Les limites entre l’institution et l’intimité. Le vécu des familles ayant un malade soigné à domicile


Travail de Recherche, 2013

76 Pages


Extrait


Table des matières

Résumé

Abstract

Resumen

Mots clefs

1. Introduction

2. L’histoire du soin à domicile.
2.1 Le soin psychique à domicile

3. Les théories sur le soin à domicile
3.1 Le privé, l’intime, l’institutionnel et le public
3.2 L’intervention au domicile
3.3 La contretransférence chez le professionnel
3.4 Les figures
3.5 Les objets dans le cadre thérapeutique de L’HAD
3.6 L’importance du rôle de la famille dans le traitement d’un patient
3.7 L’expérience du Québec

4. Problématique et hypothèse

5. La Méthodologie
5.1 La psychanalyse et la recherche
5.2 L’éthique
5.3 L’entretien et la guide thématique
5.4 La population

6. Les Résultats
6.1 Eliana 24 ans
6.2 Eva 19 ans
6.3 Milena 27 ans
6.4 Maria 23 ans

7. Conclusion: Les risques du soin à domicile et les éléments pour y faire face.
7.1 Le regard de l’étranger sur l’intimité
7.2 Etre coupable du problème familial.
7.3 Le pouvoir des institutions dans l’intimité.
7.4 Dévoiler l’intimité; le sujet inconnu.
7.5 La perte des limites.
7.6 L’incompréhension

8. Bibliographie

Résumé

Le soin à domicile est une alternative à l’hospitalisation ou au placement en institution spécialisée dont le patient reçoit le soin chez-lui. La plupart des recherches sur les soins à domicile sont axées sur le rôle et l'expérience des professionnels. J’ai porté mon intérêt du côté de la famille ; en conséquent, j’ai fait une recherche exploratoire dont l'objectif est de de déterminer comment les familles ayant un malade soigné à domicile ont vécu leur situation durant ce processus.

L’approche psychanalytique utilise une forme d’analyse du discours appuyée sur le repère des mécanismes de défense et associations inconscientes qui m’ont permis d’accéder à un contenu plus profond que le discours manifeste des personnes interviewées. L’objectif est de rendre compte du vécu des familles ayant un proche soigné à domicile et évaluer ce vécu au regard des mécanismes de défense en jeu.

J’ai utilisé des entretiens semi-directifs, qui m’ont permis de laisser un peu plus librement le discours de ces personnes. Les sujets étudiés sont 4 personnes ayant un proche soigné à domicile.

Les résultats m’ont permis de repérer six risques dans le soin à domicile dont je propose des solutions pour y faire face.

AbstractHome care is an alternative to hospitalization or placement in a specialized institution where the patient receives care at home. Most researches on home care have been raised from the professional side and not from the family that receives this type of service. Consequently, I was interested in the experience and expertise of families in this clinical modality. I did an exploratory research about how people that receive health care at home had this experience.

Regarding the methodology, I used discourse analysis from psychoanalytic theory that allowed me to learn in a more profound way the experience of these people. My hypothesis was that there were unconscious processes that they realized how subject elaborated the introduction of a professional as a representative of an institution at home, as an intimate and private place. I used semi-directive interviews. Interviewed 4 people in various forms of home care. The results have permitted me to account for 6 risks of this method to the professional clinical and propose solutions to these risks.

ResumenLa atención a domicilio es una alternativa a la hospitalización o a la internación en una institución especializada, donde el paciente recibe la atención profesional en su casa. La mayoría de investigaciones sobre la atención a domicilio han sido planteadas desde el lado del profesional y no desde la familia que recibe este tipo de servicio. En consecuencia, me interesé por la vivencia y experiencia de las familias en esta modalidad clínica. Realicé una investigación exploratoria sobre la forma en que las personas que reciben una atención profesional en salud a domicilio han vivido esta experiencia.

Respecto a la metodología, utilicé el análisis del discurso desde la teoría del psicoanálisis que me permitió conocer de una forma más profunda la vivencia de estas personas. Mi hipótesis fue que había procesos inconscientes que daban cuenta de cómo el sujeto elaboraba la introducción de un profesional en tanto representante de una institución en su domicilio, como lugar íntimo y privado.

Utilicé entrevistas semidirectivas. Entrevisté a 4 personas en distintas modalidades de atención a domicilio. Los resultados me han permitido dar cuenta de 6 riesgos propios de esta modalidad clínica y proponer al profesional soluciones a estos riesgos.

Mots clefs

Soin à domicile, dynamique familier, discours, intime, public, institutionnel.

Keywords

Home care, familiar dynamics, discourse, privacy, public, institutional.

Palabras claves

Atención a domicilio, dinámica familiar, discurso, íntimo, público, institucional.

1. Introduction

Le soin à domicile est une alternative à l’hospitalisation ou au placement en institution spécialisée. Cette modalité de traitement est aujourd'hui effective pour un nombre croissant de pathologies comme les cancers, les maladies respiratoires, le diabète, la mucoviscidose ou les situations de dépendance comme le handicap (Macrez P. 2010).On peut constater que"la prise en charge des soins à domicile fait l’objet d’un intérêt croissant de la part des français. Bien qu'elle soit, selon une étude récente, peu structurée dans notre pays, la prise en charge des soins à domicile est un secteur en fort développement qui a pesé 29 milliards d’euros pour l’année 2007" (Ibid. 2010). Ce développement des soins à domicile semble être lié à l’allongement de la durée de vie et à l'augmentation des pathologies chroniques lourdes. (Ibid. 2010) A l’opposé, les pratiques de soins à domicile, comme les soins psychiques, ont connu un grand développement ces dernières décennies. Il est donc nécessaire de s'interroger sur la nature des liens qu'entretiennent les spécialistes avec les patients mais aussi ceux que les malades entretiennent avec leurs familles. C’est dans ce phénomène de croissance que la revue Dialogue a consacré le numéro 12à ces pratiques, car il est " important de réfléchir aux évolutions théoriques et cliniques qui les sous-tendent et de s’interroger sur les enjeux spécifiques qui les traversent." (Roman P. & Scelles R. 2011).

Il existe divers points de vue dans différents corps de métier qui travaillent dans le soin des maladies somatiques ou psychologiques et qui s’accordent sur l'importance du rôle de la famille dans le processus thérapeutique d'un malade.C’est une des raisons pour lesquelles s’est développé le soin à domicile, ce qui montre les avantages depouvoir travaillerchez le patient. Il y a bien sûr une différence entre le domicile et la famille, mais on peut dire que parmi les raisons qui ont impulsé le soin à domicile, l’inclusion de la famille dans la thérapeutique est l’une d’entre elles (Bien qu’il y ait des thérapies qui ont inclus les familles sans se référer au domicile). Le soin à domicile s’impose alors comme une nouvelle clinique formant des liens sociaux entre l’institution médicale, le patient, son espace domestique et sa famille.Je propose de faire une recherche sur le vécu familiale qui peut se refléter dans le discours des familles participant à cette modalité thérapeutique.

Tout d’abord, je souhaite présenter le soin à domicile d’un point de vue historique pour passer ensuite à une revue littéraire sur le lien entre le soin à domicile et les approches théoriques qui ont envisagé l’inclusion de la famille dans le processus thérapeutique. Ensuite j’exposerai la méthodologie utilisée dans cette recherche. Pour finir je dévoilerai les résultats et conclusions de la recherche.

2. L’histoire du soin à domicile.

Premièrement, je voudrais définir le concept du domicile. C’est un concept surgi du terme latin domus définissant le lieu où habite une personne, mais aussi le point fixe où les intérêts d'une personne la ramènent régulièrement. Le domicile peut donc être le lieu où habite une personne, mais aussi, selon différents auteurs, l’école ou le centre de loisir d’un enfant.

En France, le soin à domicile s´est développé peu à peu, sous l´influence de ses voisins. En Belgique en 1972, le regroupement des médecins, infirmiers, kinésithérapeutes et autres professionnels insatisfaits de leurs conditions de travail donne lieu dans des maisons médicales à de nouvelles formes de relations entre professionnels et patients. Ces maisons étaient un mouvement de contestation face à des non-conformités avec le modèle hospitalier. Au début des années soixante-dix, à Havelange et à Braine-le-Château, deux expériences de coordination de services et de soins à domicile sont mises en place. Dans ces expériences, un groupe de différents professionnels ouvrent des espaces pour réfléchir sur leur pratique professionnelle; pouvoir ainsi offrir un meilleur service aux patients et éviter les hospitalisations. (Lemaire G, 2003)

« En 1989, le Conseil de la Communauté française vote un décret organisant l'agrément et le subventionnement des centres de coordination de soins et services à domicile. L'agrément est lié à l'existence d'une coordination entre trois services de base (soins infirmiers, aides familiales et service social) et au moins quatre des services suivants : kinésithérapie, biotélévigilance, prêt de matériel, soins dentaires, aménagement des locaux, ergothérapie, logopédie, pédicure, distribution de repas à domicile ; et enfin, le médecin généraliste, selon le libre choix du patient. Ce décret ouvre des perspectives intéressantes dans la mesure où le concept de santé n'est plus réduit au domaine strictement médical et où la notion de perte d'autonomie prévaut sur celle de pathologie. Quarante-quatre centres sont reconnus via ce décret en 1990. » (Lemaire G, 2003)

Ces changements sont l’issue de différentes cliniques « hors-murs » comme l'hospitalisation à domicile (HAD). Cette modalité est créée en 1947, à New York, par le Dr Bluestone de l'hôpital Montefiore, comme une forme de service d'extension de l'hôpital au domicile du patient. L'idée qui a accompagné la naissance de ce service aux États-Unis était de décongestionner les hôpitaux et d'offrir un service plus humain aux patients. Dans les années soixante, au Canada, des services d'HAD se sont ouverts à des patients ayant subi une chirurgie. Ce sont dans des hôpitaux de Montréal en 1987 que débuta une expérience appelée « hôpital extra-mural » qui avait pour but d´administrer et de contrôler des antibiotiques parentérales au domicile du patient.

En 1950, c'est le début d'une réflexion en France sur la possibilité de soigner les patients à domicile, en particulier ceux atteints de cancer. En Europe, l'hôpital de Tenon à Paris a été le premier à organiser une unité d'HAD en 1951. Plus tard en 1957, le service santé naît à Paris en tant qu’organisme non gouvernemental, pour offrir des soins à domicile à des patients chroniques, mais c'est seulement en 1970, par la loi hospitalière du 30 décembre, que l'HAD est reconnue officiellement comme alternative à l'hospitalisation traditionnelle en France. La Fédération Nationale des Etablissements d'Hospitalisation À Domicile a été créée en 1973.En 1974, la Caisse Nationale d'Assurance Maladie fixe les règles de fonctionnement des établissements d'HAD. Grâce à la loi du 31 juillet 1991, l'Hospitalisation à Domicile est reconnue comme une alternative à part entière à l'hospitalisation traditionnelle. (Rosangela et Col 2001)

Au Royaume-Uni en 1965, cette modalité clinique fut introduite sous le nom d´ «Hospital Care at Home» (Soins hospitaliers à domicile), en Allemagne et en Suède, il a fallu attendre jusqu'aux années soixante-dix et en Italie jusqu'au début des années quatre-vingt, pour que, sous le nom de « Ospedalizzacione a Domicilio », cette modalité puisse être introduite comme alternative à l'hospitalisation traditionnelle. Dès 1996, l'Organisme Mondial de la Santé coordonne le programme FromHospital to Home Health Care, qui a pour but de coordonner et de développer l'HAD en Europe. (Ibid.)

On peut constater que le développement de l'HAD a eu différentes causes ; aux États-Unis et en France, la cause principale qui a motivé cette modalité fut le besoin d'augmenter la disponibilité des lits aux hôpitaux et humaniser le soin du patient, mais dans d´autres pays, ce développement a plutôt été impulsé pour réduire les coûts. (Ibid.)

L’autre différence concerne les maladies pour lesquelles l'HAD a été proposé, les tumeurs et les maladies du système circulatoireétant les plus fréquentes.

Les 3 principales maladies associées à l’HAD dans différents pays(Rosangela et Col, 2001.)

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Malgré les différences entre les pays, ce qui reste semblable quant à l’HAD, c’est que le soin palliatif pour les personnes âgées ou atteintes de cancer occupe toujoursune place très importante dans cette modalité. (Ibid.)

2.1 Le soin psychique à domicile

Les pratiques de soins à domicile dans la psychiatrie se sont développées à l’intérieur d'un mouvement plus grand de désinstitutionnalisation et remise en cause du modèle asilaire qu'on pouvait constater en France grâce à la loi de 1960 dans le champ de la psychiatrie, mouvement qu'on doit contextualiser internationalement avec le mouvement de l’antipsychiatrie, où on cherchait à mener la psychiatrie en dehors des murs de l’hôpital (ibid.)

Roman et Scelles (2011) disent que ce bouleversement dans le champ de la psychiatrie a ouvert les portes à de nouvelles formes de relations avec le patient; les services extérieurs, la consultation ambulatoire, les dispositifs d’accompagnement en milieu ouvert, etc. Ces nouvelles formes de relation avec le patient vont actualiser la conception même de soins « là où, depuis les origines, les institutions de prise en charge éducative, sanitaire et /ou sociale reposent sur le modèle de l’internat…. C’est la notion même d’accueil qui se trouve transformée, retournée, pourrait-on dire, au décours des pratiques à domicile qui découlent de ce changement de paradigme » (ibid.) L’institution n’est plus celle qui va accueillir les patients, a contrario, les professionnels se font accueillir par leur patients.

Dans cette situation-là,je partage l’idée de Roman et Scelles (2011) sur l’importance de s'interroger sur l’effet de ce changement de paradigme sur les pratiques cliniques. De même, je respecte leur tentative de situer les enjeux des évolutions au regard des professionnels, des institutions et j’ajouterais aussi au regard des familles dans cette modalité.

Ces auteurs proposent deux éléments emblématiques de ce changement du paradigme: «d’une part, du point de vue des professionnels, la nécessité de se déloger des repères liés à ses murs, et d’autre part, du point de vue des personnes accueillies, la nécessité de composer avec la rencontre de l’intimité à laquelle convoque la pratique à domicile» (ibid.)

En résumé, nous pouvons dire que le soin à domicile est une alternative au placement dans une institution spécialisée, dont le processus de soin se déroule dans le domicile du patient. Nous avons vu qu’il existe différentes cliniques à l’intérieur du soin à domicile, par exemple, les soins palliatifs à domicile,l’hospitalisation à domicile, etc. Nous avons également montré que le soin à domicile s’est beaucoup développé au cours des dernières années grâce à des facteurs différents, parmi lesquels nous pouvons compter :

1. L’allongement de la durée de vie
2. Les difficultés du patient à se déplacer vers l’hôpital, comme les sujets handicapés.
3. Le but de décongestionner les hôpitaux
4. Faire des économies dans l’hébergement des patients

3. Les théories sur le soin à domicile

3.1 Le privé, l’intime, l’institutionnel et le public

Elian Djaoui (2011) montreque dès l’antiquité le domicile et le travail social ont été associés. Le domicile est alors considéré comme un lieu de soin. Avec la naissance de structures telles que l’hôpital et l’asile, celui-ci ne peut plus correspondre à unlieu de soin. D'autre part, le domicile apparaît lié à la sphère privée et à l’intimité. Il conserve les éléments que le sujet ne souhaite pas exposer aux regards étrangers.À cet égard, E. Djaoui établit une distinction entre les différents domaines : public, privé et intime, selon les caractéristiques etles pratiques sociales à l'œuvre dans chacun d’entre eux. Bien que cela paraisse opposé à la réalité, Djaoui explique que la demeure correspond, dans les représentations sociales, à un espace dévoué aux activités de soins, d’éducation, de convivialité, un espaceau sein duquel les relations interpersonnelles, ainsi que l'affection, y sont importantes. Il reconnaît les spécificités et les singularités de chaque domaine. Dans chacun, l'authenticité y est revendiquée et acceptée. Ces représentations sociales sont opposées à la réalité dans la mesure où, selon lui, « les violences physiques et psychiques sont transverses au groupe familial. L’authenticité est probablement, une illusion. Au sein de lafamille, chaque individu est également amené à porter des masques. » (Ibid.) L’intimité demeure malgré tout, dans les représentations sociales, comme un lieu de soin. Le domicile,expliqué par Djaoui,est l’espace privilégié pour prendre soin de soi et d’autrui. «Quand le domicile ne peut pas offrir des conditions satisfaisantes afin de prendre soin de l’individu (cadre de vie inadapté, violences intrafamiliales, pathologies graves, précarité sociale), des compétences extérieures doivent être sollicitées. Deux solutions sont possibles dans ce cadre-ci: soit des professionnels sont appelés dans le foyer pour soutenir les personnes vulnérables, soit la personne est placée dans un domicile de substitution avec toute l’aide nécessaire.» (Ibid.) Bien que contraire, aucune de ces deux démarches n’ignorentle rôle primordial du domicile comme espace du «prendresoin». Djaoui explique que le domicile représente le moteur de la cure.

Selon Moore (1999), la sphère domestique appartient à la sphère privée et constitue une sphère traditionnellement réservée aux femmes. Les hommes leur laissent les devoirs quotidiens, comme, l'éducation des enfants, le ménage, etc. Quant à Perrot (1997), il questionne les limites entre sphère privée et publique. Il explique que les femmes accèdent également à la sphère publique et que les hommes entrent dans la sphère privée. La distinction entre sphère privée et sphère publique peut ainsi s'établir, comme l'expliquent Perez et Godoy (2009), en s’appuyant sur l'opposition entre l'extérieur et l'intérieur.

Pierre Mayol (1999) propose une autre définition de la sphère domestique. Il compare cette sphère avec celle du travail. Elle correspond alorsà un espace de repos. Il distingue également le travail masculin de la sphère domestique considérée plutôtféminine. Mais comme l'expliqueIbañez, le domicile correspond aussi à un lieu de travail. Il définit ainsi le domicile comme un espace de production et de consommation (1994).

De Certeau et Giard (1999) expliquent que la qualité la plus importante de l’espace domestique est sa capacité à se transformer en un espace propre. Cet espace propre permettant l’expression de l’intimité.

À l’opposé, Elian Djaoui décrit les espaces publics comme des scènes où se jouent les mouvements qui affectent le corps social. Ils sont les lieux pour « les joutes politique, les aléas de la vie économique, les séductions de la vie mondaine » (2011). E. Djaoui poursuit en expliquant que les rapports sociaux, impulsés par la compétition, ont une forte charge de violence.La tendance de repli vers l’intimité peut alors s'expliquer par la recherche d’une échappatoire de cette violence.

