Je, altérité et enfance comme enjeux transculturels dans le texte africain francophone


Travail de Recherche, 2013

16 Pages, Note: A


Extrait


Je, altérité et enfance comme enjeux transculturels dans le texte africain francophone (Germain Nyada, Université Concordia; Canada)

The following paper focuses on a question: To what extent could francophone childhood accounts be regarded as model of intercultural writing with regard to Otherness? The paper is divided into three parts. In the first part, the genesis, the development and the position of childhood accounts in literature are highlighted. I discuss the relationship between the construction or representation of childhood with alterity. I claim that the representation of one’s childhood is another way to deal with Otherness or strangeness. For this, the question of childhood is close to the postmodern debate as well as to the discourse on interculturality since one of the stresses of intercultural studies is the understanding of Otherness. The constructed Self or rather Other is therefore a self-image, an image of the Other and it gives insights in the world of the writer as well. The second part of the paper is based on Laye Camara’s L ’ Enfant noir and Jean-Martin Tchaptchet’s La Marseillaise de mon enfance. Here, I scrutinize ethno- relative oriented ways of thinking and actions in the behavior of the experiencing-I. I discuss these aspects following Milton Bennett’s principles of intercultural sensitivity. I show that ethno-relative or interculture-based actions and ideas of the experiencing-I start by an attempt to undermine established forms of power relationship or hierarchy. This aspect is linked to intercultural processes.

« Peut-on […] commencer à écrire [sur soi] sans se prendre pour un autre? »1 Voilà comment Roland Barthes, en rapport avec l’autobiographie, pose le problème du lien étroit entre ipséité2 et altérité. La question de Roland Barthes dans son Roland Barthes par Roland Barthes est sans doute empreinte d’une candeur feinte. Il est en effet évident que la réponse est « Non ». Nous posons comme postulat cette interconnexion ipséité et altérité mise en relief dans la question de Barthes pour poursuivre un double objectif. Premièrement, il est question d’établir que le discours sur l’enfance dans le sous-genre autobiographique appelé récit d’enfance est aussi un discours sur l’altérité. Deuxièmement, nous voulons montrer que traitant à la fois de l’ipséité et de l’altérité, le récit d’enfance en tant que composante du genre autobiographique a une dimension interculturelle puisque l’ipséité et l’altérité forment le noyau de la réflexion sur la transculturalité. Notre analyse s’appuie sur deux récits d’enfance d’expression française dont les auteurs sont originaires d’Afrique, à savoir L ’ Enfant noir3 de Laye Camara et La

Marseillaise de mon enfance 4 de Jean-Martin Tchaptchet. Dans le récit d’enfance, la problématique de l’altérité au moyen d’une fictionnalisation de soi semble plus prononcée que dans d’autres textes autobiographiques. Quand bien même le quotidien nous présente le lien étroit entre âge et altérité tel dans les conflits générationnels, les discours sur l’altérité ne prennent en considération que les formes d’altérité inhérentes aux velléités de domination, à savoir les différences raciales, sexuelles ou culturelles.

Dans les écritures de soi, les auteurs recourent à l’enfance alors que celle-ci est déjà présente dans le discours5 ambiant. Le thème est ainsi poétisé au travers de procédés artistiques, d’expériences et de points de vue individuels en vue d’effets spécifiques. Que chaque auteur raconte son enfance personnelle ne devrait pas nous faire oublier l’intérêt du thème ou du motif de l’enfance. La question sociale de l’enfance abordée souvent dans les textes est historique puisqu’elle est liée à un stade de crise dans l’histoire de la société moderne. Et pour traiter de l’ipséité et de l’altérité, nous avons divisé notre argumentation en trois parties. Dans la première partie, nous passons en revue la fictionnalisation de l’enfance dans la littérature francophone. Dans la deuxième partie, nous abordons l’interculturalité du corpus à la lumière des relations entre la thématique de l’enfance et la représentation de l’altérité. Dans la troisième partie, nous interrogeons le lien entre enfance, écriture interculturelle et la fonction de la représentation de l’enfance.

1- L’enfance dans le texte francophone d’Afrique

Il est question dans cette phase de l’analyse de reconstruire la fonction et le rôle de l’enfant dans la littérature africaine francophone. Nombre d’études se sont penchées sur cette question. Nous résumons ici les conclusions de deux des plus représentatives de ces études. Préalablement au résumé des conclusions que nous envisageons de définir les contours de la notion de récit d’enfance qui sert à désigner notre corpus. Dans l’anthologie Le r é cit d ’ enfance et ses mod è les 6 dont elles ont dirigé la publication, Anne Chevalier et Carole Dornier présentent la littérature d’enfance et ses modèles du Moyen-Âge à nos jours. Dans une autre

anthologie, Alain Schaffner part de l’approche de Chevalier et Dornier pour réfléchir sur la littérature d’enfance. Son intérêt est porté sur la détermination constructiviste de la littérature d’enfance comme genre. Il interroge cet aspect en rapport avec le contenu des textes. D’entrée de jeu, il signale que selon le contexte, l’enfance peut prendre fin avec le début de la formation, la mort d’un proche ou l’initiation à la vie sexuelle. Il essaie alors de catégoriser les écritures d’enfance qu’il situe entre autobiographie et autofiction. Schaffner inventorie au total trois approches du genre récit d’enfance.

