Qui est le photographe Miroslav Tichý? Je ne le connaissais pas avant que l’on me parle de lui au séminaire
photographique, et de son exposition de photos au Centre Pompidou, à Paris, en 2008. Sur les clichés qui le
représentent il a l’air d’un clochard, son allure est négligée et son environnement particulièrement désordonné.
Pour son travail photographique, il utilisait des appareils qu‘il bricolait lui-même, d‘aspect rudimentaire, et
même sa façon de travailler était brute. Le contraste est fort entre ses doux modèles et ses oeuvres poétiques.
Tichý, de nationalité tchèque, était peintre à l’origine. C‘est à peu près vers le milieu des années 50 qu‘il s’est
consacré à la photographie. [...]
Qui est le photographe Miroslav Tichý? Je ne le connaissais pas avant que l’on me parle de lui au séminaire photographique, et de son exposition de photos au Centre Pompidou, à Paris, en 2008. Sur les clichés qui le représentent il a l’air d’un clochard, son allure est négligée et son environnement particulièrement désordonné. Pour son travail photographique, il utilisait des appareils qu‘il bricolait lui-même, d‘aspect rudimentaire, et même sa façon de travailler était brute. Le contraste est fort entre ses doux modèles et ses œuvres poétiques. Tichý, de nationalité tchèque, était peintre à l’origine. C‘est à peu près vers le milieu des années 50 qu‘il s’est consacré à la photographie. Il faisait surtout des images des femmes de sa région1. Il les photographiait très souvent à la manière d’un voyeur ou de façon érotique. Il trouvait ses modèles dans sa ville natale, aux balcons des immeubles, au parc ou à la piscine en été, où il faisait des photos à travers la clôture. Le soir, il continuait à photographier des femmes à la télévision2. Il photographiait souvent une partie du corps: des jambes, des fesses, des bustes, des seins, des décolletés, parfois aussi des visages. Lorsque j’ai entendu parler de Miroslav Tichý, du personnage et sa façon de travailler, j’ai tout de suite été attirée; pour plusieurs raisons dont trois en particulier: l’aspect bricolage de son travail, le manque de respect pour son art, mais aussi son absence d’arrogance souvent propre aux artistes.
Je me suis tout d’abord intéressée à Miroslav Tichý car, il y a plus de l0 ans, j’ai également construit un appareil photo par moi-même avec lequel je fais des photos depuis des années déjà. C’est un simple sténopé en carton qui fonctionne avec une pellicule en bobine, mais grâce auquel s’est révélé mon intérêt pour les appareils photo bruts et pour la photographie qui revient vers ses racines. Ma boîte ne ressemble guère à un appareil photo. On ne me prend pas très au sérieux avec cela, ce qui me permet de m’approcher plus des gens. Toute cette expérience photographique, la mienne, m’a donné envie de mieux comprendre la personnalité de ce photographe tchèque. Tichý construisait ses appareils photo lui-même en se servant d’un boîtier fait de carton et de contreplaqué, d’éléments récupérés sur d’autres appareils photos auxquels il ajoutait des téléobjectifs constitués de
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Miroslav Tichý, MT Inv. no.: l-ll, by courtesy of Foundation Tichý oceán
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Appareil photo construit et utilisé par MT; photo © Roman Buxbaum
tubes en papier, de tuyaux d’évacuation en plastique, voire, une fois, d’un télescope d’enfant3. Il se fabriquait toutes sortes d’appareil photo aux temps de pose variables. Il maîtrisait les lois de l’optique même s’il travaillait avec des matériaux simples trouvés n’importe où. Il s’est construit un système de lentilles à partir de vieux yeux de verre et de plexiglas. Dans un premier temps, il a coupé les lentilles en plexiglas à l’aide d’un couteau, puis il les a polies avec du papier de verre, du dentifrice et de la cendre de cigarette. Il utilisait souvent plusieurs lentilles pour ses téléobjectifs. Pour les fixer, il se servait soit de colle soit d’asphalte4. Pour tirer ses images, il a fabriqué un agrandisseur avec des matériaux de récupération, des planches, des lattes et des tôles, par une ampoule dans une boîte de conserve et un vieil objectif d’appareil photo5. Il a coupé ou déchiré à la main le papier photo pour le préparer pour le tirage6. Le choix de ce qu’il tirait était simple: «Je ne sélectionnais rien du tout. Je mets un rouleau dans l’agrandisseur, je le fais défiler et je tire ce qui ressemble vaguement au monde. Mais qu’est-ce que le monde? Le monde, c’est tout ce qui existe»7. Après avoir exposé les photos à la lumière sous son agrandisseur bricolé, il mettait ses pièces dans le révélateur le temps qui lui convenait et il les laissait tremper une nuit entière dans le fixateur. Comme il travaillait sans pinces, ses doigts sont souvent visibles sur ses tirages8.
