La création d’espaces. Art/s Education artistique non formelle en Afrique entre politiques culturelles et aides à la culture


Wissenschaftliche Studie, 2014

324 Seiten


Leseprobe


Sommaire

Préface

Remerciements

Note de l’auteure

Introduction

Chapitre 1 Positionnements discursifs Cadres du champ de l’Art/s Education ainsi que de la formation et de la professionnalisation artistique

Chapitre 2 En préambule Une introduction critique

Chapitre 3 Descriptions fragmentaires du domaine de recherche Organisation du champ d’éducation /formation et de professionnalisation artistique non formelle

Chapitre 4

Effets formatifs Formation et profession- nalisation artistique non formelle dans le contexte de l’aide occidentale à la culture

Chapitre 5 Ne pas se contenter du minimum requis : interdisciplinaire pour les organismes d’aide par Rangoato Hlasane et Malose Malahlela Keleketla! Library

Chapitre 6 interstitiels Repenser la politique culturelle et la politique d’aide dans le champ artistique/culturel non formel

Bibliographie

Copyright

« Il nous faut des institutions dont la tâche principale

consiste à créer des espaces propices au développement

des aptitudes, dans le sens d’aptitudes à se fier par exemple à ses propres forces et à ses propres ressources - qu’il s’agisse de ressources intellectuelles ou, si possible,financieres »

Achille Mbembe, Annales du Goethe-Institut, 2013.

Préface

Qu’entend-on par offres non formelles dans le domaine de l’éducation artistique en Afrique ? Quel est le sujet concret de cette étude et pourquoi la recherche dont il fait l’objet est-elle d’une si grande importance pour le Goethe-Institut d’Afrique du Sud ? Ou bien cette œuvre fait-elle partie de celles qui sont nées dans l’un des ateliers de recherche d’une université « occidentale » et qui recrutent leurs lecteurs parmi les professeurs et les étudiants en anthropologie, afri- canisme et peut-être aussi parmi les pédagogues d’Europe occidentale ? C’est possible, mais cette étude est issue aussi et surtout du besoin de procéder à une approche systéma- tique de la question concernant les processus artistiques créatifs sur le continent africain et les structures locales qui les encadrent.

Cet intérêt était motivé en particulier par le travail actif de nombreux centres et initiatives dans le domaine des arts contemporains - spécialement par leurs approches dans l’éducation et la formation culturelles. Il nous importait éga- lement de soumettre à un regard critique notre propre posi- tion en tant qu’institution agissant et aidant sur le plan international au sein d’un paysage culturel dépendant dans de nombreux pays des aides occidentales ou influencé forte- ment par elles.

L’une des tâches centrales du Goethe-Institut est l’éducation et - à côté de la formation continue des enseignants dans le domaine de l’allemand langue étrangère - de plus en plus aussi le domaine de l’éducation culturelle. Les Goethe-Insti- tuts d’Afrique ont choisi de préférence ce domaine, lorsque le projet Aktion Afrika, créé en 2008 par le ministre des Affaires étrangères Frank-Walter Steinmeier, a permis de lancer aussi, en collaboration avec des partenaires locaux, d’importants projets structurels durables - également au plan intercontinental - destinés à renforcer le secteur cultu- rel. Dans le domaine de l’éducation culturelle, telle était la première hypothèse, nous pouvons apprendre beaucoup de choses ensemble - en Afrique comme en Europe. La seconde hypothèse suggérait que les formats innovants du secteur de l’éducation culturelle dans beaucoup de pays africains setrouvaient plutôt dans le domaine non formel, puisqu’un tiers des personnes vivant sur le continent n’ont pas accès à l’éducation scolaire et encore moins à une formation univer- sitaire.

Le Goethe-Institut visait à créer, au-delà des structures éducatives occidentales établies, des approches novatrices, également afin de mener une réflexion sur son propre tra- vail éducatif et de le développer sur de nouvelles bases en l’adaptant aux contextes locaux. L’un des objectifs était donc d’élaborer des idées et des méthodes permettant au Goethe-Institut de réaliser des projets concrets en commun avec les partenaires locaux. Pour définir sa position, le Goethe-Institut se devait d’abord de commander une étude destinée à examiner les structures « non formelles » existant dans le domaine de la pratique de la formation artistique, à analyser les marges de manœuvre d’un œil critique et à sou- ligner le potentiel innovateur.