3.2 L’intervention au domicile

Elian Djaoui (2011) perçoit l’intervention au domicile comme une gestion sociale de l’intimité. "Le domicile a un statut paradoxal, à la fois un sanctuaire de l’intimité et une catégorie de l’action sociale. Les politiques du domicile, la professionnalisation de la santé, la marchandisation du travail social, la marchandisation de l’intimité, tous ces phénomènes ont pour effet de remettre en question les limites entre espace intime, espace privé et espaces publics ". Le domicile correspondrait alors à une catégorie de l’action sociale car il est un outil majeur de gestion et d'administration des populations les plus défavorisées. E. Djaoui explique que les politiques de gestion à domicile sont soutenues par quatre logiques d’actions identifiables.

1. La logique curative: Il faut, autant que possible, maintenir la personne dans son milieu habituel de vie.Le placement est perçu comme une procédure d’expulsion et /ou de ségrégation. Cette logique permet ainsi à la personne âgée de continuer à vivre chez elle et de pouvoir échapper à la maison de retraite, ou encore à l'enfant en difficulté de pouvoir échapper à un foyer.
2. La logique de gestion: une logique visant à rentabiliser des actions de réduction de coûts.Des économies sont ainsi recherchées, notammentà travers l’hébergement et la gestion de professionnels.
3. La logique du local: Cette logique s’inscrit dans une volonté d’agir concrètement etau plus près des populations.
4. La logique de contrôle : travailler à l'intérieur de la sphère familiale, dans les sphères privées et liées à l’intimité. La sphère professionnelle décrit l'importance du pouvoir des institutions sur cette sphère liée à l’intimité.

La logique curative permet de distinguer les différentes approches théoriques qui ont cherché à prendre en compte la thérapie familiale, mais également le lieu d'habitat, c´est-à-dire l'ensemble de la sphère domestique ainsi que tous les éléments apparaissant quotidiens. Parmi ces différentes approches, on peut en distinguer deux. Tout d'abord, le mouvement de « l’antipsychiatrie » né au début des années 1960 aux États-Unis et en Europe de la critique de la relégation asilaire des malades mentaux, se concentre dans de grands hôpitaux psychiatriques. La thèse centrale de cette approche est que l'asile devrait disparaître et les malades retrouveraient tous leurs droits de citoyens dans une société pouvant les accueillir et prendre en compte leurs potentialités créatrices (Cooper, 1978). Selon certains auteurs de l'antipsychiatrie, ce serait l'institution asilaire psychiatrique qui créerait la «folie ». Ce serait donc en sortant le malade de l'hôpital et en travaillant chez luiqu'il serait possible de réinsérer le malade dans la société. Par ailleurs, les théories antipsychiatriques ont également amplement influencé une seconde approche, les « Thérapies systémiques familiales ». (Ibid. 1978) Dans ce cadre-ci, la « maladie mentale » est considérée comme un problème de communication dans le système familiale. Dès lors, prévenir les symptômes du malade reviendrait à travailler sur la famille comme système et non plus sur un individu isolé comme le faisait la psychiatrie.

La logique de contrôle qui prôneles interventions à domicile peut être vécue par la famille comme une intrusion dans son intimité. Mais cette intrusion peut être demandée. «La famille, dans l’incapacité de maitriser ses tensions internes ou de se défendre contre des agressions extérieures, fait appel à un professionnel qui fait fonction d’étayage ou de substitut d’un parent défaillant… L’opération est alors vécue non comme une violence, mais comme une reconnaissance»Elian Djaoui (2011).

On peutajouter un phénomène propre au soin à domicile développépar la psychologue clinicienne et psychanalyste Marie Line Lafay Amado.Elle cherche à montrer les enjeux transférentiels et contextuels impliqués dans la construction d’un dispositif de thérapie «mère-enfant» au domicile. Selon elle, «la situation de travail au domicile active et vectorise de façon prévalente des contenus fantasmatiques et une dynamique transféro/contre transférentielle dans le registre de l’oralité (intrusion, incorporation, dévoration, cannibalisme…)» (Lafay Amado, 2011)

L’importance du soin à domicile a été soulignée par différents auteurs parmi lesquelsMarthe Barraco De Pinto. Ellea cherché à montrer l’importance de la visite à domicile en psychiatrie pour le jeune enfant dans les familles en difficulté majeure. Barraco De Pinto explique que ces familles en difficulté majeure ne prennent guère l’initiative d’aller consulterun spécialiste.Le professionnel qui se déplace au domicile donne la possibilité de mieux connaitre la pathologie des interrelations précoces entre parents et enfants, ainsi que celle des liens entre la famille et les professionnels, permettant ainsi de la traiter plus aisément (Barraco De Pinto M, 2011).

3.3 La contretransférence chez le professionnel

Catherine Caleca et élise Joncheres, psychanalystes, soulignent un point important : des enjeux émotionnels peuvent s’exprimer chez les proches du patient (le sujet de ces professionnelles étant une personne âgée) suite à l’intrusion d’un professionnel au sein du domicile du patient. Ces enjeux, Peut-être éveillés par la réalité du cadre matériel et familial dans lequel le professionnel rencontre les patients, invitent le psychanalyste à les étudier psychiquement. (Caleca C. & Joncheres É., 2011). Caleca et Joncheres invitent donc à considérer les processus contre transférentiels du professionnel à domicile. Elles ont travaillé sur la notion du cadre d'intervention lorsque celui-ci se déroule à domicile, etsur son incidence sur les modalités du fonctionnement psychique de l’analyste.

La rencontre à domicile, évoquée par Caleca et Joncheres, est avant tout une rencontre avec un environnement rempli de données sensorielles, d'impressions parfois violentes, dont l’analyste a des difficultés à étudier. Cette étude devient encore plus difficile lorsque celle-ci ne se trouve plus au sein de l’institution et se retrouve doncen-dehors «du cadre classique de soin», ainsi que lorsque l'immergé se situe dans un nouveau cadre de soin ayant des limites peu claires. «La première rencontre avec un patient à domicile est d’abord une rencontre avec un environnement. Nous sommes assaillis par des perceptions, des sensations, des informations, des associations, de manière immédiate, condensée et parfois violente. Nous pénétrons aussi dans un espace privé où les codes de rencontres sociales engagent àun échange convenu, prenant la forme de préliminaires nécessaires à une mise en latence des excitations. Le thérapeute se trouve placé dans un statut incertain de visiteur/voyeur, il est mis en position de passivité réceptive et n’a pas concrètement la maitrise du cadre, de l’espace ni de la temporalité…Le domicile est en soi une mémoire, une biographie et un état civil, sa tenue donne à voir l’état psychique du patient, que ce soit sa propreté obsessionnelle, son incurie, son repli dépressif dans l’obscurité aux volets fermés. Mais s’agit-il d’un matériel interprétable d’emblée?» (Caleca C et Jonchere É, 2011).A cette question, les auteurs proposent deux réponses. Soit l’analyste prend ces données comme discours manifeste, soit il les nie afin de blanchir le cadre, comme le propose Green avec l'expression d'«hallucination négative». «L’hallucination négative» est une hallucination qui ne porte pas sur les représentations, mais sur les perceptions en les négativant, c’est la non-perception d’un objet. La réalité externe est désinvestie dans son pôle perceptif au profit de la réalité interne. C’est un mécanisme radical qui peut permettre au thérapeute de libérer le champ des représentations et de se dégager de l’emprise du réel. Dans sa pratique, il est vraisemblable qu’il fonctionne selon des mouvements psychiques oscillant et se modulant selon ces deux extrêmes: la prise en compte des données perceptives comme discours manifeste ou leur négativation.» (Ibid.)

3.4 Les figures

Pascal Roman, professeur de psychologie clinique et psychopathologue à l'Université de Lausanne (Suisse) est l'auteur de l’articule «Soins psychiques à domicile: des pratiques cliniques aux limites» (2011) dont il montre que «l es pratiques cliniques à domicile mobilisent, pour les professionnels et pour les sujets accueillis, des modalités particulières de lien».

Pascal Roman (2011) « propose d’explorer les modalités particulières de lien, à partir de l’hypothèse que» les institutions de pratiques de soin à domicile «s’organisent en appui sur un certain nombre defigures» qui traversent et organisent leurs théories du soin, leurs pratiques cliniques «à domicile» et leur lien qui se nouent à l’intérieur « de l’institution» et à l’extérieur. Il conceptualise les figures dans les institutions comme une tendance à traiter et à trouver des voies d’aménagement et/ou de résolution face à des situations spécifiques. Il a dégagé cinq figures qui se trouvent dans les institutions de soin à domicile.

1) La figure de l’otage traitant les enjeux liés à la violence,
2) La figure du sacrifice traitant les enjeux liés à l’idéal,
3) La figure de la perversion traitant la question de la différence,
4) La figure du désespoir traitant: La problématique de la perte
5) La figure du délogement traitant: les enjeux liés à la limite et à la séparation.Selon l’auteur, ces figures servent «à rendre compte d’un certain nombre de fonctionnements et /ou de dysfonctionnements au sein des institutions, dans le projet d’accueillir et de transformer les expressions de souffrance que l’on peut y observer. Dans cette mesure, il convient de penser ces figures de l’institution comme étant prises dans des formes d’emboîtements qui donnent sens à la complexité des liens qui se déploient dans l’institution ou à partir d’elle. Elles concernent aussi bien l’institution et ses différents acteurs professionnels que les personnes accueillies (enfants, adolescents, familles) dans la mesure où elles intéressent les liens.» (Ibid.)

La figure du délogement rend compte dans un plan métapsychologique des enjeux paradoxaux propres au soin à domicile. En d’autres termes, «il s’agit pour le professionnel d’aller à la rencontre de la discontinuité des processus pour s’y loger, dans un projet de liaison» (Ibid.)

P. Roman souligne que toute pratique de soin à domicile engage une modalité de lien spécifique «qui concerne tout à la fois le lien à l’enfant et à sa famille et le lien à l’équipe, lien que l’on peut identifier au travers de la figure du délogement.» (Ibid.) Cette pratique peut être saisie par deux couples d’opposition qui organisent une tension au sein des pratiques professionnelles à domicile.

1. Le couple professionnel/ privé ou public/ intimité : tout ce que nous avons précédemment étudié, obéit à cette opposition entre l'intimité et le public.
2. Le couple institutionnel/ non institutionnel : l’inscription institutionnelle de la pratique professionnelle vient se heurter sur la limite propre à une pratique hors de l'institution, au risque d’une perte des repères.

Bien queP. Roman ait dégagé ces hypothèses du côté de l’institution, on peut également observer les modifications qui engendrent la figure de délogementdans la famille vers laquelle ces pratiques de soin sont dirigées.

3.5 Les objets dans le cadre thérapeutique de L’HAD

[1] Jean Furtos dans son article « Hospitalisation à domicile en psychiatrie de secteur, Témoignage et élaboration d’une pratique à partir de vingt-trois ans d’expérience » (Furtos, 2011) travaille sur la spécificité du cadre de soin à domicile pour le professionnel. Il explique que, dans ce cadre particulier, le professionnel est appelé à analyser les problèmes identifiés. Furtos explique que l’analyste, au moment d’abandonner le cadre institutionnel, c'est-à-dire d’abandonner sa place assise et d'aller à la rencontre de l’autre dans son intimité et dans son domicile, trouve trois sortes d'objets auxquels il doit savoir faire face.

Premièrement, citons l’objet "maison", objet matériel qui est investi, organisé ou désorganisé et désinvesti par le sujet. C’est un objet rendant compte de l’intériorité du sujet, et selon Furtos, c’est un objet-lieu des projections du vécu du corps propre. À cet égard, l’auteur cite l’exemple des volets fermés qui peuvent représenter une fermeture de soi-même envers leprofessionnel.

Deuxièmement, il y a des objets concrets dans la maison. L’auteur prend l’exemple du café. Ilexplique que c’est souvent au moment où une tasse de café est donnée au professionnel que la période d’apprivoisement prend fin et que le patient reçoit alors réellement le professionnel chez lui. Mais Furtos explique que ce présent d’une tasse de café a une double signification. En effet,il s'agit également souvent d'une marque du début de l'établissement d'un lien de confiance. Le patient et le professionnel pourront alors communiquer au sujet d’éléments au-delà de la politesse rituelle imposée par l’absence de l’objet concret que représente «la tasse de café». De plus, l’absence de l’offre d’une tasse de café ou d’un présent exprime une certaine une hostilité. Mais l'excès d'offre tasses de cafés (ou d’un quelconque autre présent) témoigne d'une trop grande proximité qui aboutirait à nier la finalité thérapeutique, comme s'il s’agissait d’une relation amicale ou de nourrir les thérapeutes.

Enfin, viennent les objets vivants, «c’est-à-dire les personnes dans la maison. Il s’agit évidemment de la famille du patient.» Nous reviendront sur cette notion d'objets vivants au cours de la suite de cette dissertation.

3.6 L’importance du rôle de la famille dans le traitement d’un patient

L’importance d’éclaircir le vécu des familles ayant un proche soigné à domicile a été évoquée par plusieurs auteurs (Márquez et Col. 2010; Stengard et al., 2000; Caleca et Joncheres 2011; Martinez J. 2010; Moreno C. et Zambrano L. 2010; Solomon et al.; 1988 ; Ruggeri, 1994) mais peu d’études ont spécifiquement abordé le sujet (Gagnon et col. 2001; Perreault M 2002;Provencher et Dorvil, 2001).

Dans un premier temps je vais aborder les travaux des auteurs qui ont étudié l’importance du rôle de la famille dans le soin. Ensuite, j’introduirai les études qui ont spécifiquement exposé le point de vue des familles sur les services offerts aux personnes demandant une aide.

L’importance donnée au rôle jouant la famille dans le soin est abordée sous différentes approches. On peut ainsi en présenter quelques exemples:

En France on peut citer le travail de Martine Bungener (1997) intitulé «Trajectoires brisées, familles captives. La maladie mentale à domicile» dans lequel l’auteur se pose la question d’où et comment vivent les personnes atteintes de pathologies mentales lourdes et chroniques alors même que l'hôpital psychiatrique se recentre sur ses fonctions curatives et ne se définit plus comme un lieu de vie ? L’UNAFAM est une association de familles de malades mentaux qui a travers d’une enquête a essayé de répondre à cette question. «L'objectif des responsables de l'association était de mieux apprécier les situations respectives des malades et de leurs familles, et les difficultés auxquelles ils sont confrontés à partir de la connaissance du suivi médical et du lieu de vie actuel du malade, de son autonomie de vie domestique et des aides nécessaires à la vie quotidienne, des dispositions éventuellement prises pour l'avenir, cette approche devant permettre, dans un second temps, d'identifier des besoins et de proposer des solutions.» (Bungener M, 1997)

Le résultat le plus important de l’enquête est l'incapacité d’un grand nombre de personnes malades à avoir une activité professionnelle ou sociale, ce qui ne leur permet pas de mener une vie autonome dans un logement indépendant. L’auteur souligne queseulement moins d'un quart n’a pas besoin d'une aide pour la vie quotidienne. «Cependant, les trois quarts vivent habituellement au moment de l'enquête en milieu ordinaire, et un quart en institution médicale ou sociale, confirmant la prépondérance du maintien en milieu ordinaire de personnes médicalement et socialement dépendantes. L'aide qui leur est nécessaire à ce niveau leur est alors essentiellement fournie par leur entourage familial au travers d'un taux de cohabitation important. En milieu ordinaire, plus de 6 malades sur 10 vivent essentiellement avec leur famille, 4 fois sur 5 avec leurs parents ou l'un au moins d'entre eux. A défaut, ils sont suppléés par un autre membre de la famille, frère ou sœur, ou par le conjoint s'il y en a un. Le champ des interventions familiales en réponse à ce manque d'autonomie de leur proche est multiforme : aides à la vie quotidienne, c'est à dire aux fonctions de base que sont l'alimentation, l'hygiène individuelle et du lieu de vie, achats et déplacements, mais également aide à la gestion des actes administratifs, surveillance du suivi médical et médicamenteux et aide financière en complément des allocations perçues (allocations pour adultes handicapés principalement). Un soutien matériel et factuel ne saurait cependant suffire pour compenser le faible niveau de relations affectives et sociales de la plupart de ces personnes et leur famille tente aussi de leur apporter, un soutien affectif et moral régulier, voire quotidien. On retrouve ainsi un entourage familial en première ligne dans tous les actes de la vie, non seulement pour les gestes indispensables de la vie quotidienne mais aussi à la base des relations sociales et affectives, pour plus de 90% des personnes qui en ont besoin en milieu ordinaire, tandis que 14% peuvent disposer d'une aide rémunérée. La famille reste en outre souvent très proche de ceux dont l'autonomie de vie est mieux assurée et n'est pas absente non plus du réseau d'interventions qui entoure la plupart des personnes vivant habituellement en institution.» (Iibid.)

La dispensation concrète de cette aide multiforme et polyvalente est liée aux lieux et conditions de vie de chacun. On a pu ainsi identifier quatre situations auxquelles correspondent quatre formes distinctes de gestion de la maladie dans lesquelles malades, familles et entourage occupent certaines places et fonctions, et interviennent de façon particulière :

L’auteur conclut que la famille garantit, auprès de 57% de la population étudiée, des aides soutenues pour ses besoins indispensables et vitaux, accréditant le fait que, pour la part (75%) qui vit hors institution, le maintien en milieu ordinaire ne serait pas possible sans la forte implication de l'entourage familial (Ibid.).Selon l’auteur ces résultats permettent de concevoir l'inquiétude de la plupart des familles, de ce qui pourrait advenir au décès des parents ou de l'aidant principal, en l'absence de formules de relais. «On ne peut en outre négliger que la situation fréquente de cohabitation (qui s'inscrit dans une durée longue) apparaît très coûteuse à nombre de familles qui non seulement disent ne l'avoir pas souhaitée mais la ressentent comme imposée et subie, et qu'elle se traduit parfois par des attitudes de repli sur soi, des manifestations morbides ou d'agressivité réciproque.» (Ibid.)

Concrètement cette étude met en lumière les conséquences sur la vie des aidants familiaux

- modification des activités professionnelles (28%) dans le sens d'une restriction ou d'un accroissement pour faire face aux dépenses supplémentaires.
- réduction des activités sociales (51%)
- répercussions sur l'état de santé ; épuisement physique et moral, éventuellement à la suite d'un investissement total, trop grande proximité, stress. (Ibid.)

D’une autre coté , Furtos, comme nous avons pu le développer, considère que le soin à domicile est une topologie au sein de laquelle le professionnel rencontre les éléments du cadre spatio-temporel, se caractérisant par la présence d’objets domestiques comme le café, et d’objets vivants comme les membres de la famille.Cet auteur a notamment montré une partie des changements possibles dans la dynamique familière pendant l’HAD.Il prend l’exemple des enfants de patients à la pathologie lourde et chronique.Ce sont des enfants qui ont grandi eneffectuant des tâches de soin de leurs parents. Ce rôle attribué d’emblée entre en désaccord avec une enfance normale. Il peut conduire à ce que ces enfants deviennent d'une certaine manière prématurés, cela ayant des conséquences sur leur comportement.Il invite donc les professionnels à s’intéresser aux dynamiques familiales quand un proche est soigné à domicile. Mais ce rôle de la famille est aussi un outil dans le soin à domicile en étant capable de l'utiliser.