La deuxième raison pour laquelle je me suis également intéressée à Miroslav Tichý réside dans le fait qu’il accordait peu d’importance à son travail, une fois qu’il avait fait des tirages. Il me vient la citation de l’auteur allemand Heinrich Böll: «On ne cesse pas d‘être un artiste du fait qu‘on fasse quelque chose de mauvais, mais dans l‘instant dans lequel on commence à avoir peur de tous les risques». Une citation que je me suis appropriée pour mes démarches artistiques, mais que j’oublie malheureusement aussi trop souvent. On apprend grâce à ses erreurs, grâce aux expériences que l’on fait, ou même: les erreurs deviennent part du travail comme dans l’œuvre de Tichý. Les erreurs ne sont plus d’erreurs, confirmé par Tichý: «Les défauts font partie intégrante du travail. C’est la poésie, la qualité picturale. En vérité, l’objectif n’était pas très précis, mais c’est peut-être là qu’il y a de l’art! La philosophie, c’est abstrait, mais la photographie, c’est concret, c’est une perception. C’est l’œil, ce que l’on voit. Avant tout, il faut avoir un mauvais appareil photo! Si tu veux être célèbre, tu dois faire quelque chose plus mal que n’importe qui dans le monde entier! Quelque chose de beau et parfait n’intéresse personne»9. Mon envie de perdre un peu plus de respect par rapport à mon travail et de ne pas en imposer trop d’importance m’a poussé vers l’œuvre de Tichý. Tichý n’avait aucun respect à l’égard de ses œuvres. Ses tableaux, dessins et gravures étaient partout dans la maison, en grands nombres poussiéreux, salis et endommagés10. Quand ils gênaient, Tichý «les jetait à côté sans pitié»11. Quand on pense au livre de Clément Chéroux F autog r aphie,
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Miroslav Tichý, MT Inv. no.: l-Sl, by courtesy of Foundation Tichý oceán
petite histoire de l’erreur photographique, Miroslav Tichý ne méritait pas qu’une fois d’être cité. Ses photos portent pleins de marques, des identificateurs, des erreurs ou défauts, comme on voudrait les appeler: «sous-exposition, surexposition, flou, tirages à partir de négatifs rayés, développement sur du papier découpé ou déchiré, tirages recouverts de poussière ou de saleté, appareil photo et chambre noire non nettoyés, traces de doigts et de bromure, bords des tirages rongés par les rats et autres rongeurs»12. Il ne prenait pas de gants avec ses images tirées et c’est juste ce manque de respect qui donne à ses photos l’aspect particulier: il s’asseyait, il dormait, il marchait dessus, il découpait les bords, et les retravaillait avec un stylo bille ou avec des crayons de couleur, il les pliait, il s’en servait de cales sous des pieds de table bancale, il renversait de boissons dessus, il ne les préservait pas de rongeurs, il les jetait par la fenêtre, il les oubliait dehors, il les retrouvait et il les sauvegardait13. Pour lui, tout effet d’imperfection, toute erreur fait partie de la photographie. Elles les rendent poétiques et les amènent vers la peinture14. En plus, il a refusé la conservation, la documentation et la chronologie15. Il a encadré ses photos plus tard par des cadres coupés et dessinés par lui-même. Il faisait les retouches et la finition des photos pour souligner des contours flous d‘une façon simple à l‘aide d‘un crayon, il teintait parfois les photos avec du crayon ou de la peinture16. Le résultat est inhabituel. Il a dédaigné les règles de la photographie conventionnelle. Ses photos sont uniques, au sens propre car toutes ses photos sont des tirages uniques et au sens figuré, car Tichý avait bien trouvé un style à lui.