Les motivations du Goethe-Institut ne relèvent pas d’un pur altruisme. Ce projet est dû à la volonté manifeste de partici- per à tout ce qui est tourné vers l’avenir et qui, dans un monde en cours de globalisation galopante, se révélera égale- ment et même particulièrement important pour l’Allemagne, l’Europe ou l’Occident.

Cette étude ne doit pas et ne peut pas être un mapping « classique » des structures non formelles dans le domaine de l’éducation culturelle en Afrique. Mais elle devrait maîtri- ser la tâche complexe consistant à déceler, à l’aide de cas exemplaires, les intérêts, les visions et les approches pour- suivis par les acteurs locaux au sein des contextes où ils agissent. À cet égard, le paysage de subventions dominé par l’Occident joue un rôle non négligeable, car il a exercé une influence notable sur les milieux artistiques en ciblant de façon souvent unilatérale les aspects économiques dans le domaine des « industries créatives » en vue d’atteindre ses objectifs en matière de politique de développement.

Les cas présentés ici de quatre pays différents révèlent une grande variété d’approches novatrices montrant comment réaliser les processus artistiques et la formation artistique et ce qui est et serait nécessaire pour instaurer une coopéra- tion durable entre une institution occidentale et les par- tenaires locaux. Un autre objectif important était aussi de « visibiliser » et d’« accessibiliser » le savoir disponible sur place - non seulement dans le cadre de la coopération inter- nationale, mais précisément aussi pour le secteur formel - en collaboration avec les écoles des beaux-arts et éventuel- lement de provoquer des réformes des programmes d’enseignement par de nouveaux formats et de nouvelles méthodes.

Nous savions parfaitement que l’étude ne pourrait pas réali- ser toutes ces attentes. Mais elle constitue néanmoins un pas visant à examiner de plus près le domaine très impor- tant de l’éducation culturelle non formelle et à développer des projets permettant de stabiliser et d’agrandir ce sec- teur - pas seulement en Afrique. La conférence, également soutenue par le Goethe-Institut, Condition Report - on buil- ding art institutions in Africa, à la fois inventaire et analyse du travail réalisé par les centres d’art dans le domaine des arts plastiques en Afrique, qui s’est tenue en 2012 à Dakar chez Raw Material, ainsi que la publication qui s’y rapporte (Hatje Cantz, 2013) complètent magistralement cette étude. Reste à espérer que ces deux publications, une fois traduites en anglais et en français, toucheront les groupes concernés sur le continent et inciteront en même temps les partenaires et organismes d’aide « occidentaux » à reconsidérer régu- lièrement d’un point de vue critique leurs critères concer- nant l’obtention d’aides.

Pour le Goethe-Institut, cette étude fait partie intégrante d’un secteur clé du travail réalisé dans la région de l’Afrique subsaharienne dans le domaine de la culture et du dévelop- pement axé sur le secteur non formel dans le domaine de l’éducation culturelle. Ce secteur constitue la base d’une coopération qui, nous l’espérons, sera féconde, avec les partenaires des différents pays et créera certainement des méthodes nouvelles méthodes et des pratiques innovatrices tout en donnant naissance à de nouvelles théories.

Nous avons eu beaucoup de chance que l’Institute for Art Education de la Haute École des arts de Zurich, sous la direction de Carmen Mörsch, poursuive des recherches ana- logues. C’est ainsi que les résultats de l’étude sont aussi intégrés dans le projet de recherche international Another Roadmap for Arts Education and Arts Education Histories Workshop, qui jette un éclairage critique sur les directives présentées par l’UNESCO concernant l’éducation culturelle. Nous lui adressons tous nos remerciements à elle ainsi qu’à son équipe - en premier lieu à l’auteure de l’étude, Nicola Lauré al-Samarai, qui, en collaboration avec Fouad Asfour, Judith Reker et les auteurs invités Rangoato Hlasane et Malose Malahlela, a réalisé cette étude sur notre demande.

Nous adressons aussi des remerciements particuliers à toutes les personnes et organisations qui ont permis à l’équipe de chercheurs d’avoir un aperçu de leurs structures, méthodes et visions, en particulier à l’équipe des Studios Kabako (Kisangani, Répuplique démocratique du Congo), du Netsa Art Village (Addis Abeba, Éthiopie), de l’École des Sables (Toubab Dialaw, Sénégal), du Market Photo Workshop (Johannesbourg, Afrique du Sud) et de la Keleketla! Library (Johannesbourg, Afrique du Sud).