L’importance du rôle que joue la famille dans l’assistance aux personnes âgées dépendantes a été soulignée par Márquez Gonzalez, A. Losada Baltar, K. Pillemer, R. Romero Moreno, J. López Martínez et T. Martínez Rodríguez (Márquez et Col. 2010). Ces auteurs ont travaillé sur le rôle jouant la famille avec une personne âgée institutionnalisée. On a l’habitude de penser d’emblée que les familles qui ont pris la décision de placer un membre de leur famille dans une institution, ne sont plus intéressées à participer à un soin familiale. Ces auteurs ont proposé un modèle d’interaction entre l’établissement gériatrique et les familles afin de leur permettre de conserver leur rôle dans le soin deleur proche.

En travaillant avec des personnes âgées, Caleca et Joncheres (2011) ont montré les processus inconscients chez les proches, et surtout chez le couple de personnes âgées, se mettant à l'œuvre durant les visites à domicile. Parfois, cette visite peut être vécue comme une intrusion : «il nous est arrivé une fois de voir le mari de la patiente s’allonger résolument à côté de celle-ci sur son lit, pour mieux participer à l’entretien qu’il jugeait comme lui étant tout autant destiné…situation assez cocasse (au sens d«étrange») qu’une telle conversation avec ce couple allongé sur le lit conjugal et ce mari parlant du cancer du sein, de leurs traitements et de la manière dont ils les avaient supportés!» (Ibid.)

Ces auteurs ont donc souligné les enjeux émotionnels dans la famille d’une personne âgée. On peut ainsi voir le comportement du mari vis-à-vis de sa femme voulant communiquer à l’analyste une marque de limites, une demande de reconnaissance. La situation de la personne âgée est tout à fait intéressante. Elle permet de voir la dynamique familiale face à la situation de dépendance de leur proche, comme Marquez et Col. (2010) et Caleca et Joncheres (2011) le soulignent. À cet égard, ces derniers décrivent comme une hospitalisation éveillée au sein de la famille des fantômes de dépossession et de culpabilité, et comme le retour au domicile répond défensivement à ces fantômes. « C’est l’hôpital qui tue parce qu’on y abandonne son parent. » Pouvoir donner des soins à leur proche et d'une certaine façon s’inscrire dans un registre tout à fait maternelle, un registre qui « éloigne le spectre de la mort dans la chaleur des liens resserrés. » (Ibid.) Mais comme le soulignaient Caleca et Joncheres, ce registre de soin maternel laisse parfois peu de place pour un tiers, comme l’analyste, se trouvant également dans une situation dans laquelle lui est réservée des sentiments de haine, sa présence étant vécue par certaines familles comme une intrusion.

H. Favligny (1977) a beaucoup travaillé sur la question de la psychopathie et a montré l’importance pour la thérapeutique de l’établissement d’une relation personnalisée, relation personnalisée du côté des champs familiaux, en opposition aux champs institutionnels. Cet auteur pense «que les placements en institution constituaient une réponse inadaptée aux besoins des psychopathes».Favligny accentue le rôle de la famille dans la thérapie de la psychopathie (bien que ce rôle familial puisse être construit avec une personne hors de la famille légitime).

Par ailleurs, en reconnaissant l'importance de la famille dans la guérison, Martinez J., Molina B., Martinez M. et Torres A, ont élaboré un guide pour les familles des sujets à consommation addictive de drogue (Martinez J, 2010). Moreno C. et Zambrano L. (2010) ont envisagé dans le milieu carcéral, la famille comme agent protecteur pour le prisonnier face à sa nouvelle situation.

3.7 L’expérience du Québec

Au Québec,les études sur le point de vue des familles sur les services offerts aux personnes ayant besoin d’aide ont connu une grande augmentation dans ces dernières années en raison de différentes transformations successives du réseau de santé et des services sociaux Québécois. Le virage ambulatoire, aussi appelé «déshospitalisation », est un des principaux changements récents du système de santé au Québec. Il consiste principalement à écourter et même à éviter les séjours en milieu hospitalier en donnant davantage de services plus près des milieux de vie, au CLSC (centre local de services communautaires) ou à domicile.Il y a eu des impacts considérables sur les usagers, les intervenants et les pratiques de soins. Certains groupes d’acteurs, dont les gestionnaires du système socio sanitaire, les groupes professionnels œuvrant dans le milieu et différents groupes de chercheurs, se préoccupent de ces impacts et s’interrogent sur ces dernières.

Dans ces groupes de chercheurs je retiendrai trois recherches; une recherche travaillant sur les effets de la désinstitutionnalisation du soin sur la dynamique familiale (a), une autretravaillant sur le point de vue des aidants familiaux sur les soins procurés à leurs proches atteints d’une maladie mentale (b) et la dernière travaillant sur les différents «liens sociaux» qui émanent et impactent la pratique du soin à domicile (c).

a) Les conséquences de la désinstitutionnalisation des services de santé sur la famille des patients psychiatriques.

Rita Therrien est sociologue à l’université de Montréal. Elle a travaillé sur les demandes, issues de la désinstitutionnalisation du soin,qui sont imposées aux familles de malades mentaux chroniques (1990).Ces demandes sont le résultat d’une défaillance du service de Santé qui fait qu’une grande partie des responsabilités dans le soin aux patients psychiatriques sont transférée de l’hôpital aux familles.«Dans le contexte actuel, la désinstitutionnalisation impose des demandes très grandes aux familles des personnes souffrant de problèmes mentaux graves et chroniques. L'insuffisance des ressources attribuées aux services dispensés dans la communauté a eu comme résultat le transfert d'une part importante des responsabilités de l'hôpital psychiatrique aux familles.» (Ibid.)

L’auteur pense que ce désinstitutionnalisation prise en compte par la famille a eu des conséquencessur les proches du malade, mais plus spécialement, sur les femmes proches du malade. Elle constate que ce sont surtout les femmes qui prennent en charge les tâches de soin de leur proche. L’article de Therrien «La désinstitutionnalisation, les malades, les familles et les femmes : des intérêts à concilier»(1990)est une réflexion sur les risques propres à la situation actuelle due à la désinstitutionnalisation. L’auteur pense que ce phénomène peutpiéger à la fois les malades mentaux et les femmes en les enfermant dans une conception irréaliste de la famille et en mettant en veilleuse la notion de responsabilité collective (Ibid.)

Therrien est assez critique sur la désinstitutionnalisation, à la différence des autres auteurs que je vais aborder ensuite, parce qu’elle pense qu’au Québec ce phénomène répond principalement au but de «décongestionner» le système de santéet de donner des tâches hospitalières aux familles n’étant pas en mesure de les assumer.«Bref, les familles sont forcées de pallier aux insuffisances du système. Plusieurs études américaines montrent que la majorité des patients qui sortent de l'hôpital vont résider dans leur famille. Les évaluations varient de 32 % à 65 %, la plupart estimant la proportion à plus de la moitié...Enfin, plusieurs analyses montrent que les familles reçoivent peu de soutien pour remplir le rôle de milieu thérapeutique qu'on leur demande de jouer» (Ibid.)

Cette situation actuelle, selon l’auteur, engendre une propension à la déresponsabilisation communautaire. «De cette façon, les patients, les familles et les femmes sont renvoyés dos à dos, le message étant que le bien-être du patient prime sur celui des membres de sa famille et qu'il s'agit d'un problème qui relève plus du privé que du public. Or, le type de relations que cette situation induit peut aboutir au non-respect des droits de tous les partenaires de la famille.» (Ibid.)

Therrien m’a intéressé parce qu’elle ne partage pas la perspective de la majorité des autres auteurs dans le soin à domicile; celle de considérer plus de point positifs que négatifs à cette désinstitutionnalisation.Toute aulong de l’article l’auteur montre pourquoi soigner un patient psychiatrique à domicile affecte négativement la famille en lui imposant des tâches lourdes. La conséquence en est que le stress familial augmente.Elle dit aussi que l’intervention au domicile, pour des raisons théoriques de la psychanalyse, culpabiliser la mère aux troubles psychiatriques de l’enfant. «La présence d'une personne ayant des problèmes mentaux sévères impose des stress très nombreux à une famille. En plus de devoir faire face à des contraintes de toutes sortes et à des difficultés relationnelles internes, la famille doit composer avec les intervenants professionnels. Elle doit souvent lutter pour se faire reconnaître auprès d'eux comme interlocutrice valable et pour recevoir une aide efficace. Tout en étant plus affectée psychologiquement par la situation, la mère est particulièrement vulnérable dans les contacts avec les professionnels, étant donné l'influence d'un courant psychanalytique la désignant souvent comme la responsable dans l'étiologie des troubles mentaux chez l'enfant.» (Ibid.) L’auteur déploie différentes théories pour montrer que la psychanalyse a culpabilisé la mère de l’enfant malade, et que les troubles mentaux, tels que l’autisme, ne peuvent pas être attribués seulement à la famille.

Selon l’auteur, les plaintes les plus fréquentes concernent les contraintes financières, les conflits de rôle, les limitations aux loisirs et à la vie sociale, les difficultés à conserver un certain rythme (horaire du repas ou du sommeil) en présence de certains comportements les dérangeant, les conflits entre le soutien du patient et l'attention portée aux autres membres de la famille, les problèmes au travail, les problèmes avec les voisins, parfois la violence, etc.Therrien pense que l’intervention du professionnel de santé est décisive pour améliorer cette situation ou pour l’aggraver. En effet, l’intervention du professionnel peut donner des stratégies afin de diminuer la tension alors que leur incompréhension risque de les envenimer et de rendre leur intervention inefficace. Malheureusement, dit l’auteur, l’intervention est souvent négative car les familles se sentent incomprises par le professionnel.Cette incompréhension est due à la théorie freudienne qui, selon elle, considère que les professionnels n’arrivent pas à considérer les proches du malade, et plus particulièrement la mère, comme partenaire dans le soin, mais comme coupable. «D'après les opinions émises par des personnes membres d'associations de parents de malades mentaux, la relation avec les intervenants professionnels ne rencontre pas souvent leurs attentes. D'après certains recensements des écrits de professionnels en santé mentale, ces derniers ont souvent du mal à considérer les parents comme des partenaires dans les soins aux malades et les voient encore comme des coupables, en particulier la mère.» (Ibid.)

D’autre part Therrien pense que les femmes doivent, afin d'optimiser la prise en chargede son proche, renoncer en partie à ses objectifs de vie personnels, qu’elles sont devenues victimes du modèle de vie qu’imposent alorsles tâches du soin. Elle conclut que l'insuffisance des services formels, en quantité et en qualité, impose aux familles une part trop importante des responsabilités envers les malades mentaux chroniques. «La désinstitutionnalisation sert de prétexte à des compressions budgétaires et n'a pas fourni les ressources nécessaires à la réinsertion sociale de ces malades. Si nous ajoutons à cela la propension d'une fraction importante des intervenants à blâmer la famille ou à ignorer son apport positif, nous pouvons en conclure que nous sommes loin de la notion de partenariat mise en avant par le rapport Harnois et la nouvelle politique de santé mentale.Dans un tel contexte, les femmes qui prodiguent le soutien à ces malades dans les familles sont particulièrement vulnérables. Elles sont laissées à des stratégies personnelles. Si elles suivent le modèle traditionnel de la féminité, elles sont portées à se sacrifier aux besoins du malade et sont ainsi placées dans une situation de dépendance très étroite envers les besoins et les frustrations des malades. Et les professionnels sont souvent les premiers à les en blâmer en les accusant d'être surprotectrices. Quand à celles qui veulent s'éloigner du modèle traditionnel, elles sont prises entre le désir de faire prévaloir leurs besoins personnels et le désir d'assurer au malade le soutien nécessaire. Si elles font prévaloir leurs besoins personnels, cela risque de se solder par un sentiment de culpabilité et par un blâme social pour avoir failli aux normes de la féminité. Cela ne veut pas dire que la situation est facile pour les hommes mais que les normes sociales ne leur imposent pas le sacrifice de leurs besoins personnels à un tel degré.» (Ibid.)

Face à ce noir panorama l’auteur propose surtout de mieux sélectionner les malades désinstitutionalisés et de laisser aux familles le choix d'assumer la part qu'elles peuvent et veulent assumer. Ensuite, elle pense que l’on doit offrir un meilleur soutien aux familles en les considérants comme des partenaires. Elle propose d’abandonner l’approche psychanalytique et de prendre l'approche psycho-éducative. Elle propose aussi de mieux instruire les familles aux tâches de soin, qu’elles reçoivent de l'information et puissent être formées à faire face à certaines situations. L’auteur dit que les interventions centrées sur l'apprentissage de modes d'interaction et de communication sont également utiles. Elle appuie le soutien à la création et au fonctionnement des groupes d'entraide. Les sources de répit pour les vacances et les fins de semaine et les services de dépannage dans les situations de crise sont, selon l’auteur, également demandées par les familles, de même que la possibilité d'avoir des formules de loisirs ou de vacances avec le malade en dehors de la maison. «Par rapport au partage des tâches de soutien entre les membres de la famille et aux changements dans les rôles sexuels, il y a beaucoup à faire. Un travail est nécessaire chez les professionnels de la santé mentale à propos des stratégies de changements des rôles sexuels chez eux-mêmes et dans les familles rencontrées. Il y a bien sûr la thérapie féministe mais il faut aussi employer des stratégies s'adressant à toute la famille. De toute façon, les professionnels ont déjà à faire face dans leur pratique quotidienne à une foule de situations qui ne correspondent pas à celles de la famille traditionnelle. L'augmentation de la participation des femmes au marché du travail, l'instabilité des unions, le nombre croissant de divorces, l'augmentation du nombre de familles monoparentales et de familles reconstituées, la conscience plus grande de leurs droits chez les femmes, le nombre croissant de personnes vivant seules, tout cela impose une révision de la conception de la famille. Chose certaine, étant donné ces tendances, les familles seront de moins en moins en mesure d'accomplir le rôle que la désinstitutionnalisation leur impose et une offre plus grande de services formels de même qu'une multiplication des lieux et des formules de réinsertion paraissent nécessaires à l'avenir.» (Ibid.)

b) Le vécu des aidants familiaux sur le soin offert à leur proche soufrant de maladie mentale.

Michel Perreault,Hélène Provencher, Myreille St-Onge, Michel Rousseau ont mené une étude sur l’opinion de 40 aidants familiaux membres d’associations de soutien aux familles et amis de personnes souffrant de maladie mentale à propos des services en santé mentale offerts à leur proche (Perreault et col. 2002).D’ailleurs les recherches menées sur le point de vue des familles sur les services offerts aux personnes souffrant de troubles mentaux avaient été abordées par différentes étudesqui ont montré queles familles sont généralement moins satisfaites des services de santé mentale que leur procheet que le degré de satisfaction des familles est moins élevé pour ce qui est des services offerts à l’hôpital, que pour ceux offerts dans la communauté. Ces recherches ont également indiqué que les contacts qu’ont les familles avec les intervenants seraient un des points majeurs d’insatisfaction. Les familles demanderaient à être plus impliquées dans les décisions prises à l’égard de leur proche maladeou, du moins, mieux informées (Marquez et Col. 2010; Provencher et Dorvil, 2001 ; Stengard et al. 2000; Rugerri et al., 1994)

L’étude de ces quatre auteurs avait comme objectifgénéral«d’évaluer le point de vue des aidants familiaux face aux services et aux traitements offerts à leurs proches souffrant de troubles mentaux dans le cadre de la reconfiguration des services de santé au Québec. De manière plus spécifique, il s’agit : 1) de documenter les principales sources de satisfaction et d’insatisfaction des aidants familiaux au plan de l’organisation des services et du traitement, et 2) d’examiner les liens entre le degré de satisfaction manifesté par les aidants et les différentes expériences d’utilisation des services de leurs proches.… L’analyse de leurs commentaires (des aidants familiaux)témoigne à la fois de l’expression de satisfaction et d’insatisfaction au sujet de l’organisation des services par la quasi-totalité des participants. Toutefois, la question de l’organisation des services, plus spécifiquement en rapport avec leur accessibilité, entraîne le plus grand nombre de commentaires d’insatisfaction.» (Perreault et col. 2002).

Je continue en présentant les résultats de l’étude:

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(Tableaux prises de Perreault et col. 2002)

Je vais m’intéresser plus spécifiquement aux deux groupes de résultats: ceux de «La collaboration aidants/intervenants» et«des intervenants».

La collaboration aidants/intervenants

La satisfaction dans cette rubrique est liée à la possibilité d’avoir eu une bonne communication avec l’intervenant.Mais la plus grande insatisfaction est paradoxalement de ne pas se sentir compris par l’intervenant, de sentir que celui-ci ne prend pas en compte l’avis de la famille. Cette insatisfaction est aussi très marquée dans les résultats de ma recherche.

Deux autres non conformités sontsoulevées parl’étude de Perreault et col (2002): L’absence de contact, parfois l’intervenant n’a pas de temps à consacrer à la familleet le la manque «d’humanité» à l’heure de donner des diagnostiques.

Les intervenants

Les commentaires des aidants au sujet des intervenants en santé mentale portent surtout sur la façon d’être de ces derniers. Leur façon d’être suscite près de deux fois plus de commentaires de satisfaction que d’insatisfaction. Les principaux points de satisfaction des aidants familiaux sont reliés, d’une part, à l’ouverture d’esprit des intervenants « c’est parce qu’elle arrive à la clinique, elle n’a pas peur d’elle (leur fille) », à leur dévouement « il y a un petit infirmier qui part et il va leur louer des films, il fait ce qu’il faut et prend ça à cœur», et d’autre part, à l’appréciation de leur façon d’intervenir auprès de la personne malade « puis il y avait un infirmier là, puis il était très bien bâti, il est venu à bout de la contrôleren parlant ». En ce qui concerne les sources d’insatisfaction, des aidants ont mentionné que certains intervenants manquaient de respect enversleur proche « les employés disaient que le diable était dans la place la nuit puis ils riaient de ça » ou que certains médecins sont plutôt froids avec la personne. Ces aidants souhaitent que le contact entre leur proche et son médecin soit plus chaleureux « C’est madame […] qu’elle l’appelle puis c’est vous, puis elle, il faut l’appeler docteur ». (Perreault et col, 2002)

Il est intéressant de mettre cette façon d’être en parallèle avec le besoin de familiarité avec l’intervenant exprimé par quelques proches pendant ma recherche.

c) Les nouveaux liens sociaux issus du virage ambulatoire.