[…] la première [approche] définit le récit d’enfance par son contenu et sa chronologie de référence, la seconde le restreint aux textes en prose, la troisième, « aux textes consacrés exclusivement à l’enfance: l’âge s’y clôt en même temps que le volume s’achève ».7

Comme on peut le voir, le récit d’enfance se caractérise par sa diversité. Les études de Chevalier, Dornier et Schaffner analysent les textes autobiographiques et les textes biographiques sur l’enfance avec une prépondérance des textes autobiographiques. Vu cette prédominance de l’autobiographique dans le récit d’enfance, notre analyse ne considère que les textes autobiographiques, c’est-à-dire ceux qui obéissent au principe de la triple identité (auteur, narrateur et personnage mis en scène) postulé par Philippe Lejeune.8 La raison de ce choix est que la production littéraire d’auteurs d’origine africaine en langues européennes commence avec des textes ayant pour sujet la vie d’un individu. Bernard Mouralis remarque à ce propos dans L ’ Illusion d ’ alt é rit é 9 que l’écriture autobiographique occupe une place de choix dans les littératures africaines depuis le 19e siècle. Que les années remémorées dans ces textes excluent la vie adulte pour se consacrer uniquement à l’enfance du narrateur, cela n’empêche pas que la critique ethnographique les réduise à leurs dimensions culturelle et politique. D’une part, cette critique ferme les yeux devant la dynamique des cultures, d’autre part, elle conçoit l’origine de l’auteur comme le ferment de ses écrits (autobiographiques). Ceci fut valable surtout dans l’espace linguistique francophone où des textes autobiographiques furent fortement incités pour des recherches anthropologiques. Les textes ainsi écrits étaient considérés comme des témoignages conformes de la réalité du vécu de leurs auteurs. Le débat autour de L ’ Enfant noir est indicateur de cette lecture tendancieuse de la littérature d’enfance africaine d’expression française. Il serait cependant déplacé de croire à une absence totale d’analyses pertinentes de cette production littéraire.

L’ouvrage La litt é rature moderne africaine au sud du Sahara de Denise Coussy10 semble représentative des analyses du motif de l’enfant dans les littératures d’auteurs francophones d’Afrique. Au début de sa critique de la fonction des personnages littéraires, Coussy présente L ’ Enfant noir comme le premier texte moderne d’Afrique dans lequel le thème de l’enfance est discuté. Ensuite, Coussy parle d’une mutation dans la notion d’enfance et distingue trois étapes dans ce processus. Elle explique que des textes europhones dits « africains » conçoivent d’abord l’enfant comme l’être privilégié de son milieu. Les auteurs ont ensuite présenté l’enfant comme un être faible dont l’avenir est incertain. Enfin, l’enfant est transformé dans les écrits récents en un observateur extrêmement critique qui juge le monde tumultueux des adultes avec un œil faussement naïf. L’enfance est certes examinée dans la recherche de Coussy, mais sans rapport étroit avec les récits d’enfance à la première personne. C’est pour cette raison que la thèse de Mouralis demeure pertinente. La question de l’enfance y est mise en relation avec la colonisation11. L’analyse de Mouralis est d’autant plus pertinente à nos yeux que les deux textes que nous examinons présentent une enfance africaine en pleine colonisation française.

Mouralis repère deux tendances dans la littérature d’enfance d’auteurs originaires d’Afrique. D’après lui, la différence réside au niveau de la signification que les auteurs affectent à la colonisation et ainsi qu’à ses effets sur la conscience du protagoniste. La première tendance qu’il trouve dans les textes tels Amkoullel l ’ enfant peul d’Hampâté Bâ a pour point focal moins l’histoire de vie individuelle que la manière dont un individu développe l’intelligibilité de l’environnement social. Dans cette mouvance, explique Mouralis, c’est surtout l’importance des récits historiques ou le sens des comptes rendus et autres descriptions de nature révélatrice qui est mise en relief. Mouralis soutient cependant que les récits d’enfance de cette tendance ne sauraient être lus comme des chroniques des premières années du 20e siècle. Il est question de chercher le fil conducteur chez l’individu qui regarde les événements, écoute des récits, fait des expériences et qui s’efforce à interpréter tout ce qui lui vient à l’esprit. Pour Mouralis, la deuxième tendance de la littérature d’enfance d’auteurs dits africains

n’a pas pour fondement primaire le sentiment de rupture ou d’un rejet de la colonisation. L’expérience de l’enfant est plutôt basée sur le syncrétisme qui s’installe progressivement, ou sur le sentiment qu’une dualité existe entre le monde africain et le monde européen, entre la famille et le monde extérieur. Les récits d’enfance de cette tendance ethnorelative et donc transculturelle se présentent comme des histoires de formation d’un individu dans ses premières années de vie. Dans ces textes, il s’agit plutôt pour l’auteur de produire une logique d’accumulation culturelle et non de disjonction. Mouralis prévient de la tentation facile de croire que l’histoire ou la période coloniale n’aurait aucune importance pour ces auteurs de la mouvance ethnorelative. Il cite Ak é . The Years of Childhood de Wole Soyinka en exemple et explique :