Dr. Katharina von Ruckteschell-Katte et Henrike Grohs

Remerciements

La présente étude est le résultat d’environ deux années de travail. Nous avons pu la réaliser grâce au soutien généreux d’un grand nombre de personnes, d’organisations et d’institutions.

Nos remerciements - ment aux organisations qui, dans le cadre de nos séjours de recherche, nous ont permis d’obtenir un aperçu de leurs activités quotidiennes et ont pris le temps de nous accorder des entretiens et des inter- views. Sans leur coopération, leur savoir expert et surtout leur travail d’organisation, cette étude n’aurait jamais vu le jour.

Market Photo Workshop (Johannesbourg, Afrique du Sud) Tous nos remerciements à John Fleetwood, Theresa Collins, Bandile Gumbi, Jacklynne Hobbs, Tebogo Kekana, Claire Rousell, Molemo Moiloa et Thenjiwe Nkosi ainsi qu’à tous les participants de l’Advanced Course 2011-2012.

École des Sables (Toubab Dialaw, Sénégal) Tous nos remerciements à Germaine Acogny, Helmut Vogt, Patrick Acogny, Karine Milhorat, Didier Delgado, Ndaye Seck, Virginie Sagna, Adama Ndiaye ; à Nita Liem et Bart Deuss de Don’t Hit Mama ; à Melissa Flerangile et Archie Burnett (artistes invités) ; à l’ensemble Jant-Bi ainsi qu’à tous les participants de l’Atelier d’audition « War and Peace ».

Studios Kabako (Kisangani, République démocratique du Congo) Tous nos remerciements à Faustin Linyekula, Virginie Dupray, Jean Louis Mwandika, Eddy Mbalanga Ebuda, Papy Ebotani et Axel Ali Amboko ; à Boyzie Cekwana (artiste invité) ainsi qu’à tous les participants de l’Atelier régional.

Netsa Art Village (Addis Abeba, Éthiopie) Tous nos remerciements à Mihret Kebede, Henok Getachew, Solomon Tsegaye, Leikun Nahusenay, Mulugeta Kassa, Tamrat Gezaheghe, Helen Zeru, Daniel Alemayehu et Tesfahun Kibru.

Nous remercions Rangoato Hlasane et Malose Malahlela de la Keleketla! Library (Johannesbourg, Afrique du Sud) d’avoir accepté de participer à cette étude en tant qu’auteurs invités, de nos echanges tres pro- ductifs et de notre travail commun tres frcond Pour leur soutien lors des travaux préliminaires, Pour leur soutien lors nous remercions Konjit Seyoum d’Abro Ethiopia (Éthiopie), Igo Lassana Diarra de Balanise (Mali), Malcolm Christian du Caversham Centre (Afrique du Sud), princesse Marilyn Douala Bell de Doual’art (Cameroun), Hilda Twongyeirwe de Femrite (Ouganda), Gaston Kabore d’Imagine (Burkina Faso), Zenzele Chulu d’Insaka Workshop (Zambie), Carole Karemera de l’Ishyo Arts Centre (Rwanda), Danda Jaroljmek du Kuona Trust (Kenya), Claire Rousell du Market Photo Workshop (Afrique du Sud), Henok Getachew du Netsa Art Village (Éthiopie), Odile Tevie de la Nubuke Foundation (Ghana), Krishna Luchoomun de pARTage (île Maurice), Patrick Mudekereza de Picha ASBL (République démocratique du Congo), Virginie Dupray des Studios Kabako (République démocratique du Congo), Reginald Bakwena du Thapong Visual Arts Centre (Botswana) et Kate Tarratt Cross des Thupelo Workshops (Afrique du Sud).

Nous remercions les Goethe- Instituts d’Afrique du Sud, d’Éthiopie, du Sénégal et d’An- gola ainsi que le Goethe- Zentrum de Madagascar, en particulier Katharina von Ruckteschell-Katte et Henrike Grohs, Folco Naether et Tenagne Tadesse, Uwe Rieken, Christiane Schulte ainsi qu’Eckehart Olszowski de nous avoir fourni des informations et des contacts.