Éric Gagnon, Francine Saillant etCatherine Montgomery se sont intéressés aux changements dans les liens sociaux produits par ce virage de la communauté des services sociaux et de santé, plus spécialementauvirage ambulatoire.

Comment Macrez l’avait souligné, les soins à domicile se sont développés grâce à différentes circonstances, parmi lesquelles on trouve l’allongement de la vie (Macrez P. 2010).Cet allongement de la vie contribue à augmenter le poids despersonnes âgées et on commence à découvrir les malaises que soulève la vieillesse : l’isolement, l’insécurité, l’angoisse de l’avenir, etc. (Gagnon et col. 2001) Les auteurs de cet ouvrage s’interrogent: comment peut-on faire pourfaire face à ce malaise ? Comment aborder cette population, parfois fragile, dépendante et isolée ?

Ce livre offre donc une réflexion sur l’interaction des aidants qui travaillent au domicile des personnes dépendantes.Il m’a intéressé parce qu’il aborde le champ sur lequel j’amène ma recherche : Celui de l’interaction entre l’institution (service de soin, aide à domicile) et le privé et l’intimité du domicile.

Les auteurs abordent cette problématique à travers des témoignages recueillis auprès de bénéficiaires, d’intervenantes et d’organismes inscrits dans le soutien à domicile. A ladifférence des auteurs, je me suis centré uniquement sur les témoignagesde familles de bénéficiaires. Cet ouvrage m’a donné une nouvelle vision pour interpréter les entretiens que j’ai fait.

Les auteurs pensent que le lien social, qui est rendu visible dans la façon dont on amène un soutien, une aide, un soin à domicile, est le fil rouge qui doit gérer le travail des organisations intermédiaires introduit entre la famille et les services publics. Ils dégagent six figures du lien que sont le domestique, le salarié, le professionnel, l’ami, l’enfant et l’étranger.

« Cet ouvrage est le fruit d’une recherche qualitative effectuée auprès de 42 organismes ou entreprises (bénévoles, d’économie sociale et privées), de 46 intervenants œuvrant au sein de ces organismes et entreprises et de 20 personnes recevant leurs services, sur les territoires de Montréal, Québec et Chaudière-Appalaches » (Éthier S, 2001)

Dans cet ouvrage Gagnon et collaborateurs (2001) partent de l’hypothèse que « la transformation réelle [au sein des services sociaux et de santé] doit être comprise moins comme une reconfiguration des services que comme une reconfiguration des relations entre les personnes dépendantes et la collectivité» Ils ont donné une place centrale au concept de « dépendance » parce que pour eux le problème de la dépendance est celui de la fragilité et de la mutation des liens sociaux (Ibid.). Quelle forme de lien social établissent les institutions avec les patients?Cette question du lien social est très importante en puisque c’est celle qui va définir la façon d’être, voire d’éprouverle soin à domicile, tant de la part du patient, de sa famille et de l’assistant.À mon avis le lien social est cernable dans le discours des familles ayant un proche soigné à domicile.

L’ouvrage est composé de 5 chapitres. Dans le premier chapitre, les auteurs vont d’une part exposer les bases sur lesquelles reposeront l’ensemble du texte à travers les liens sociaux, les organismes intermédiaires et les pratiques d’aide et de soins. Et d’un autre part, ils vont développer la question de la fluctuation et transformation des valeurs sociales et de sa relation avec les liens sociaux dans le soin.L’avenir de la démocratie, la remise en questions des valeurs dites traditionnelles, l’insertion des femmes dans le monde du travail, le déclin du Nom-du-Père selon Lacan, la fin du patriarcat et de l’importance de la religion dans le monde occidental, le passage d’une logique préfigurative à une logique co-figurative, voire post figurative selon Margaret Mead, ont amené à de nouvelles formes des liens sociaux posent deux questions importantes :

1. La façon de soigner et d’aborder la personne en demande d’aide.Dans toute la première partie de cet écrit j’ai abordé le changement dans le rapport domicile-et lieu du soin. En effet, l’introduction de nouvelles modalités de soin, comme le soin à domicile, répondent à un changement plus grand dans la dynamique de prendre en charge le soin, voire d’aider dans notre société. Mais aussi, à son tour, le soin à domicile crée des nouvelles dynamiques, de nouveaux liens sociaux entre le patient et l’aidant, mais plus largement entre le domicile et le public.

2. la dynamique familiale face à un proche âgé. Autrefois, les personnes en perte d’autonomie étaient automatiquement prises en charge par leurs familles. Aujourd’hui, on peut constater un accroissement des maisons de retraites et des autres services d’hébergement ainsi qu’une prise en charge du proche qui est devenu âgé et dépendant.

Selon l’avis des auteurs le déplacement du soin au domicile a commencé à évoluer et créer des nouveaux liens entre les patients et les aidants. Ils pensent que la neutralité classique des soins hospitaliers n’a plus sa place mais qu’il faut garder certaines normes propres au travail professionnel (Ibid.) Cette question de la perte de repères à la fois cause et obstacle à la fois du soin est abordé plus profondément dans les conclusions de ma recherche.

Dans ce premier chapitre les auteurs présentent une hypothèse: La façon dont le patient conçoit la maladie ou sa dépendance auront des répercussions sur le type de lien qu’il va instaurer envers l’aidant.

Le deuxième chapitre s’intitule « Des organismes en mouvance ».Les auteurs présentent l’émergence des organismes et entreprises intermédiaires depuis les trente dernières années, faisant ressortir le contexte politique et les enjeux sociaux qui les entourent. Le chapitre présent « les organismes intermédiaires qui suppléent aux services du secteur public ou les complètent : a) les organismes communautaires (bénévoles) ; b) les entreprises privées ; c) les entreprises d’économie sociale. Ces organismes se distinguent par différents aspects : leur mission, les liens de partenariat, les services offerts et le personnel. Et là des questions judicieuses, voire fondamentales, attirent l’attention du lecteur. Que peut-on demander par exemple aux bénévoles ? Quelle aide ces personnes peuvent-elles assumer, pour quels soins peut-on se reposer sur elles? Les services privés, qui sont de plus en plus des services de base lorsque les services publics ne suffisent plus, vont-ils passer du service d’appoint au service courant? Pour leur part, les entreprises d’économie sociale par leur double objectif (qualité des services et intégration à l’emploi) peuvent soulever l’interrogation suivante : Comment offrir aux employés des conditions de travail convenables sans faire assumer une trop grande part du coût aux usagers, tout en demeurant concurrentiel face aux travailleurs au noir?.Gratuité, qualité des services, rémunération des aidants, voilà quelques-unes des valeurs en cause. Mais un constat se dégage : dans toutes ces pratiques d’aide et de soin se traduit la valeur fondamentale de ce qui circule et du lien qui soutient l’échange, donnant ainsi une signification aux gestes posés. »(Robichaud Suzie et Savard Josée, 2005)

Dans le troisième chapitre intitulé « Des relations et des liens »,les auteurs abordent la question de l’identité et les altérations qu’elle peut avoir avec lesconséquences du vieillissement, de la maladie ou de la dépendance. Ces avatars de la vie font traverser à la personne une grande fragilité affective et sociale. Dans cette situation l’intervention de l’aidant, et plus précisément, l’attitude de celui-ci envers le patient sera déterminante.Le sujet en fragilité affective et sociale a besoin d’un contact humain et rassurant. Ce chapitre est destiné à illustrer tous les aspects d’une relation de soin réussie.On peut trouver une synthèse de ces as r (2001): 1. du respect.

Le respect a d’abord été traité en fonction d’un continuum passant du savoir-vivre à la confidentialité. La politesse, la ponctualité, la joie et le sourire, le sens de la conversation, la patience, l’écoute, la compassion, la retenue dans le jugement et la confidentialité permettent le respect. Mais il faut aussi considérer quele respect conduit à une personnalisation ou une individualisation de l’aide ou du service Ainsi, les auteurs affirment que la personnalisation de la tâche et l’individualisation, notamment par la satisfaction du client et la connaissance des particularités et de la personnalité de l’aidé, représentent des marques de respect. Bien sûr, le respect envers l’aidé est primordial, mais il n’en demeure pas moins que le respect des aidés envers les intervenants est tout aussi important. Les aidés interrogés par les chercheurs en ont parlé, mais ils ont aussi mentionné que certaines attitudes sont nécessaires, au-delà des compétences des intervenants, telles que le dynamisme, l’ouverture et la capacité à ne pas devenir trop rapidement familier avec les aidés. Les limites à ne pas franchir sont aussi abordées dans cette partie du chapitre, que ce soit de la part des intervenantes ou des aidés. Ainsi, bien que le respect amène de l’ouverture, il sous-tend aussi distance et protection afin d’éviter des conflits ou des problèmes allant jusqu’au harcèlement sexuel et à la violence.

2. du temps

La deuxième condition nécessaire à l’établissement d’une bonne relation, le temps, est traitéen tant que spécificité de leur travail [des intervenants] et condition de la qualité de l’intervention et de la relation elle-même. Les auteurs ont aussi abordé la différence dans la conception du temps en fonction de l’organisme pour lequel travaille l’employé ou le bénévole.

Pour les bénévoles, le tempsest ce qui est gratuit, librement donné et non rémunéré, il est en principe illimité mais balisé par la liberté individuelle et les limites personnelles et professionnelles qui s’imposent. Alors que pour les employés des organismes privés, le temps est « balisé par les contraintes économiques, légales et les normes professionnelles. Puis, en ce qui concerne le personnel des entreprises d’économie sociale, les auteurs ne qualifient le temps comme ni en tant que liberté ni en tant que soin idéal, il est cette fois-ci l’idéal difficilement concrétisé.Le temps, c’est à la fois le « plus » que l’intervenant veut donner, mais il ne le peut pas toujours ; il doit se protéger des abus. Quel que soit leur rapport au temps, il semble que la réalité du temps occupe une place centrale dans l’accompagnement des personnes dépendantes, autant pour ces dernières que pour les intervenants. Pour les aidés, en effet, le temps prend de l’importance parce qu’il favorise le lien de confiance et prend son sens à travers la continuité du service qu’ils reçoivent.

3. de la confiance.

La troisième condition essentielle à la relation est la confiance et la sécurité. La confiance s’acquiert par la maîtrise par l’intervenant de renseignements utiles fournis à l’aidé au moment opportun, qui le rassurent ; par la mise en place de conditions sécuritaires pour le joindre (téléphone, téléavertisseur) ; par la façon de ne pas s’imposer ; par l’échange verbal. Quant à la sécurité, elle peut être nécessaire lors de conditions de travail dangereuses, de milieux insalubres ou violents. Les intervenants doivent apprendre à se protéger lorsqu’ils font face à de telles situations. Ils doivent aussi s’assurer de protéger les aidés lors de manœuvres de déplacement inhérents à leur travail.

4. du don

La quatrième condition de la relation, la gratuité (don) s’avère la valeur fondamentale des organismes bénévoles. Or, des limites à l’action des bénévoles sont atteintes lorsque ces derniers doivent débourser de leur poche pour offrir un service à l’aidé (par exemple, l’essence pour le transport). Pour les travailleurs du secteur privé et de l’économie sociale, la question de la gratuité se pose en d’autres termes : quoiqu’ils soient payés pour effectuer des tâches précises, plusieurs tâches spécifiques leur sont demandées en dehors de leur mandat, ce qui amène l’intervenant à donner de son temps. Il semble donc que la question relative au rapport marchand affecte la qualité de la relation entre l’intervenant et l’aidé.

Certains aidés, par ailleurs, refusent de payer pour certains services, alors que d’autres peuvent devenir très exigeants du fait, justement, qu’ils payent pour obtenir ce service : le fait d’avoir à payer les services qu’ils reçoivent leur procure un certain droit de regard sur le travail des intervenants.

5. de la liberté.

Enfin, la dernière condition nécessaire à la relation, la liberté,concerne l’engagement dans la relation entre intervenants et aidés. La liberté, en somme, fait partie intégrante des autres conditions et permet de leur donner un sens : Les quatre autres conditions l’ont déjà fait apparaître ; elles la contiennent ou la présupposent : la gratuité, le don, tout ce qui excède la relation marchande et les dimensions matérielles du travail, ce qui est donné “ en plus ” (le temps, le respect) ou ce que des règlements ne peuvent à eux seuls garantir (la confiance) renvoient à une part d’autodétermination (Éthier, 2001)

Mais lequatrième chapitre est le plus important pour ma recherche ; il s’intitule « l’étrangère chez-soi »et il est centrale dans ma recherche parce que le but général du chapitre et aussi celui de ma recherche ; montrer ce que soulève l’entrée au domicile d’un étranger, de quelqu’un qui ne fait pas partie de la famille du patient. Cette ouverture à un inconnu peut, selon les auteurs, être dérangeant, voire angoissante. Dans la partie des résultats on pourra voir comment la façon de ressentir cette ouverture dépendde la nature du travail que le professionnel va amener dans le domicile. Par exemple ça sera complètement diffèrent entre le médecin qui va au domicile pour soigner,au psychologue qui va au domicile dans le cadre d'une enquête surla protection de l’enfance pour « voir » si les enfants sont bien traités.

Ce chapitre met en avant l’importance d’installer un bon lien avec la famille de la personne à aider, mais il souligne principalement la dissimilitude du lien que maintient le bénéficiaire avec sa famille et avec le personnel lui procurant des services. En effet, « le lien familial est de l’ordre de l’obligation morale, de la réciprocité obligée et de l’échange perçu comme une contrainte. Au contraire, la relation de soin, quand elle émerge dans le contexte d’un service (bénévole ou rémunéré), met face à face deux personnes qui se considèrent libres et autonomes »» (Gagnon et col, 2001). Cette question je la reprendrai dans la partie de résultats pour confirmer comment certains sujets ont besoin de rendre le professionnel «familial» pour permettre un travail de soin.

Les chercheurs soulignent aussi comment le lien qu’entretient l’intervenant avec le bénéficiaire vient changer les liens familiaux. À cet égard, la présence de l’intervenant « est déjà le signe d’un changement dans les liens. Elle décharge le lien familial pour mieux le préserver, assure la pérennité du lien en favorisant sa transformation » (Ibid.)

Les auteurs dégagent un phénomène intéressant ; « Cette intrusion rappelle à l’aidé sa dépendance, qu’il n’est pas facile d’accepter. C’est pourtant autour de cette situation délicate que doit se construire la relation intervenant-aidé » (Ibid.)

Il me semble aussi important de souligner la difficulté de l’intervenant à trouver une place ni trop procheet invasiveni trop loin et froide.Cette difficulté du soin à domicile je la cite dans mes résultats et j’y reviendrai mais pour le moment il me parait importante de montrer comment dans ce chapitre Gagnon et collaborateursont repéré la même situation: «Nous avons vu, sur le plan de la rencontre et de la relation intervenante-aidé, comment elles obéissent à une exigence de réciprocité, à quel point leur dépendance est mutuelle même si elle n'est pas symétrique et équivalente, mais finalement interdépendante, comment l'intervenante et l'aidé ont l'un envers l'autre des obligations, la reconnaissance est toujours réciproque. Cette réciprocité, nous la retrouvons en examinant l'influence exercée par l'intervenante sur les liens entre l'aidé et sa famille. Pour ce faire, elle doit s'intégrer en partie au groupe familial sans toutefois jamais en faire partie pleinement.» (Gagnon et col, 2001)

Les auteursont montré comment la présence d’un intervenant, de quelqu’un d’étranger à la famille, est souvent vécue comme une «attaque» envers la famille et un jugement envers elle. Si le professionnel assiste une famille c’est parce que cette famille n’est plus capable de prendre en charge les soins de son proche malade. Il n’est pas évident pour le professionnel de se faire une place là où la famille a été absente. «Au-delà de la confiance immédiate à créer, l'arrivée de nos intervenantes dans le domicile des personnes représente une certaine menace; une menace pour les liens familiaux, et pour le groupe d'appartenance immédiat de la personne aidée. Leur seule présence semble traduire un effritement des liens familiaux, un ébranlement de l'environnement proche et familier. En effet, si ces intervenantes sont là, c'est que la famille, les proches n'y sont plus ou n'y sont aussi souvent. Faire place à des étrangers, dans un espace réservé à la famille, met immédiatement en cause la conduite de la famille.» (Ibid.) J’ai remarqué cette importante question dans les mesures de placement d’un mineur pour la protection de l’enfance. Comme on pourra le voir dans les résultats, je me questionne: Qu’est-ce que l’on peut faire avec le message que le juge envoi aux familles qui ont été jugées comme «incapables» d’offrir un milieu adéquat pour le développement de l’enfant? Mais aussi je l’ai repéré dans l’aide aux personnes âgées; la difficulté à trouver une place là où la famille n’est plus.«"L'arrivée de l'intervenante représente une menace dans la mesure où elle peut signifier l'incapacité de la personne, de la famille ou de la communauté à se suffire. Elle implique un jugement implicite de la société envers la famille et son rapport à ses membres dépendants.» (Ibid.)

D’autre part, le chapitre dégage la question du racisme et des préjuges que peut avoir le patient à lacouleur de la peau, à la maitrise de la langue française de l’aidant, etc. Enexplorant la figure de lien définie par l’introduction d’un étranger dans le domicile et qui se concrétise par le biais de l’intervention auprès des communautés culturelles, ou lorsque les intervenantes proviennent elles-mêmes de telles communautés. Ainsi, la langue, les pratiques culturelles et les préjugés constituent les principaux obstacles à surmonter pour établir ce lien. Une incompréhension de la langue de l’aidé peut empêcher l’intervenant, par exemple, d’être reconnu comme un semblable. Les préjugés mènent normalement au racisme et les intervenants issus de communautés culturelles en subissent parfois les conséquences (Éthier, 2001). « La relation entre l’intervenante et l’aidé est tributaire de la reconnaissance que l’un et l’autre appartiennent à la communauté, sont considérés comme “ l’un des nôtres ”. La citoyenneté ou le lien politique est un garant des autres liens. Et la culture qui détermine l’identité et l’altérité est ramenée ici aux deux principaux traits du domestique : la parole et la nourriture, à la fois symboles de l’accueil et marques d’une différence et d’une distance » (Gagnon et col, 2001).

En Colombie, pays où j’ai fait ma recherche, il n’y a pas une grande communauté «étrangère»en comparaison à la France, au Canada. A cet égard je n’ai pas pu constater les enjeux produits dans le soin à domicile issus des interrelations pluriculturelles et multi-ethniques. Bien qu’en Colombie il y ait différentes ethnies indigènes, je n’ai pas eu l’opportunité de travailler sur cette population. Mais il serait intéressant de travailler sur la question de l’identité, le privé et le domicile dans les communautés indigènes Le dernier chapitre intitulé « Sphère privée, sphère publique : résonnances » aborde une question centrale ; « Dans une société postmoderne où l’autonomie renvoie à la productivité et à l’individualisme, que deviendront ceux qui sont pauvres, sans familles et qui sont non productifs ? » (Gagnon et col. 2011) Dans ce chapitre les auteurs montrent que la raison fondamentale de la hantise du vieillissement est due à la prévision d’un futur où la population dépendante et non productive sera plus élevée que celle productive.

