Ce texte se propose l'étude minutieuse sur la transformation des entreprises publiques en 2008 par le législateur congolais (R.D.C). En effet, entre le débat de l'inexistence et existence créé par la transformation intervenue en 2008 , cet article a pour objet d'éclairer ce processus et de dégager la sens et la portée des concepts issus de la transformation des entreprises publiques.
L’ENTREPRISE PUBLIQUE EN REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO : De l’erreur conceptuelle à la définition actionnariale.
Par henoc KONDJO WEMBOLENGA, chercheur et assistant en droit économique et social, et Droit des affaires
DOCUMENTS CONSULTES ET UTILISES
1. BUETUSIWA (B) et MUWAWA LUWUNGI (G.), mise à mort et résurrection des entreprises publiques en RDC, leur survie sous l’empire OHADA et la question de l’immunité d’exécution, in doc & juris, vol 2020-2022 ;
2. FUNGONGO MBOMA (d.), du désengagement de l'État des entreprises publiques congolaises et de la préservation de l'intérêt national, un revue internationale des Dynamiques sociales, 2019 ;
3. KUMBU KI NGIMBI J.M., Manuel de législation en matière économique, Ed. de l’IADHAD, 4e éd., Kinshasa, 2020
4. Loi n°78-002 du 06 janvier 1978 portant dispositions générales applicables aux entreprises publiques. modifié notamment par la loi 78-016 du 11 juillet 1978, par l’ordonnance loi n°82019 du 29 mars 1982, par l’Ordonnance Loi n°85021 du 30 mars 1985 et par l’Ordonnance-Loi n°89-051 du 28 septembre 1989 ;
5. Loi n°08/007 du 07 juillet 2008 dispositions générales relatives à la transformation des entreprises publiques ;
6. La loi n° 08/008 du 07 juillet 2008 portant dispositions générales relatives au désengagement de l’Etat des entreprises du portefeuille ;
7. Loi n°08/009 du 07 juillet 2008 portant dispositions générales applicables aux établissements publics ;
8. Loi n° 08/010 du 07 juillet 2008 fixant les règles relatives à l’organisation et à la gestion du portefeuille de l’Etat ;
9. MITAMANGO MUMBERE (F.), réforme des entreprises pubiques :quel role pour l’Etat congolais après le désengagement ? In centre des recherches interdisciplinaires du graben, 2019 ;
INTRODUCTION
Avant l’année 2008, les entreprises publiques en République Démocratique du Congo (RDC) étaient traditionnellement assimilées à des services publics au sens strict du terme. L'article 2 alinéa 1 de la loi n°78-002 du 06 janvier 1978 portant dispositions générales applicables aux entreprises publiques, entendait par entreprise publique :
Établissement qui, quelle que soit sa nature :
- Est créé et contrôlé par le pouvoir public pour remplir une tâche d’intérêt général ;
- Est créé à l’initiative des pouvoirs publics entre eux pour remplir une mission d‘intérêt général ;
- Est créé à l’initiative des personnes morales de droit public pour l’exploitation en commun d’un service ou d’une activité donnée ;
- Est créé à l’initiative des pouvoirs en association avec les personnes morales de droit public pour l’exploitation en commun d’un service ou d’une activité donnée.
Selon son objet, l'entreprise publique était soit à caractère administratif, soit financier ou social ou culturel, enfin soit industriel ou commercial.
Cette perception, du point de vue théorique au Droit administratif, traduisait une confusion conceptuelle majeure : le législateur d'alors avait confondu la définition du service public d'avec celle de l’entreprise publique qui n'est qu'une forme de mode de gestion des services publics gérés par une personne privée, en considérant cette dernière uniquement comme une forme d'organisation du pouvoir public et/ou des personnes morales de Droit public en vue de satisfaire l'intérêt commun.
Ainsi, les entreprises publiques n’étaient pas conçues comme des entités autonomes dotées d’une logique économique, mais plutôt comme des extensions de l’administration publique n'ayant que pour seul objectif la satisfaction de l'intérêt général. Et comme l'affirme FUNGONGO MBOMA Didier, l'entreprise publique telle qu'elle découlait de la Loi du 06 janvier 1978 embrassait non seulement des établissements publics dans leur sens originaire mais entreprises exerçant une activité économique, aussi des services publics
Ce paradigme a révélé ses limites tant soit peu, par rapport à la crise de la notion des services publics en Droit congolais, et d'autre part, en regard de son fonctionnement.
