Les femmes et l'éducation dans la Rome antique


Wissenschaftlicher Aufsatz, 2016

20 Seiten, Note: 18,5


Leseprobe


Table des matières

1. Introduction

2. Le système d’éducation dans la Rome antique

3. Pourquoi éduquer une fille ?
3.1. Un signe de prestige
3.2. L’inculcation de valeurs morales
3.2.1. Musonius Rufus : Faut-il donner la même éducation aux filles et aux garçons ?
3.2.2. Pline le Jeune et sa lettre à Marcellin
3.3. Tenir son rang dans les occasions sociales
3.3.1. Juvénal : une vision moins positive des femmes éduquées
3.4. Des mères responsables de l’éducation de leurs enfants
3.4.1. Cornelia, mère des Gracques

4. Evolutions de l’éducation romaine des filles
4.1. Introduction de la culture grecque dans l’éducation romaine
4.2. A propos de la musique et de la danse
4.3. L’apparition de la docta puella et l’évolution de sa signification
4.3.1. Julia, fille d’Auguste : une femme de contradictions
4.3.2. Pline le Jeune et son épouse Calpurnia

5. Conclusion

Bibliographie

Sources

Littérature secondaire

1. Introduction

Si l’éducation des garçons dans la Rome antique fait l’objet de nombreuses sources et a été largement analysée par les historiens contemporains, la situation est tout autre en ce qui concerne l’éducation des filles dans l’Antiquité romaine, et cela pour plusieurs raisons. La première, et non la moindre, touche au peu de sources antiques traitant de l’instruction des filles à Rome. D’autre part, la proportion de filles scolarisées était bien inférieure à celle des garçons, ce qui explique aussi qu’on trouve moins d’écrits des auteurs anciens à ce propos. Ce n’est que récemment que les historiens ont commencé à se pencher spécifiquement sur la question de l’éducation des filles et des femmes de la Rome antique en tant que sujet à part entière. Si nous savons que l’éducation des garçons s’est d’abord inspirée de la culture hellénistique avant d’évoluer vers des formes proprement romaines, qu’en est-il des buts et des évolutions dans la formation des filles ? Et quelles étaient les opinions des auteurs antiques à ce propos ? Ce présent travail vise à montrer les changements progressifs au niveau de l’instruction des filles en mettant ceux-ci en parallèle avec les objectifs de l’éducation féminine à l’aide de sources d’auteurs de l’époque, soutiens ou critiques. Pour des raisons touchant principalement aux sources, qui ne parlent que peu, voire pas, d’éducation de la plèbe, nous nous concentrerons sur les femmes des classes supérieures, de Cornelia, mère des Gracques, au IIe siècle avant J.-C. jusqu’à Calpurnia, l’épouse de Pline le Jeune, au IIe siècle après J.-C. Cette périodisation nous permettra ainsi d’appréhender les grands changements survenus lors du passage de la République au principat, peu avant le début de notre ère.

2. Le système d’éducation dans la Rome antique

L’éducation romaine était divisée en plusieurs étapes. Au début de leur vie, les jeunes romains étaient élevés et éduqués par leur mère, dont la fonction la plus valorisante était justement d’éduquer ses enfants, mais cette charge était parfois assumée par des nourrices ou gouvernantes. Dès l’âge de sept ans, l’éducation devenait du ressort du père. Durant la deuxième moitié de la République, le cursus éducatif sera de plus en plus structuré et les enfants seront confiés à des maîtres, différents selon le niveau d’éducation, qui se chargeront de leur apprentissage.

Les enfants commençaient par le stage élémentaire, où ils apprenaient à lire et écrire, dès l’âge de sept ans. A partir de onze ans, ils passaient à l’enseignement du grammaticus, où ils lisaient et analysaient des textes littéraires et pratiquaient un peu de géographie, mythologie et grammaire. Ces deux premières étapes étaient suivies par les filles et les garçons, soit à l’école, où les classes étaient mixtes, soit à la maison, avec un tuteur privé. Le dernier niveau d’éducation, par le rhaetor, était réservé aux garçons, puisqu’il les préparait à leur future vie publique d’orateurs et politiciens.

