La situation sociale de femmes issues de l'immigration dans les sociétés occidentales :


Mémoire de Maîtrise, 2005

176 Pages, Note: 1,7


Extrait


Index

1. Introduction

2. Terminologie
2.1. Définitions
2.2. Explication de la théorie du conflit culturel

3. L’histoire de l’immigration et informations générales
3.1. Turcs en Allemagne
3.2. Maghrébins en France

4. Les immigrés dans la littérature
4.1. La littérature d’immigrés en France et en Allemagne
4.2. Les auteures et les livres choisis
4.2.1. Renan Demirkan et Schwarzer Tee mit drei Stück Zucker (1991)
4.2.2. Fatma B. et Hennamond – Mein Leben zwischen zwei Welten (1999)
4.2.3. Djura et Le voile du silence (1990)
4.2.4. Aïcha Benaïssa et Née en France – histoire d’une jeune beur (1990)
4.3. Le conflit culturel
4.4. Conclusion

5. La situation actuelle
5.1. La situation générale des familles
5.2. La situation spécifique des filles
5.2.1. Importance des valeurs pour les parents et pour les jeunes filles
5.2.2. Images de soi, images de l’Autre et les préjugés qui en résultent
5.2.3. Biculturalisme et identité

6. Conclusion

7. Bibliographie
7.1. Sources primaires
7.2. Littérature secondaire
7.3. Littérature socioculturelle
7.4. Autres sources

8. Annexes

9. Résumé allemand
9.1. Einleitung
9.2. Die Kulturkonfliktstheorie
9.3. Geschichte der Einwanderung in Deutschland und Frankreich
9.4. Immigrantenliteratur
9.5. Die soziale Situation von Mädchen mit Migrationshintergrund und ihrer Familien
9.6. Schluss

1. Introduction

« J’ai réussi à dissocier ma personnalité, à faire cohabiter en moi deux personnages opposés :

la Française que je suis, l’Algérienne que mes parents auraient voulu que je sois. »[1]

Cette citation d’Aïcha Benaïssa résume la description du déchirement intérieur qui contribue souvent à la rupture avec la culture d’origine, que font de nombreux auteurs, sociologues, pédagogues et personnages politiques de la situation des jeunes femmes d’origine non européenne, qui ont grandi et qui vivent avec leurs familles dans des pays occidentaux.

Dans ce travail sera étudiée la vie quotidienne de femmes d’origine maghrébine en France et d’origine turque en Allemagne, afin de savoir à quel point leur situation sociale ressemble à l’image diffusée par les médias. La fille soumise, enfermée à la maison et privée des droits dont jouissent ses semblables européennes, constitue-t-elle la règle ou existetil des jeunes femmes sûres d’elles qui ont trouvé pour elles-mêmes une vie satisfaisante avec les deux cultures[2] qui les entourent, et qui voient leur double contexte culturel comme enrichissement ?

Avec ce travail, je voudrais essayer de donner une réponse aux questions suivantes : les jeunes femmes vivent-elles leur situation particulière d’une socialisation marquée par deux cultures et comment définissent-elles leur propre statut dans cette situation ?

Parmi l’ensemble des immigrés de nationalités différentes en Allemagne et en France, les Turcs, ainsi que les Maghrébins, c’est-à-dire des personnes d’origine algérienne, marocaine et tunisienne, jouent un rôle important et ils sont les plus concernés par cette discussion autour du conflit culturel causé par leur origine non européenne[3] et leur religion non chrétienne. De plus, ils représentent plus ou moins les groupes d’immigrés les plus importants dans ces pays. Bien qu’il y ait évidemment de différents groupes ethniques et culturels dans les pays d’origines, à nommer notamment les Kurdes en Turquie et les Kabyles en Algérie, il est quasiment impossible de les distinguer clairement dans un tel travail, raison pour laquelle ces minorités seront inclues dans les termes “turc“ et “maghrébin“. De plus, l’Algérie sera souvent traitée comme le pays représentatif des trois pays formant le Maghreb à cause de la proportion supérieure des Algériens parmi les Maghrébins vivant en France.

Dans la littérature sociologique française et allemande, la vie et la situation des jeunes d’origine étrangère, nommés également la deuxième – et troisième – génération d’immigrants, constituent un sujet de grand intérêt depuis la hausse de l’immigration. Tandis que les sociologues français s’intéressent surtout à cette génération en général, les Allemands mettent souvent l’accent sur la situation spécifique des filles, coincées entre une éducation selon les traditions musulmanes et la socialisation dans une société occidentale. Les publications des années 80, se basant surtout sur les expériences faites par des sociologues dans des centres d’aide sociale, répandent l’image de la fille soumise et victime de la sévérité religieuse du père. Cependant, depuis une quinzaine d’années, on trouve de plus en plus d’auteurs qui tentent de prouver par des recherches empiriques plus variées que ce conflit culturel n’est pas la conséquence inéluctable de la socialisation biculturelle de ces filles et transmettent plus l’image d’un « auf allen Stühlen »[4] au lieu du « zwischen zwei Stühlen » symbolique des années précédentes.

A cause de ces accents déséquilibrés dans la littérature des deux pays, ce travail ne pourra donc pas donner des informations précises sur chaque élément dans les deux pays, mais montrera plus des tendances. En outre, il faut tenir compte de que des recherches empiriques ne peuvent pas étudier l’ensemble des étrangers dans une société, mais tirent leurs conclusions de cas individuels.

Après avoir donné quelques définitions importantes et une introduction à l’immigration, le travail décrit dans deux parties la situation sociale surtout des jeunes femmes de la deuxième génération, sans toutefois ignorer complètement celle des mères, qui a une certaine influence sur la vie et les attitudes des filles. La première partie traitera comme sources “empiriques“ des autobiographies de quatre auteures turques respectivement maghrébines qui décrivent leur expérience du conflit culturel pendant leur jeunesse dans les années 60 à 80. Comme l’écriture autobiographique d’immigrés a presque toujours une fonction thérapeutique[5], ces récits concernent des cas extrêmes, ce qui correspond aux publications sociologiques de l’époque. Cependant, cela ne veut pas dire que des cas opposés n’existaient pas et que toutes les filles souffraient de ce conflit culturel, de la violence, d’humiliation, etc. La deuxième partie du travail se réfère à des publications sociologiques générales.

Evidemment, la situation spéciale de jeunes et surtout de filles issues de l’immigration est basée sur de nombreux facteurs. Comme il est impossible de les considérer tous, ce travail se concentre surtout sur les aspects sociaux et la position des jeunes dans la société française ou allemande. Cependant, il y a également des domaines – comme l’intégration des enfants à l’école par exemple – qui passent au second plan, car l’étude observe surtout la phase de vie à partir de la puberté des jeunes filles.

2. Terminologie

2.1. Définitions

Culture

Avant de pouvoir discuter des conséquences d’une cohabitation de membres de différentes cultures, il est indispensable de se poser la question de savoir ce qui caractérise une culture et les effets qu’elle a sur les individus faisant partie de cette culture.

Le terme culture désigne « l’étude des pratiques symboliques, individuelles et collectives, dans tous leurs aspects relationnels, leurs significations, fonctions et conséquences sociales. »[6] Cependant, en France et en Allemagne se différenciaient deux significations différentes des mots “culture“ et “Kultur“. Alors que les Allemands y attribuaient plus des valeurs et caractéristiques de la nation, ce qui est désigné par “civilisation“ en France, la “culture“ française avait plutôt un sens d’universalisation. En 1971, Taylor réunissait ces deux termes afin de définir „culture“ comme suivant :

« Culture ou civilisation, pris dans son sens ethnologique le plus étendu, est ce tout complexe qui comprend la connaissance, les croyances, l’art, la morale, le droit, les coutumes et les autres capacités ou habitudes acquises par l’homme en tant que membre de la société. »[7]

Geert Hofstede distingue deux niveaux de cultures différentes, la « culture 1 », c’est-à-dire le savoir, l’art et la littérature, et la « culture 2 ». Celle-ci inclut toutes les activités des êtres humains comme manger, s’exprimer, cacher ou non ses émotions, respecter des règles d’hygiène, garder une certaine distance physique avec autrui, etc. Il définit cette deuxième forme de culture comme « la programmation collective de l'esprit qui distingue les membres d'un groupe ou d'une catégorie de personnes par rapport à une autre »[8], ce qui correspond à la définition taylorienne. La culture n’appartient jamais aux individus, mais toujours au groupe entier et est en général limité dans son extension par les des frontières des pays.

Afin de pouvoir décrire les cultures différentes, Hofstede a défini de manière générale cinq dimensions de culture nationale[9]:

1. La distance hiérarchique décrit le degré de la répartition égale ou inégale du pouvoir dans les organisations et institutions ;
2. le contrôle de l'incertitude décrit à quel point une société est prête à accepter et supporter des évènements incertains et des situations ambiguës ;
3. le concept de l’individualisme et du collectivisme définit le degré de disposition des membres d'une société à se prendre en charge ainsi que leur famille. Cette dimension joue un rôle important dans les relations de personnes d’origine musulmane avec des personnes d’origine occidentale et chrétienne. Les sociétés musulmanes sont marquées par un fort collectivisme, c’est-à-dire les individus se sentent plus responsables pour leurs proches que pour eux-mêmes et ils orientent leurs actions fortement vers les opinions du groupe : Hofstede a déterminé l’index d’individualisme à 38 pour l’ensemble des pays arabes dont font partie les pays du Maghreb et à 37 pour la Turquie. En revanche, les sociétés européennes sont beaucoup plus individualistes, ce qui se démontre à des taux d’individualisme assez élevés : celui de la France est de 71, celui de l’Allemagne de 67.[10]
4. Le concept de la masculinité et de la féminité vise le degré auquel une société renforce ou non le modèle traditionnel du rôle de l’homme favorisant la performance, le contrôle et le pouvoir ;
5. l’orientation à long terme, ajoutée au catalogue des dimensions culturelles de Hofstede en 1991, est basée sur des études de Michael Harris Bond et se réfère surtout aux normes asiatiques comme la persévérance ou le sens économique.[11] Ainsi décrit-elle le degré auquel la société se concentre à long terme sur des normes et valeurs censées être durables.

Intégration, assimilation et acculturation

Quand des membres de deux ou plusieurs cultures différentes cohabitent dans une société, se pose tôt ou tard la question de l’intégration :

« Dans la sociologie durkheimienne, le concept d’intégration désigne le processus par lequel un groupe social, quelles que soient ses dimensions (de la famille à la nation), s’approprie l’individu pour assurer la cohésion du groupe. Même s’il s’agit d’une relation entre le groupe et l’individu, l’ intégration définit une caractéristique du premier et non pas du second. »[12]

L’intégration est un facteur élémentaire de la socialisation, c’est-à-dire du

« processus par lequel les individus intériorisent codes, normes et valeurs d’une société. La socialisation consiste donc d’abord à comprendre comment, selon le mot de Margaret MEAD, un enfant manu devient un manu et un enfant arapesh un Arapesh. Mais c’est aussi comprendre comment un adulte venu d’une société donnée peut s’intégrer à une société différente et faire siennes les valeurs de cette dernière. L’intégration est une forme de la socialisation. »[13]

Ainsi, l’intégration d’un individu dans une société est surtout la tâche de cette société. Quant à l’intégration des étrangers dans les sociétés européennes, l’histoire culturelle des pays joue un rôle non négligeable. L’Allemagne, par exemple, qui ne se considère pas comme société d’immigration, tâchait toujours d’accueillir ses immigrés en gardant une certaine distance, car ceux-ci étaient supposés rentrer tôt ou tard dans leurs pays d’origine. En 1982, le chancelier allemand Helmut Kohl définit l’intégration comme « le fait de se placer dans la société allemande sans conflit et sans accès au droit de la citoyenneté »[14], c’est-à-dire on attendait des immigrés une attitude discrète. En principe, ils pouvaient garder leurs coutumes et traditions culturelles à condition que cellesci ne se heurtaient pas avec le mode de vie allemand.

Aujourd’hui, on voit de plus en plus la nécessité de s’orienter à un modèle multiculturel qui tient compte des différences culturelles des groupes ethniques et nationales vivant en Allemagne.