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1 Tichý Océan 2008
2 voir Centre Pompidou 2008, p. l50
3 voir Centre Pompidou 2008, p. lS4, p. l44
4 voir Centre Pompidou 2008, p. lS4
5 voir Centre Pompidou 2008, p. lS2, p. lS4
6 voir Centre Pompidou 2008, p. lS4
7 Centre Pompidou 2008, p. lS4
8 voir Centre Pompidou 2008, p. lS4
9 Centre Pompidou 2008, p. lS5
10 voir Centre Pompidou 2008, p. l74; Tichý Océan 2008
11 Centre Pompidou 2008, p. lSl
12 Centre Pompidou 2008, p. lS5
13 voir Centre Pompidou 2008, p. lS5
14 voir Buxbaum 2004
15 Centre Pompidou 2008, p. l55
Questions fréquemment posées
Qui est Miroslav Tichý?
Miroslav Tichý était un photographe tchèque, initialement peintre, qui s'est consacré à la photographie vers le milieu des années 50. Il est connu pour ses photographies de femmes, souvent prises à la manière d'un voyeur, et pour l'utilisation d'appareils photo qu'il fabriquait lui-même à partir de matériaux de récupération.
Comment Tichý fabriquait-il ses appareils photo?
Tichý construisait ses appareils photo avec des boîtiers en carton et contreplaqué, des éléments récupérés d'autres appareils, des téléobjectifs faits de tubes en papier ou plastique, et même un télescope d'enfant. Il utilisait des lentilles en plexiglas qu'il coupait et polissait lui-même.
Comment Tichý tirait-il ses photos?
Il utilisait un agrandisseur fabriqué avec des matériaux de récupération. Il coupait ou déchirait le papier photo à la main et tirait les photos en les exposant sous l'agrandisseur. Il laissait ensuite les tirages tremper dans le révélateur et le fixateur, et ses doigts étaient souvent visibles sur les tirages en raison de son travail sans pinces.
Quelle importance Tichý accordait-il à son travail?
Tichý accordait peu d'importance à son travail une fois les tirages faits. Il ne se souciait pas des erreurs ou des défauts, les considérant comme faisant partie intégrante de son art et de sa poésie. Ses photos étaient souvent endommagées, salies, et utilisées de manière non conventionnelle.
Comment Tichý traitait-il ses photos après les avoir tirées?
Il s'asseyait, dormait, marchait sur ses photos, découpait les bords, les retravaillait avec des stylos ou crayons, les pliait, les utilisait comme cales, renversait des boissons dessus, et ne les protégeait pas des rongeurs. Il encadrait ensuite les photos avec des cadres coupés et dessinés par lui-même, et retouchait les contours flous au crayon.
Pourquoi l'auteur de ce texte s'intéresse-t-il à Tichý?
L'auteur s'intéresse à Tichý pour plusieurs raisons, notamment l'aspect "bricolage" de son travail, son manque de respect pour son art, et son absence d'arrogance. L'auteur a également construit un appareil photo sténopé et s'intéresse à la photographie brute.
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- Julia Kappes (Author), 2009, Miroslav Tichý, Munich, GRIN Verlag, https://www.grin.com/document/122602