Il était déjà plutôt rare pour une fille de pouvoir terminer son éducation, car elle devait se marier tôt, dès ses douze ou treize ans, ce qui lui laissait peu de temps pour bénéficier d’une instruction complète par le grammaticus. A partir du mariage, peu de femmes pouvaient poursuivre leur formation, à moins que leur mari ne veuille les éduquer davantage ou qu’elles puissent continuer à suivre les enseignements de leur praeceptor qu’elles avaient avant leur union[1].

3. Pourquoi éduquer une fille ?

Puisque l’unique but dans la vie d’une femme de la haute société dans la Rome antique se résumait, à peu de choses près, à obtenir un bon mariage et à élever ses enfants, l’éducation ne semblait pas être d’une importance centrale pour l’atteinte de ces objectifs. Néanmoins, il semble que l’instruction des filles se soit déployée au sein des classes supérieures avec l’avènement du principat et même quelque peu avant, mais peu de preuves d’une éducation féminine dans les débuts de la République nous sont parvenues. Il n’y a même presque aucune source traitant d’une femme éduquée avant Cornelia, la mère des Gracques, au IIe siècle avant J.-C., mis à part une évocation par Tite-Live de Verginia, jeune fille qui fut arrêtée vers 449 avant J.-C. alors qu’elle se rendait à l’école des lettres[2], mais dont nous n’avons aucune indication précise sur son éducation. Cornelia représente aussi une exception pour l’époque, car il n’y a pas de mention de femmes instruites autres qu’elles à ce même moment. A partir du Ier siècle, et surtout depuis le temps d’Auguste, les sources sont plus nombreuses et permettent d’entrevoir les buts poursuivis par l’éducation des filles.

3.1. Un signe de prestige

L’éducation romaine n’était pas exactement abordable. Si les maîtres des écoles publiques touchaient un salaire peu conséquent[3], les familles des classes supérieures romaines préféraient souvent recourir aux services d’un tuteur privé[4], et ceci spécialement pour les filles, afin de leur éviter les dangers de la rue, même si d’après Henri-Irénée Marrou, le précepteur pouvant aussi se révéler un danger pour la bonne vertu des jeunes filles[5].

Comme les femmes n’étaient pas promises à une carrière publique, et ne nécessitaient, d’un point de vue pratique, pas de formation littéraire, leur seule obligation étant de savoir tenir une maison, seules les familles riches pouvaient se permettre d’éduquer aussi leurs filles, ce qui en faisait un signe de prestige certain. C’est pourquoi, sous la République, seules les jeunes filles des familles les plus importantes, généralement celles de l’ordre sénatorial, bénéficiaient d’une éducation. Elles étaient le plus souvent instruites à la maison par un tuteur privé, bien que certaines aillent aussi dans les écoles publiques[6]. Dans la tradition, les jeunes filles se devaient seulement de savoir filer la laine et tisser, et au début de l’Empire Auguste insistait pour que sa fille et ses petites-filles sussent accomplir ces tâches typiquement féminines[7], tout en les instruisant à la littérature[8], ce qui était presque une obligation chez les familles de haut rang à Rome.

De toute évidence, bien que les sources manquent, les filles affranchies et esclaves n’avaient pas accès à l’éducation, qui était déjà rare pour les garçons du même rang. Celles-ci devaient se contenter de savoir travailler afin de pouvoir gagner leur vie ou contribuer au revenu de la famille. Beryl Rawson avance cependant l’hypothèse que les jeunes filles esclaves aient pu être quelque peu instruites lorsqu’elles étaient placées dans de riches familles, car l’éducation des esclaves attestait aussi du prestige d’une maison et permettait à leur propriétaire de les vendre à meilleur prix[9].

3.2. L’inculcation de valeurs morales

Si l’éducation des filles représentait une source de prestige certaine pour les familles importantes de la haute société romaine, il importait encore plus que les jeunes femmes acquièrent des qualités morales, chères aux coutumes romaines. L’idéal féminin, la matrona, soit la mère de famille romaine, se devait d’être modeste, pieuse et maîtresse d’elle-même[10]. L’éducation devait donc avoir pour but d’inculquer aux futures matronae ces qualités, et la philosophie, entre autres matières, permettait, selon certains auteurs antiques, d’apprendre aux enfants ces valeurs importantes.