La France mena longtemps une politique d’assimilation qui exigeait des étrangers l’abandon complet de leurs éléments culturels :

« Dans la sociologie des rapports interculturels, l’ assimilation désigne le fait qu’un individu ou un groupe intègre la totalité des traits culturels (langue, croyances, mœurs) de la culture dominante en abandonnant ses caractéristiques antérieures. Ce processus connaît, en fait, de multiples degrés, depuis la totale assimilation (intermariages, intégration culturelle…) jusqu’aux diverses formes de différenciation et de résistance à cette assimilation. »[15]

De nos jours, le terme „intégration“ a remplacé l’image de l’assimilation, considérée comme antidémocratique, et signifie une dynamique d’échange entre les cultures concernées.[16] Cette conception s’approche à la notion d’„acculturation“, selon laquelle chaque groupement culturel concerné par la question d’intégration est censé adopter certains éléments des autres afin de permettre finalement l’adaptation mutuelle :

« L’ensemble des phénomènes qui résultent d’un contact continu et direct entre des groupes d’individus de cultures différentes et qui entraînent des changements dans les modèles culturels initiaux de l’un ou des deux groupes. »

« Il ne s’agit ni d’un simple changement culturel ni de purs faits de diffusion ou d’assimilation, mais bien de modification de besoins et de comportements en train de se reproduire, non sans heurts, défis, blocages, refus, dérobades, mais aussi avec acceptation plus ou moins sélective et réorganisation culturelle. »[17]

Chaque groupe social ou ethnique et chaque individu faisant partie de ce groupe défendent leurs normes et les valeurs que les membres en déduisent et intériorisent au cours de leur socialisation.

Valeurs et normes

Généralement , le terme “norme“ est défini comme « précepte d’action régissant la conduite des acteurs sociaux », c’est-à-dire « des membres d’un groupe ou d’une organisation et même, pour les plus générales d’entre elles, d’une société ». Ainsi, les normes « ont en ce sens une portée collective : sans acceptation de la part d’une pluralité de personnes et sans application – au moins partielle – de la règle qu’elle énonce, une norme est privée de ses attributs essentiels. Les normes correspondent donc en général à des manières d’agir répandues dans une population donnée, mais il faut se garder de les confondre avec de simples régularités statistiques observables dans les comportements, compte tenu de leur caractère prescriptif, auquel est associée l’existence de sanctions, positives ou négatives. »[18]

Le terme “valeur“ est sociologiquement défini comme l’« importance accordée à une personne, une action ou un objectif [et la] finalité idéale poursuivie par une collectivité. »[19] Dans la discussion autour de l’immigration et des différentes cultures, le terme apparaît presque forcément. Cependant, il n’est pas utilisé de manière unanime et il en existe beaucoup de définitions différentes. En général, la thèse de M. Rockeach qu’il avance dans son œuvre The nature of human values (1968), est utilisé comme base :

« Werte sind nicht etwas “Gewünschtes“, sondern elementare, individuelle Vorstellungen von “Wünschenswertem“. Internalisierte Werte sind ein Resultat der kulturellen Sozialisation, die praktisch alle Aspekte sozialen Verhaltens und Handelns betreffen. Ein Wertesystem ist eine erlernte Organisation von Grundsätzen und Regeln, die dem einzelnen helfen, zwischen Alternativen in Konfliktlösungssituationen und Entscheidungsfindungsfragen zu wählen. […] Werte steuern und bestimmen soziale Einstellungen und Ideologien einerseits und soziales Verhalten und Handeln andererseits. »[20]

Donc, ces deux termes ne sont pas tout à fait synonymes bien qu’ils soient souvent utilisés ainsi dans la vie quotidienne. Les normes sont les préceptes d’une société ou d’un groupe social, qui forment soi disant le cadre dans lequel chaque membre de ce groupe se définit des valeurs personnelles en choisissant des normes auxquelles il accorde une importance spécifique. Ainsi, les valeurs des membres d’une famille peuvent différer, bien qu’ils fassent partie de la même société ou du même groupe ethnique ou social.

Selon Hofstede, les valeurs sont la tendance générale des personnes à préférer certaines circonstances à d’autres, autrement dit, ce sont des émotions qui s’orientent soit vers le négatif soit vers le positif. Grâce aux normes qui existent dans une société, les enfants apprennent déjà tôt ce qui est bien ou mauvais, laid ou beau, normal ou anormal, logique ou paradoxal, etc., et en déduisent leurs valeurs. Des psychologues supposent que l’intériorisation des valeurs se déroule dans les dix premières années de la vie et qu’il est donc difficile de changer la conception des valeurs de base des enfants après.[21]

Identité

L’ensemble de valeurs de chaque individu contribue à l’identité de celui-ci, car « le mot identité, qui vient du latin idem (le même), désigne ce dans quoi je me reconnais [donc les valeurs qui déterminent mes actions et mes attitudes, J.M.] et dans quoi les autres me reconnaissent. » Cependant, l’identité n’est pas seulement quelque chose de personnelle, elle affecte également l’appartenance des individus à un groupe : « L’identité est toujours attachée à des signes par lesquels elle s’affiche, de sorte qu’elle est à la fois l’affirmation d’une ressemblance entre les membres du groupe identitaire et d’une différence avec les autres. »[22]

2.2. Explication de la théorie du conflit culturel

Ce terme, qui a été crée par des sociologues des Etats-Unis, désigne des processus qui se déroulent pendant et après l’immigration de différents groupes ethniques. Sur le modèle de Hollander (1955), Pia Weische-Alexa décrit des tensions qui naissent au moment où différents systèmes culturels entrent en contact. Ces tensions, qui se manifestent, par exemple, par de l’étonnement, une certaine concurrence ou même de l’aversion, peuvent se transformer en un véritable conflit, si les différences entre les deux systèmes de normes et de valeurs sont trop importantes. Chaque partie tente d’imposer ses propres idées à l’autre, ce qui peut mener à l’anéantissement du plus faible. Toujours selon Weische-Alexa, la minorité culturelle est soit obligée de s’assimiler, soit elle est marginalisée par la culture dominante.[23]

De plus, on trouve dans la littérature allemande une deuxième forme du conflit culturel, appelé Konflikt innerhalb der Person (Alexa-Weische, 1982) ou physisch-kultureller Konflikt (Schrader, Nikles, Griese, 1976). Il naît si un individu vit dans le contexte de deux (ou plusieurs) cultures avec des normes culturelles opposées. La personne est ainsi obligée de faire le choix entre ces valeurs tout en sachant que chaque décision entraîne la critique d’une des ethnies concernées.[24] Quant aux filles issues de l’immigration, Bouamama et Sad Saoud voient surtout dans la « question de la place et du rôle des filles dans la famille maghrébine enracinée en France» les raisons de ces contradictions douloureuses.[25] Elles sont en permanence déchirées entre le désir d’acquérir une certaine liberté et une autonomie comme elles le voient chez leurs amies européennes, ainsi que l’amour et le respect pour leurs parents. C’est-à-dire qu’elles doivent trouver un chemin intermédiaire entre l’acceptation des règles parentales, ce qui représente souvent un isolement vis-à-vis de leurs camarades, et l’adaptation des valeurs des adolescents français ou allemands, ce qui est source de conflits avec leur famille.[26] Les sociologues ont constaté des conséquences psychologiques graves si les jeunes ne sont pas capables de trouver cet équilibre.

Depuis quelques années, le discours dominant dans la littérature sociologique a changé et les auteurs présentent de plus en plus de cas de jeunes femmes qui sont fières de leur double appartenance culturelle et qui réussissent à s’émanciper de leurs parents sans être obligées de rompre complètement le contact avec eux.[27] Les arguments de ces auteures ainsi que certains témoignages de filles concernées seront exposés et analysés au chapitre 5 de ce travail. Dans ce contexte, Atabay donne une nouvelle définition du terme " intégration " qui s’impose de plus en plus : l’intégration comme synonyme d’acquisition de pouvoirs d’action, les cultures et les modes de vie différents sont considérés comme enrichissement pour le développement de l’identité.[28]

3. L’histoire de l’immigration et informations générales

3.1. Turcs en Allemagne

Traditionnellement, l’Allemagne se considère comme un pays d’émigrants, bien qu’au début du XXème siècle, elle fut le seul pays européen à connaître une double migration, c’est-à-dire une forte émigration vers les Etats Unis conjuguée à une immigration en provenance des pays d’Europe de l’Est principalement. A partir des années 50, l’immigration laborieuse augmentant, l’Allemagne accueillit surtout des ouvriers d’autres pays européens. A cause de l’essor économique d’après-guerre, le gouvernement allemand a constaté un manque flagrant de main-d’œuvre. Il conclut donc en 1955 son premier accord de recrutement avec l’Italie et cinq ans plus tard avec l’Espagne et la Grèce. L’accord avec la Turquie en octobre 1961 a conduit à une première vague de travailleurs étrangers d’origine non européenne.

Quelques années plus tard, la migration des Turcs, jusqu’à présent incontrôlée, s’est transformée en un recrutement organisé : le gouvernement allemand a installé des bureaux de recrutement dans presque toutes les villes importantes de la Turquie et a organisé le déménagement des Gastarbeiter en Allemagne. Bien que ces recrutements aient souvent ressemblé à des marchés aux bestiaux[29], les hommes supportaient les humiliations et le long voyage vers une nouvelle vie inconnue. Ils rêvaient de l’Allemagne comme d’une terre promise où ils pourraient gagner assez d’argent pour rentrer en Turquie et améliorer leur condition de vie et celle de leurs familles. Dans leur ville natale, ils travaillaient souvent dans le secteur agricole ou dans le petit commerce, occupant principalement des emplois précaires.[30] Néanmoins, une partie d’entre eux étaient beaucoup mieux qualifiés que les travailleurs d’autres nationalités et en principe surqualifiée par rapport au travail qui les attendait en Allemagne. Ils étaient recrutés dans des secteurs économiques tels que l’industrie ou les mines, marqués par des conditions de travail difficiles et des positions professionnelles particulièrement basses.[31] Cette réduction à certains secteurs contribuait également à une concentration d’étrangers dans les grandes villes et les zones industrielles.

Les hommes restaient dans leur groupe ethnique[32] et, en dehors des horaires de travail, ils n’entraient guère en contact avec les Allemands. Ni les Gastarbeiter ni l’Allemagne ne voyaient la nécessité d’une intégration, puisque les Allemands avaient également l’idée du retour au pays des travailleurs étrangers – une attitude qui se reflète déjà dans le nom „Gastarbeiter“. Cependant, au cours des années, le gouvernement allemand s’est rendu compte de que les étrangers restaient de plus en plus longtemps. Cela était rendu possible par le fait que le prolongement des cartes de séjour et des permis de travail tombait sous la responsabilité des employeurs qui avaient intérêt à éviter les longues périodes d’initiation de nouveaux ouvriers. Et comme le flux d’immigration ne cessait pas, l’arrêt officiel du recrutement de 1973 était censé faire baisser le nombre d’étrangers en Allemagne. Désormais, seule l’immigration dans le contexte du regroupement familial était autorisée. Cette mesure permettait en effet de diminuer le taux de Grecs, Portugais et Espagnols, la démocratisation de ces pays étant en cours et, en tant que futurs membres de la Communauté européenne, ils étaient sûrs de pouvoir revenir travailler en Allemagne. Cependant, ce n’était pas le cas pour les immigrés turcs.[33] Une fois rentrés en Turquie, ils n’auraient plus eu la possibilité de revenir. Ainsi, ils ont essayé de rassembler un maximum de membres de leurs familles, surtout leurs femmes et leurs enfants. Si en 1969, le nombre de travailleurs turcs était de 213 000 et le nombre total de personnes turques de 332 000, ces chiffres augmentaient en 1974, atteignant respectivement 618 000 et 1 082 000 et enfin, en 1982, on comptait 1 581 000 Turcs en Allemagne.[34] Vingt ans plus tard, les Turcs représentaient avec 1 912 169 personnes (soit 26,1 %) le groupe le plus important de la population étrangère en Allemagne.[35]

Cette période relativement courte entre l’immigration du travailleur et le regroupement familial représentait également un facteur de faible acclimatation des employés dans leur entourage social. Dès qu’ils avaient rassemblé leur famille, ils restaient encore plus isolés de la société d’accueil. La famille constituait le centre social au sein du groupe ethnique. Associée à la ségrégation[36] locale des Turcs dans des quartiers de centre ville, cette concentration de compatriotes menait à une certaine ghettoïsation qui avait néanmoins un caractère moins fort qu’en France.