En outre nous remercions Khalid Abdullahi, Berhanu Ashagrie, Ntone Edjabe, Jack Gouveia, Khwezi Gule, Bandile Gumbi, Xolelwa Kashe-Katiya, Michel Noureddine Kassa, Donald Kuira Maingi, Senam Okudzeto et Lye M. Yoka de nous avoir accordé leur soutien, leurs conseils et d’avoir partagé avec nous leur savoir.

Nous aimerions remercier Institut de Johannesbourg, qui a commandité et financé cette étude, de sa confiance et de sa coopération. Nous voulons remercier surtout Katharina von Ruckteschell- Katte et Henrike Grohs, qui se sont montrés disposés à nous accorder des interviews et à nous faire part de leurs expériences et leurs réflexions.

Enfin nous remercions l’Institute for Art Education de la Haute École des arts de Zurich, qui nous a offert les meilleures conditions possibles pour la réalisation de cette étude, grâce aux ' 9 Anne Gruber, Miriam Land- kammer, Nora Landkammer, Magdalena Roß et Sascha Willenbacher. Nous remer- Carmen Mörsch, qui a accompagné de ses conseils critiques toute l’élaboration de ce projet.

Note de l’auteure

Pour la rédaction de la présente étude, l’équipe des chercheurs et auteurs a décidé de prendre quelques terminologie se rapportant au contexte du champ étudié.

Nous avons souligné le côté expérimental et équivoque de la notion d’espace interstitiel aussi bien par l’utilisation variable et en deux langues que par l’écriture de certains termes. C’est ainsi qu’en anglais, par exemple, il existe les notions d’art education, qui signifie surtout la formati- on des artistes, et arts davantage à l’éducation culturelle générale formelle et non formelle des enfants et des adultes. Pour cette étude, la combinaison

« Art/s Education » nous a semblé appropriée en raison des recoupements complexes des différents champs de travail dans les contextes étudiés. Afin de faire sentir l’action conjointe de l’« Art/s des artistes, dans lesquelles ces derniers sont aussi bien enseignants qu’enseignés, nous avons utilisé l’appellati- < %= est de même pour le terme « éducation/formation artis- 7 le travail de formation des organisations questionnées ne peut être dissocié du travail d’éducation artistique tout en présentant certaines diffé- % $ lations univoques telles que « travail de formation conséquent à certains aspects particuliers. Dans la traducti- on française, il a été décidé de conserver les expressions anglaises mentionnées ci- dessus, destinées à mieux traduire les intentions de l’auteure que ne le ferait une transcription française.

Une autre décision termino- logique prise dans le cadre de l’étude préliminaire est la non-utilisation de la dési- gnation régionale « Afrique > % a essentiellement un sens géographique, mais elle est utilisée fréquemment comme ? ?* < coloniale, certes moins évidente sur le plan de la langue, mais toutefois compa- rable. En tout cas, à l’instar d’autres termes désignant l’Afrique (par exemple, < > < @7 elle repose sur une division arbitraire du continent entreprise dans le sillage de l’expansion coloniale euro- 7 s’exprime à travers la langue. Par l’appellation « Afrique arbitrairement une région dont la pluralité culturelle et sociale historique et actuelle ne s’exprime pas dans cette notion, et se trouve ainsi nivelée. En conséquence, nous utilisons dans cette étude l’expression « contextes > *$ mons les pays dont il est question.

Nous rendons compte également de l’actualité du colonialisme au moyen de l’écriture contrapuntique du * < $ 1 trait d’union et barre oblique afin de souligner des tempo- ralités non linéaires et imbri- quées. Cette écriture vise à briser la dimension purement ' le colonialisme comme une époque achevée et à désigner un processus toujours existant marqué par une réflexion sur les implications historiques et la conjonction de la domi- nation coloniale et de la dépendance post-coloniale. Cela étant valable aussi pour le contexte sud-africain, nous utilisons une écriture ana- logue pour le terme « post-/ apartheid ».

Introduction

Au cours de la première moitié de l’année 2011, le Goethe- Institut d’Afrique du Sud s’est adressé à l’Institute for Art Education (IAE) de la Haute École des arts de Zurich pour commander un vaste projet de recherche concernant les pro- grammes de formation professionnelle et de professionnali- sation non formelle pour les artistes dans des contextes africains. Cette étude était censée présenter de façon dif- férenciée les programmes de formation artistique non cer- tifiés afin de développer sur cette base des recommanda- tions pour des demandes de subventions.