« Dans le dernier chapitre, qui se rapporte aux résultats de leur recherche, les auteurs portent leur attention sur la place que l’intervenante prend au sein de la famille de l’aidé. En effet, l’arrivée d’une intervenante étrangère, qui prend le relais des proches pour soigner une personne dépendante, n’est pas une mince affaire, puisque celle-ci s’immisce dans le cercle intime de l’univers familial. Elle doit négocier avec la famille pour concilier les responsabilités de celle-ci et les siennes envers la personne aidée. Cette négociation, aussi délicate soit-elle, sert alors de référent à ses actions. » (Bradette, 2002)

Ce chapitre récupère les 6 figures du lien. De ce fait, l’intervenant oscille sans cesse entre la figure du bénévole et du salarié, dans la mesure où tout ne peut pas se monnayer dans le cadre de son travail, notamment l’aspect relationnel. «Quant aux figures de l’ami et du professionnel, l’intervenant est aussi dans une position inconfortable puisqu’elle doit choisir entre offrir un service particulier, individualisé, qui serait donné par un ami ou un service universel, donné par un professionnel. Quant à l’enfant et l’étranger, l’intervenante peut être reconnue comme semblable, donc assimilée à l’enfant, mais aussi être considérée comme l’étranger, donc celui que l’on craint parce que différent» (Éthier, 2001). Le texte invite à mener une réflexion sur les concepts de dépendance et d’autonomie et de les intégrer au reste de l’analyse : « l’autonomie, au contraire, est d’avoir de multiples liens et ainsi d’être moins dépendants de chacun d’eux, l’autonomie c’est peut-être de s’insérer dans un faisceau de liens. La réponse à la dépendance n’est certes pas la rupture de liens qui conduit à une plus forte dépendance ou fragilité. Elle réside sans doute dans une diversification des liens et supports » (Gagnon et col. 2011). C’est ici que la place des organismes intermédiaires prend tout son sens. Le fait que l’État oblige les familles à contribuer encore davantage aux responsabilités de soins des aidés occasionne, pour les auteurs, au moins deux effets importants : le brouillage dans les distinctions entre l’aide familiale et l’aide publique et celui entre les sphères privées et publiques de la vie. Dorénavant, il est de moins en moins facile de distinguer les tâches de soins effectuées par les professionnels de celles réalisées par la famille. En outre, le domicile devient le lieu de soins, plutôt que l’institution, mais aussi l’endroit (Éthier, 2001) « où se rencontrent divers intérêts et personnes pour déterminer une responsabilité de chacun » (Gagnon et col. 2011).

Il me semble que l’idée la plus importante qui a été élaborée par les auteurs dans cet ouvrage est que prendre soin d’une personne dépendante ne met pas seulement en cause sa santé corporelle mais aussi les liens familiaux quele patiententretient avec sa famille.«Aider et soigner une personne, même quand elle vit seule, c'est également soigner l'ensemble de sa famille...La famille est toujours à la fois absente et présente: qu'elle soit là à vérifier ce que fait l'intervenante ou que celle-ci ne l'ait jamais vue, que l'intervenante vienne apporter une aide complémentaire à celle des enfants ou qu'elle remplace entièrement une famille inexistante, elle constitue une pole de définition de l'aide. Il y a même une sorte de paradoxe: l'absence de la famille est la raison pour laquelle ces services existent: ne mesure-t-on pas le niveau de services en fonction de la disponibilité ou non des proches? Mais préserver les liens et responsabilités familiales est aussi leur objectif: suppléer à l'absence, à la fragilité, au "dysfonctionnement" des liens.» (Ibid.)

L’intervention dans la famille n’est pas vécue comme menaçant seulement pour le faitde mettre en cause la capacité de la famille à prendre encharge un proche, à mettre en cause sonhonnêteté mais aussi prendre conscience que l’intervenant vient prendre un peu la place de la famille. Ce fait a été abordé, comment on l’a déjà vu, par Catherine Calecaen travaillant avec des couples âgés (Caleca et Joncheres, 2011), mais aussi j’ai pu l'identifier lors de ma recherche.

Comment peut-on traiter cette question? Il me semble que Gagnon et ses collaborateurs ont donné une piste «L'intervenante ne peut apporter une aide en perturbant les rapports familiaux, même si elle vient les modifier…Intervenir auprès de la famille, c'est assurer auprès d'elle un suivi, l'informer sur la situation de l'aidé (surtout lorsque les membres de la famille sont loin), sur les changements de son état de santé ou de sa condition; c'est aussi parfois, à l'inverse, en être informé par la famille. L'intervention peut consister à donner une formation, à offrir aux membres de la famille des conseils, des trucs sur la manière d'intervenir auprès de l'aidé, à lui apprendre à donner des soins spécialisés (injections, médication) à déplacer l'aidé sans se blesser ou lui enseigner une manière d'être avec un personne démente; c'est inviter un enfant à rejoindre un groupe d'entraide pour aidants naturels (autre type de lien), c'est parfois aussi faire de l'écoute, entendre ce que des membres de la famille ont à dire sur leur souffrance, leurs difficultés et leur épuisement face à l'aidé de moins en moins autonome.» (Gagnon et col. 2011).

Il me semble que cette solution, bien que nécessaire, ne suffit pas. Parce que «instruire», «apprendre» à la famille les tâches de soin de leur proche est aussi problématique dans la mesure où ils imposentà nouveau, parfois, un lien de soumission. Je reviendrai sur cette question dans les résultats.

4. Problématique et hypothèse

Suite à cette revue bibliographique on peut remarquer une tendance, un «virageambulatoire» comme est appelé à Québec, de ramener le soin au domicile et d’utiliser plus des recourusses plus près des milieux de vie, comme le domicile.

Ces changements dans la forme de soigner ont eu des impacts dans les bénéficiaires, les intervenants et les institutions. (Gagnon et col. 2001). Différents auteurs se préoccupent de ces impacts et s’interrogent sur eux.

Je me suis aperçu que la plupart des recherches sur les soins à domicile sont axées sur le rôle et l'expérience des professionnels. J’ai porté mon intérêt du côté de la famille; en conséquence, j’ai fait une recherche dont l'objectif est de de déterminer commentles familles ayant un malade soigné à domicile ont vécu leur situation durant ce processus.

Bien que, comme je l’aidéjàdécrit précédemment,la plupart des recherches se sont centrées sur le vécu et les émotions chez des professionnels, des auteursont travaillé sur l’expérience de familles dans les soins à domicile. Parmi ces auteurs j’ai retenu:

1. Le psychologue Elian DJAOUI, avec ses 4 logiques qui traversent la pratique à domicile.

2. Monsieur Furtos, avec les trois sortes d’objets dans la démarche à domicile: l’objet maison, les objets concrets et enfin ces objets qui vont m’intéresser plus particulièrement; les objets vivants (la famille ou les personnes qui habitent avec le patient).

3. Marquez et ses collaborateurs, en Espagne, avec ses travaux sur l’intention des familles qui ont pris la décision de placer un proche âgé mais qui souhaitent continuer à participer aux soins.

4. Madame Caleca qui a montré en utilisant un cas clinique, comment un couple de personnes âgées prise à domicile peut percevoir comme une intrusion violente, une injustice, voire une agression, la proposition d’un psychologue de mener un entretien individuel avec le patient. Elle a montré que la démarche à domicile peut susciter des circonstances émotionnelles dans sa famille.

5. Gagnon et collaborateurs qui ont montré l’importance des liens sociaux dans la clinique à domicile.

Ces auteurs m'ont poussée à m'interroger sur les ressentis des familles lors de l’introduction d’un professionnel, représentant une institution, à leur domicile en tant que lieu de la sphère la plus intime et privée.

Je me suis donc demandé comment je pouvais connaître cette «expérience», ce «vécu». L’approche psychanalytique utilise une forme d’analyse du discours appuyée sur le repère des mécanismes de défense et associations inconscientesqui m’ont permisd’accéder à un contenu plus profond que le discours manifeste des personnes interviewées (plus loin dans le texte j’explique cette forme d’analyse du discours). Je pourrai ainsi connaître les processus inconscients déclenchés dans cette expérience «d’introduction» des institutions dans le privé, du public dans l’intimité.A mon avis, la démarche d’explorer dans les relations de l’intime et l’institutionnel au niveau psychologique contribue à la question de l’engrenage des normes institutionnelles et normes familiales.En fait, le domicile lieu de l’intime est un espace où les normes sociales se relâchent au profit de normes propres au sujet et au groupe familiale. Il s'agit de la façon dont le sujet va éprouver le pouvoir des institutions dans le territoire, où normalement on le situe à l'extérieur de ce pouvoir. L’introduction d’un professionnel, en tant que représentant d’une institution, implique une sorte de «conciliation» entre les normes institutionnels (exemple: on doit élever les enfants selon certains postulats psychologiques) et celles propres au domicile (on doit élever les enfants de la façon qui ma grand-mère nous a élevé).

Indaguer sur cette question est approfondir, comme l’ont montré Gagnon et col. (2001) sur les liens sociaux qui émanent de ces changements en la façon de soigner.

Avant de formuler l’objectif, je voudrais insister sur la question du domicile. Comme j’ai souligné dans la revue bibliographique, ce concept a plusieurs visages, parfois contraires, que l’on ne peut pas réduire au lieu où le sujet est moins réprimé, opposé aux institutions, donc à la loi.Différents auteurs (Djaoui -2011, De Certeau y Giard- 1999, Pierre Mayol-1999,Ibañez-1994, Perez y Godoy-2009, Perrot-1997, Moore-1999)ont montré ces différents visages qui vont jusqu’à dévoiler que parfois le domicile peut être conçu comme le lieu où les institutions ont leur plein pouvoir et le sujet réussit à échapper à ce pouvoir en sortant du domicile, c’est donc parfois ailleurs qu’on trouve un moins répression (par exemple un sujet qui se trouve dans une boite de nuit, le lieu pour se désinhiber des règles imposées par son rôle de père ou de mari). Malgré ce questionnement, l’analyse des entretiens dévoile aussi le lieu donné au domicile et j’ai pu remarquer que parmi les sujets interviewés, certains estiment que le domicile constitue le lieu de l’intime opposé par conséquent aux institutions.

A cet égard, j’introduis déjà une limite à la recherche. Le domicile ne peut pas obéir à une représentation universelle pour tous les individus et donc, on doit bien garder en tête cette idée pour mettre en perspective les résultats.

Il y a une autre limite que je voudrais citer; celle de la particularité de chaque individu. Si l’on veut savoir comment le sujet a éprouvé, au niveau inconscient un vécu, on doit alors nécessairement tenir compte de la particularité psychologique de cet individu, de son histoire, de sa structure psychique, de ses mécanismes de défense les plus utilisés, etc.Mais cette recherche est plus modeste, elle se limite à analyser le discours de 5 sujets et à repérer les processus que soutient ce discours. À cet égard, c’est une recherche exploratoire que n’envisage pas la généralisation des données, mais elle ouvre plutôt la voie à des futures recherches sur cette problématique complexe.

Je place cette recherche dans le domaine de la psychologie clinique parce que l’objet d’étude qui est celui d’un vécu et en tant que tel, met en jeu des processus psychologiques dans son élaboration en forme de discours.

L’objectif est de rendre compte du vécu des familles ayant un proche soigné à domicile et évaluer ce vécu au regard des mécanismes de défense en jeu.

5. La Méthodologie

Afin de déployer la méthodologie que j’ai utilisée, je vais m’appuyer sur Lydia Fernandez et Pedinielli (2006).Elles disent, que dans la recherche en psychologie clinique il y a deux types de recherches;la recherche en clinique -ReC- (objectivante) et la recherche clinique –RC- (Non objectivante).

- La recherche en clinique -ReC- (objectivante) est une recherche hypothétique déductive qui va du général au particulier. Son but est principalement de mettre à l’épreuve une loi générale. Le processus est d’anticiper les résultats à partir d’une théorie.
- La recherche clinique –RC- (non objectivante) est une recherche inductive, qui va donc(,) du particulier au général et qui trouve sa source d’inspiration dans la situation clinique. Son but est d’inférer des lois à partir des faits. Il n'existe pas forcément d'hypothèses spécifiques formulées au départ mais une suite d'hypothèses qui se construisent et se déconstruisent au fur et à mesure des observations avec un aller-retour entre pratique et théorie.

J’ai fait une recherche clinique –RC, donc(,) inductive, qui utilise des donnés qualitatives (le discours) et a pour but d’explorer la façon, pour les personnes, dont est vécue l’entréed’un professionnel dans leur domicile.

J’ai utilisé des entretiens semi-directifs, qui m’ont permis de laisser un peu plus librement le discours de ces personnes. Les sujets étudiés sont les familles ayant un proche soigné à domicile.Et le but de la recherche est d’explorer et comprendre le vécu subjectif des familles face à l’intervention d’un professionnel dans leur domicile. Mais les entretiens exploités ne m’ont donné qu’un discours verbal. Par ailleurs, ils m’ont aussi permis d’observer directement la situation même de l’objet d’étude. C’est-à-dire que l’objet d’étude de ma recherche émerge de la relation entre deux personnes, une qui se situe en tant que professionnel et représentante d’une institution, et l’autre en tant que personne qu’elle reçoit à son domicile, lieu de l’intime et du privé.Ce vécu «subjectif» émane dans la démarche professionnelle qui se déroule à domicile. Moi, en tant que professionnel et représentant de l’institution du savoir, l’université, je suis allé au domicile des participants, en reproduisant la situation même que j’étudiais. Cela m’a donc donné la possibilité même de voir comment le sujet se situe face à moi en tant que professionnel «logé» chez-lui.

J’ai utilisé l’approche psychanalytique dans la démarche de ma recherche.

5.1 La psychanalyse et la recherche

5.1.1 Les mécanismes de défense et l’analyse du discours

J. Laplanche (1967) a défini le concept de mécanismes de défense comme «différents types d’opérations dans lesquelles peut se spécifier la défense. Les mécanismes qui prévalent sont différents selon le type d’affection envisagée, selon l’étape génétique considérée, selon le degré d’élaboration du conflit défensif, etc. On s’accorde à dire que les mécanismes de défense sont utilisés par le moi, la question théorique restant ouverte de savoir si leur mise en jeu présuppose toujours l’existence d’un moi organisé qui en soit le support»

On s’est appuyé sur les travaux d’Anne Freud, portant sur les mécanismes de défense et sur le travail qu’a fait Catherine Chabert sur les mécanismes de défense mis en jeu dans le discours lorsque le sujet est face à une épreuve projective.

On partage l’idée de la psychanalyse selon laquelle les mécanismes de défense(s) peuvent être repérés dans l’analyse du discours.

5.1.2 La recherche d’orientation psychanalytique

La psychanalyse a été conçue par Sigmund Freud non seulement comme un procédé thérapeutique spécifique mais aussi comme une science, celle du psychisme inconscient, appelée «àfournirdes contributions importantes aux champs les plus divers du savoir» (Freud, 1925)

Cette science de l’inconscient a fourni à cette recherche les repères interprétatifs et les concepts inhérents à sa théorie du fonctionnement psychique.L’idée de consacrer une partie de cet écrit au déploiement de l’entretien de recherche d’inspiration psychanalytique a pour but de montrer commentla psychanalyse m’a donné une posture et une orientation théorique en tant que chercheur.

Sophie Gilbert a montré comment «l’association entre une méthodologie de recherche qualitative et la psychanalyse paraît aller de soi, lorsque l’on considère que plusieurs motivations classiquement associées au domaine de la recherche qualitative sont également aux fondements de la psychanalyse. Tel est le cas, d’abord, de la valeur accordée à la subjectivité, puis de la quête de sens, soit la compréhension d’un phénomène en recherche, ou la signification du symptôme et de la conflictualité psychique en psychanalyse. Aussi, la démarche inductive qui sous-tend, en recherche qualitative, l’ouverture à la nouveauté et à l’imprévu dans l’étude d’une thématique peu étudiée antérieurement, trouve son équivalent dans la situation clinique psychanalytique. De fait, dans la perspective psychanalytique, le savoir est attribué au sujet, qu’il s’agisse du participant à la recherche ou d’un analysant dans la cure, ce qui suppose d’emblée chez le chercheur l’ouverture à de nouveaux savoirs et la tolérance à l’inconnu. En corollaire, la référence à la psychanalyse pousse le chercheur à s’attarder à la singularité et à la subjectivité individuelle, au-delà de tout diagnostic ou catégorisation a priori de la personnalité. En effet, l’importance accordée à la subjectivité est le propre de la psychanalyse, l’une des rares disciplines qui résiste à la tendance actuelle d’allégeance scientiste consistant à réduire l’humain à un ensemble de données objectivables. En outre, tel que mentionné précédemment, la notion de signification est également fondamentale en psychanalyse, s’agissant du sens singulier qui concerne le sujet, une signification qui tient sa spécificité du désir inconscient propre à chaque individu en tant que moteur du fonctionnement psychique.» (Gilbert, 2007).

Dans ma recherche, il s’agit donc de comprendre les effets possibles de l’intervention d’un professionnel, dans la partie la plus l’intime et privée d’une famille: son domicile.J’ai soulevé l’idée que ces effets pouvaient avoir une résonance inconsciente sur les membres de la famille que l’approche psychanalytique seule me permettrait de voir.

Cette méthodologie que j’ai utilisée est d’emblée une démarche de recherche qui trouve son inspiration dans le procédé de la psychanalyse en clinique. «Cette position particulière de cette méthodologie permet de la situer sur un continuum, entre d’une part, la recherche traditionnelle et sa quête de scientificité selon les critères précis de la « méthode scientifique», et d’autre part, la clinique psychanalytique; les deux pôles de ce continuum opposant l’analyse d’un objet de recherche ciblé au sein d’un échantillon de sujets multiples, à l’analyse en profondeur d’un sujet singulier. De fait, contrairement au travail clinique en psychanalyse, notre recherche (comme toute recherche, d’ailleurs) suppose une inévitable objectivation, par la subdivision conceptuelle éventuelle de chaque sujet, toutefois précédée d’une analyse en profondeur du cheminement et du fonctionnement psychique de chacun.» (Ibid. 2007)

5.2 L’éthique

Comme dans toute recherche en psychologie je me suis laissé guider par le code de déontologie des psychologues en France.[2] J’ai expliqué à toutes les personnes qui ont participé à ma recherche la raison de cette démarche, l’anonymat d’information et son utilisation. J’ai fait signer aux participants une lettre de consentement éclairé et toutes les informations permettant d'identifier les participants ont été modifiées afin de maintenir leur anonymat.