3.2.1. Musonius Rufus : Faut-il donner la même éducation aux filles et aux garçons ?

Musonius Rufus était un [11]philosophe de l’école des stoïciens, appartenant à l’ordre équestre et ayant vécu au début de notre ère. Nous ne connaissons ses discours que grâce à d’autres auteurs anciens, lui-même n’ayant rien écrit, sauf peut-être quelques lettres[12]. Musonius s’est fortement inspiré de Platon pour ce qui touchait à l’éducation des femmes, ses idées n’ayant par conséquent rien d’original[13], mais elles démontrent ainsi l’influence hellénistique sur la pensée romaine.

Dans cet entretien, Musonius base son argumentation sur le fait « que les vertus de l’homme et de la femme ne sont pas différentes »[14], et que cela appelle à les éduquer de pareille manière. Ils doivent tous deux respecter la justice et être dotés de bon sens, sans quoi la société ne pourrait fonctionner correctement. Il incite les femmes à se comporter de manière masculine parfois, afin de savoir se défendre et de rester maîtresses d’elles-mêmes. Le courage n’est donc pas une vertu uniquement destinée aux hommes pour Musonius Rufus. Il s’appuie aussi sur les amazones de la mythologie grecque pour démontrer que les femmes peuvent avoir les mêmes aptitudes que les hommes, et que si les femmes n’en disposent plus, c’est par le manque d’exercice. Pour Musonius, l’éducation permet de développer ces vertus déjà présentes tant chez les hommes que chez les femmes. Cependant, il ne dit pas non plus que l’éducation doit être absolument pareille pour les filles et les garçons, car chaque sexe présente certaines aptitudes dans des domaines définis. C’est pour cela, selon lui, que le filage et la vie intérieure sont laissés aux femmes alors que tout ce qui concerne la vie extérieure, donc publique, est attribué aux hommes, car ils sont plus forts. Mais il insiste sur le fait que « toutes les tâches humaines […] sont à la disposition de tous et communes aux hommes et aux femmes et il n’est rien qui doive être réservé nécessairement à l’un ou à l’autre »[15].

Ce que Musonius entend par l’éducation aux vertus, c’est la distinction entre le bien et le mal, la connaissance de la honte et la tempérance. L’éducation vise à rendre homme et femme bons, modérés et courageux. Il déclare que, si la femme doit être juste aussi, elle doit recevoir la même éducation que les hommes sur ces points importants, sans rejeter le fait que leur éducation ne doive être en tous points semblables. Pour lui, la philosophie permet d’enseigner tout cela, et doit donc être inculquée aux deux sexes.

Musonius développe une philosophie de genre, car il fait quand même la différence entre l’éducation des filles et des garçons. Mais pour lui, il importait que la femme soit véritablement une partenaire, émotionnelle et culturelle, de son époux, et non uniquement une épouse soumise et dépendante[16].

3.2.2. Pline le Jeune et sa lettre à Marcellin

Pline le Jeune était un sénateur et avocat romain, [17]resté célèbre surtout grâce à ses œuvres littéraires, dont les Lettres sont une partie importante. Pline a écrit ces lettres dans le but de les publier, et celles-ci présentent un riche portrait de la haute société romaine à l’époque de Pline, soit la fin du Ier siècle et le début du IIe siècle après J.-C. Pline écrit cette lettre à Marcellin aux alentours de 105-106 après J.-C., pour l’informer de la mort de Minicia Marcella, fille de son ami Fundanus. Minicia Marcella décède à treize ans, juste avant son mariage, donc nous pouvons supposer qu’elle avait achevé son éducation.