Pour l’IAE, ce projet était intéressant dans la mesure où il existait déjà un exemple de coopération avec des Goethe-In- stituts d’Amérique latine et qu’il souhaitait établir une étude contrastée avec des projets situés dans un autre contexte géopolitique. Et cela d’autant plus que les questions généra- les soulevées par la direction du Goethe-Institut d’Afrique du Sud au cours de discussions initiales correspondaient à celles qui s’étaient posées et avaient été discutées à plu- sieurs reprises à l’IAE dans le cadre d’une coopération inter- nationale, à savoir ce que signifie concrètement dans la pra- tique pour une institution de recherche occidentale d’opérer avec une exigence d’égalité des droits et de redistribution du capital, aussi bien symbolique qu’économique, dans des structures de pouvoir issues de contextes post-/coloniaux. Les organismes donateurs et les institutions de recherche semblaient sur ce point être confrontés à des contradictions analogues qu’il convenait de rendre productives plutôt que de les ignorer. L’expertise déjà existante de l’IAE portant sur les liens entre la recherche sur la médiation artistique et la théorie post-/coloniale qu’il avait jusque-là élaborée particu- lièrement dans des projets et publications sur le sujet de la « médiation artistique dans les sociétés migratoires » était un autre argument en faveur d’une coopération, de même que la capacité, déjà prouvée dans d’autres projets, d’analy- ser celle-ci à l’intersection de l’art et du travail éducatif, selon le contexte, d’après des critères différenciés et fondés et de l’évaluer en tant que pratique culturelle spécifique.

Entre août 2011 et février 2012, au cours d’une première étape, a été effectuée une étude préliminaire, qui, comme schéma de recherche, était censée donner des orientations, des cadres et des accents afin de développer un dessein de recherche cohérent et de présenter des acteurs soigneu- sement choisis opérant dans le domaine de la formation artistique non formelle. Pour nous, en tant qu’équipe de recherche, les premières approches théoriques et pratiques de ce que nous avons désigné sous le nom « champ » ont déjà montré clairement que nous pénétrions dans un espace interstitiel très dynamique et d’une grande complexité avec des paramètres difficilement définissables. Certes un projet de recherche concernant la formation et professionnalisation artistique non formelle se situe obligatoirement aux inter- sections diffuses de l’art, de la culture et de l’éducation et se voit ainsi nécessairement confronté aux tensions sociales, culturelles et éducatives qui en résultent. Et cela vaut en particulier dans les contextes post-/coloniaux, où ces ten- sions, qui sont fortement dominées par des aspects de la politique économique et de développement, font partie inté- grante des constellations globalisées Nord-Sud et par con- séquent doivent être considérées dans le contexte de rap- ports de dépendance hiérarchiques déterminants au plan structurel. La localisation et la délimitation d’un espace interstitiel au sein de telles structures constituaient donc un défi pour la recherche aussi bien au plan théorique que pra- tique.

D’une part, il convenait de réfléchir sur des questions et des approches essentielles qui permettraient d’insérer la « non- formalité » et l’« éducation/formation artistique ». Étant donné que le grand nombre de facteurs interdépendants externes et internes empêche de considérer séparément les développements locaux, régionaux et transcontinentaux dans les domaines de l’art, de la culture et de l’éducation, il a fallu élaborer des cadres d’accès permettant d’obtenir des informations fragmentaires sur leur coopération concrète et les effets concomitants de définition du champ. À cet égard, les discussions théoriques très différenciées menées dans des contextes africains nous ont donné des points de départ épistémologiques importants. Elles nous ont ouvert un champ de réflexion offrant non seulement une interrogation critique et de nouvelles perspectives sur des notions clés universalisées telles que « culture », « art » et « éducation » mais proposant aussi des contextes historiques de notions et pratiques culturelles/artistiques spécifiques ainsi que des analyses importantes en matière de représentation, de cul- ture et d’éducation. Dans le cadre d’un discours hiérarchique global décalé, ces discussions sont en général tellement mar- ginalisées qu’en Occident elles sont à peine ou pas du tout perçues en tant que critique intellectuelle et se déroulent fréquemment sur le continent africain. L’intérêt appuyé pour l’inclusion égalitaire épistémologique de conditions initiales, de perceptions et de points de vue divers s’y rapportant dans les processus d’acquisition et de production du savoir constituait donc une condition indispensable dans l’approche de ce sujet.