Les entreprises publiques n'ont pas su atteindre les objectifs pour lesquels elles avaient été créées. Inefficacité, mauvaise gouvernance, surendettement et manque de rentabilité ont été les signes patents de leur échec. Conscient de cette situation critique, le législateur congolais a engagé une réforme en profondeur de ce secteur.
Pour parfaire cet engagement, il a été mis en place une structure dénommée comité de pilotage pour la réforme des entreprises publiques en cycle COPIREP créé par décret présidentiel n°136/2002 du 30 octobre 2002 et modifié par le décret n° 04/047 du 20 mai 2004, mis en place pour conduire la politique de la réforme des entreprises publiques.
Selon le rapport de 2005 du Comité de pilotage pour la réforme des entreprises publiques (COPIREP), ce dernier soulève que: « réformer une entreprise, c’est avant tout la traiter comme un acteur économique normal qui doit subir, à de rares exceptions près, les lois du marché ». L’atelier de sensibilisation au Projet Compétitivité et Développement du secteur privé, tenu à Kinshasa du 3 au 4 février 2004, fit le constat selon lequel il y avait des secteurs d’activités dans lesquels une entreprise gérée par le privé donnerait des résultats meilleurs que ceux de la même entreprise placée sous une gestion publique. Au fil des temps et au regard des résultats peu satisfaisants, le besoin de réformer le secteur devenait impérieux.
Et à travers son rapport sur l’évaluation de la réforme des entreprises publiques, le COPIREP notait déjà que: «De manière générale, les entreprises du portefeuille de l’Etat se caractérisent par une faible productivité, une mégestion manifeste, des services de qualité médiocre rendus à la communauté, un outil de production vétuste et obsolète. Au lieu d’être des unités créatrices des richesses et d’emplois, elles sont devenues une charge très lourde pour l’Etat-propriétaire ».
Plusieurs études menées dans le cadre de ces entreprises ont conclu à leur manque de compétitivité. Ces inefficacités ont été relevées sur plusieurs plans: administratif et organisationnel, technique, opérationnel et financier. Aussi, l’échec des stratégies de développement des entreprises publiques fondées sur la prééminence de l’Etat a-t-elle conduit à des crises d’endettements, voire à une situation de quasi-faillite des certaines de ces entreprises.
En conséquence de la mission entreprise par le COPIREP, cela a abouti par la promulgation des 4 lois par le toute premier législateur de la 3e république de la république démocratique du Congo, à savoir:
- Loi n° 08/007 du 07 juillet 2008 portant dispositions générales relatives à la transformation des entreprises publiques;
- loi n° 08/008 du 07 juillet 2008 portant dispositions générales relatives au désengagement de l’Etat des entreprises du portefeuille;
- loi n° 08/009 du 07 juillet 2008 portant dispositions générales applicables aux établissements publics;
- Loi n° 08/010 du 07 juillet 2008 fixant les règles relatives à l’organisation et à la gestion du portefeuille de l’Etat.
La grande réforme de 2008 s’est traduite par la suppression du statut unique d’« entreprise publique ». Celle-ci a été remplacée par une classification plus adaptée aux réalités économiques et juridiques.
Les entreprises publiques organisées par la Loi-cadre n° 78-002 du 06 janvier 1978 n’ont pas atteint les objectifs économiques et sociaux leur assignés. Pour cette raison, leur réforme s’imposait et s'inscrivait dans le cadre du programme général de redressement macroéconomique et sectoriel conçu et conduit par le gouvernement; ayant pour objectif de créer un cadre institutionnel et susceptible d'insuffler une dynamique nouvelle aux entreprises du portefeuille de l’Etat en vue d’améliorer leur potentiel de production et de rentabilité ; Contribuer au renforcement de la compétitivité de ces entreprises et de l’ensemble de l’économie nationale, les entreprises publiques furent transformées:
- Soit en société commerciale, Les entreprises publiques du secteur marchand, dans lesquelles l’Etat est l’actionnaire unique par dérogation aux dispositions légales en vigueur, prenant la forme d'une société par actions en responsabilité illimitées (aujourd’hui S.A avec l'adhésion de la RDC à l'OHADA);
- Soit en Établissement public ou en service public, les entreprises publiques dont les activités sont soit, non lucratives et non concurrentielles, soit le prolongement de celles de l'administration publique, soit bénéficiant d'une parafiscalité et qui poursuivent une mission d'intérêt général ;
- Soit dissoutes ou liquidés par décret du premier ministre délibéré en conseil des ministres, les entreprises publiques en état de cessation de paiement et/ou dont l'activité économique ne se justifie plus.