Soyinka écrit un texte que l’on serait d’emblée tenté de qualifier de „littéraire“ dans la mesure où les faits retenus, même si beaucoup d’entre eux renvoient à la colonisation, visent à faire apparaître une vocation d’écrivain, au sens humaniste du terme.12

Si on ramène les deux tendances inventoriées par Mouralis à notre corpus, on constatera que L ’ Enfant noir et La Marseillaise de mon enfance correspondent sur le plan fictif à la deuxième tendance. La colonisation ne s’y trouve pas au premier plan. Elle y apparaît plutôt comme un élément parmi tant d’autres champs d’action humaine, sans être la problématique centrale. Sur le plan narratif en revanche, La Marseillaise de mon enfance pourrait se rapprocher de la première tendance en raison d’éléments historiques importants. Dans une telle fictionnalisation de l’enfance, un parallèle peut être levé entre l’objet du texte et des formes de construction d’altérité ou de différence.

2- Enfance, écriture et altérité

La question fondamentale dans cette partie est celle de la relation entre l’image de soi et l’image de l’Autre dans la littérature. La relation image de soi et altérité a déjà fait l’objet d’un regard analytique, notamment chez Paul Ricœur. Ricœur explique en effet que la problématisation de soi au moyen d’une autoreprésentation débouche sur l’altérité, que le Soi prend ainsi la place de l’Autre. « […] l’altérité, dit-il, ne s’ajoute pas du dehors à l’ipséité, elle appartient au sens et à la constitution ontologique de l’ipséité. »13 Il en résulte que, nous dit Ricœur, l’Autre est une composante essentielle de mon identité ipse. Partant de cette réflexion

[...]


1 Barthes, Roland, Roland Barthes par Roland Barthes, Paris, Editions du Seuil, 1975. p. 94.

2 Ricœur, Paul, Soi-m ê me come un autre. L ’ Ordre philosophique, Paris, Éditions du Seuil, 1990. « Je rappelle les termes de la confrontation : d’un côté l’identité comme mêmeté (latin : idem; anglais: sameness; allemand : Gleichheit), de l’autre l’identité comme ipséité (latin: ipse; anglais: selfhood; allemand: Selbstheit). », p. 140.

3 Camara, Laye, L ’ Enfant noir, Paris, Plon, 1953 2006. 1

4 Tchaptchet, Jean-Martin, La Marseillaise de mon enfance, Paris, L’Harmattan, 2004.

5 Cf. Foucault, Michel, Les Mots et les choses. Une Arch é ologie des sciences humaines, Paris, Gallimard, 1966. p. 63. Le théoricien considère les discours comme des pratiques matérielles qui construisent systématiquement des objets dont ils parlent.

6 Cf. Chevalier, Anne & Carole Dornier (dir.), Le r é cit d ’ enfance et ses mod è les, Caen, Presses Universitaires, 2003.

7 Schaffner, Alain, « Écrire l’enfance », in: Alain Schaffner (dir.), L ’È re du r é cit d ’ enfance (En France depuis

1870), Arras & Artois, Presses Universitaires, 2005, p. 8.

8 Lejeune, Philippe, Le Pacte autobiographique, Paris, Éditions du Seuil, 1975, p. 14.

9 Mouralis, Bernard, L ’ Illusion d ’ alt é rit é . Etudes de litt é rature africaine, Paris, Champion, 2007, p. 419. 3

10 Coussy, Denise, La Litt é rature africaine moderne au sud du Sahara, Paris, Karthala, 2000, p. 36f.

11 Mouralis, Bernard, op. cit., p. 452.

12 Ibid.

13 Ricœur, op. cit. p. 367.

Fin de l'extrait de 16 pages

Résumé des informations

Titre
Je, altérité et enfance comme enjeux transculturels dans le texte africain francophone
Cours
récit d'enfance, ipséité, transculturalité
Note
A
Auteur
Année
2013
Pages
16
N° de catalogue
V266264
ISBN (ebook)
9783656571025
ISBN (Livre)
9783656571018
Taille d'un fichier
456 KB
Langue
français
Annotations
Nous posons comme postulat que l'interconnexion ipséité et altérité mise en relief dans la question de Barthes pour poursuivre un double objectif. Premièrement, il est question d’établir que le discours sur l’enfance dans le sous-genre autobiographique appelé récit d’enfance est aussi un discours sur l’altérité. Deuxièmement, nous voulons montrer que traitant à la fois de l’ipséité et de l’altérité, le récit d’enfance en tant que composante du genre autobiographique a une dimension interculturelle puisque l’ipséité et l’altérité forment le noyau de la réflexion sur la transculturalité.
Citation du texte
Dr Germain Nyada (Auteur), 2013, Je, altérité et enfance comme enjeux transculturels dans le texte africain francophone, Munich, GRIN Verlag, https://www.grin.com/document/266264

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