D’autre part, il convenait de considérer l’aspect pratique du travail de recherche. Pour pouvoir réaliser la présente étude, il fallait se demander ce que cela signifie d’être « sur place » dans différents pays africains pour une équipe de recherche venant de l’extérieur, envoyée par une institution euro- péenne chargée des échanges culturels et de promouvoir la culture. Même si ces points d’entrée sont limités aussi bien dans l’espace que dans le temps, ils auront une influence durable - par le choix que nous avons fait des acteurs, des accents thématiques, les interactions directes avec les per- sonnes interrogées et notamment la mise par écrit de ce que l’on désigne généralement par « résultats de recherche ». Ce facteur unidirectionnel décisif et « classique » dans le cadre d’un projet de recherche occidental se renforce considérable- ment quand, comme ce fut le cas par exemple dans les travaux préliminaires, des experts locaux ne sont pas active- ment intégrés dans le travail de réflexion sur la conception et les contenus ou dans le processus de recherche lui-même, ce qui rend difficile, voire impossible, la création d’espaces inclusifs/participatifs de connaissance et de discussion.

Les nombreuses ambivalences auxquelles nous nous sommes vus confrontés au cours des travaux préliminaires se sont révélées être des contradictions à la fois constructives et restrictives : constructives, parce qu’elles nous ont permis de mieux saisir les rapports de force et les constellations de pouvoir, les structures d’influence et les intérêts straté- giques des différents acteurs à divers niveaux ; restrictives, parce que la complexité, la richesse relationnelle ainsi que les diverses dynamiques et pratiques culturelles du champ de l’éducation/formation artistique non formelle dans des contextes africains échappent à toute approche « régula- trice », donc aussi réductrice. C’est pourquoi « les position- nements d’un espace interstitiel » que nous entreprendrons dans ce qui suit ne sont nullement censés donner au champ dynamique de l’éducation/formation artistique non formelle une place fixe dans un cadre donné. Compte tenu de sa grande marginalisation non seulement dans des contextes africains et autres, nous voulions examiner plusieurs cadres de référence corrélatifs et les relier entre eux afin d’identi- fier les « lieux », mais surtout les « non-lieux » du champ au sein de structures complexes et de les analyser - ce qui, de notre point de vue, constitue une condition essentielle pour le développement des critères futurs pour l’obtention d’aides dans la région.

Les positionnements suivants doivent être considérés comme le résultat provisoire et nécessairement incomplet d’un map- ping, c’est-à-dire d’une cartographie ouverte susceptible d’être complétée. Au premier chapitre, nous commencerons par procéder à un positionnement discursif du champ de recherche. En l’absence d’une inscription discursive, ce posi- tionnement ne se limite pas au domaine de l’éducation/ formation artistique non formelle, mais s’occupe aussi des cadres du champ plus vaste de l’Art/s Education. Afin de répondre à la question de savoir où et comment un tel champ peut être localisé dans des contextes africains, sur quels concepts ou sur les concepts de qui les lignes direc- trices et les notions s’appuient et quelles discussions sont accessibles et lesquelles ne le sont pas, nous avons posé trois marqueurs. À travers l’étude de discours étatiques/ supra-étatiques dans les documents d’orientation, de décla- rations officielles et autres documents semblables, de dis- cours médiatiques en prenant l’exemple d’une revue de presse, ainsi que des approches dans la théorie et la recher- che, il est possible de délimiter une situation initiale qui, d’une part, se caractérise par des disparités discursives considérables, mais dont les orientations argumentatives et les niveaux de savoir très divergents, d’autre part, ont des effets concrets et étendus dans le monde réel. Ce que l’on « sait », de qui et à quel niveau du domaine de l’Art/s Education en général et de la formation /éducation artistique non formelle en particulier, mais surtout ce que l’on ne sait pas, a une influence décisive sur la nature du savoir qui est échangé et négocié aux plans culturel, éducatif et de l’aide - et a ainsi des conséquences décisives dans la pratique, à savoir pour les conditions concrètes de travail et les possibi- lités des acteurs culturels dans le domaine de la recherche.