A partir des années 70, les secteurs économiques qui embauchaient la plupart des travailleurs immigrés, comme l’industrie de l’automobile et de l’acier ou les mines, étaient concernés par la rationalisation des employés et la réduction de la production. La grave augmentation du chômage qui en a résulté, a surtout menacé les étrangers. Même l’expansion du secteur tertiaire qui créait des emplois, entre autre pour les employées étrangères, ne changeait guère les chiffres. En 1990, pendant que le taux de chômage en Allemagne était de 8,5%, 12,1% des travailleurs étrangers n’avaient pas d’emploi.[37]

Le fait qu’en Allemagne, les femmes étaient parfois obligées de travailler en dehors de la maison pour améliorer la situation financière de la famille, changeait la constitution traditionnelle des rôles attribués à chaque sexe. Dans les sociétés islamiques, tout l’espace dont la famille dispose est divisé en parties “féminines“ et en parties “masculines“. Ce sont les hommes qui occupent l’extérieur de la maison : ils travaillent, ils sont chargés des démarches administratives et le soir, ils se retrouvent dans des cafés. Ils ne rentrent à la maison que pour manger et dormir, l’espace intérieur restant le domaine réservé aux femmes. Pendant les rares occasions que celles-ci ont la possibilité de sortir, elles restent entre femmes et évitent les espaces masculins comme les cafés, etc. La solidarité et la communauté[38] féminines jouent également un rôle important, ce réseau représentant quasiment les seuls contacts sociaux des femmes en dehors de la famille. Arrivées en Allemagne, elles ont essayé de reconstituer un tel réseau, ce qui était possible grâce aux regroupements locaux ethniques. Ici, elles n’avaient pas besoin d’apprendre la langue allemande et de s’informer des coutumes et du mode de vie de la société d’accueil. Pour les femmes qui étaient obligées de trouver un emploi se posaient plusieurs problèmes comme les faibles connaissances de l’allemand ou le fait qu’elles gagnaient beaucoup moins d’argent que leurs collègues allemandes, parce qu’elles étaient non qualifiées.[39]

A cause de l’augmentation du nombre d’enfants d’origine étrangère dans les écoles, quelques Länder ont mis en place, pendant un certain temps, des classes dont la langue d’enseignement n’était pas l’allemand, mais la langue maternelle des enfants. Ces classes étaient très fréquentées, parce que peu de familles parlaient allemand à la maison à cause des faibles connaissances des parents et de leur projet de rentrer dans leur pays natal. Les Allemands étaient également très favorables à ces projets, parce qu’ils craignaient une baisse du niveau d’enseignement dans des classes avec un taux d’élèves étrangers trop élevé. Cependant, les anciens élèves de ces classes se retrouvaient confrontés à de graves problèmes pour trouver un emploi surtout à cause des connaissances insuffisantes de la langue allemande. C’est pourquoi le gouvernement a préféré la création de classes mixtes.[40]

Au milieu des années 80, certains Länder comme la Hesse proposaient des cours de religion islamique dans les écoles[41] pour éviter des confrontations avec les écoles coraniques dont les objectifs d’enseignement étaient incompatibles avec ceux des écoles allemandes. Elles soutenaient par exemple le refus de l’éducation physique et des excursions d’école pour les filles et pratiquaient une méthode d’enseignement plus autoritaire. Disparus pendant une dizaine d’années, les cours de religion islamique ont réapparu depuis l’année scolaire 2001/2002 dans certaines écoles de Berlin. Ils sont offerts par deux associations islamiques, l’Islamische Föderation Berlin et le Kulturzentrum Anatolischer Aleviten e.V.[42]

De plus, les étrangers trouvent, dans presque toutes les villes, des associations, des clubs ou d’autres institutions qui ont pour but de faciliter l’intégration et l’acculturation des jeunes mais aussi des femmes ayant peu de possibilités d’entrer en contact avec la société d’accueil. Ils organisent des groupes de rencontre pour enfants et adolescents d’origine étrangère et allemande, des soutiens scolaires et des cours de langues pour les femmes. Cependant, l’intégration – ou encore mieux l’acculturation – des étrangers n’est pas encore réussie pour des raisons diverses. Premièrement, l’Etat allemand ne se considère toujours pas comme société d’immigration et ne fait pas assez pour contribuer à l’intégration des groupes différents. A cause de l’engagement relativement insuffisant de l’Etat, beaucoup d’Allemands restent distanciés face à des étrangers. De plus, concernant les Turcs en Allemagne, l’islam joue un rôle très important dans le fait qu’ils sont moins bien intégrés que par exemple des immigrés des pays d’Ex-Yougoslavie, d’Italie ou de la Grèce. Ils sont souvent considérés comme représentants d’une religion pas forcément compatible avec le christianisme. Cependant, les Turcs viennent d’un pays laïc qui sépare strictement la religion et l’Etat, et le fait d’être confrontés en Allemagne avec l’image du Turc musulman menait à une évolution paradoxale de l’islamisation. Plus les Allemands les classifiaient comme musulmans, plus ils s’identifiaient à leur religion. D’après Emmanuel Todd, cette islamisation forcée représente une des raisons pour des mouvements fondamentalistes[43] actuellement très présents au cœur de la discussion sur le foulard d’enseignantes islamiques[44] ou de la problématique du terrorisme.

3.2. Maghrébins en France

La situation des immigrants maghrébins en France diffère de celle des Turcs en Allemagne surtout sur le plan juridique. Les trois pays constituant la région appelée le Maghreb - la Tunisie, l’Algérie et le Maroc - sont des anciennes colonies françaises. Ainsi, avant la décolonisation entre 1958 et 1962, les immigrés avaient la nationalité française ce qui était également le cas de leurs descendants vivants en France.

De plus, contrairement à l’Allemagne où les Turcs représentaient le premier groupe d’immigrés non européens, la France accueillait déjà dans les années 50 des travailleurs de différents pays africains et de l’Asie du Sud-Est. Le nombre d’immigrés des anciennes colonies augmentait en fonction du mouvement d’indépendance, mais le gouvernement français recrutait également activement des ouvriers étrangers pour compenser le manque de main d’œuvre causé par l’exode rural dans les villes de province.[45] En 1954, au début de la guerre d’Algérie, le nombre d’Algériens vivant en France était de 212 000, en 1962, après la fin de la guerre, ils étaient déjà d’environ 400 000. Jusqu’à la fin des années 60, les Algériens représentaient le groupe d’étrangers le plus important[46], alors que Tunisiens et Marocains ne comptaient respectivement que 34 000 et 49 600 personnes en 1962.

Vingt ans plus tard, le nombre d’Algériens était monté à 598 644 individus, celui de Marocains à 367 896. En 1999, les Marocains étaient également plus de 500 000. Quant aux Tunisiens, ils sont toujours beaucoup moins nombreux que les immigrés des deux autres pays maghrébins, leur nombre étant depuis 1982 de peu supérieur à 200 000 personnes.[47]

Afin de mieux contrôler le nombre de travailleurs étrangers, dans les années 60, le gouvernement français fixait, à l’aide de plusieurs accords, le taux d’immigration et accordait des autorisations de travail à long terme. Cependant, l’Etat ne faisait presque rien pour favoriser l’intégration sociale des étrangers, ce qui contribuait à de fortes tendances de ségrégation et de concentration locales.[48] A la fin des années 60, le regroupement familial se renforçant, le manque de locaux d’habitations commençait sérieusement à se faire sentir. Les étrangers s’étaient installés pour la plupart dans des grandes villes comme Paris, Marseille ou Lyon. Ils étaient logés, dans un premier temps, chez des frères, cousins ou voisins du même village qui avaient déjà immigré plus tôt et qui les aidaient à trouver du travail, souvent dans la restauration ou l’industrie. Cette migration en chaîne contribuait à un regroupement dans des bidonvilles qui, en général, étaient pluriethniques, contrairement aux quartiers des étrangers en Allemagne. Quand le nombre d’habitants de ces bidonvilles augmentait, l’Etat français mettait à leur disposition des “Cités de transit“, devant servir de solution provisoire ; mais pour la majorité des habitants elles constituaient des logements à long terme. Aujourd’hui, beaucoup d’immigrés vivent dans des grands ensembles en banlieue.[49] Ce regroupement permet aux immigrants de reconstruire dans le pays d’accueil des éléments de la culture d’origine qui soutiennent la vie en communauté ethnique comme des cafés, des magasins, des marchés, etc. Malheureusement, les conditions de vie dans ces grands ensembles montrent de graves lacunes. En 1998, 19,3% des étrangers (par rapport à 7,9% des Français) vivaient sans eau chaude, 25,3% sans toilettes intérieures (10,7% des Français) et 24,6% sans baignoire ni douche (12,2% des Français).[50]

Quant à l’intégration des étrangers dans la société française, l’Etat s’occupe principalement des garçons adolescents qui sont souvent dans des situations sociales difficiles. Souvent avec de mauvais résultats scolaires et sans emploi, beaucoup d’entre eux n’ont pas de perspectives d’avenir, ce qui les rend agressifs et les entraîne vers la délinquance. La France y voit plus de nécessité d’intervenir que dans le cas des filles qui n’expriment en général pas leurs problèmes et dont la seule possibilité de trouver de l’aide est représentée par les associations de quartier qui, dans les cités, proposent des services différentes pour améliorer la situation des habitants.

Dans les années 70, la question concernant les besoins des femmes immigrées se posait pour la première fois. On voulait leur fournir des outils pour s’adapter plus facilement à la vie en France et créait par exemple des cours de langue et d’alphabétisation, parce que la plupart d’entre elles n’avaient jamais ou seulement très peu été scolarisées. Cependant, les demandes que ces femmes formulaient elles-mêmes résultaient avant tout de problèmes de santé, de grossesses répétées ou de stérilité, raison pour laquelle ont apparu en 1975 les premiers Centres de Planification et d’Education familiale.[51]

Contrairement à l’Allemagne qui, surtout au début de l’immigration, se posait peu la question de l’intégration de ses Gastarbeiter, la France menait déjà très tôt une politique d’assimilation. L’objectif était d’adapter complètement les immigrants à la vie française. Ainsi, un rapport du Haut Comité à la population et à la famille recommandait « d’encourager la venue des éléments les plus assimilables et de leurs familles, de réduire l’entrée des personnes susceptibles de poser des problèmes d’adaptation ».[52] L’objectif n’était pas – et l’est toujours aussi peu – d’intégrer les personnes d’origine étrangère dans la société française en suivant le modèle d’acculturation, mais d’effacer leurs particularités et de créer une société la plus homogène possible.

4. Les immigrés dans la littérature

4.1. La littérature d’immigrés en France et en Allemagne

La plupart des auteurs issus de l‘immigration écrivent un ou plusieurs livres autobiographiques, ce qui les aide à mieux comprendre eux-mêmes leurs expériences et à assimiler les problèmes de leur vie résultant de leur histoire marquée par l’immigration. Souvent, ces autobiographies ne traitent qu’une partie de la vie de l’auteur, c’est-à-dire des évènements particuliers et signifiants qui l’ont fortement marquée. Le livre Les ANI du ‘Tassili’ de Tadjer par exemple raconte le séjour d’une seule journée sur un bateau.[53]

Dans Le pacte autobiographique, Philipe Lejeune définit autobiographie comme un « récit rétrospectif en prose qu’une personne réelle fait de sa propre existence, lorsqu’elle met l’accent sur sa vie individuelle, en particulier sur l’histoire de sa personnalité. »[54] C’est-à-dire, elle est, toujours selon Lejeune, une forme de narration dans laquelle l’auteur, le narrateur et le protagoniste partagent le même nom et, en conséquence, la même identité, ce qui suppose qu’elle se marque le plus souvent par l’emploi de la première personne. Cependant, il n’y a que peu de livres dans le spectre de la littérature d’immigrés qui correspondent vraiment à cette définition, comme par exemple Le Gone de Chaâba d’Azouz Begag, Le voile de silence de Djura ou, en Allemagne, Hennamond – Mein Leben zwischen zwei Welten de Fatma B.

Néanmoins, même ces récits ne sont pas tout à fait autobiographiques, car les auteurs changent souvent les noms des personnes par peur ou par respect. De plus, les discours directs ne sont jamais authentiques, d’une part, parce qu’il est impossible de se souvenir mot à mot d’une conversation, de l’autre, parce que les paroles des personnes de la première génération sont souvent traduites.[55]

Allemagne

Un grand problème en Allemagne concernant la littérature écrite par des personnes issues de l’immigration est la dénomination de cette littérature, qui est généralement appelée Gastarbeiterliteratur, Immigrantenliteratur, etc.

Dans les années 70 et 80 surgissaient les termes Literatur der Betroffenen, crée par l’Italien Franco Biondi, et Gastarbeiterliteratur. Cependant, ni l’un ni l’autre ne peuvent être utilisés aujourd’hui, car les accents thématiques et la qualité des textes ont beaucoup changé et la dénomination Gastarbeiter ne correspond plus du tout au statut des personnes d’origine étrangère en Allemagne.

A partir des années 90, on utilisait surtout des termes généralisant comme Immigrantenliteratur ou Ausländerliteratur pour éviter la dénomination complexe proposée par Probul Auf deutsch geschriebene Literatur in Deutschland lebender Autoren mit nichtdeutscher Muttersprache.[56] De plus, cette définition ne tient pas non plus compte de toutes les facettes de cette littérature. Premièrement, certains auteurs n’écrivent pas en allemand, mais en turc par exemple. De plus, la référence à une langue maternelle autre que l’allemand est également imprécise, car, justement, les auteurs de la deuxième génération considèrent souvent l’allemand comme leur langue maternelle. A cause de tous ces difficultés, la science littéraire utilise généralement les dénominations Immigranten - ou Migrantenliteratur, en étant consciente de l’imprécision de cellesci.

