

- Pour dire enfin la vérité, je me suis gommée. Certaines camarades disent simplement « décapée ou encore poncée. » Le blanchissement de la peau est devenu monnaie courante un peu partout, sauf chez nous, puisque nous vivons sans aucun contact avec la ville où naissent les changements sociaux. En réalité, c’est une stratégie de séduction. On le comprend, cet éclaircissement de la peau ne laisse personne indifférent. Il n’y a que la vérité qui blesse.

- C’est-à-dire ? Crois-tu que je maîtrise ce langage ésotérique ? Je n’ai pas été à l’école, comme toi, tu le sais bien. Qui, dans tout notre village, ignore que je me suis instruite toute seule ? Ton objectif étant de m’expliquer ce qui s’est passé, tu dois procéder pédagogiquement. Prends tout ton temps. Essaie de te mettre à ma place. Explique donc posément, sans te presser. Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée.

- Je veux dire que j’ai procédé minutieusement au décapage de ma peau, c’est-à-dire que j’ai éclairci ma peau avec des produits chimiques, vendus en pharmacie ou dans les rues. Ce que je suis en train de te dire est à peine croyable chez nous, pourtant, c’est vrai. C’est le résultat des recherches scientifiques. Rien ne peut transformer le monde autant que la science.

Les dirigeants qui n’encouragent pas les recherches scientifiques nous tuent littéralement. L’homme n’est pas né pour rester sur place, mais pour progresser. Nous devons transformer le monde autour de nous. Il faut qu’on sente la différence entre nous et les animaux. Nos cinq doigts ne sont pas égaux.

- Ma fille, franchement, je ne comprends pas toujours ce que tu dis. Aie pitié de mon niveau. Tu sais bien que c’est grâce à ton entraînement que j’arrive même à parler la langue des Albinos. En toutes les pharmacies sans ordonnance ou par les vendeurs de remèdes ambulants. Par conséquent, c’est facile de s’en procurer.

- Malheureusement le prix n’est pas fixe et ça revient très cher. Le plus agaçant, c’est qu’il existe beaucoup de faux produits sur le marché et il est extrêmement difficile de les détecter. Et bien sûr, ces produits falsifiés, non seulement ne sont pas efficaces, mais encore sont très dangereux.

Tous nos commerçants sont immoraux. Quand ils réussissent à rouler un client, ils croient avoir remporté une grande victoire. Ils sont manifestement heureux. Et tout le monde les envie. Il n’y a personne pour les vilipender. Si jamais quelqu’un arrive à conduire un au commissariat, on demandera au plaignant : où sont les preuves ? Le truand va donner de l’argent à la police et on va le libérer sur-le-champ, sans perdre du temps.

Voilà une manière d’encourager les vols et les crimes. Au bout de cinq à huit mois, on devient comme un Albinos, si le produit est de bonne qualité. Mais il faut reprendre fréquemment le traitement. Si au contraire, c’est le faux, on pourra se poncer le corps, même pendant deux ans sans aucun résultat. Et pire encore, on attrape inévitablement le cancer de la peau.

Voici un an, madame Nié s’était blessée en tombant de la bicyclette, jusqu’ici la plaie n’est pas guérie, malgré tous les soins reçus au dispensaire du coin et, plus tard, à l’hôpital de Péné. Finalement le médecin traitant s’est découragé en apprenant que la malade au teint clair était une usagère des produits de gommage de la peau.

Sa plaie devient donc incurable. Espérons qu’on ne va lui amputer la jambe un jour prochain. C’est pour te montrer que je connais bien les risques du décapage. Par conséquent, ne t’inquiète plus pour moi. Voilà à quoi sert d’avoir été à l’école. Essayer de corriger un fou, c’est le rendre encore plus sot.

-Tu as bien répondu à ma question, parce que j’allais justement te demander si ces produits chimiques n’étaient pas dangereux pour notre fragile peau. Jusque-là, je me demande si c’est une théorie que tu m’expliques ou si tu as déjà vécu un cas concret. Autrement dit, as-tu déjà vu des jeunes filles gommées depuis cinq ou six ans ? En quoi consiste donc la deuxième méthode ? Il n’y a que le premier pas qui compte.

-La deuxième méthode est plus rapide, mais plus chère, comme toujours. On injecte dans les veines un produit chimique, matin, midi et soir, pendant trente jours sans sauter. Il faut respecter rigoureusement la dose et les intervalles de temps. Voilà pourquoi les illettrés et ceux qui n’ont pas de montre ne peuvent pas s’en sortir.

La laide peau noire disparaît immédiatement. La nouvelle peau est pratiquement blanche, mais les autres parties du corps, comme les genoux et les coudes, sont encore intactes. On va donc les reprendre à zéro.