5.3 L’entretien et la guide thématique

Comme je l’ai dit précédemment, j’ai utilisé des entretiens semi directifs. L’idée était de laisser beaucoup de liberté à la personne.

La consigne de l’entretien était la suivante : Pouvez-vous me parler de votre expérience en ce qui concerne le soin dont vous êtes bénéficiaire/ ou dont votre proche bénéficie ?

Mon objectif était d'inciter la personne à me parler librement et faire des associations autour de ce vécu. Cependant certaines personnes ont besoin d'être guidées par d'avantage de questions avant de relancer la discussion. C'est pour cette raison que j'ai réalisé un guide pour aider les personnes à répondre à la problématique posée. On peut diviser cette dernière en 6 catégories.

A. Ressenti

1. Comment vivez-vous/ressentez-vous cette présence à domicile? (Est-ce pour vous quelque chose d’agréable ou au contraire de gênant?)

B. Antécédents.

1. Qu'est ce qui a motivé le besoin de recevoir des soins à domicile?
2. Quand on vous a dit que vous alliez recevoir quelqu’un chez-vous qu’en avez- vous pensé?
3. Avez-vous déjà eu une expérience similaire?

C. Perception

1. Quel sont les principaux avantages et inconvénients de ce type de traitement?
2. Quel est l’élément qui vous a le plus apporté de confort, de sérénité et au contraire quel élément a été pour vous le plus pénible, le plus difficile à vivre?
3. Préparez-vous votre maison avant de l’arrivée du professionnel? que faites-vous ?
4. Quelles sont vos attentes concernant le soin à domicile?
5. Pensez-vous que le professionnel se sent à l’aise chez-vous?
6. Pouvez-vous m’expliquer le déroulement d’une intervention quotidienne à votre domicile?
7. Avez-vous des anecdotes? il y a-t-il un événement en particulier qui vous a marqué?
8. Que pensez-vous de l’attitude du professionnel quand il est chez-vous?
9. Est-ce toujours le même professionnel qui vient chez vous?
10. Quelle est la fréquence et la durée des interventions ?
11. Avez-vous une heure précise pour les interventions?

D. Croyances

1. Pour quelle(s) raison le professionnel se déplace-t-il chez vous et quelle sont les tâches qu'il doit accomplir?
2. Vous croyez que le domicile est le meilleur lieu pour le soin?
3. selon vous quels sont les avantages et inconvénient des soins procurés dans une institution spécialisée?
4. Selon vous quels sont les avantages et inconvénients de travailler à domicile pour un professionnel?

E. Les relations

1. Comment vous sentez vous par rapport aux tâches que réalise le professionnel? (exclu, pas exclu)
2. Pensez-vous que vous vous occupez différemment de votre proche depuis l’arrivée du professionnel ? (vous sentez vous plus ou moins responsable ?
3. Comment est la relation bénéficiaire - professionnel?
4. Comment est la relation entre vous et le professionnel?

F. L’intime

1. Selon vous comment le professionnel vous perçoit?
2. Aimeriez-vous que le professionnel ne voit pas quelque chose de votre domicile ou de votre famille?
3. Vous arrive-t-il de vous sentir incommoder par sa présence?

5.4 La population

Mon idée était que la population était très différente dans le type de soin à domicile. J’ai réalisé 4 entretiens en Colombie dans la dernière semaine de mars et la première semaine d’avril 2013 pour les situations suivantes:

1. Soin à domicile de psychologie amené par une difficulté de relation mère-fille. Personne interviewée: Eva 19 ans
2. Visites psychologiques domiciliaires amenés par la protection de l’enfance. Personne interviewée:Milena 27 ans
3. Soin à domicile en médecine gériatrique. Personne interviewée: Maria 23 ans
4. Physiothérapie à domicile à une personne âgée.Personne interviewée: Eliana 24 ans

6. Les Résultats

6.1 Eliana 24 ans

Eliana est une jeune colombienne qui habite avec sa mère, son frère cadet et sa grand-mère maternelle. Eliana a 24 ans et elle est actuellement en troisième année en droit.Récemment son grand-père, avec qui elle habitait, est mort.

J’ai connuEliana à travers une amie en commun qui m’a expliqué qu’Eliana recevait un professionnel chez elle pour faire des thérapies physiques à sa grand-mère.

Je l'ai contactée par courriel et j’ai eu l’occasion de la rencontrer chez-elle où j’ai pu lui expliquer ma recherche et le déroulement de l’entretien. Je lui ai fait signer un accord.

Eliana s’est montrée assez intéressée pendant le déroulement de l’entretien. J’ai pu ressentir qu’elle avait envie de parler et je n’ai pas eu besoin de la pousser pour approfondir certains sujets plus intimes parce qu’elle l’a fait presque librement.

Cet entretien se compose de huit parties. La première partie est consacrée à la présentation et l’explication de l’objet de l’entretien. Lorsque celui-ci commence, Eliana accentue positivementla fonction d'étayage du soin à domicile (CM-1+)« Ça a été très profitable pour ma grand-mère. Qu’on puisse s’occuper d’elle chez nous, lorsqu’elle reçoit les soins qu’elle recevait avant à l’hôpital, cela nous a tous beaucoup aidé… ».Eliana nous a confié qu'au départ les déplacements étaient difficiles « on devait chercher quelqu’un qui avait un véhicule pour nous y amener ; avant on devait aller jusqu’à la clinique d’occident et là-bas on devait attendre que quelqu’un nous reçoive, il y avait toujours un délai d'attente ; parfois c’était l'infirmière qui était en retard etc., et puis après la chute de ma grand-mère c’était très difficile de la faire se déplacer. Elle n’aime plus sortir ». Dans cette première partie l’accentuation positive est totale ; le soin à domicile est nettement plus avantageux en comparaison aux soins à l’hôpital pendant lesquels Eliana a rencontré beaucoup de difficultés.Cette difficulté liée au déplacement justifie que le soin à domicile est un peu théâtralisé pour Eliana.Cette dichotomie entre clinique et domicile va réapparaitre dans la dernière partie de l’entretien où Eliana met en avant l'aspect sensoriel pour faire les associations domicile/chaleur et clinique/froid. « Alors, je crois que le domicile a ses avantages pour le patient, il est avec sa famille. Mais Je pense aussi que dans certains cas on ne peut pas être chez-soi, parfois il doit y avoir une clinique spécialisée. Mais oui, en tout cas je pense que c’est mieux que ma grand-mère soit avec nous et pas dans une clinique froide. »

Dans une deuxième partie, Eliana bouleverse l’idéalisation de l’objet. Elle énonce une caractéristique négative du soin à domicile ; celle de« l’incommodité » qui est aussi bien présente pour la famille que pour les professionnels qui interviennent au domicile des patients. Par exemple le fait de recevoir un étranger à son domicile peut parfois être une source de stress. Eliana nous fait part de son mal être lorsque que le professionnel intervient alors que son domicile n’est pas totalement rangé. Elle craint en effet que le désordre ne gêne le professionnel de santé La problématique du « désordre » est formulée sous différentes dénégations « Oui, alors… devoir tout nettoyer, peut-être, ranger les choses… ce n’est pas que noussommes désorganisés mais parfois on est fatigué ». Par ailleurs, Eliana exprime le désir de dissimuler le désordre au professionnel, cela met en jeu la question d’être « sale ou désorganisé» sous forme de dénégation (A2-3) gérable par un recours à l’humour (rire) (CM-3). La gêne d’être «désorganisé »est mise en rapport avec la possibilité de mettre mal à l’aise le professionnel.

Dans une troisième partie cette « incommodité » est mise en perspective avec l’évocation du meurtre du grand-père et les « visites à domicile » de la part du prêtre.Eliana met en relation ces deux expériences. Quand il y a un évènement important qui se produit au sein d'unefamille comme celui du meurtre d’un proche par exemple. Le regard de l’étranger et ses jugements n’importent pas « C’était un moment très triste, donc on n’avait pas beaucoup de temps pour nous inquiéter de ce que les autres pouvaient penser. Les circonstances n’étaient pas les mêmes, avec la physiothérapeute on se sent bien maintenant. Dans la famille, l’ambiance est bonne ambiance, la tranquillité règne. On a du temps pour préparer la maison. A contrario, avec la mort de mon grand-père, on était très triste, on n’avait pas de temps de penserau désordre qu'il pouvait y avoir,et encore moins à faire à manger pour le prêtre.On ne pensait qu’à mon grand-père »

Dans la partie suivante on revient sur la question de «l’incommodité » et « du désordre ». Ici on peut faire l’hypothèse que, pour Eliana, il y avait quelque chose à l’intérieur de son domicile qui n’était pas à sa place et que cette « désorganisation » la positionne d'emblée sur la défensive afin de se préparer au regard de l’étranger.On peut se demander s’il n’y aurait pas aussi d'autres « éléments » en désordre comme des émotions, désirs, liens etc.

Il est aussi important de souligner que le sentiment d’être regardé par le professionnel masque une question qu’Eliana se pose et, grâce à l’ironie, arrive à formuler au psychologue: «Sommes-nous sales ?»Cette question au psychologue permet à Eliana de se faire une idée sur le regard que porte l’étranger sur son intimité.

Cette « incommodité » face au regard de l’autre a une tendance à la persécution et peut renvoyer peut être à une image d’une mère persécutrice qui surveille. « On vérifie que tout soit bien rangé ». On peut s'interroger afin de savoir si le soin à domicile peut être vécu comme un regard intrusif voire un jugement que l'on porterait à la famille.

On peut mettre en lumière le changement de la fonction d’étayage de l’objet énoncé dans la premier partie de l’entretient à l’évocation d'un mauvais objet qui observe, qui fait mal et qui vole « Je ne le dis pas parce qu’elle a l’intention de voler quelque chose ».Cette division des deux facettes du soin à domicile, qui s'articulent entre elles, ne constitue pas un fonctionnement par clivage.Eliana arrive à aborder l’ambivalence de l’objet et reconnaitre son double visage.

Dans une cinquièmepartie de l’entretien, Eliana évoque à nouveaucet objet qui l’observe et l'attaque sur son intimité : elle reconnait que le sentiment de vulnérabilité face au soin à domicile dépend de la présence ou non de l’intimité, si la thérapie se déroule à domicile la personne n’aime pas rester toute seule avec le professionnel mais par contre si elle se déroule dans la clinique le patient peut rester seul, il peut même être gêné par la présence d’un proche. Le domicile est reconnu ici comme « un lieu très intime » dans lequel se manifeste une relation ambivalente avec le professionnel. D'une part, le côté positif de la fonction d’étayage est évoqué mais d'autre part il est aussi reconnu une certaine anxiété produite par un objet qui observe et attaque l’intimité avec les mécanismes défenses que cela éveille.Mais la fonction d’étayage est élaborée d’une autre manière. L’intrusiond’un professionnel au sein du domicile lorsque la famille a besoin d'une aide extérieur (comme le meurtre d’un proche) fait qu’elle (l’intrusion) est vécue comme une reconnaissance d’aide. Autrement dit, lorsque la tension familiale n'est plus gérable pour la famille, la venue d'un étranger est vécue comme un étayage. On peut faire l’hypothèse que la gêne, que peut occasionner le regard d'un individu extérieur à la famille ou à l'entourage, apparait lorsque les tensions internes de la famille ne sont pas trop importantes.

Cette hypothèse est confirmée lorsqu’on repère l’expression d’un affect massif rapporté à la mort de son proche (E2-2) « une douleur sans limite » qui est gérable grâce à l’introduction d’un professionnel que représente une institution (celle de l’église). Cette introduction permet à la famille de s’approprierun cadre pour penser à cet évènement « Le prêtre avec ses paroles sur Dieu nous a…comment on dire ?... je ne sais pas. Nous a un peu soulagé à l'idée que mon grand-père allait se sentir mieux, qu’il n'allait plus souffrir, et qu’il allait être auprès de Dieu ».

La partie suivante de l’entretien aborde la possibilité que la grand-mère soit considérée comme une charge.Eliana nous dit avoir laissé sa grand-mère seule avec la thérapeute, afin qu’elles puissent dialoguer sur ses sentiments et partager sa crainte de se voir comme une charge pour la famille. Cette révélation est abordée par Eliana avec dénégations (Elle n’est une charge pour personne). Ce qui nous pousse à nous interroger sur l’hypothèse qu'en effet Eliana puisse considérer sa grand-mère comme une charge.

A la suite de la question du psychologue «Y a-t-il un événement en particulier qui vous a marqué ? » Eliana évoque deux anecdotes « choquantes » qui vont nous amener à la reconnaissance de deux caractéristiques négatives du soin à domicile ; la première anecdote est la suivante : « Ce n’est pas que j’ai des soucis concernant le travail de la physiothérapeute, au contraire, elle ne me parait pas mauvaise, elle me semble être quelqu'un de bien, son travail nous a beaucoup aidé. Mais une fois la physiothérapeute m’a interpellé lorsque j'aidais ma grand-mère : «Eh! On ne peut pas faire cela comme ça», elle m’a ensuite montré comment je devais le faire.Elle avait probablement raison, mais je ne sais pas, on peut le dire d’une autre manière. Ce n’est pas ce qu’elle m’a dit mais la manière avec laquelle elle me l’a dit.C’est désagréable que quelqu’un te dise ce que tu dois faire chez toi» Ce récit est rempli de trois dénégations qui ont pour but de permettre à Eliana de prendre de la distance avec l’expression de sa plainte; celle de se faire reprendre par quelqu’un d´étranger. Le besoin de recourir à de nombreuses dénégations indique l’intensité et la difficulté à gérer cette situation.On a l’habitude de faire les choses chez-soi et, se voir imposé un changement par quelqu’un d’extérieur, nous conduit à nous interroger sur les limites du pouvoir des institutions et le propre pouvoir.

Deuxième anecdote : « on a aussi dû faire face un autre évènement incommodant. Un jour, mon frère qui était là avec sa copine, et vous savez, ils sont à l’adolescence et c’est un âge plutôt difficile. Ils ont eu une discussion de couple comme toujours et la petite copine de mon frère s’est en allée et lui, il luitéléphoné très en colère et il a commencé à crier, à dire de gros mots. Je ne savais pas me mettre. C'était horrible j’avais honte - oui, c’était horrible! Ça m’a fait rougir !Que quelqu’un d’étranger à ma famille sache ces choses-là! Très intimes! Ma mère lui a sonné les cloches, il doit apprendre à bien se tenir lorsqu'il y a quelqu’un à la maison ! »Dans cette anecdote, on constate à quel point c'était gênant pour Eliana que la thérapeute voit les problèmes internes de la famille. Le psychologue en soulignant ce que dit Eliana « il y a une autre manière de se tenir quand il y a quelqu’un à la maison » ouvrait la question de limites entre savoir “se tenir” quand il y a quelqu’un d’étranger chez-soi et l’hypocrisie. Cette distinction est difficile à faire pour Elianaqui doit recourir à une question au clinicien (CM-1) et une référence à des normes extérieures en disant une phrase typique (CF-2).« Oui bien sûr, je ne dis pas qu’on doit être hypocrite mais peut être vous m’avez mal compris, car on a tous des problèmes, mais on doit apprendre à se tenir, à se contrôler.C’est normal n’est-ce pas ? C’est normal, n’est-ce pas? Comme on dit, on doit laver son linge sale en famille».

La dernière question est la suivante « Comment selon vous le professionnel vous perçoit-il ?»Comme dit si bien Eliana, c’est une question difficile. Dans cette dernière partie la découverte qu'a fait la professionnel, le « regard » qu’elle a porté à l’intérieur de la famille en découvrant la souffrance d’une proche amène Eliana à être sur la défensive afin de se protéger. La dénégation est principalement mise en œuvre pour exprimer la sensation d’être perçu comme « mauvaise », comme responsable de cette situation.Le récit termine avec le recours à la fonction d’étayage de l’objet pour éviter l’élaboration de cette sensation. « C’est une question difficile. Je ne sais pas (réflexions) ; je ne crois pas qu’elle ait une mauvais image de nos car on a toujours était présent lors de soins de ma grand-mère. Toujours là pour lui venir en aide.Si elle s’est aperçue que notre grand-mère est un peu triste je pense qu’elle comprend que ce n’est pas de notre faute. Se sentir une charge à cet âge c’est d'une certaine manièrenormal, n’est-ce pas? En plus on fait tout pour ne pas qu'elle se sente comme une charge. Si elle peut parfois se sentir comme une charge, ce n'était en aucun cas volontaire de notre part. On l’aime. C'est pour cela que je suis très étonnée qu’elle ait dit ça. Mais grâce à la physiothérapeute, on a pu le savoir et lui montré que ce n’est pas comme ça qu’on la voit.»

6.2 Eva 19 ans

Eva a 19 ans, elle est colombienne et habite à Bogotá dans une maison. Elle est mère d’un bébé de 2 ans. Eva habite avec sa mère et son fils.Eva fait des études pour devenir d’infirmières. Elle a un enfant issu d’une relation occasionnelle. Elle connaît le père de Nickolas, son fils, mais le père ne prend aucunement l'enfant en charge.

Ses parents sont divorcés depuis plusieurs années et son père habite à Medellin, une autre ville de Colombie. Il s’est remarié et a formé une famille recomposée avec une femme avec qui il a eu un enfant.

La grossesse a occasionné des fortes tensions avec sa mère, qui a toujours regretté cette situation.A cause de ces problèmes de relation mère-fille difficile, le père a pris la décision de contacter un psychologue pour les aider à résoudre ses problèmes.Le psychologue a travaillé à domicile. Je suis une amie d’Eva depuis maintenant plusieurs années et je l’ai invitée à faire partie de cette recherche. Nous avons eu un entretien à son domicile. Bien que parfois j’aie ressenti un peu de difficulté à relancer le discours d’Eva, qui restait assez réservée avec des réponses courtes, on a réussi à aborder son vécu face au soin à domicile.

L’entretien commence avec la présentation du psychologue et l’explication du but de l’entretien.Le psychologue invite Eva à parler librement sur son vécu dans le soin à domicile mais elle a du mal à amorcer son discours. Les différentes interrogations exposées par Eva au psychologue nous démontrent cettedifficulté à démarrer son discours. Lorsqu’elle arrive, elle commence en disant qu’elle avait beaucoup de problèmes avec sa mère, mais, en fin du récit, elle dit que « le psychologue parle avec ma mère pour comprendre pourquoi elle était aussi cruelle, aussi méchante ». Cela amène à se questionner sur l’élaboration qu’elle a fait des problèmes qu’elle avait parce qu’il semble, au premier abord, qu’Eva ne reconnait pas sa responsabilité et reporte toute la responsabilité sur sa mère. Cette hypothèse sera renforcée avec cette question du psychologue : « Et quels changements ont provoqué ces visites? » à laquelle Eva répond : « Ma maman me comprenait et elle ne se disputait plus avec moi».