Le champ des auteurs d’ Immigrantenliteratur en Allemagne est très vaste et peut être divisé en quatre groupes[57]:

1. Les Gastarbeiter et leurs enfants venus d’Italie, d’Espagne, du Portugal, de la Grèce et de la Turquie pour des raisons économiques. Ce ne sont pas des écrivains professionnels, ils exercent d’autres métiers. Des représentants turcs de ce groupe sont par exemple Sinasi Dikmen, Resat Karakuyu ou Saliha Scheinhard.
2. les intellectuels venus des Etats balkaniques pour des raisons politiques ;
3. des immigrants politiques de la Turquie et de la Grèce ;
4. des personnes immigrées pour d’autres raisons que politiques ou économiques, par exemple incitées par leur curiosité de connaître d’autres pays.

Les auteures chosisies dans ce travail font partie du premier groupe.

Quant au genre littéraire choisi, il dépend des ambitions de l’auteur et du sujet : la violence correspond plutôt à un roman policier ou un thriller alors que des sujets comme la création d’une identité ou l’acculturation trouvent leur place dans des textes plus ou moins autobiographiques. Généralement, les auteurs restent cependant fidèles à un genre, comme c’est le cas d’Aysel Özakin qui écrit surtout des textes autobiographiques ou d’Aras Ören dont les textes contiennent plutôt des critiques sociales et culturelles.[58]

Gino Chiellino fixe le début de la littérature d’immigrés en Allemagne en 1964 avec la publication de l’œuvre Arriverderci, Deutschland, écrit en italien par Gianni Bertagnoli.

La première génération d’auteurs d’origine étrangère se considère entièrement comme part de leur société d’origine ce qui contribue à ce que leurs livres traitent souvent les sujets de la non-appartenance et le désir du retour. Pour les auteurs vivant en Allemagne, la notion de Heimat joue un rôle important. Ils idéalisent de façon romantique cette notion en évoquant seulement le Heimat au moment où ils endurent sa perte.[59]

Au début, ils décrivaient surtout le sentiment de se sentir seuls dans un monde étranger inconnu et leur recherche d’une Heimat. Parfois, ils trouvaient une solution à leur conflit intérieur, partagés entre le désir de retrouver le pays d’origine et le besoin de rester en Allemagne. Yüksel Pazarkaya par exemple ne définit pas Heimat comme un lieu géographique, mais il la trouve en luimême : « Nicht ich bin in der Heimat, die Heimat ist in mir. »[60] D’autres sont plus déchirés entre les cultures : « Ein Herz zweigeteilt hilflos, / in der Heimat, / In Anatolien blieb eine Hälfte zurück, / Die andere Hälfte im deutschen Anatolien. »[61]

Mais les auteurs ne voulaient pas seulement témoigner et assimiler leurs expériences, mais poser également des questions critiques concernant les conditions des migrants et la situation sociale en Allemagne ainsi que contribuer à une nouvelle identité des immigrants.[62] Ainsi, ils cessaient aux années 70 de considérer les étrangers en Allemagne comme des Gastarbeiter sous-développés sans connaissances de la langue allemande, mais commençaient à les valoriser et à revendiquer leurs droits de s’exprimer.

Avec le temps naissait un nouveau genre littéraire qui se compose d’éléments des cultures d’origines des auteurs et parfois de leurs traditions littéraires d’un côté et d’éléments de la culture d’accueil de l’autre. Ce mélange se retrouve parfois également sur le plan linguistique ; bien que la plupart des œuvres soient écrites en allemand, quelques auteurs utilisent les deux langues.

Dans les années 80, le paysage de littérature d’immigrés se diversifie et de plus en plus d’auteurs professionnels publient leurs œuvres. En même temps, les auteurs s’unissent dans des associations comme le “Polynationaler Literatur- und Kunstverein“ (PoliKunst), fondé en 1980, et leurs publications sont de plus en plus soutenues académiquement.[63]

Au milieu des années 80, les auteurs féminins comme Alev Tekinay, Aysel Özakin ou Saliha Scheinhardt apparaissaient de plus en plus sur le marché de l’ Immgrantenliteratur, jusqu’alors dominé par les hommes. Leurs sujets ressemblaient aux problèmes et questions de la littérature féminine qui était en train d’apparaître sur le marché littéraire, c’est-à-dire des questions concernant l’éducation des enfants, le conflit avec les idées traditionnelles de la génération précédente ou leur avenir personnel. Cependant, elles traitaient également des sujets liés à l’immigration, donc leurs expériences à l’étranger et les avantages qu’elles peuvent tirer des difficultés et obstacles :

« Ich bin ein Baum

Mit Wurzeln in anatolischer Erde

Und mit Blüten

Unter Deutschlands Eisdecke (…)

Aber dieser Schmerz

Aus den Wurzeln in die Blüten

Gibt dem Baum Kraft

Die Schranken zu durchdringen. »[64]

L’expérience de migration et la confrontation avec une vie inconnue à l’étranger sont considérées comme défi et enrichissement.

Ecrire constitue surtout pour les jeunes femmes une aide à assimiler les problèmes qui se posent dans un contexte biculturel. En traitant des sujets comme la xénophobie, leurs efforts pour s’intégrer dans la société, leur perte d’orientation ou leur recherche de perspectives de vie adéquates, elles espèrent trouver des réponses concernant leur développement personnel et leur identité sous l’aspect d’“intermédiaire“ entre deux cultures.[65]

Outre le problème de se situer dans ou entre les cultures, les langues utilisées causent des crises d’identité : elles ne parlent pas ou peu le turc, leur langue “maternelle“, mais la langue allemande qui les entoure quotidiennement et dans laquelle elles écrivent est considérée comme langue étrangère : Ich gehöre zwar zu zwei Sprachen und zwei Ländern, aber in beiden bin ich nur ein Gast. »[66] Elles ne parviennent pas toujours à considérer leur bilinguisme comme avantage et se sentent perdues entre les éléments de deux cultures différentes qui les entourent.

Les ouvrages interculturels d’auteurs d’origine étrangère, parus en Allemagne, n’ont pas seulement des effets sur les auteurs eux-mêmes, ils influencent également les lecteurs de toutes origines et bien sûr le monde littéraire.

Le biculturalisme et le bilinguisme de ces livres sont un enrichissement pour la littérature germanophone grâce aux influences de la tradition littéraire turque, qui offre un nouveau monde au lecteur allemand. Cependant, en décrivant la situation conflictuelle des étrangères dans la société d’accueil, les auteurs contribuent souvent à un renforcement des préjugés au lieu de les diminuer.[67] En outre, les sociologues qui répandent la théorie du conflit culturel concernant les filles issues de l’immigration, ne s’appuient pas seulement aux cas qu’ils rencontrent dans les cabinets de psychologues ou dans les centres d’aide pour femmes, mais également sur des récits autobiographiques d’auteures d’origine étrangère.

France

En France existe une littérature spécifique écrite par la deuxième génération de Maghrébins qui se distingue de celle de la première génération dont les auteurs n’étaient pas très nombreux, car les immigrés étaient souvent analphabètes. Cette “littérature beur“ est écrite en France, donc les auteurs ne sont pas des auteurs maghrébins, ils vivent en France et s’adressent surtout à un public français.

Le terme “beur“[68] a été créé pour remplacer de manière neutre la dénomination “Arabe“ et ses connotations négatives. Sa signification est basée sur l’opposition avec d’autres termes qui ne suffisent pas pour décrire l’identité de cette génération : « d’une part Beur et Algérien, Beur et Arabe, Beur et Maghrébin avec, comme fonds du discours, la société d’origine (l’Algérie) ; d’autre part, Beur et Français […] avec, comme fonds du discours, la société d’appartenance (la France). »[69] Les beurs de France des années 80 essayaient de trouver une identité propre qui caractérisait à la fois leur origine maghrébine et leur appartenance à la société française. Ils prônaient leurs différences et revendiquaient leur désir de s’intégrer dans la société française en gardant ces différences par des slogans comme « Vivre Ensemble avec nos Différences » (slogan du MRAP, Mouvement contre le raciste et pour l’amitié entre les peuples), « Vivons Egaux avec nos Différences » (slogan de la “Marche pour l’Egalité et contre le Racisme“ en 1983) ou « Vivons Egaux avec nos Ressemblances, quelles que soient nos Différences » (slogan des initiateurs de “Convergence 84 pour l’Egalité“). Le message qu’ils voulaient transmettre était la revendication d’une identité collective et du « Droit à la différence ».[70]

Cependant, ces efforts n’ont pas porté leurs fruits, car, avec le temps, le terme beur est devenu de plus en plus négatif à cause des évènements conflictuels comme l’affaire du voile en 1989 et la violence croissante des jeunes dans les banlieues au début des années 90. Aujourd’hui, les jeunes rejettent eux-mêmes de plus en plus cette dénomination, qui les exclut également d’une participation égale à la société française.[71]

Dans leurs livres, les auteurs beurs traitent des sujets qu’ils considèrent comme problèmes typiques de leur génération. Enracinés dans deux cultures, ils sont toujours à la recherche d’une identité qui tient compte de leur particularité et qui, surtout, est acceptée par les membres des deux pays par lesquels ils se sentent souvent rejetés :

« J’étais immigré où que j’aille. […] L’éternel immigré, c’était moi, coucou ! J’eus l’impression que tous les pays me claquaient leur porte au nez. […] J’étais condamné à vivre dans les no man’s land que j’imaginais comme les couloirs froids où le vent soufflait à tout rompre… »[72]

Souvent, ils thématisent aussi le silence qui règne dans les familles, un fossé entre parents et enfants que Brahim Benaïcha appelle « divorce culturel »[73]. Les membres des familles ne savent plus communiquer entre eux, car les parents ne comprennent pas le monde dans lequel entrent les enfants en dehors de la maison et de la communauté ethnique et les jeunes ne se retrouvent plus dans les valeurs et attitudes de leurs parents. Ceux-ci ont des difficultés d’expliquer un monde à leurs enfants qu’ils ne comprennent pas non plus et surtout les pères sentent que le niveau scolaire plus élevé de leurs enfants leur fait perdre de l’autorité. Ainsi, ils se réfugient dans le silence pour ne pas montrer leur insécurité. Les jeunes, surtout les garçons se rendent compte de la distance qui naît entre eux et leurs pères et essayent de trouver d’autres repères.

Souvent, ils rêvent d’un pays ou d’un espace spécial qui leur offre une vie sans le racisme et l’exclusion qu’ils vivent en France et où ils sont acceptés :

« En pensant à tout ceux qui se trouvaient dans mon cas, j’imaginais de construire un vaisseau spatial assez grand pour tous nous contenir. Et en avant ! Direction : l’espace sidéral, à la recherche d’une planète habitable. Nous pourrions l’appeler ‘Dignité’, par exemple ».[74]

Un autre sujet qui réapparaît souvent dans la littérature beur est les conditions de vie des familles immigrées. Issus d’un milieu social dans lequel la pauvreté et la violence ne sont pas rares, les auteurs décrivent leur vie dans les bidonvilles, les banlieues et les HLM avec une forte concentration de minorités ethniques. Comme ces conditions sociales leur paraissent insupportables et injustes, ils racontent souvent leurs tentatives de trouver une place dans leur pays d’origine. Cependant, ces séjours sont généralement un échec à cause de leur déception face à la situation politique en Algérie par exemple et l’importance de la religion islamique dans la vie quotidienne. De plus, souvent leurs connaissances de la langue arabe ne suffisent guère et ils rentrent finalement en France, car ils se rendent compte qu’ils n’appartiennent pas non plus tout à fait à leur pays d’origine : « C'est en France que j’ai appris à être Arabe, c’est en Algérie que j’ai appris à être immigrée. »[75]

Quant aux auteurs féminins, il y a un autre aspect qui les distancie de la vie dans un pays arabe : le statut de la femme. La protagoniste de Journal ‘nationalité : immigrée(e)’ de Sakinna Boukhedenna doit apprendre que la vie d’une femme algérienne ne ressemble en rien à sa liberté personnelle en France :

« Si la culture arabe, c’est réduire la femme à l’état où elle est, je ne veux pas de cette arabité […] Alors, j’ai pris l’avion pour la France. La France est raciste, mais en France, je peux vivre seule sans mari, sans père, mère et la police ne m’épie pas tous les jours. Je peux crier ‘non’ au racisme, ‘non’ à l’exploitation de la femme, je me sens un peu plus libre que sur ma terre. »[76]

Cette citation exprime la désillusion de cette jeune femme face à la réalité dans laquelle elle vit. Ayant analysé sa situation dans les deux pays, elle opte pour une vie en France non par amour pour ce pays, mais parce qu’elle sait qu’une vie en Algérie la limiterait encore davantage dans sa liberté. Avec leur littérature, les auteurs beurs exigent pour eux-mêmes une place dans la société française[77] afin que celle-ci ne représente plus le moindre mal, mais une alternative positive et accueillante.