Ceux qui possèdent des moyens peuvent aussi les modifier à volonté. C’est en fait une seconde création ou si tu veux une nouvelle naissance. Mais au fond, l’individu reste le même, dans ses habitudes, dans son caractère et sa manière de penser. Bref, on ne change que les aspects extérieurs. Cependant, je me demande si, avec le temps, le comportement de l’individu ne va pas aussi changer.

Par exemple, j’ai déjà remarqué que la plupart de mes camarades qui ont subi ce traitement , sont devenues de plus en plus hautaines. Certaines commencent à négliger leurs études. Il y en a qui sont à la recherche des garçons sur lesquels elles vont s’accrocher, pour éviter, bien sûr, d’étudier. Ne donnez une houe qu’à celui qui sait l’employer.

-Et pour toujours ? Car, s’il faut reprendre chaque mois, par exemple, ça deviendra insupportable pour beaucoup de gens. Mais si l’on peut réussir à changer de peau une fois pour toutes, on sera à l’aise dans la nouvelle. Chacun sait où le bât blesse.

-Non, il reste à l’entretenir. L’opération se répète une fois l’an, sinon la fameuse peau noire réapparaît sous une forme très bizarre, voire très affreuse, avec des psoriasis partout. Certaines malades ont tenté en vain des traitements phytothérapiques. Nos thérapeutes ne s’y retrouvent pas encore.

Tel est le premier danger du changement de la peau. Le second, comme le rappelle tout le monde, est le risque d’attraper le cancer à une moindre blessure. Chacun répondra de ses actes. Il convient de choisir en toute connaissance de cause. Quand deux éléphants se battent, ce sont les herbes qui en pâtissent.

-Quelle méthode as-tu suivie ? Et qui te l’a conseillée ? As-tu consulté d’autres jeunes filles déjà gommées ? As-tu commencé par faire un test ? Je te pose toutes ces questions, parce qu’on ne doit jamais jouer avec la vie qui n’a pas de prix. Chaque vie est unique. C’est un trésor que le créateur nous a donné gracieusement. On presse l’orange et on jette l’écorce.

-Tu peux le deviner toi-même. A cause de mes études, j’aurais bien voulu utiliser la deuxième méthode, mais ma poche ne me le permettait pas. J’ai donc été patiente avec la première méthode et ça m’a pris beaucoup de temps. Voilà pourquoi depuis longtemps je ne vous rends plus visite.

Je voulais vous faire une surprise et ta réaction me prouve que ma surprise a bien réussie, puisque jusqu’ici tu n’arrives pas à me reconnaître, malgré tous les efforts que je fais pour t’expliquer pourquoi je me suis ainsi transformée. Bientôt tout le monde sera comme moi.

Je ne suis donc ni la première ni la dernière. Quel être humain normal peut refuser de se faire aimer ? Il est évident que le décapage appâte tous nos hommes. A quoi bon aller encore chez les marabouts gaspiller de l’argent pour acheter des charmes qui ne durent jamais longtemps et dont on n’est jamais sûr ? Voilà enfin une découverte qui changera le monde de l’amour. Je tiens à être une femme délicieuse.

Bien sûr, pourvu que je ne ramasse pas une gamelle. Pour tout l’or du monde, je n’accepterai plus de garder ma peau noire qui est à l’origine de toutes nos misères. Si nous avons été esclaves, puis colonisés, c’est uniquement à cause de notre peau. Après ce changement de peau, je vais voir ce que les Albinos vont encore inventer pour nous exploiter.

Comment se fait –il qu’on marie la peau noire avec le mal ? Rien de bon ne peut venir d’un Noir. Qui l’a dit ? Pourquoi ce complexe incurable ? Pour mettre fin à tous ces prétextes, nous allons supprimer cette couleur noire qui donne la nausée à tout le monde, même et surtout aux Noirs eux-mêmes. Nos dirigeants ne respectent pas la vie humaine, parce qu’ils se disent intérieurement que le Noir n’est pas un être humain et qu’on peut l’abattre sans aucun remords. Un grain de maïs a toujours tort devant une poule.

-Que veux-tu ? Je n’ai jamais vu une pareille chose dans ma vie, surtout dans ma famille. Il faut aussi te dire que je ne m’y attendais pas du tout. Personne ne m’a jamais dit que quelqu’un peut changer librement la couleur de sa peau ou diminuer soi-même ses fesses. Tout cela pour quel résultat ? Pourquoi faire ?

[...]

Ende der Leseprobe aus 91 Seiten

Details

Titel
Je veux devenir blanche
Autor
Jahr
2008
Seiten
91
Katalognummer
V119004
ISBN (eBook)
9783640224357
ISBN (Buch)
9783640224739
Dateigröße
784 KB
Sprache
Französisch
Arbeit zitieren
Prof. Dr. Dr. Chindji Kouleu (Autor:in), 2008, Je veux devenir blanche, München, GRIN Verlag, https://www.grin.com/document/119004

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