C’est ce que montrent, au chapitre 3, « Descriptions frag- mentaires du domaine de recherche », les expertises et expériences faites par les organisations que nous avons questionnées : le Market Photo Workshop (Afrique du Sud/ photographie), l’École des Sables (Sénégal/danse), les Stu- dios Kabako (République démocratique du Congo/danse, arts vivants) et le Netsa Art Village (Éthiopie/arts visuels). Là aussi nous avons disposé trois marqueurs : « aide et finance- ment », « auto-positionnements », « enseigner et apprendre ». Ceux-ci sont censés éclairer les rapports entre les divers cadres structurels qui, en dépit des différences entre les pays et les genres artistiques, sont déterminés par des insta- bilités et incertitudes analogues, et les diverses pratiques culturelles qui, dans toutes les organisations, dépassent de loin le travail de formation artistique non formelle et le rattachent continuellement - en partie depuis des années - aux activités de l’éducation culturelle, du travail artistique et à l’engagement civique. Comme on le verra par la suite, le travail de formation/éducation artistique non formelle apparaît dans le contexte des organisations que nous avons questionnées sous forme de modèles de médiation inter- stitiels aussi complexes que spécifiques. Bien que ceux-ci soient fondés sur les principes d’inclusion et de partici- pation, d’intégration dans la communauté, de responsabili- sation et d’implication, et, eu égard aux destinataires, soient dans tous les cas censés agir contre des structures sociales restrictives en créant des possibilités de formation, le finan- cement en particulier du travail de la formation artistique à but professionnel - et ainsi de l’enseignement ou entraîne- ment - se révèle être particulièrement difficile.

Cette constatation est importante dans la mesure où, dans la plupart des pays africains, les acteurs culturels se trouvent confrontés à une situation dans laquelle les subventions de la part de l’État sont très rares et où la politique d’aide est aux mains d’organismes occidentaux. C’est pourquoi, au chapitre suivant, nous porterons notre attention d’une part - à travers le positionnement et le travail du Goethe-Institut d’Afrique du Sud, par exemple - sur les « effets éduca- tifs » des politiques d’aide occidentales qui actuellement « contournent » plus ou moins le domaine de l’éducation/ formation artistique non formelle. D’autre part, et en rapport avec le point précédent, nous soulignerons - à travers les besoins spécifiques de subventions des organisations ques- tionnées, par exemple - à quels aspects aussi bien au niveau de la conception que de la pratique les organismes dona- teurs occidentaux se verraient confrontés s’ils souhaitaient accorder un soutien efficace de longue durée à la « forma- tion artistique non formelle » située dans les espaces inter- stitiels.

Le chapitre 5, « Ne pas se contenter du minimum requis », des auteurs invités Rangoato Hlasane et Malose Malahlela montre que les problèmes de fond identifiés ne se limitent ni au domaine de la formation artistique non formelle ni aux organismes donateurs occidentaux. La Keleketla! Library, qu’ils ont fondée, est un projet interdisciplinaire indépen- dant de longue durée - à la fois bibliothèque et media arts project - installé dans le Drill Hall, complexe de bâtiments à l’histoire mouvementée situé dans le district Joubert Park au centre de Johannesbourg. Ce projet a vu le jour en 2008 et était censé créer des points d’entrée à l’utilisation de straté- gies artistiques et médiatiques en tant que modèles d’éduca- tion alternatifs et outils de médiation dans le domaine de l’Art/s Education non formelle et initier et offrir des plates- formes pour des projets collectifs expérimentaux multi- médias dans le domaine du travail artistique. En quelques années seulement, l’organisation a réussi à établir des liens à long terme entre le domaine de l’éducation non formelle et le domaine de l’éducation formelle ; elle poursuit une poli- tique d’intégration intergénérationnelle, incluant des commu- nautés dites défavorisées, elle apporte des possibilités de professionnalisation à des artistes et s’efforce en outre de tenir compte de manière constructive de domaines officiels considérés comme étant importants au plan culturel, tels que le patrimoine culturel. Malgré tout, elle peine à obtenir des fonds pour son travail interdisciplinaire, en partie parce que ce travail ne peut pas être « catégorisé » de manière à per- mettre une demande de subventions. En même temps, les expériences et réflexions des auteurs révèlent clairement combien les donateurs publics et privés d’Afrique du Sud accordent peu d’importance dans leur politique culturelle, éducative et de subventions, au domaine non formel de l’Art/s Education ainsi qu’aux pratiques et projets culturels fortement orientés vers les espaces interstitiels.