Concernant la littérature des “beurettes“, on y trouve beaucoup plus souvent que dans les livres d’auteurs masculins le sujet du conflit culturel entre leur éducation selon les traditions et règles musulmanes et maghrébines et leurs expériences dans la société française. Pour elles, le sujet du silence familial épouse d’autres formes que pour les hommes. Les filles souffrent moins des tabous et de l’insécurité des parents, mais beaucoup plus du silence auquel elles sont soumises personnellement, car elles n’ont pas le droit de se plaindre de leur situation.[78] De plus, elles décrivent les combats qu’elles mènent avec leurs parents pour obtenir plus de libertés, c’est-à-dire d’avoir le droit d’aller à l’école, de sortir avec des amies et de fumer, et pour le droit de prendre elles-mêmes des décisions importantes comme le choix d’un mari et de la nationalité de celui-ci. Leur désir cause des conflits avec leurs mères qui sont souvent très enracinées dans les traditions de leur culture d’origine, comme l’importance de la virginité, d’un mariage endogame[79] ou les rôles sexués bien différenciés, et qui ne comprennent pas le comportement “moderne“ de leurs filles. De plus, elles sont également confrontées aux frères qui jouent le rôle du père – souvent plus ou moins absent – en menaçant et frappant leurs sœurs.[80]

Ce qui est intéressant dans ce contexte est le fait que les auteurs beurs masculins comme Azouz Begag ou Zaïr Kedadouche, conscients de l’injustice à laquelle sont soumises les filles maghrébines, accusent souvent le comportement violent des pères envers les filles, ce qui contredit fondamentalement l’image des frères surveillants et cruels transmise dans la littérature des femmes.[81]

Cependant, la littérature féminine ne se limite pas à déplorer la situation des femmes, elle est souvent une littérature “féministe“. Les jeunes femmes de la deuxième génération socialisées en France utilisent leurs ouvrages comme moyen de lutter contre le statut de la femme et de revendiquer une vie plus libre pour elles et leurs semblables qu’elles ne mènent actuellement :

« Nos hommes disent que nous, les femmes immigrées de la deuxième génération, nous ne sommes plus des vraies Arabes car nous sommes comme les Européennes. Nous nous dévergondons, nous traînons dans les bars, nous buvons et nous baisons. Comme si la femme arabe, à leurs yeux voulait dire : maison, chiffon, enfant et ferme ta gueule. »[82]

Elles rompent le silence afin de se défendre et de sensibiliser leurs lecteurs aux difficultés vécues par ce groupe social dans ou entre deux cultures.

A part sa fonction d’informer, la littérature beur, et surtout les autobiographies ont une fonction thérapeutique, censée aider les auteurs à leur recherche d’une identité.

Comme la revendication d’une identité collective définie par le mouvement beur a généralement échouée et comme les jeunes n’ont pas réussi à trouver une identité qui leur pourrait rendre justice, ils se retrouvent avec le besoin de se définir eux-mêmes. Cependant, cette recherche n’aboutit pas toujours. Les uns vivent avec une « a-identité », c’est-à-dire qu’ils vivent dans « le vide du “rien“ ».[83] Ainsi constatait Sakinna Boukhedenna : « “De toute façon, tu n’es ni Arabe, ni Français.“ Alors je lui ai demandé ce que je suis. Il m’a répondu : “Tu n’es rien.“ ».[84]

Les autres ont une sorte de « non identité » causée par la présence neutre de « l’entre-deux »[85], ressentie par exemple par le protagoniste Madjid de Mehdi Charef : « Madjid se rallonge sur son lit, convaincu qu’il n’est ni arabe ni français depuis longtemps. Il est fils d’immigrés, paumé entre deux cultures, deux histoires, deux langues, deux couleurs de peau, ni blanc ni noir, à s’inventer ses propres racines […]. »[86]

A l’aide de la littérature, ils essayent de se retrouver eux-mêmes et de se définir pour éviter d’être catégorisés par d’autres. En outre, ils réussissent ainsi à rompre le silence qui leur est imposé et à thématiser des sujets tabous afin de pouvoir aider les autres beurs et beurettes dans des situations similaires.[87]

A part la littérature, les beurs ont trouvé d’autres formes culturelles pour s’exprimer et pour se faire remarquer. Ils chantent leur situation en France, l’immigration et la vie dans les banlieues pour demander plus d’acceptation dans un pays qui est le leur et, pour faire connaître leur musique en France, ils ont même créé une station radio, le Radio Beur.[88] En outre, ils essayent de démontrer la vie quotidienne des jeunes dans les banlieues par le cinéma. Mais, malgré la diversification de leurs canaux d’expression, la littérature est restée la forme la plus convaincante.[89]

Contrairement aux auteurs en Allemagne qui se limitent en général à un seul genre littéraire, de plus en plus d’auteurs beurs alternent entre écriture autobiographique et fiction narrative. Mehdi Charef par exemple publie en 1983 avec Le Thé au Harem d’Archi Ahmed un livre avec des éléments fortement autobiographiques avant de passer quatre ans plus tard à la fiction avec Le Harki de Meriem.

4.2. Les auteures et les livres choisis

4.2.1. Renan Demirkan et Schwarzer Tee mit drei Stück Zucker (1991)

Renan Demirkan est née le 12 juin 1955 à Ankara, Turquie. Quand elle avait sept ans, sa famille a suivi le père émigré en Allemagne et s’est installée à Hanovre. Après le baccalauréat, Renan a commencé des études d’économie et de sciences politiques, mais était acceptée un peu plus tard à l’Université de musique et théâtre de Hanovre. Depuis 1980, elle travaille dans des secteurs différents, comme le théâtre, le cinéma et la télévision et elle a obtenu plusieurs prix, dont le Förderpreis des NRW et le Bundesverdienstkreuz. Cependant, elle n’est pas seulement actrice : en 1991, elle a débuté également comme auteure avec son livre Schwarzer Tee mit drei Stück Zucker, suivi plus tard par autres œuvres comme Die Frau mit Bart (1994), Es wird Diamanten regnen vom Himmel (1999) ou Der Mond, der Kühlschrank und ich (2000). Elle s’engage également contre le racisme, pour l’intégration d’étrangers en Allemagne et pour les droits de l’Homme. En plus de ses activités d’actrice et d’auteure, elle travaille pour Amnesty International et anime des manifestations en faveur de la paix.

Abbildung in dieser Leseprobe nicht enthalten

Depuis le divorce avec son mari Alois Gallé en 1993, elle habite à Cologne avec sa fille Ayse, née en 1986.

Renan Demirkan connaît la vie d’une “étrangère“, elle est aujourd’hui une Turque en Allemagne ou une Allemande avec un passeport turque. Elle a des racines dans deux pays, dans deux cultures, elle se sent allemande, mais veut garder sa nationalité turque. Elle parle couramment turque et allemand et voit la vie partagée entre deux cultures d’un immigrant comme avantage et elle utilise comme Alev Tekinay l’image de l’arbre:

« Das ist eine Erfahrung, die alle Emigranten miteinander teilen. Sie ist ein Baum mit langen, dünnen Wurzeln, die sich bis zum Grundwasser strecken, ohne das sie nicht leben könnten. Von ihm holen sie sich Nahrung, Erinnerungen, Verhaltensmuster. Dann werden die Wurzeln allmählich dicker, denn der Baum holt sich auch von außen Nahrung. Dieser Baum trägt später die Früchte beider Länder. »[90]

Dans son livre Schwarzer Tee mit drei Stück Zucker, Renan Demirkan raconte l’histoire d’une jeune femme, son enfance en Turquie et son adolescence en Allemagne jusqu’au jour de la naissance de son bébé. Le livre se passe sur deux niveaux différents qui alternent : le cadre de l’action raconte les moments que la femme vit avant l’accouchement. Pendant qu’elle attend le médecin, elle se souvient de passages de sa vie en Turquie et en Allemagne et d’histoires de ses amis et de ses parents, en ne suivant pas forcément un ordre chronologique.

Renan Demirkan n’a pas écrit ce livre à la première personne du singulier, mais à la troisième et dans l’anonymat ; elle n'a donné ni le nom des personnages ni le nom des lieux. Ainsi, elle créa une distance entre elle-même et l’histoire, elle la rendit plus générale : c’est une histoire qui pourrait appartenir à n’importe quelle autre fille turque en Allemagne. Cependant, le lecteur trouve plusieurs détails qui montrent qu’elle raconte, du moins en grande partie, sa propre vie : son lieu de naissance, son âge à son arrivée en Allemagne, son travail d’actrice de théâtre, etc. Il y a aussi la nationalité autrichienne de son partenaire, Alois Gallé, qui n’est mentionné que par le “diminutif“ Ali que les parents ont crée dans l’illusion « etwas Türkisches an ihm zu finden ».[91] L’enfant qui va naître à la fin de l’histoire serait ainsi leur fille Ayse. Donc, même si ce livre n’est pas une autobiographie pure, il est très probable que Renan Demirkan ait été inspirée par sa propre vie et celle de sa famille.

Pour une meilleure compréhension des évènements, l’histoire de la protagoniste et de sa famille sera racontée ici dans l’ordre le plus chronologique possible.

Le personnage principal naît à Ankara de deux parents relativement cultivés. La mère a été scolarisée, le père est ingénieur du bâtiment et des travaux publics. Quand le père ne gagne plus assez d’argent pour nourrir sa famille, il part en Allemagne. Un an plus tard, sa femme le suit avec leurs deux petites filles : la protagoniste et sa sœur cadette. Les parents vivent plutôt isolés de leur entourage allemand, alors que les enfants sont tous les jours en contact avec leurs camarades de classe et leurs voisins. Se voyant confrontées à des discriminations à l’école, les sœurs essayent de s’adapter aux coutumes et comportements des Allemands : « Sie wollte aussehen wie die anderen, nicht herausfallen, wollte wie die hüpfenden, kichernden Mädchen sein […] ».[92] Elles transfèrent dans leur famille les traditions allemandes comme le Sonntagsnachmittagskaffee ou le repas du soir froid au lieu des plats chauds habituels de sa famille, mais également des fêtes chrétiennes de Noël et de Pâques avec toutes leurs coutumes. En même temps, la mère essaye de leur enseigner les traditions de son pays. De ce fait, les filles ont des difficultés d’intégration. Surtout quand elles atteignent l’âge de la puberté, elles se rendent compte de leur différence par rapport aux autres adolescents de leur âge. Elles ne savent pas ce qui se passe avec leurs corps et ignorent les raisons des interdictions et restrictions que leur père leur inflige et qu’elles n’ont pas connues avant.

Les différends avec les parents s’aggravent, quand la plus âgée réalise qu’elle ne supporte plus de rester coincée dans le microcosme du foyer parental. Bien qu’elle craigne des punitions graves quand elle s’oppose aux règles de la famille (« Ein Mädchen verlässt erst bei der Heirat das Zuhause. »[93]), elle quitte la maison pour vivre seule. Cependant, les parents, surpris et désespérés, restent cois. Ils ne veulent plus parler de leur fille aînée qui a apporté un tel déshonneur à sa famille. Plus tard, quand elle a réussi son baccalauréat, la fierté des parents vainc la honte et ils entrent à nouveau en contact avec elle.

Comme la jeune fille est à la recherche de ses racines, elle rentre avec son ami allemand en Turquie pour lui montrer les lieux de son enfance. Pendant ce séjour, un Turc tente de la violer. De retour en Allemagne, ils se séparent.

Le lecteur n’apprend pas quand et dans quelles conditions elle fait la connaissance du père de son enfant, un peintre décorateur. Mais elle réussit à le présenter à ses parents qui finissent par l’accepter comme membre de la famille, bien qu’il ne soit pas turc mais autrichien.

Les parents qui vivaient en Allemagne dans la certitude de rentrer un jour dans leur pays natal, préparent finalement ce retour. Néanmoins, une fois arrivés en Turquie, ils réalisent qu’ils n’arrivent plus à s’adapter à la vie turque et retournent en Allemagne. Ils sont prêts à y rester tout en gardant les souvenirs de leur patrie pour pouvoir le transmettre à “Ali“ et leur petite fille : « “Wir müssen unserer Enkelin die lustigen Geschichten von Hacivat und Karagöz erzählen.“ […] “Dem Ali auch.“ »[94]

4.2.2. Fatma B. et Hennamond – Mein Leben zwischen zwei Welten (1999)

Fatma Sonja Bläser est née en 1965 dans un petit village kurde en Anatolie, la partie asiatique de la Turquie. Quand elle avait neuf ans, sa famille a suivi la mère en Allemagne qui avait émigré pour trouver du travail. La vie de Fatma à Wipperfürth était marquée par l’autorité et l’éducation violente du père qui lui a interdit de suivre l’enseignement supérieur. Quand ses parents ont décidé de la marier avec un homme de son village natal qu’elle ne connaissait et n’aimait pas, elle s’est enfuie de la maison à l’aide d’une amie. La jeune femme a vécu alors avec son ami allemand et ils se sont mariés malgré les menaces de sa famille. Elle a rompu complètement le contact avec eux et a choisi le prénom Sonja pour sa nouvelle vie dans un environnement allemand.