Ensuite, il y a une association entre la confiance faite à une personne connue et la possibilité de se dévoiler, de parler sur les choses plus intime, plus personnelle car on ne craint plus le regard de l'autre et son jugement. Eva dit que tout d’abord l’expérience du soin à domicile a été difficile du fait que le psychologue était une personne inconnue et le danger de lui parler pour qu’il puisse dévoiler son intimité à n’importe qui. « Au début, bien sûr, c'était difficile pour moi de raconter mes problèmes à quelqu'un que je ne connaissais pas, je pensais qu'il allait le répéter a tout le monde. Donc sincèrement ce fut quelque chose de difficile ». On confirme cette association quand Eva dit qu’«au fur et à mesure, j'ai fait confiance au psychologue et il nous traitait comme si on était des membres de sa famille, comme des amis ». Je voudrais souligner cette phrase : « il nous traitait comme si on était des membres de sa famille » pour s'interroger éventuellement sur une possible perte de repères entre le rôle du psychologue lorsqu'il était chez Eva. Cette division en deux pôles. D’un côté les choses connues, une personne faisant partie de la famille ou du moins une connaissance, la confiance et la possibilité de parler. Et d’un autre côté, un étranger et la possibilité de dévoiler son intimité, d'être observé, d'être jugé. Cette problématique est confirmée par la question du psychologue « comment tu te sentais pendant les thérapies ? Pour être honnête au début je ne lui prêtais pas beaucoup d'attention car premièrement c'était un inconnu pour moi, je le voyais entrer, de plus je pensais au nombre de personnes à qui il allait raconter nos problèmes, bien que ce ne soit pas à tout le monde ».

La partie suivante de l’entretien dévoile, qu’une fois que le psychologue a abandonné le statut d’inconnu pour Eva, elle l’a situé dans le pole familial, le psychologue est devenu un « appui »pour gérer les conflits entre elle et sa mère. On peut donc constater un changement dans la relation avec le psychologue. Il commence par être un « inconnu » et représenter un danger du fait du regard qu'il peut porter sur l'intimité la famille et « dévoiler » justement cette intimité-là. Par la suite, le psychologue étant considéré comme un appui pour gérer les tensions internes de la famille, le soin à domicile est donc vécu dès-à-présent comme une reconnaissance d’aide. « Quand j'arrivais chez moi et que je regardais la tête de ma mère, quelle horreur ! Je me sentais seule comme si personne ne me soutenait donc j'appelais mon papa ou le psychologue et il me disait d'essayer de parler avec elle, dis-lui, parle lui jusqu’à ce qu'elle comprenne et on pouvait parler un peu. »

Dans la troisième partie, le psychologue s’intéresse sur cette fonction d’étayage positive qu’Eva donne aux visites du psychologue. Il lui propose donc d'approfondir ce thème et Eva dévoile comment, d’abord, elle établissait une relation d’opposition aux conseils du psychologue : « Je pensais qu'on était en train de perdre notre temps, que c’était un peu con et qu'on devait chercher une autre solution ».Mais avec le temps, le psychologue trouve une place de soin pour Eva : « comment tu te sentais quand tu devais raconter à un inconnu tes problèmes, tes disputes avec ta maman? Et comment tu te sentais avant cela ? Eh bien, c'était étrange car normalement on parle de ça avec un ami ou une personne que l'on connait mais, le raconter a quelqu'un qui vient de nulle part et devoir lui dévoiler pratiquement tout, c'est bizarre. Car on veut avoir confiance en une personne parce que tu lui raconte tout et elle, en contrepartie, peut penser "c'est fou ce qu'ils sont en train de faire" mais bien sur la personne ne va pas te le dire ; ne fais pas ça c'est mal. Mais il peut le dire autrement ; en plus, il ne te juge pas, il ne va pas te faire des reproches, il va seulement t'écouter et de donner des conseils ». Pour conclure, Le soin à domicile dont a profité Eva a mis en lumière les éléments suivants :

1. la difficulté à dévoiler des tensions au sein de la famille devant un étranger : « il y a certaines choses que tu préfères ne pas dévoiler et surtout si tu dois les raconter devant les membres de ta famille ; il y avait certaines questions qu'il me posait et je ne sais pas, cela me donnait comme de la peine, cela me faisait peur. Qu'est-ce qu'il dirait, qu'est-ce qu'il penserait de moi, enfin je ne sais pas. »
2. La difficulté à parler à un inconnu sur des choses personnelles, privées.
3. Les deux oppositions auxquelles les particuliers doivent faire face : d'une part, une personne inconnue qui observe et raconte les choses privées à n’importe qui et, d’autre part, un professionnel auquel on peut recourir lorsqu'on ne peut plus gérer seul les tensions internes de la famille.

6.3 Milena 27 ans

Milena est mère de deux enfants âgés de 8 et 6 ans. Elle est Colombienne et travaille comme femme de ménage. Milena dit ne plus avoir de nouvelles du père de ses enfants. Elle habite avec ses enfants dans un appartement situé dans un quartier difficile de Bogotá. Sa situation économique est fragile puisque ses revenus sont inférieurs au smic. J’ai contacté Milena grâce à son ancienne chef qui m’a parlé d’un problème qu’elle avait avec la protection de l’enfance de la Colombie ICBF; elle a été accusée par une voisine d’abandonner et maltraiter ses enfants. L’ICBF a mis en place une enquête pendant laquelle la protection de l’enfance a pris en charge les enfants de Milena. Un juge de la protection de l’enfance a levé la mesure de placement et les enfants ont pu retourner chez leur mère. Pendant et après l’enquête, Milena a reçu des visites d’un psychologue dans son domicile afin de vérifier que les enfants étaient bien.

La première fois que j’ai eu Milena au téléphone, j’ai eu du mal à lui expliquer que je ne travaillais pas pour la protection de l’enfance, que je venais de la part de son ancienne chef et qu’en tant que psychologue j’aimerais lui proposer de parler sur son vécupendant les visites domiciliaires.

A cause de ses horaires de travail, on avait du mal à placer un rendez-vous mais comme en Colombie le 29 et 30 mars sont fériés,elle a pu me recevoir le 29. Après mon explication sur la recherche, elle a été un peu déçue car elle avait imaginé que moi, en tant que psychologue, pouvais l’aider en disant au juge «qu’elle était une bonne mère». Elle m’a alors répondu: «Alors, ça veut dire que vous ne pouvez pas dire au juge que vous, en tant que psychologue me trouvez une bonne mère?».Malgré cet inconvénient elle a accepté de faire partie de ma recherche en disant «bon, vous êtes déjà là,posez-moi vos questions alors».

L’entretien a été pour Eliana un moyen d’exprimer ses plaintes envers l’ICBF[3] mais aussi elle a pu investir le but de l’entretien qui est de parler librement de son vécu.

Cet entretien a trois grandes parties: d’abord toute la partie qui concerne à l’explication générale de la situation. Après, Eliana développe la question des visites domiciliaires et enfin Eliana arrive à reconnaitre un aspect positif des visites grâce à la déprofessionnalisation d’un employé de l’ICBF.

L’entretien débute avec l’invitation du psychologue de parler librement de son vécu. Toute suite Eliana a pris la parole pour «me plaindre de l'attitude de l'ICBF envers moi et mes enfants. Je suis une mère célibataire qui élève deux petites créatures de 8 et 6 ans. Et l’ICBF a voulu par tous les moyens me voler mes enfants». Comme on aurait pu s’y attendre, Eliana positionne d’emblée les visites à domicilecomme dangereuses, attaquant sa famille. L’institution lui a volé ses enfants. Dans le deuxième paragraphe elle met en place un discours où d’un côté elle dit que c’est à cause de sa voisine que l’institution l’a attaquée (en lui volant ses enfants): «Figurez-vous que l'ICBF a cru les dires de ma voisine qui leur a raconté qu'ils (les enfants) restaient la plupart du temps enfermés et abandonnés et mourraient de faim… Menteuse !». Et elle discrédite la voisine: «Elle est juste jalouse… ces accusations sont un tissu de mensonge.»Et d’un autre côté, elle justifie «la situation de ses enfants» en exprimant deux arguments: 1. A cause de son travail elle n’a pas le temps de prendre en charge ses enfants. «Je travaille et à cause de mon emploi je ne peux pas rester toute la journée avec eux donc qu'est-ce qu'il faut que je fasse ? Ne pas travailler et rester toute la journée avec eux et du coup je les nourris comment? D'où je sors l'argent pour les nourrir?»2.Le père des enfants ne l’a jamais aidée «Et cet homme, leur papa, dès qu'il a su que j'étais enceinte de Nicolas il est parti et je n'ai jamais eu de ses nouvelles» pour conclure «Mais ce n'est pas une chose qu'ils ont pris en compte pour prendre la décision de me prendre mes enfants.»

Je retiens de cette première partie le conflit qui se joueentre la disqualification absolue de l’institution puisqu’elle est contrôlée pour«un tissu de mensonge»et la reconnaissance discrète que dans ce «tissu de mensonge»il y ait des choses vraies qu’Eliana est obligée de justifier. On peut donc voir dans un premier moment qu’il semble que l’opposition à l’institution est causée par les mensonges de la voisine, mais après il semblerait que c’est plutôt que l’institution ne comprenait pas sa situation (donc les accusations sont vraies pour Eliana). Le problème est donc causé par une «incompréhension» et non plus par des mensonges.

Après une invitation du psychologue pour approfondir sur comment tout ça s’est passé, Eliana met en place un conflit entre les limites du pouvoir institutionnel et son domicile.«Ils envoyèrent un homme et une femme chez moi mais je ne les ai pas accueillis. Pourquoi? Cette maison est la mienne et ils ne m'ont pas informée de leur visite ni rien donc je n'ai pas ouvert. Deux semaines après ils m'envoyèrent une lettre m'informant de leur visite. C’est comme ça que l’on doit procéder, tout d’abord on doit m’informer qu’ils vont venir. C’est chez-moi Monsieur!»Donc il faut l’accord d’Eliana afin que l’institution puisse intervenir au domicile.Je voudrais souligner que la présence dans cette visite des agents de la police a été vécue par Eliana comme un essai pour «l’impressionner» «Cette fois ci deux policiers sont venus comme pour m'impressionner.»

L’ICBF a pris la décision de retirer les enfants du milieu familial, décision qui a été bien sûr mal vécue par Eliana «Ils m'emmenèrent faire une déposition à l'ICBF, avec la nouvelle que mes enfants allaient être confiés momentanément aux soins de l'ICBF pendant le temps de l'enquête. Moi j'ai dit à ces types que jamais ils ne pourraient me voler mes enfants! Mais ils sont allés au collège pour mes enfants. Ce jour-là j'ai cru que j'allais mourir… (Silence) Ce n'est pas juste. Mais de quel droit?»L’exécution du pouvoir de l’institution sur l’intimité d’Eliana réveille des émotions assez fortes et un appel à la notion de justice. C’est à nouveau qu’Eliana se plaint d’une incompréhension «Je ne peux pas leurs donner tout ce qu'ils voudraient mais je les aime et je fais de mon mieux mais personne ne le voit (pleure)».

La décision de l’institution de placer les enfants réveille en Eliana la question d’être une mauvaise mère dangereuse pour ses enfants.Cet idée est formulée comme une dénégation «je ne suis pas une mauvaise mère» «je ne leur fais pas de mal (aux enfants)» qui est suivie par une comparaison sous forme de justification entre elle et la professionnelle de l’institution «mais comme la fonctionnaire de l'ICBF est professionnelle elle ne peut pas comprendre, elle peut confier ses enfants à quelqu'un lorsqu'elle travaille donc elle ne me comprend pas.»

Ces réflexions amènent à Eliana à la possibilité que quelqu’un s’occupe de ses enfants lorsqu’elle travaille. Possibilité qui met en lumière la vulnérabilité de son intimité lorsqu’il y a l’introduction d’une étrangère dans son domicile«Dites-moi à qui je confie mes enfants pendant que je travaille? A un étranger? Pour qu'il fasse je ne sais quoi avec mes enfants?»

Même si les enfants sont retournés vivre chez leur mère, Eliana continue à recevoir des visites périodiques de la protection de l’enfance pour assurer le bienêtre de ses enfants. Ces visites sont vécues par Eliana comme «un processus de victimisation» «Enfin j'ai pu les récupérer, l'ICBF me les a rendus mais nous sommes toujours dans un processus de victimisation.»

Il me semble que avec les mesures de placement on place ne seulement à l’enfant mais aussi à toute la famille dans une position de se voir, de se concevoir comme «mauvaise» ou «victime» et on ne fait guère pour reconstruire cette message lorsque on place à nouveau l’enfant chez-lui. Mais je reviendrai sur cette question plus loin dans le texte.

Dans une deuxième partie, et après la contextualisation des faits, Eliana approfondit sur les visites qu’elle reçoit actuellement.Elle s’oppose à ces visites car elle les ressent comme «un enfer».

Cette opposition est vécue comme une possibilité qu’à nouveau l’ICBF «vole» ses enfants. Possibilité qui évoque la situation d’être «surveillée».Lorsqu’Eliana ressent la possibilité de se faire enlever ses enfants, elle met en place un discours où elle défend que le meilleur endroit pour un enfant est à côté de sa mère. C’est le foyer qui fait du bien et l’institution qui fait du mal «Du coup maintenant ils m'envoient un psychologue pour voir si mes enfants vont bien, voir si mes enfants sont bien avec leur maman! S'il vous plaît! Bien sûr que mes enfants sont bien avec leur mère. Où veulent-ils qu’ils soient à l'ICBF? Dans les institutions pour orphelins? Un enfant n'as pas mieux comme endroit que son foyer avec sa mère, ça c'est quelque chose qu'ils ne peuvent pas comprendre.»

L’opposition aux visites est visible grâce à des comportements d’Eliana «la première fois je ne leur ai pas ouvert, je l’ai fait afin d’être méchante avec eux, je leur ai dit qu'ici le commérage ne fonctionne pas». Eliana ne laisse pas entrer le psychologue non seulement pour «être méchante» pour leur faire du mal, mais aussi pour établir une limite au pouvoir des institutions dans son domicile.Cet essai d’arrêter le pouvoir institutionnel fait que la protection à l’enfance envoie une lettre à Eliana en disant qu’elle devait les recevoir sinon ils allaient lui prendre ses enfants.C’est par une lettre que l’institution rétablit son pouvoir etprovoque chez Eliana un vécu d’impuissance «Je me suis sentie impuissante, obligée de les recevoir chez moi à contrecœur.»

Ces visites ont été vécues comme une atteinte à son intimité; Eliana dit que «je suis tout le temps avec lui (le psychologue), je ne le laisse pas seul.» et quand on lui demande la raison elle répond «Je n'ai pas confiance en quelqu'un qui va peut-être m'enlever mes enfants.», situation qui renforce le vécu de persécution par l’institution.

Cette persécution est consolidée par la sensation que le psychologue vient à juger son rôle de mère. «Ce qui me met de mauvaise humeur c'est que cette doctoresse est venu juger mon travail de mère.» et c’est ce «travail de mère» qui est situé dans la maison où Eliana va constituer un «savoir spécifique» d’être mère qui n’est pas accessible à la compréhension des institutions. «Qui est l'ICBF pour venir me dire dans ma maison comment je dois élever mes enfants? Ils n'ont aucune idée de ce que c'est d'être pauvre, de ce que c'est de devoir travailler pour avoir un foyer, non eux ils croient que je laisse mes enfants à la charge de quelqu'un d'autre.»Ce que je veux souligner ici est la façon dont Eliana établit un savoir dans le champ du domicile (savoir de la mère pauvre) qui n’est pas compréhensible pour les institutions, et donc fait que le pouvoir que ces derniers exercent sur le domicile soit vécu comme une injustice. «Surveillée, je me sens jugée, évaluée»

Dans la partie suivante de l’entretien on peut voir que la division entre «domicile- mère- famille- bon» et «l’institution mauvaise» est élargie à la rue.C’est-à-dire que cette fois ce ne sont pas seulement les institutions les mauvaises mais la rue aussi, en opposition à la maison «qu'est-ce qu'ils veulent que je fasse? Que je les laisse sortir dans la rue avec tous les risques qu'il y a. Qu'est-ce qui est le mieux: qu'ils soient enfermés dans la maison où il n'y a pas aucun danger ou qu'ils soient dans la rue propice au vices?.. Ici ils sont mieux, (silence)».

Tout ce vécu d’impuissance, d’injustice voire de violence sont difficiles à gérer pour Eliana qui facilement tombe en larmes. Elle pose une question au psychologue en lui demandant son avis sur cette situation, peut-être en cherchant la défense de la part d’une autre institution «Et vous en tant que psychologue vous pensez que ce que l'ICBF a fait avec moi est bien?»Question dont profite le psychologue pour lui faire voir que l’institution n’est pas seulement là pour la juger mais pour l’aider.Tentative inutile car Eliana se maintient dans l’idéalisation négative de l’objet «Oui, peut-être, ou de me les voler. Pour personne en Colombie c'est un secret qu'à l'intérieur des mafias on vend des enfants (effectivement il y a des mafias de l’adoption).Je veux qu'on me laisse tranquille, on ne me volera pas mes enfants, je serai morte avant que cela se produise.»

«Je veux vraiment que tout cela finisse, qu'ils arrêtent de venir chez moi, qu'ils me laissent élever mes enfants comme je l'entends car je ne leur fais pas de mal, à la sueur de mon front je les tire vers l'avant. Vraiment que cet enfer se termine, de ne pas pouvoir savoir si je peux perdre mes enfants; (Cache ses yeux avec son visage)»

Pour continuer, le psychologue essaie d’approfondir sur la vision qu’elle a sur la façon dont l’institution la voit. «Selon vous comment l’ICBF vous perçoit?» Cette vision est constituée d’une «théâtralisation» faisant la description d’une mauvaise représentation et une bonne représentation de soi. «je suis la mère la plus démotivée au monde, que je n'aime pas mes enfants et que je suis bourrée toute la journée ou une prostituée qui part tous les soirs qui va coucher avec le premier venu laissant mes pauvres enfants seuls et les enfermant car j'aime enfermer mes enfant. Et pas une mère Colombienne qui travaille pour leurs donner des flans et du pain,qui reste 8 heures en travaillant, qui prend le bus et arrive à minuit et qui trouve encore l'énergie pour vérifier les devoirs de ses enfants.»