L’interaction entre les politiques occidentales et nationales d’aide à la culture publiques et privées a contribué et contri- bue toujours à la création de conditions structurelles qui rendent très difficile aux acteurs africains dans le domaine de la formation/éducation artistique non formelle et de l’Art/s Education non formelle d’être à la hauteur des exi- gences et des objectifs de leur travail. Dans la dernière par- tie de cette étude, nous verrons quels défis en résultent en matière d’aide financière, en particulier pour les organismes donateurs occidentaux quand ces derniers - comme le Goethe-Institut - veulent élaborer des schémas spécifiques de développement afin d’accorder un soutien financier aux acteurs culturels et de promouvoir l’engagement civique. Si ces schémas de développement dans le domaine de l’éduca- tion/formation artistique non formelle et de l’Art/s Educa- tion doivent être conçus à long terme et profiter à tous les participants, il est indispensable de procéder à une réflexion commune avec les acteurs sur de vastes élargissements éventuels en matière de conception et de contenu. Ceux-ci devraient permettre de surmonter de manière productive la ségrégation existant actuellement en matière de subventions entre l’art, l’éducation et la formation et d’accepter « le défi que représentent les espaces interstitiels ».

Chapitre 1 Positionnements discursifs Cadres du champ de l’Art/s Education ainsi que de la formation et de la profession- nalisation artistique

Remarques préliminaires Marqueurs et points d’orientation

Lorsque l’on tape la combinaison de mots « art/s education » sur un moteur de recherche internet traditionnel en Grande- Bretagne, en Amérique du Nord et en Australie, on peut naviguer de l’obligatoire article de Wikipédia jusqu’à des dossiers thématiques détaillés, publications universitaires spécialisées et programmes d’études interdisciplinaires en passant par divers sites de réseaux sociaux et de projets. Il en est de même dans l’espace germanophone pour les mots clés « éducation artistique » et « éducation culturelle ». Mal- gré la marginalité que présente ce champ, sa différenciation précise, les discussions variées et notamment l’existence de contre-discours critiques soulignent son importance recon- nue dans les sociétés occidentales1.

En revanche, si l’on compare ces résultats de recherche certes fragmentaires, mais peut-être justement pour cela symptomatiques, avec ceux que l’on obtient sur le continent africain, on est frappé par les aspects suivants :

— une prédominance de la littérature des communiqués et des études statistiques ;
— un manque de littérature accessible sur les contextes Q
— un manque de littérature accessible sur les contextes Q
— un manque de littérature accessible sur des études comparatives et systématiques concernant les conceptions historiques et actuelles aux plans local, translocal et/ou transcontinental ;
— un manque de littérature accessible sur des études comparatives et systématiques concernant les aspects culturels, sociaux et économiques non formels ;
— un manque de littérature accessible axée sur les possibilités non formelles de professionnalisation des artistes.

Ce « diagnostic de manque » ne signifie nullement l’absence de pratiques, de théories et de méthodes en matière de for- mation artistique d’une manière générale et de formation/ éducation et de professionnalisation artistique non formelle des artistes en particulier, et pas non plus l’absence d’efforts de systématisation et de tentatives pour combler les desi- derata de recherche. Le manque d’ inscription du champ in- dique plutôt une situation de départ caractérisée par des disparités discursives importantes. Et il soulève de nom- breuses questions fondamentales : où et comment localiser le champ de l’Art/s Education dans des contextes africains ? Sur quelles conditions cadres repose-t-il ? Par quels facteurs externes et internes est-il structuré ? Avec quelles concep- tions, quelles lignes directrices et notions y navigue-t-on et de qui proviennent celles-ci ? Quelles discussions sont concevables, lesquelles ne le sont pas ?

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Details

Titel
La création d’espaces. Art/s Education artistique non formelle en Afrique entre politiques culturelles et aides à la culture
Autoren
Jahr
2014
Seiten
324
Katalognummer
V288138
ISBN (eBook)
9783656885979
ISBN (Buch)
9783656885986
Dateigröße
6174 KB
Sprache
Französisch
Schlagworte
art/s, education, afrique
Arbeit zitieren
Nicola Lauré al-Samarai (Autor:in)Fouad Asfour (Autor:in)Judith Reker (Autor:in)Rangoato Hlasane (Autor:in)Malose Malahlela (Autor:in), 2014, La création d’espaces. Art/s Education artistique non formelle en Afrique entre politiques culturelles et aides à la culture, München, GRIN Verlag, https://www.grin.com/document/288138

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