Aujourd’hui, elle vit à Leverkusen avec son mari, Michael, et leurs enfants, Rick et Laura. En 1991, elle a rompu le silence avec son premier roman autobiographique Hennamond – mein Leben zwischen zwei Welten qui est paru sous le pseudonyme de Fatma B. Ce pseudonyme présentait la seule possibilité pour elle de protéger son mari, ses enfants et elle-même d’hommes musulmans qui se sentent critiqués et attaqués par ce livre.[95] Mais aujourd’hui, elle voyage sous son vrai nom à travers l’Allemagne pour mener des débats publics, elle fait des lectures et elle fournit des informations et des conseils aux filles musulmanes. Dans les écoles, elle propose des rendez-vous pour des jeunes filles qui sont également menacées par un mariage arrangé avec un homme, souvent inconnu, dans le pays d’origine.[96]

Fatma Bläser essaye d’aider les jeunes filles, qui mènent une vie entre la famille musulmane et les libertés de la société occidentale, grâce à ses propres expériences. Elle se sent plus déchirée entre les deux cultures que Renan Demirkan qui a réussi à intégrer ses racines différentes dans son “arbre culturel“. Cependant, Fatma B. décrit sa situation autrement : « Mit einem Fuß befinde ich mich in der türkischen Kultur, die mich in den entscheidenden Jahren meiner Kindheit geprägt hat, dass sie ein Teil meiner Persönlichkeit ist und bleiben wird. Mit dem anderen Fuß stehe ich in der deutschen Kultur, für die ich mich entschieden habe. »[97]

C’est dans la préface qu’elle explique les raisons qui l’ont poussée à écrire son livre Hennamond – Mein Leben zwischen zwei Welten.

Elle voulait raconter à ses amis qui elle était et ce qu’elle avait vécu, mais elle ne voulait pas donner une description générale de la vie d’une fille musulmane en Allemagne.[98] De plus, elle sait parfaitement que son histoire peut provoquer un renforcement des préjugés contre l’islam, surtout parce que les contextes historique et politique actuels risquent de transformer cette religion en une image d’ennemi collectif. Mais son livre ne raconte pas une histoire « über den Islam, sondern eine Geschichte über [sie] »[99], elle ne voit pas de lien entre l’islam et les habitants de son village qui n’ont jamais lu le coran.

Le contenu du livre est divisé en deux parties, l’enfance de Fatma en Anatolie de l’Est (p.9 à p.111) et plus tard sa vie en Allemagne (p.112 à p.223).

Le livre commence avec la mère de Fatma, Cemile. Elle est en train de rentrer à la maison, quand les contractions commencent et elle accouche toute seule dans l’étable : elle ne veut pas d’aide. Elle pense à Kadir, son mari, qu’elle n’aime pas et qui l’a forcée à se marier avec lui en la violant. D’après la tradition islamique, elle était obligée de devenir sa femme, bien qu’elle fût amoureuse d’un autre homme.

Fatma a grandi dans le petit village de V. (l’auteure ne divulgue pas son nom complet) qui se trouve dans la partie kurde de l’Anatolie. Comme tous les enfants, elle travaille très tôt dans la maison ; son père part à Istanbul quand elle a quatre ans. Mais, bien qu’elle n’ait pas beaucoup de temps libre pour jouer, elle estime avoir passé une enfance heureuse. Cependant, rétrospectivement, elle a conscience de la dureté de l’existence et du niveau de vie incomparable avec la situation des pays occidentaux au XXième siècle.

Fatma vit aussi des situations violentes et humiliantes qui la marquent le restant de ses jours. A l’âge de sept ans, elle est témoin d’une lapidation : une jeune femme est tuée par les voisins qui la soupçonnent d’adultère. A l’école, elle, la petite fille kurde, fait pour la première fois l’expérience de ne pas être comme les autres et souffre également des conditions insupportables : les enfants sont battus par le professeur, ils souffrent de la peur, des punitions injustes et du froid, parce que les moyens financiers ne suffisent pas pour acheter du bois.

Un jour, sa mère part en Allemagne pour s’occuper de son frère malade et pour gagner de l’argent, la famille étant en difficultés. Comme le père travaille encore à Istanbul, Fatma et son frère Hydar sont logés dans la maison d’un oncle paternel, tandis que les deux autres enfants vont vivre avec un parent de leur mère. La vie de Fatma et de son frère se dégrade de plus en plus : ils travaillent très dur, mais se voient confrontés quotidiennement à la violence et l’injustice. Alors que Fatma se fait presque violer, elle ne trouve pas d’autre solution que de s’enfuir avec son frère chez une tante qui est disposée à les garder chez elle. Cette tante les traite beaucoup mieux, mais les deux enfants ne peuvent pas rester très longtemps, car la femme tombe malade. Donc, ils déménagent encore une fois pour vivre avec un autre frère de leur père, où leur vie se transforme en cauchemar. Fatma la décrit comme « die grauenvollste, entwürdigendste Zeit, die [sie] erlebt [hat] »[100], car ils sont constamment humiliés et frappés et Hydar sauve une deuxième fois sa sœur d’un viol. Cette situation ne change que quand leur mère rentre d’Allemagne pour venir les chercher.

Arrivée en Allemagne, la famille change complètement de vie. Ce n’est plus la maison à la campagne où ils étaient entourés d’amis et de voisins amicaux. Maintenant, ils vivent dans un appartement en ville, les voisins sont polis, mais ne s’intéressent pas beaucoup aux nouveaux arrivants.

A l’école, Fatma essaye de s’intégrer dans la classe, et malgré son faible niveau en allemand, elle trouve bientôt une amie qui lui fait découvrir la vie allemande, très différente de ce qu’elle a connu en Turquie, mais qui lui paraît très attirante.

Quand elle a 14 ans, elle tombe amoureuse de son cousin et elle espère pouvoir l’épouser ; mais ses parents le marient contre son gré en Turquie. Deux ans plus tard, elle fait la connaissance d’un autre jeune Turc, Süleyman, qui l’enlève pour la forcer au mariage. Grâce à une amie, elle est sauvée à temps, mais ses parents exigent une attestation médicale de sa virginité. Tout ces évènements renforcent l’abîme qui la sépare de sa société d’origine et le besoin de s’enfuir de sa vie actuelle : « Ich wollte, ich musste anders leben, wollte versuchen, meine Träume und Sehnsüchte zu verwirklichen. ».[101]

La jeune femme accorde une grande importance à ses études, elle veut obtenir une bonne formation qui lui permettra de devenir indépendante. Mais son père s’y oppose et l’oblige à gagner de l’argent pour payer les dettes de la famille. Cependant, elle réussit à gagner une petite part d’indépendance grâce à l’obtention du permis de conduire qu’elle a passé malgré l’interdiction de son père. De plus, elle parvient à empêcher son père de la marier en Turquie.

Quand elle fait la connaissance de Michael, un dentiste, elle tombe amoureuse et cette relation lui permet de quitter définitivement le foyer. Malgré les menaces de sa famille, elle se marie avec Michael. C’est à ce moment-là qu’elle souffre le plus du choc culturel et des différences entre la vie qu’elle connaissait jusqu’à présent et son nouvel environnement. Néanmoins, elle réussit petit à petit à s’arranger avec cette nouvelle situation en se souvenant de la petite fille qu’elle a été et de tout ce qu’elle a vécu pendant son enfance. Ces souvenirs lui permettent de trouver une sorte d’équilibre entre ses deux “moi“ et ces deux mondes qu’elle évoque dans le titre de son livre : « Ich werde […] ihr zeigen, dass ich sie nicht vergessen habe und ihr in meiner deutschen Welt ein Zuhause geben werde, dass wir einen Weg finden, zu zweit, der uns beiden gerecht wird, trotz aller Verschiedenheiten, die uns trennen. ».[102]

4.2.3. Djura et Le voile du silence (1990)

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Djura Abouda est née en 1949 à Ifigha, en Kabylie, Algérie. A l’âge de cinq ans, elle a débarqué avec sa mère et ses deux frères et sœurs à Marseille pour rejoindre son père, parti quelques années plus tôt. Quand elle est arrivée en France, elle ne parlait ni français ni arabe, seulement kabyle. Mais elle a appris très vite et a servi d’interprète à sa mère. La famille a vécu dans un bidonville de Paris avec d’autres étrangers, presque tous des immigrés d’Algérie.

Très jeune, Djura était déjà attirée par l’art et le spectacle et a fréquenté une école du spectacle sans que ses parents ne le sachent. Quand son père a appris qu’elle voulait jouer dans un film, il le lui a catégoriquement interdit. Mais son choix de métier n’était pas la seule source de problèmes entre elle et son père, alcoolique et violent. Finalement, elle a rompu avec lui, a quitté la maison et a réussi à emmener également sa mère, ses frères et ses sœurs dont elle devenait responsable.

Djura a fait sa maîtrise en Arts Plastiques pour devenir réalisatrice et, en 1976, elle a réalisé son premier long métrage : Ali au pays des merveilles. Mais elle s’est rendu compte que la musique était un meilleur moyen pour elle de transmettre ses messages. Ainsi, elle a fondé le groupe Djurdjura avec ses sœurs. Djurdjura, c’est le nom d’une montagne kabyle, ce qui lui rappelait des souvenirs d’enfance et les combats pour l’indépendance de l’Algérie auxquels ses héroïnes ont participé. Djura et ses sœurs, alors membres du groupe, chantaient en kabyle et portaient des vêtements traditionnels, mais leur but était de lutter avec leurs chansons pour les filles opprimées et soumises. Elles ont repris les « chants de joie, chants de guerre, mélopées tristes ou ironiques, […] de véritables cris de révolte que les femmes lançaient contre leur condition »[103], c’est-à-dire qu’elles chantaient « tout haut ce que [leurs] mères ont fredonné tout bas. »[104] Grâce à ses textes, Djura se faisait le porte-drapeau de la femme kabyle, elle expliquait à ses sœurs qu’il fallait « briser le joug du machisme et des traditions ».[105] Le groupe a eu du succès dès le début. Ce n’était pas seulement les Maghrébins qui remplissaient les salles de concert, mais également les Français. Un phénomène dont Djura est fière, parce que, grâce à cela, elle considère avoir atteint son but : « Comme si, à travers moi, la culture et la femme maghrébine se trouvaient ennoblies ».[106] A cause de quelques difficultés avec ses sœurs concernant les objectifs de leur activité, elle a dissous le groupe en 1986 et continué à chanter seule sous le nom de Djura.

Enceinte de son mari français, elle a été agressée par un de ses frères et sa nièce un an plus tard. Traumatisée, elle a arrêté la musique après avoir quitté l’hôpital et a trouvé une sorte de thérapie dans l’écriture autobiographique. Dans son seul livre Le voile du silence, paru en 1990, elle raconte l’histoire de sa vie aussi pour attirer l’attention sur la situation des femmes algériennes : « En acceptant de me raconter, j’ai voulu lever ce voile du silence pour que cesse un jour cette mascarade qui se réclame des coutumes ancestrales, mais qui n’a plus – au sens humain du terme – aucune légitimité. »[107]

Dans les dernières pages du livre, Djura s’adresse directement à toutes celles, pour qui elle a écrit l’histoire de sa vie. Ce sont d’abord sa mère et toutes les autres femmes « mariées de force, obligées de subir les colères brutales de leurs compagnons »[108], mais également toutes les filles qui sont reniées, tuées ou mariées de force par leurs familles. Il y a aussi les immigrées qui lui racontent leurs histoires, leurs vies entre le racisme et les obligations de leurs traditions. Comme elle, en tant que chanteuse, n’a pas le droit de donner des concerts en Algérie, elle espère de pouvoir un jour y rentrer pour chanter tilleli, la liberté – la liberté d’opinion et d’expression et la liberté de choisir ses amis et amours sans s’occuper de leur nationalité ou de leur religion. Finalement, elle essaye d’aider tous les enfants, quelle que soit leur origine, de ne pas avoir peur de l’Autre et de la différence, ce qui crée la haine et le racisme.

En 2000, elle s’est remise à chanter et a sorti un nouvel album, Adventure of Afropea. Son dernier album Uni-vers-elles a paru en 2002.