Cette réforme visait une meilleure gestion, une gouvernance plus moderne et une clarification des missions et objectifs.
Toutefois, alors que la transformation visait globalement l’ensemble des entreprises publiques, le processus de désengagement, quant à lui, ne pouvait s’appliquer qu’aux entités ayant fait l’objet d’une conversion en sociétés commerciales, et ce, suivant une approche individualisée. En d'autres termes, la réforme de transformation ait été envisagée de manière globale pour l’ensemble des entreprises publiques, alors que le désengagement de l’État ne pouvait intervenir qu’envers celles ayant été converties en sociétés commerciales, selon une évaluation spécifique à chaque cas.
Jusqu'à la parution de cet article, aucune entreprise publique transformée en société commerciale n'a fait objet de désengagement.
Par désengagement, il faut entendre le processus par lequel l’Etat ou toute autre personne morale de droit public se retire partiellement ou totalement du capital social ou de la gestion d’une entreprise du portefeuille ou toute autre forme de partenariat public-privé mettant à contribution un ou plusieurs opérateurs privés dans le capital ou la gestion d’une entreprise du portefeuille de l’Etat.
Ce nouveau cadre permet une meilleure flexibilité, favorise l’investissement, et ouvre la voie aux partenariats public-privé (PPP), moteur essentiel du développement dans de nombreux secteurs stratégiques (infrastructures, énergie, télécommunications, etc.).
Somme toute, l'ensemble des lois évoquées ci-haut constitue à présent le cadre normatif de l'organisation, gestion et fonctionnement des entreprises publiques et des portefeuilles de l'État.
Par ailleurs, depuis l'avènement de ces lois, tout porte à croire qu'un nouveau débat a vu le jour avec les spécialistes en la manière, celui de déterminer si oui ou non les entreprises telles que transformées en 2008 continuent d'exister ou non. Il paraît plus plausible pour le tenant de la suppression du concept entreprises publiques qu'en Droit congolais on ne peut plus parler des entreprises publiques étant donné qu'elles fusent transformées selon le cas. Pour d'aucuns, le concept entreprise publique continue d'exister se référant au fait que le législateur malgré la réforme introduite en 2008 a toutefois pris en compte un nouvel entendement du concept entreprise publique.
Au regard de ces conflit de position, s'agit-il d'une malfaçon légale ou d'un démon incompris ?
ERREUR ET CORRECTION LEGISLATIVE : LA REDEFINITION DE L’ENTREPRISE PUBLIQUE EN RDC ENTRE 1978 ET 2008 : LE DEMON INCOMPRIS
Il ne faut pas perdre de vue, qu'au-delà de toutes les raisons économiques avancées en vue de la transformation des entreprises publiques, la réforme est aussi justifiée pour corriger les erreurs du législateur de 1978.
La question de savoir si oui ou non, nous pouvons encore parler du concept entreprises publiques en RDC semble être déjà résolue.
La majorité des scientifiques ayant réfléchie sur la question, n'ont pas suffisamment et de façon approfondie étudiée la raison d'être de la transformation et ses implications. Ce qui les pousse simplement à s'en tenir à la loi n°08/007 du 07 juillet 2008 pour affirmer que le législateur de 2008 a supprimé ce concept et que l'emploi de celui-ci a nouveau fait montre de la malfaçon légale.
De prime abord, la constitution dans son article 123.3 dispose que la loi détermine les principes fondamentaux concernant la création des entreprises, établissements et organisme publics. A travers cette disposition, le constituant prône l'existence des entreprises publiques, et que par conséquent, pour entrevoir la suppression des entreprises publiques, il faut rendre non obligatoire et non exécutoire cette disposition de la constitution.