Dans cette lettre, Pline fait une élégie de Minicia Marcella, et s’il laisse supposer qu’elle avait été instruite aux arts de l’esprit, en disant qu’elle était le portrait de son père Fundanus, qui avait étudié les arts et la science, ce sont surtout ses qualités morales que Pline retient : elle était simple, modeste, douce, équitable, appliquée, peu encline aux divertissements, retenue, patiente, attentive, docile. Il dit d’elle qu’elle présentait, malgré son jeune âge, « toute la prudence de la vieillesse »[18], et qu’elle avait déjà les caractéristiques de la matrona, soit l’idéal auquel toute jeune fille de bonne naissance devait aspirer. Le temps qu’elle passait à étudier la détournait des amusements, ce qui était alors vu comme une bonne chose, car il n’est pas dans les habitudes d’une maîtresse de maison de se distraire. L’éducation permettait donc de former une fille à ses occupations futures et lui permettait d’acquérir toutes ces qualités qu’on pouvait louer ensuite chez elle.

Les lettres de Pline reflètent bien les idéaux de l’éducation des filles de l’élite à son époque[19]. Il prend en exemple Fundanus, qui instruit sa fille Minicia à son image, mais nous pouvons nous douter que cet exemple n’était pas une exception. Fundanus pensait donc que les vertus morales devaient être acquises par l’étude, spécialement de la philosophie. En cela, ses idées rejoignent celles de Pline le Jeune et de Musonius Rufus, comme nous l’avons vu plus tôt.

[...]


[1] Chrystal, Paul, Women in Ancient Rome, Stroud, Amberley, 2013, p. 78.

[2] Tite-Live, Histoire romaine, livre III, XLIV, traduction par M. Nisard, Paris, 1864, adaptation par A. Flobert, disponible sur http://bcs.fltr.ucl.ac.be/LIV/III.html#3-44 (Biblioteca Classica Selecta).

[3] Marrou Henri-Irénée, Histoire de l’éducation dans l’Antiquité, Paris, Editions du Seuil, p. 401.

[4] Balsdon, Dacre, Die Frau in der römischen Antike, Munich, C.H. Beck, 1979, p. 299.

[5] Marrou Henri-Irénée, op.cit., p. 391.

[6] Rawson, Beryl, Children and Childhood in Roman Italy, Oxford, Oxford University Press, 2003, p. 162.

[7] Marrou, Henri-Irénée, op.cit., p. 344.

[8] Christes, Klein, Lüth (éd.), Handbuch der Erziehung und Bildung in der Antike, Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 2006, p. 115.

[9] Rawson Beryl , op.cit., pp. 187 et 194.

[10] Hemelrijk, Emily, Matrona Docta, Educated Women in the Roman élite from Cornelia to Julia Domna, Londres, Routledge, p. 60

[11] Jagu, Armand, Musonius Rufus, Entretiens et fragments, Hildesheim, New York, 1979, pp. 31-34.

[12] Idem, p. 9.

[13] Joyal, Mark, McDougall, Iain, Yardley, J.C., Greek and Roman Education: A Sourcebook, Londres, Routledge, 2009, p. 185.

[14] Jagu, Armand, op.cit., p. 31.

[15] Idem, p. 33.

[16] Rawson, Beryl, op.cit., p. 203.

[17] Pline le Jeune, Lettres, 5.16, traduction par D. Nisard, Paris, 1865, disponible sur http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/plinejeune/cinq.htm

[18] Idem, 5.16.2.

[19] Hemelrijk, Emily, op.cit., p. 61.

Ende der Leseprobe aus 20 Seiten

Details

Titel
Les femmes et l'éducation dans la Rome antique
Hochschule
Université de Fribourg - Universität Freiburg (Schweiz)  (Faculté des Lettres, Chaire d'Histoire de l'Antiquité)
Veranstaltung
L'éducation à Rome
Note
18,5
Autor
Jahr
2016
Seiten
20
Katalognummer
V342653
ISBN (eBook)
9783668336728
ISBN (Buch)
9783668336735
Dateigröße
1255 KB
Sprache
Französisch
Schlagworte
rome
Arbeit zitieren
Julie Rausis (Autor:in), 2016, Les femmes et l'éducation dans la Rome antique, München, GRIN Verlag, https://www.grin.com/document/342653

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