Djura continue à se consacrer au féminisme algérien, contre le code de la famille en Algérie qui restreint toujours les droits de la femme[109] et l’influence de l’islam sur les femmes. « On goudronne toujours les jambes de celles qui ne veulent pas porter le voile. Les filles sont harcelées. »[110] Elle participe au collectif "20 ans Barakat !", ce qui veut dire "20 ans ça suffit"[111], un groupe de femmes artistes qui luttent contre le code de la famille et pour le rétablissement des droits de la femme. En plus, elle était la marraine de la manifestation des jeunes filles d'origine étrangère, présentée sous forme de la "Marche des femmes contre les ghettos et pour l’égalité" du mouvement "Ni Putes, ni Soumises" qui a eu lieu du 1er Février au 8 mars 2003 à travers la France.

Comme beaucoup d’autres enfants d’origine étrangère, elle a vécu un « conflit de cultures et de générations »[112], elle essayait de se « faire plus européenne [qu’elle ne l’était]»[113] pour faire face au racisme contre les Arabes. Quand son père a décidé de la marier "à l’algérienne", elle a pensé au suicide, mais elle a réussi à se libérer du contrôle de son père et de son frère. Après un séjour décourageant en Algérie, pendant lequel elle cherchait son identité, et des relations amoureuses avec des Français, elle est enfin parvenue à trouver un équilibre entre les deux cultures. Elle aime toujours son pays natal, se sent algérienne et transmet un peu de sa culture d’origine en portant des vêtements traditionnels et en chantant en kabyle. Mais elle lutte pour obtenir les libertés d’une femme européenne : elle ne porte pas le voile, elle a choisi elle-même ses études et elle vit avec des hommes non musulmans. Cette équilibre se retrouve également dans ses chansons : « J’étais au carrefour de deux cultures, je pouvais enrichir mes créations de ces réalités ».[114]

Djura a commencé son livre Le voile du silence avec la description du jour où elle et son ami Hervé sont attaqués par son frère et sa nièce, parce qu’elle est enceinte d’un non musulman. Quand elle est à l’hôpital, le temps de la narration change et elle raconte sa vie, en commençant par son enfance à Ifigha, en Kabylie, où elle est élevée par sa grand-mère. Le lecteur retrouve une description assez détaillée du paysage et de la vie quotidienne dans le village, surtout celle des femmes. En 1954, alors que son père Saïd était déjà parti en France depuis trois ans, elle quitte le village avec sa mère, ses frères et sœurs. A Paris, ils vivent d’abord pendant deux ans dans une petite chambre d’hôtel avant de déménager dans le baraquement d’un quartier qui est habité en majorité par des Maghrébins attachés à leurs traditions. Les femmes ne sortent pratiquement jamais et les enfants vivent principalement dans les rues, sachant qu’à la maison, ils seraient exposés à la violence des pères. Saïd ne déroge pas à la coutume ; une attitude qui se renforce quand il rentre d’Algérie où il a été expédié pour trois ans après la Guerre d’Algérie comme beaucoup d’autres membres du Front de Libération Nationale algérien (FLN).

Djura remplit les tâches d’une fille maghrébine à la maison, elle fait le ménage et s’occupe de ses petits frères et sœurs. En 1964, la famille déménage une fois de plus pour vivre dans une cité à la Courneuve et l’alcoolisme et la violence du père s’aggravent de plus en plus.

Après une tentative de suicide, la vie de Djura prend une nouvelle direction plus prometteuse quand elle s’inscrit à une école de spectacle où elle prend des cours de piano, de danse et de théâtre. Cependant, quand ses parents apprennent quel genre d’école leur fille fréquente, ils lui interdisent de jouer dans des films et même de devenir réalisatrice, c’est pourquoi elle commence des études de droit.

Quand son père décide de la marier avec un lointain cousin, elle demande l’aide à son frère Mohand. Celuici a épousé la meilleure amie française de Djura, Martine, et se montre coopératif, contrairement à son père qui refuse de revenir sur sa décision. Donc, les trois jeunes gens choisissent de partir en Algérie pour y trouver du travail. Le père l’accepte finalement sous condition que Mohand se porte garant de sa sœur. Arrivés à Ifigha, les deux filles sont obligées de s’adapter aux coutumes algériennes et Mohand adopte de plus en plus le rôle de l’homme maghrébin autoritaire. Un jour, Mohand leur présente un ami français, Olivier, qui leur offre la possibilité de vivre dans son appartement à Alger. Dans la capitale, les filles trouvent un emploi dans un hôpital, Mohand leur ayant interdit de travailler pour la radio. Mais quand il les surprend seules avec Olivier, il soupçonne Djura d’avoir une relation amoureuse avec celui-ci et enferme sa sœur pendant cinq mois en la privant de tout contact avec ses amis. Djura demande l’aide de son père qui vient à Alger pour vérifier, si elle mène une vie honorable. Le fait qu’elle soit seule dans un appartement sans être surveillée par son frère le rend furieux et il l’emmène à Paris où elle se retrouve également enfermée.

Olivier la retrouve et, avec l’aide de sa mère, Djura réussit à le voir en cachette. Mais leurs plans de mariage échouent à cause du refus de Saïd. Elle ne supporte plus la vie avec son père et s’enfuit de la maison. Elle ne le revoit qu’une seule fois quelques années plus tard pour essayer de se réconcilier avec lui, ce qui n’est pas possible. Peu de temps plus tard, ses parents se séparent et sa mère s’enfuit avec cinq de ses enfants pour vivre dans un appartement trouvé par Djura et Olivier. Djura travaille dur pour pouvoir payer les frais de sa famille, sa mère ne pouvant pas travailler à cause des enfants trop petits. Elle se charge aussi de l’éducation de ses frères et sœurs qui ont des problèmes psychologiques et, le soir, elle suit des cours à une école de cinéma avec Olivier. Comme ils veulent tourner un reportage sur l’architecture algérienne, ils rentrent en Algérie où ils sont accueillis par Mohand qui agresse de nouveau sa sœur. Finalement, elle réussit à fuir avec son ami, mais ils restent en Algérie pour réaliser le film Ciné-Cité qui connaît un grand succès. En 1974, Olivier et Djura se séparent mais continuent leur travail ensemble. Pendant les préparatifs du film Ali au pays des merveilles, elle rencontre Hervé Lacroix qui l’encourage à chanter elle-même la musique du film. C’est ainsi que sa carrière de chanteuse commence et qu’elle tombe amoureuse de cet homme qui « [aime] passionnément l’Algérie ».[115] Elle fonde avec sa sœur Fatima et une de ses tantes maternelles le groupe Djurdjura dont la première représentation est déjà un succès. Malgré plusieurs changements de chanteurs, tous membres de sa famille, le triomphe de Djurdjura continue et Djura peut acheter une maison plus grande pour sa famille.

[...]


[1] Aïcha Benaïssa / Sophie Ponchelet: Née en France – Histoire d’une jeune beur, Éditions Payot, Paris, 1990, p.15

[2] Des termes et expressions comme culture, socialisation, identité, conflit culturel etc. seront définis dans le premier chapitre du travail.

[3] La Turquie sera considérée comme Etat asiatique étant donné que la plus grande partie de sa superficie fait géographiquement partie de l’Asie.

[4] Terme utilisé par exemple par Yasemin Karakasoglu et Berrin Özlem Otyakmaz qui publie même les résultats de ses interviews sous ce titre (1995).

[5] Pour plus d’informations sur les caractéristiques de la littérature d’immigrés et de beurs, cf. chapitre 4.1.

[6] André Akoun, Pierre Ansart : Dictionnaire de Sociologie, Le Robert/Seuil, 1999, p.125

[7] Idem : Dictionnaire de Sociologie, p.126

[8] Marie Claude Bernard : Geert Hofstede : “Vivre dans un monde multiculturel“, http://www.cnam.fr/lipsor/dso/articles/ fiche/hofstede.html

[9] Cf. Geert Hofstede : Lokales Denken, globales Handeln – Kulturen, Zusammenarbeit und Management, Verlag C.H.Beck, München, 1997 ; Geert Hofstede : What are Geert Hofstede’s five Cultural Dimensions?, http://www.geert-hofstede.com/index.shtml et Centre canadien de télédétection : Formation en géomatique dans un environnement interculturel,

http://www.ccrs.nrcan.gc.ca/ccrs/learn/tutorials/geotraining/differ_f.html

[10] Cf. Hofstede : Lokales Denken, globales Handeln, p.69

[11] Cf. Dirk Böckenhoff, Jörg Pfannenberg : Interkulturelle Kommunikation – Zukunftsaufgabe für Kommunikationsmanager, http://222.jppr.de/newsimages/intKom.pdf

[12] Akoun / Ansart : Dictionnaire de Sociologie, p.288

[13] Id., p.481

[14] Riva Kastoryano : La France, l’Allemagne et leurs immigrés : négocier l’identité, Armand Colin / Masson, Paris, 1996, p. 35

[15] Akoun / Ansart : Dictionnaire de Sociologie, p.40

[16] Cf. Kastoryano : La France, l’Allemagne et leurs immigrés, p.33

[17] Akoun / Ansart : Dictionnaire de Sociologie, p.2

[18] Akoun / Ansart : Dictionnaire de Sociologie, p.365/66

[19] Id., p.559

[20] Cité selon Ümit Öztoprak : Werteorientierung türkischer Jugendlicher im Generationen- und Kulturvergleich. – Eine empirische Studie. in Jürgen Reulecke (éd.): Spagat mit Kopftuch – Essays zur deutsch-türkischen Sommerakademie, Edition Körber-Stiftung, Hamburg, 1997, p. 418-454, ici p. 421/422

[21] Cf. Hofstede : Lokales Denken, globales Handeln, p.9

[22] Akoun / Ansart : Dictionnaire de Sociologie, p.264 ; cf. également Hartmut Esser, Jürgen Friedrichs (éd.) : Generation und Identität – Theoretische und empirische Beiträge zur Migrationssoziologie, Westdeutscher Verlag, Opladen, 1990, p.15/16

[23] Cf. Pia Weische-Alexa : Sozial-kulturelle Probleme junger Türkinnen in der Bundesrepublik Deutschland – mit einer Studie zum Freizeitverhalten türkischer Mädchen in Köln, Diplomarbeit an der PH Rheinland, Köln, 4. Auflage, 1982, p. 31/32

[24] Id., p. 33

[25] Saïd Bouamama, Hadjila Sad Saoud : Familles maghrébines de France, Desclée de Brouwer, Paris, 1996, p.87

[26] Id. p. 147

[27] Cf. entre autres des œuvres de Silke Riesner (1990), Berrin Özlem Otyakmaz (1995), Sandrine Gaymard (2003) et Guénif Souilamas (2000)

[28] ¤lhami Atabay: Zwischen Tradition und Assimilation Die zweite Generation türkischer Migranten in der Bundesrepublik Deutschland, Lambertus-Verlag, Freiburg im Breisgau, 1998, p.19

[29] Comme l’Allemagne cherchait des ouvriers forts et sains, les hommes devaient se soumettre à des examens médicaux. Ils se sentaient souvent humiliés non seulement parce qu’ils avaient l’impression de ne pas être considérés comme des êtres humains, mais aussi parce qu’ils étaient obligés de se déshabiller devant des médecins féminins. Cette procédure contredisait complètement leurs propres valeurs. (Informations reçues de M. Koenen de l’association Bariş – Leben und Lernen e.V. Völklingen)

[30] Cf. Bernard Falga, Catherine Wihtol de Wenden, Claus Leggewie (éd.) : Au miroir de l’autre – De l’immigration à l’intégration en France et en Allemagne, bibliothèque franco-allemande, Les éditions du cerf, Paris, 1994, p.274

[31] Cf. Klaus Manfrass : Türken in der Bundesrepublik – Nordafrikaner in Frankreich, Bouvier-Verlag, Bonn, 1991, p.3-4

[32] L’ethnie est l’ « ensemble formé par des individus que rapprochent un certain nombre de caractères de civilisation (langue, culture…). »

(Akoun / Ansart : Dictionnaire de Sociologie, p.196)

[33] Les immigrants d’autres nationalités comme des Maghrébins ou des Européens de l’Est étaient évidemment concernés également, mais ils étaient beaucoup moins nombreux que les Turcs. En plus, le conflit économique et social de la deuxième moitié des années 70 en Turquie et le projet du gouvernement allemand de diminuer les allocations familiales pour les enfants restés en Turquie renforçaient le regroupement familial. (cf. Falga et al. : Au miroir de l’autre, p. 101)

[34] Cf. Manfrass : Türken in der Bundesrepublik – Nordafrikaner in Frankreich, p. 1

[35] Cf. Ausländer in der Bundesrepublik Deutschland nach den häufigsten Staatsangehörigkeiten am 31. Dezember 2002, http://www.integrationsbeauftragte.de/download/datentab3.pdf , tableaux 3

[36] La ségrégation es la « pratique de séparer des habitants à partir de critères sociaux tels que la nationalité, la race o l’ethnie. » (Akoun / Ansart : Dictionnaire de Sociologie, p. 475)

Quant aux sociétés turque et maghrébines, il existe également une ségrégation des lieux selon le sexe.