Ce qui revient à dire, du fait que la loi soit inférieure à la constitution et que la loi doit se conformer à elle, la loi doit donc déterminer les principes fondamentaux qui doivent régir les entreprises publiques et non supprimée les entreprises publiques, ce sera un monstre juridique que le législateur créera. Ainsi, il serait inconstitutionnel qu'une loi puisse abrogée l'existence des services publics-d ‘entreprises publiques alors que la disposition constitutionnelle est encore en vigueur.
L'idée de rendre les entreprises publiques inexistantes dans l'ordre juridique congolais est contraire à la constitution et à son Esprit. Il sera dès lors inconcevable qu'une loi puisse abrogée une disposition constitutionnelle en vigueur par une réforme légale. Étant donné que la constitution est la norme suprême et reconnaît l'existence de celle-ci, les entreprises publiques existent bel et bien. Premier obstacle.
C'est dans le souci tout autant de corriger les erreurs flagrants du législateurs et la gestion quasi diabolique des entreprises publiques qu’il y eut la transformation des entreprises publiques soit en société commerciale, soit établissement ou service public, soit liquidées.
Cette affirmation n'est pas synonyme la suppression comme telle des entreprises publiques. L'objectif du législateur était celui de redonner le sens à la nature des services publics suivant leurs objets et leurs finalités. Ce qui s'inscrit dans la logique selon laquelle, les entreprises publiques poursuivent généralement le lucre et dans une certaine mesure spécifique l’intérêt général (la fonction entrepreneur de l'Etat- État providence-Etat commerçant).
Toutefois, la question technique demeure, celle de savoir, quelle est la loi qui détermine les principes fondamentaux concernant la création d'une entreprise publique ?
En effet, les lois qui déterminent la création d'une entreprise publique ne sont que la loi n°008/010 du 07 juillet 2008 et la loi n°008/08 du 07 juillet 2008.
Le paragraphe 6 de la loi concernée (n°008/010) précise que : elle fixe les statuts de l’entreprise du portefeuille de l’Etat, de la nouvelle entreprise publique et détermine la représentation de l'État actionnaire ainsi que la prise, le maintien et l'augmentation de la participation de l'État.
Les deux lois entendent par entreprise publique : toute entreprise du portefeuille de l’Etat dans laquelle l’Etat ou toute autre personne morale de droit public détient la totalité ou la majorité absolue du capital.
Et par Entreprise du portefeuille de l'État : toute société dans laquelle l’Etat ou toute autre personne morale de droit public détient la totalité du capital social ou une participation.
En comparaison avec la définition de l'entreprise publique assortie de la loi de 2008, on se rend compte que la définition des entreprises publiques n’a plus le même contenu et la même nature que celle de la loi 1978. La définition de 2008, ne traduit plus la forme d'organisation d'un service de l'État censé poursuivre un but d'intérêt général, mais plutôt, du degré de l'actionnariat détenu dans le capital social et du sujet détenteur de l'action.
La proportion du capital social et l'identification de la personne détentrice de l'action sont les éléments qui, lorsqu'ils sont pris en compte, déterminent si nous devant quel type de service public géré entreprise publique (entreprise de portefeuille) ou pas.
Ce qui revient à dire, que même les entreprises publiques transformées en sociétés commerciales sont toujours des entreprises publiques, si l’on arrive déterminer que nous sommes en face des sociétés dans lesquelles l'État est le seul actionnaire et détient la totalité des parts sociales.
CONCLUSION
La RDC a ainsi opérée une transformation profonde de son secteur des entreprises publiques. D’une vision administrative et centralisée, elle est passée à une logique économique fondée sur la performance, la rentabilité et le partenariat. Ce changement de paradigme est essentiel pour assurer une meilleure contribution des entreprises publiques au développement économique et social du pays. Elle vise aussi à lever l’équivoque longtemps entrepris par la doctrine sur ce que l’on doit comprendre d’une entreprise publique. Ainsi donc, la réforme de 2008 n’a entant que telle visée la suppression du concept entreprise publique mais sa redéfinition au sens qui la convenait comme tel.
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- Quote paper
- Kondjo Henoc (Author), 2025, L’entreprise publique en République démocratique du Congo, Munich, GRIN Verlag, https://www.grin.com/document/1589475