[37] Cf. Manfrass : Türken in der Bundesrepublik – Nordafrikaner in Frankreich, p.55

[38] Dans ce travail, le terme « communauté » ne sera pas utilisé dans son sens institutionnel, la communauté sera plutôt comprise comme un groupement de parents, amis et voisins de même origine.

[39] Cf. p.ex. Renan Demirkan : Schwarzer Tee mit drei Stück Zucker, Kiepenheuer und Witsch, Köln, 2003, p.40

[40] Cf. Manfrass : Türken in der Bundesrepublik – Nordafrikaner in Frankreich, p. 71

[41] Contrairement à l’école laïque française, l’enseignement religieux fait partie du cursus scolaire en Allemagne.

[42] Cf. Burhan Kesici, interviewé par Khalil Breuer : Islamischer Religionsunterricht wird ausgeweitet, http://www.enfal.de/ak16.htm et

Özcan Mutlu : Islamischer Religionsunterricht im Schuljahr 2003/2004, Anfrage an Klaus Böger, Senator für Bildung, Jugend und Sport, http://www2.oezcanmutlu.de/uploads/k1511262.pdf

[43] Cf. Emmanuel Todd: Le destin des immigrés – Assimilation et ségrégation dans les démocraties occidentales, Editions du Seuil, Paris, 1994, p. 182

[44] Ce sujet sera abordé plus détaillé au chapitre 5.2.1.

[45] Information reçue de M. Diverneresse de l’ALEA, Limoges-Beaubreuil

[46] A partir des années 70, les Portugais prenaient la première place de la liste des personnes étrangères. Aujourd’hui, le nombre d’Algériens et de Portugais en France est presque le même.

[47] Chiffres jusque dans les années 70 : Manfrass : Türken in der Bundesrepublik – Nordafrikaner in Frankreich, p.10/11 ;

chiffres à partir des années 80 : Population immigrée ou de nationalité étrangère depuis 1982, http://www.ined.fr/population-en-chiffres/france/index.html

[48] Cf. Manfrass : Türken in der Bundesrepublik – Nordafrikaner in Frankreich, p. 13

[49] Dans ces cités vivent également des Français dits “de souche“, mais la majorité des habitants est d’origine étrangère et notamment maghrébine.

[50] Cf. Gérard Noiriel : Atlas de l’immigration en France – Exclusion, intégration…, Editions Autrement, Paris, 2002, p. 31

[51] Cf. Françoise Mozzo-Counil : Femmes maghrébines en France – « Mon pays, c’est ici. Mon pays, c’est là-bas. », Chronique Sociale, Lyon, 1987, p. 12

[52] Martine Muller : La famille maghrébine en France, in Magali Morsy (ed.) : Les Nord-africains en France, Le Centre des Hautes Etudes sur l’Afrique et l’Asie Modernes, Paris, 1984, p.71-81, ici p. 74

[53] Cf. Alec Hargreaves : Immigration and Identity in beur fiction – voices from the North African Community in France, Berg French Studies, Oxford / New York, ²1997, p.75

[54] Philippe Lejeune : Le pacte autobiographique, Editions du Seuil, Paris, 1975, p.14

[55] Cf. Hargreaves : Immigration and Identity in beur fiction, p.57 et 99

[56] Cf. Amrei Probul : Immigrantenliteratur im deutschsprachigen Raum : ein kurzer Überblick, R.G.Fischer Verlag, Frankfurt am Main, 1997, p.22

[57] Cf. id. : Immigrantenliteratur im deutschsprachigen Raum, p.15-17

[58] Cf. Heidi Rösch : Migrantenliteratur im interulturellen Konzext : eine didaktische Studie zur Literatur von Aras Ören, Aysel Özakin, Franco Biondi und Rafik Schami, IKO – Verlag für Interkulturelle Kommunikation, Frankfurt am Main, 1992, p.205/206

[59] Cf. Heidrun Suhr : „Heimat ist, wo ich wachsen kann“ – Ausländerinnen schreiben deutsche Literatur, in Yoshinori SHICHIJI (éd.) : Sektion 14 Emigranten- und Immigrantenliteratur. Akten des VIII. Internationalen Germanistenkongresses Tokyo 1990 : Begegnungen mit dem Fremden : Grenzen – Traditionen – Vergleiche, Band 8, iudicium Verlag, München, 1991, p. 71-79, ici p.72

[60] Yüksel Pazarkaya : Die Heimat ist in mir, cité selon Nilüfer Kuruyazıcı : Stand und Perspektiven der türkischen Migrantenliteratur unter dem Aspekt des ‚Fremden’ in der deutschsprachigen Literatur, in Yoshinori Shichiji (éd) : Sektion 14 – Emigranten- und Immigrantenliteratur., p.93-100, ici p.94

[61] Orhan Murat Arıburnu : Diese Herz gehört euch, cité selon Kuruyazıcı : Stand und Perspektiven der türkischen Migrantenliteratur, p.94

[62] Kuruyazıcı : Stand und Perspektiven der türkischen Migrantenliteratur, p.95

[63] Probul : Immigrantenliteratur im deutschsprachigen Raum, p.42/43

[64] Alev Tekinay : Grenzgängerin oder der Schmerz-Baum, cité selon Suhr : Heimat ist, wo ich wachsen kann, p.71

[65] Cf. Suhr : „Heimat ist, wo ich wachsen kann“, p.74

[66] Alev Tekinay, cité selon Kuruyazıcı : Stand und Perspektiven der türkischen Migrantenliteratur, p.98

[67] Cf. Suhr : „Heimat ist, wo ich wachsen kann“, p.75

[68] “Beur“ vient du mot “arabe“, inversé deux fois en verlan, l’argot codé des jeunes qui inverse les syllabes des mots : la première inversion donnait le mot “rebeu“ qui devient dans une deuxième inversion le terme “beur“. Venu des banlieues parisiennes, ce langage, dont les termes les plus courants sont par exemple “chébran“ pour “branché“, “keum“ pour “mec“, “meuf“ pour “femme“ ou “kebla“ pour “black“, a traversé la France et apparaît souvent dans les romans beurs.

(Michel Laronde : Autour du roman beur – Immigration et Identité, Editions de l’Harmattan, Paris, 1993, p.52/53

[69] Laronde : Autour du roman beur, p.19

[70] Id, p.22 et 26

[71] Cf. Adelheid Schumann : Zwischen Eigenwahrnehmung und Fremdwahrnehmung : Die Beurs, Kinder der maghrebinischen Immigration in Frankreich, IKO – Verlag für Interkulturelle Kommunikation, Frankfurt am Main, 2002, p.12

[72] Bouzid : La marche, traversée de la France profonde, cité selon Hargreaves : Immigration and Identity in beur fiction, p.55/56

[73] Cité selon Schumann : Zwischen Eigenwahrnehmung und Fremdwahrnehmung, p.179

[74] Bouzid: La marche, traversée de la France profonde, cité selon Hargreaves : Immigration and Identity in beur fictio, p.56

[75] Sakinna Boukhedenna : Journal ‘nationalité : immigré(e)’, cité selon Hargreaves : Immigration and Identity in Beur fiction, p.228

[76] Id., p.54

[77] Cf. Hargreaves : Immigration and Identity in beur fiction , p.172

[78] Cf. Schuman : Zwischen Eigenwahrnehmung und Fremdwahrnehmung, p.198

[79] « L’ endogamie est l’obligation pour l’individu de choisir son conjoint dans le groupe auquel il appartient. Il peut s’agir de groupes de parentes (mariages préférentiels entre cousins parallèles), de groupes territoriaux (tels des isolats géographiques) ou de groupes dont les individus ont le même statut social (endogamie de caste). »

L’exogamie, en contrepartie, est « l’interdiction d’épouser une personne appartenant à son propre groupe de parenté (ligne, clan) ou bien à son groupe local (exogamie de village) ou à un groupe de statut social identique. »

(Akoun / Ansart : Dictionnaire de sociologie, p.183 et 184)

Dans le contexte multiethnique, les deux termes se réfèrent surtout à la même religion et, quant à l’endogamie, souvent à la même origine territoriale.

[80] Cf. Schumann : Zwischen Eigenwahrnehmung und Fremdwahrnehmung , p.167-192

[81] Cf. id., p.199

[82] Boukhedenna : Journal ’nationalité : immigré(e), cité selon Hargreaves : Immigration and Identity in beur fiction, p.93

[83] Laronde : Autour du roman beur, p.149

[84] Boukhedenna : Journal ’nationalité : immigré(e), cité selon Laronde : Autour du roman beur, p.147

[85] Laronde : Autour du roman beur, p.149

[86] Mehdi Charef : Le Thé au Harem d’Archi Ahmed, cité selon Laronde : Autour du roman beur, p.148

[87] Cf. Schumann : Zwischen Eigenwahrnehmung und Fremdwahrnehmung, p.224

[88] Beur FM a été fondé en 1989 par Nacer Kettane, un jeune Beur d’origine algérienne, à Marseille d’où il s’est répandu dans plusieurs villes françaises : « Beur FM, radio communautaire à vocation généraliste, est laïque et indépendante. Sa langue d’expression est le français, même si des émissions en langue arabe et en langue berbère poncturent ses programmes. Radio des Maghrébins en France, elle constitue un “territoire culturel“ dans lequel beaucoup de reconnaissent. »

(Radio Beur – http://www.beurfm.net/rubrique.php3?id_rubrique=45)

[89] Cf. Schumann : Zwischen Eigenwahrnehmung und Fremdwahrnehmung, p.84, 88 et 91

[90] Ingeborg Prior : Porträt – Renan Demirkan, Schauspielerin und Autorin, http://www.goethe.de/in/d/frames/pub/kc/d/kc9801-portrait.html

[91] Renan Demirkan: Schwarzer Tee mit drei Stück Zucker, p. 132

[92] Demirkan, p. 15

[93] Id., p. 8

[94] Id., p. 139

[95] cf. Hennamond als Grandwanderung in Rosenheimer AZ, 07 mai 2002 - http://www.fatmab.de/presse/gratwanderung.html

[96] Cf. Till-R. Stoldt : Heirate ihn oder stirb! in: Welt am Sonntag, 13 juillet 2003 - http://www.fatmab.de/presse/heirate.html

[97] Abgründe tun sich auf beiden Seiten auf in Leverkusener AZ, 06 juin 2002 - http://www.fatmab.de/presse/abgruende.html

[98] Cf. Frauentag in Limburg – Spagat zwischen zwei Kulturen in Nassauische NP, 09 mars 2002 - http://www.fatmab.de/presse/limburg.html

[99] Fatma B. : Hennamond – Mein Leben zwischen zwei Welten, Ullstein Taschenbuchverlag, München, ³2002, p. 8

[100] Fatma B. p. 103

[101] Fatma B. p. 140

[102] Id., p. 223

[103] Djura : Le voile du silence, Édition Michel Lafon, 1990, p. 129

[104] Id., p. 130

[105] David Cadasse : Quand Djura chante, http://www.djazair2003.org/actu.php?art=15

[106] Djura, p. 142

[107] Id., préface

[108] Djura, p. 173

[109] Les défenseurs des droits de femmes reprochent à ce Code civil entre autre les articles suivants :

- pour conclure un mariage, la femme même majeure doit avoir un tuteur matrimonial (article 11)

- l'épouse " doit obéir à son mari et lui accorder des égards en sa qualité de chef de famille "(article 39)

- une femme ne peut pas demander le divorce (sauf situation très particulières, (article 53) ou bien elle

doit payer pour " racheter sa liberté (article 54) ; elle ne peut garder le logement familial (article 52) si

l'époux prend la décision d'un divorce unilatéral

- une femme ne peut épouser un non musulman alors qu'un homme peut épouser une non musulmane

(article 31)

(Algérie, le code de la famille, vingt ans barakat!, http://famalgeriennes.free.fr/declarations/APEL_decl_111203.html)

[110] Frédéric Thore : Djura : »Le combat continue », in Journal de la Haute Marne, 04 mars 2004 - http://www.journaldelahautemarne.com/news/archivestory.php/aid/4648/Djura : %ABle_combat_continue%BB.html

[111] Thore : Djura

[112] Djura, p. 54

[113] Djura, p. 61

[114] Id., p. 129

[115] Djura , p.124

Fin de l'extrait de 176 pages

Résumé des informations

Titre
La situation sociale de femmes issues de l'immigration dans les sociétés occidentales :
Université
Saarland University
Note
1,7
Auteur
Année
2005
Pages
176
N° de catalogue
V41624
ISBN (ebook)
9783638398510
Taille d'un fichier
1338 KB
Langue
français
Citation du texte
Julia Mertke (Auteur), 2005, La situation sociale de femmes issues de l'immigration dans les sociétés occidentales :, Munich, GRIN Verlag, https://www.grin.com/document/41624

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