Le psychologue fait appel au dossier de l’ICBF pour lui montrer que l’on lui a reconnu des bonnes capacités maternelles, que ce que l’ICBF veut faire c’est l’aider avec ses enfants.Mais Eliana développe un discours pour montrer que cela n’est pas vrai, que le psychologue de l’ICBF vient chez elle pour lui imposer des ordres comme s’il était chez-lui ou était son mari. «Mais me donner des ordres comme si j'étais chez lui ou qu'il était mon mari! La dernière fois on était dans la cuisine et il me dit que les produits d'entretiens ne doivent pas être à la portée des enfants. Je m'apprête donc à les changer de place mais il me dit: «vous ne voyez pas qu'ils peuvent les attraper?» Et à ce moment-là je me suis libérée d'un poids et je lui dis «vous pensez que je suis bête et que j'ai besoin que vous m'expliquiez cela?» Je ne vais pas penser qu'il me fait cette remarque parce que moi je crois que mes enfants vont se mettre à faire le ménage. Imbécile!» Cette dernière partie représente bien le vécu d’intrusion des institutions dans le domicile d’Eliana.«Comment si j’étais chez-lui ou qu’il était mon mari» souligne que pour Eliana le pouvoir doit venir de l’intérieur de la famille.

Dans la dernière question, Eliana arrive enfin à reconnaitre un aspect positif des visites domiciliaires. «- Et vous pensez que ces visites vous ont apporté au moins quelque chose de positif?- Non (silence) peut-être. Il y a une femme qui vient parfois avec le psychologue, je crois qu’elle oui et elle n'est pas professionnelle, ou je ne sais pas, je ne crois pas et ce n'est pas pour les blesser mais parfois vous êtes sur un piédestal, vous croyez que vous pouvez venir et tout arranger mais non ça serait tellement facile et au moins cette fille a été plus aimable avec moi, elle a su me parler, je crois qu'elle sait plus comment aider les enfants à aller de l'avant, je ne sais pas si elle est mère, peut-être l’est-elle, et surement qu'elle sait comme moi que la vie est dure, oui c'est peut-être ça et qu'elle partage ma situation et c'est pour ça qu'elle me comprends et qu'elle m'aide mieux. Une fois je lui ai même offert le thé mais seulement à elle pour que le psychologue se sente mal, par manque de respect».

Après un entretien où Eliana ne parle que des vécus d’impuissance, d’agression, de persécution, de jugement et d’incompréhension de la part des institutions, elle arrive, grâce «à une personne non professionnel», à reconnaitre ou ressentir de différentes manières ces visites.Elle peut établir un lien d’aide avec l’institution parce qu’à l’intérieur de celle-là il y a une personne comme Eliana, qui n’est pas professionnelle, qui n’est pas sur un piédestal et qui peut la comprendre.«Et bien j'espère que vous les psychologues, apprendrez plus à connaitre les circonstances personnelles de chaque personne et que vous serez plus réalistes»

6.4 Maria 23 ans

Maria est colombienne, elle a 23 ans, termine ses études en psychologie et habite dans une grande maison à Tunja, une petite ville de Colombie. Maria habite avec sa mère et sa grand-mère qui bénéfice des visites régulières de médecins gériatriques.Ces visites sont faites par plusieurs médecins et le médecin change donc régulièrement.

J’ai connu Maria grâce à un ami en commun qui nous a mis en relation.Maria a été agréable pendant l’entretien qui s’est déroulé chez-elle.

L’entretien comprend 4parties. Tout d’abord le psychologue se présente et présente le but de la recherche, puis il invite Maria à parler de son vécu.Maria amorce son discours en disant qu’il y a des médecins qui sont aimableset d’autres qui ne le sont pas.«Il y a des docteurs qui sont plus aimables que d'autres, lui il l'est. Les autres font seulement leur travail et ils s'en vont.» Les médecins qui ne font que leur travail ne sont pas aimables.Donc pour l’amabilité il doit y avoir quelque chose de plus que le professionnalisme.C’est la confiance qui permet au médecin d’être aimable pour Maria «Ah ce docteur qui est venu depuis 8 mois par exemple quand il s'occupe de ma grand-mère il doit y avoir quelqu'un avec elle. Ma grand-mère lui dit qu'elle a des migraines et lui fait quelques doléances, le docteur lui dit qu'elle peut faire ceci ou cela. Il y a une confiance car cela fait 8 mois qu'il vient.D'autres médecins ne font pas cela, peut-être que ma mère ne leur fait pas autant confiance.» Donc on peut voir que si le professionnel qui travaille à domicile se permet de faire d’autres choses en supplément de son rôle en tant que professionnel, il peut ainsi établir une relation de confiance et devenir un «professionnel aimable». «Il y a de la confiance il lui pose des questions à propos de la famille.»

Dans la prochaine partie, Maria sépare sa famille (sa mère et grand-mère) d’elle-même pour décrire comment ces visites ont été vécues.«Ah et bien elle (sa grand-mère) aime les visites, enfin elle le prend bien quand le médecin vient à la maison car elle n'a pas besoin d'aller à l'hôpital. Comme ma grand-mère aime bien la visite elle le prend bien, comme une visite médicale, il le faut bien…- Et vous vous aimez en général avoir de la visite ?- Moi non, parce que je suis en train de faire quelque chose et peut-être qu'à ce moment-là je veux être seule ou que je suis en train de faire quelque chose d'important. Donc j'aime les visites quand je sais qu'ilsvont venir, mais pas à l'improviste.»Ici on peut voircomment, selon Maria, la grand-mère a bien vécu les visites, mais pas elle parce qu’elle n’aime pas les visites «à l’improviste» et comme «ma grand-mère ne fait pas grand-chose, toute visite est bonne pour elle.».Maria ajoute deux autres raisons pour lesquelles elle n’aime pas les visites 1. Je ne suis pas attentive «C'est qu'une visite il faut attendre la personne et je ne suis pas très attentive à ces visites.» 2. Il y a du raffut «Vous êtes-vous déjà senti gêné par l'une de ces visites ?- Moi pour les visites en général ? Oui, évidement car il y a du raffut.»

Dans la troisième partie, face à la question du psychologue «Comment croyez-vous que le médecin qui vient maintenant depuis 8 mois vous perçoit-il ?»Maria fait une dénégation qui met en jeu la question de l’existence d’une affection entre le professionnel et la famille. «Je ne sais pas quelle perception de notre famille il a mais je crois qu'il y a une relation cordiale. Il n’a pas d'affection pour nousmais il y a une bonne attitude envers la famille.»La dénégation portée sur l’existence de sentiments peut être une forme de défense contre la perte des repères entre l’intérieur et l’extérieur de la famille, entre institution et maison. Cette hypothèse est renforcée par le fait que pour Maria il ne peut pas y avoir d’affection dans une relation professionnelle «Il y a des mots qui ressemblent à de l'affection ou à de la tendresse mais ce ne sont pas les mots adéquats…. Il y a un climat de confiance entre nous quand il nous demande comment on s'est porté, tout cela montre son intérêt, qu'il se préoccupe de nous mais cela ne veut pas dire affectueux; c'est une relation professionnelle. C'est une bonne intention, ce sont des soins de qualité. - Cela signifie que vous ne pouvez pas avoir une relation amicale avec le professionnel de santé?- Ce n'est pas approprié. Si, cela peut arriver mais ce n'est pas le mot exact.»

Dans la dernière partie, on aborde la question «de saleté». Face à la question «Y a-t-il quelque chose qui vous gênerait si le médecin la voyait ?- Pour moi non mais je sais que ma maman et ma grand-mère par respect aimeraient que tout soit propre, qu'il n'y ait pas de saleté, que rien n'interfère pendant qu'ils sont là….Dans une maison, il peut y avoir de la poussière, il peut y avoir je ne sais pas… La maison peut juste être sale et il n'y a pas non plus de quoi critiquer, de dire quelque chose car c'est une maison non ? Et lui il vient à l'improviste» Ici on constate comment Maria maintient la division entre le vécu de sa grand-mère et elle. Pour sa grand-mère il faut ranger, mais pour Maria ce n’est pas nécessaire car venir à l’improvistejustifie la «saleté».

7. Conclusion: Les risques du soin à domicile et les éléments pour y faire face.

Je vais souligner les risques propres au soin à domicile que j’ai repéré dans cette recherche en présentant aussi les éléments que peuvent être utilisés par les professionnels afin de faire face à ces risques.

Tout d’abord je veux revenir sur le risque des généralisations de cette recherche, d’aucune façon on ne peut utiliser les mécanismes de défenses repérés dans les 4 entretiens pour les généraliser à toutes les personnes qui reçoivent des soins à domicile car il y a deux facteurs qui empêchent cette démarche:

1. L’importance de la source de la demande: On peut repérer que les mécanismes de défense et en général le vécu d’un sujet dans le soin à domicile varient lorsque c’est un soin à domicile dont la famille a fait la demande puisqu’elle n’est plus capable de gérer une problématique interne (Cas de Eva et Eliana), lorsque c’est un programme général de soin du gouvernement, donc il n’y a pas une demande spécifique (cas de Maria) ou lorsque le soin à domicile est obligatoire dans une démarche où la demande vient de l’institution pour exercer son pouvoir dans une famille (Cas de Milena). Cette source de la demande est à l’origine du type de lien social qui se va établir pendent les séances à domicile, comme l’a souligné Gagnon et collaborateurs (2001)

2. La structure psychique: Bien qu’on n’ait pas intégrée de population psychiatrique, on ne peut pas méconnaitre les différentes «personnalités» des sujets interviewés. Ces différences vont répercuter sur les mécanismes de défense mis en place.La totalité des sujets interviewés étaient des femmes entre 19 et 27 ans. Cette recherche cible donc une population bien précise.

Les risques du soin à domicile et les éléments pour y faire face.

J’ai repéré 6 risques dans le soin à domicile:

7.1 Le regard de l’étranger sur l’intimité

DJAOUI (2011) pense que le domicile est lié à la sphère privée et à l’intimité. Il conserve les éléments que le sujet ne souhaite pas exposer aux regards étrangers. Ce regard de l’étranger sur l’intimité de la famille est un élément qui doit prendre en compte le professionnel qui travaille à domicile parce que des défenses pour s’en protéger peuvent se déclencher. Le regard est potentialitési on prend en compte que la rencontre à domicile, évoquée par Caleca et Joncheres, est avant tout une rencontre avec un environnement rempli de données sensorielles, d'impressions parfois violentes, dont l’analyste a des difficultés à étudier. Cet environnement rempli de données sensorielles nous place, en tant que professionnels à domicile, dans une position«d’observer» voire de s’incommoder.

Ce regard de l’étranger se porte sur deux peurs: que le professionnel voit des choses très intimeset sur la question d’être sale et/ou mauvaise.Eliana dit sentir une incommodité de se sentir regardée par quelqu’un d’étranger voire de se sentir «sale»face à ce regard.

Ce regard peut donner au bénéficiaire du soin l’impression d’être jugé par le professionnel. Tout l’entretien de Milena nous enseigne comment le soin à domicile représente un «jugement» de son rôle de mère.Il est important de confirmer comme pour Gagnon et collaborateurs (2001) ont montré cette question. L’introduction d’un étrangère a parfois, une signification; que la famille n’est pas capable de faire face aux tâches de soin de leur proche. Je reviendrai sur ce jugement plus loin dans le texte.

Je pense que ce risque de donner l’impression au bénéficiaire d’être «regardé» voire jugé peut s’atténuer de trois manières:

A. En assurant une confidentialité des données que l’on peut tirer du travail au sein du domicile.

B. Il me semble que les visites au domicile sans rendez-vous, à l’improviste, renforce ce sentiment d’être regardé. Avoir une heure précise et la respecter permet au sujet de préparer sa maison afin de se protéger d’être perçu comme «sale».Je cite Maria «Et vous vous aimez en général avoir de la visite ?- Moi non, Parce que je suis en train de faire quelque chose et peut-être qu'à ce moment-là je veux être seule ou que je suis en train de faire quelque chose d'important. Donc j'aime les visites quand je sais qu'ilsvont venir mais pas à l'improviste.»

Cependant, ces deux caractéristiques premières ne suffisent pas:

C. Il est nécessaire que le professionnel attenue un peu son statut de professionnel pour permettre que la famille le «familiarise». C'est cette abandonne du rôle froid et distant caractéristique de l’hôpital et la construction d’un lien plus «empathique» entre le professionnel et la famille, qui est décisive afin d'éviter ces vécus d’être observé, voire jugé pour un étranger. Les deux autres caractéristiques ne sont au fond que des préconditions nécessaires pour que celle-ci advienne.

Mais cette familiarisation a différents risques lesquels je déploierai en suite.

7.2 Etre coupable du problème familial.

Le soin à domicile est mis en œuvre quand il y a un problème à l’intérieur de la famille qu’elle n’est plus capable de gérer par elle-même. Parfois cette démarche à domicile peut être vécue, comme je viens de le dire, comme un jugement, et en tant que tel, le sujet est obligé de faire face à la question de se sentir coupable du problème ou de ne pouvoir pas le résoudre.

Suite à la révélation des sentiments de la grand-mère d’Eliana grâce au travail du professionnel, Eliana se pose la question de la culpabilité d’avoir transmis à sa grand-mère l’idée d’être une charge pour la famille.

Face aux accusations de la voisine et les mesures prises par la protection de l’enfance, Milena doit considérer l’idée d’être une mauvaise mère, voire dangereuse pour ses enfants.La mesure judicieuse de placement d’un enfant ravive la question d’être dangereuse pour ses propres enfants. Il est important ici de se demander comment la protection de l’enfance de la Colombie, a pu, même de la France, prendre en compte ce «risque» ou même d’envisager une intervention et après de préparer un retour à la famille.Autrement dit, la décision de placer un enfant envoie le message à cette famille d’être mauvaise et dangereuse pour l’enfant, et lorsqu’après le placement, le juge lève la mesure, comment peut-on prendre en compte ce message envoyé à la famille? Il faut un travail pour changer ce message et donner les moyens à la famille d’être en capacité d’offrir de bonnes conditions pour l’enfant.J’ai fait cette analyse parce qu’il me semble que dans le cas de Milena, il a fallu une reprise de contact entre l’institution et la mère pour lui dire: on considère que vous avez les moyens pour être responsable de vos enfants. Pour cela vos enfants vont retourner chez-vous, mais on considère qu‘avec les visites à domicile qu’on vous propose, on va vous aider à renforcer ces aspects. Cela, reconnaitre qu’elle n’est pas mauvaise en tant que mère, aurait sans doute changé la façon dont Milena a perçu ses visites, voire établir un lien de coopération.

Il faut revenir sur Gagnon et collaborateurs (2001) et souligner que la présence du professionnel dans le domicile rappelle d’emblée deux questions au bénéficiaire:

1. Elle «rappelle à l’aidé sa dépendance, qu’il n’est pas facile d’accepter. C’est pourtant autour de cette situation délicate que doit se construire la relation intervenant-aidé» (Ibid.)
2. Elle rappelle à la famille de l’aidé qu’elle n’est pas capable de se faire charge du soin de son proche.«Au-delà de la confiance immédiate à créer, l'arrivée de nos intervenantes dans le domicile des personnes représente une certaine menace; une menace pour les liens familiaux, et pour le groupe d'appartenance immédiat de la personne aidée. Leur seule présence semble traduire un effritement des liens familiaux, un ébranlement de l'environnement proche et familier. En effet, si ces intervenantes sont là, c'est que la famille, les proches n'y sont plus ou n'y sont aussi souvent. Faire place à des étrangers, dans un espace réservé à la famille, met immédiatement en cause la conduite de la famille.» (Ibid.)

Il me semble que l’institution soignante a la possibilité d’intervenir dans une problématique familialeet de faire face aux «culpabilités» déclenchées: l’institution peut «prêter» ou «donner» un cadre pour penser la problématique que la famille éprouve.On peut le voir dans le cas d’Eliana où les visites du prêtre pendant le meurtre de son proche ont représenté un cadre (celle de la religion) pour penser cette douleur. L’intervention d’une institution dans l’intimité d’une famille lorsqu’elle éprouve une problématique à laquelle elle ne peut plus faire face est vécue comme une aide et dans ce cas le cadre que l’institution offre aux familles peut être utilisé pour donner un sens à son vécu mais aussi au labour du professionnel.

Mais aussi il me semble important que le professionnel amorcer son travail à domicile avec un entretien à la famille pour voir les conceptions et idées qu’elle a respect au travail du professionnel. C’est demander à la famille ce qu’elle pense que le professionnel vient à faire au domicile. Pourquoi est-il nécessaire? Essayer d’orienter l’entretien à montrer les buts de l’intervention, celle d’aider à la famille.

Pouvoir amorcer un travail à domicile sur des accords sur ce qu’on vient à faire au domicile de la famille, me semble-t-il indispensable pour nouer un lien de coopération entre l’institution et la famille.

Ce travail préliminaire est important dans tous les formes de soin à domicile, que ce soit des visites de la protection à l’enfance, que ce soit d’aide à une personne âgée dépendant, ou même, d’un psychologue qui travaille à domicile.

7.3 Le pouvoir des institutions dans l’intimité.

La relation entre pouvoir institutionnel et terrain public a été toujours complexe. Plus spécialement dans la tendance actuel de revenir au domicile comment lieu pour prendre soin.Djaouia montré cette tendance en disant que quand le domicile ne peut pas offrir des conditions satisfaisantes afin de prendre soin de l’individu (cadre de vie inadapté, violences intrafamiliales, pathologies graves, précarité sociale), des compétences extérieures doivent être sollicitées. Deux solutions sont possibles dans ce cadre-ci : soit des professionnels sont appelés dans le foyer pour soutenir les personnes vulnérables, soit la personne est placée dans un domicile de substitution avec toute l’aide nécessaire. » (Djaoui, 2011) Bien que contraire, aucune de ces deux démarches n’ignorentet utilisent le rôle primordial du domicile comme espace d’intervention pour soigner. Cette utilisation et intervention du domicile pour soigner soulève des problèmes sur le pouvoir dans l’espace propre. De Certeau et Giard (1999) expliquent que la qualité la plus importante de l’espace domestique est sa capacité à se transformer en un espace propre. Cet espace propre permettant l’expression de l’intimité. C’est pour cela que Djaoui perçoit l’intervention au domicile comme une gestion sociale de l’intimité. «Le domicile a un statut paradoxal, à la fois un sanctuaire de l’intimité et une catégorie de l’action sociale. Les politiques du domicile, la professionnalisation de la santé, la marchandisation du travail social, la marchandisation de l’intimité, tous ces phénomènes ont pour effet de remettre en question les limites entre espace intime, espace privé et espaces publics» (Djaoui, 2011)

Le soin à domicile comporte, donc toujours une démarchede pouvoir des institutions dans l’espace propre, dans l’espace intime de chaque individu.On doit soigner comme ça, on doit éduquer comme ça, on doit être mère comme ça.Dans ces exercices du pouvoir je repère deux risques:

A. Que cet exercice du pouvoir soit vécu comme une imposition très violente et donc déclenche chez l’individu des comportements pour y faire face, pour s’en protéger. Comme les comportements de Milena: elle n’ouvre la porte que lorsque l’institution a informé qu’elle va venir chez-elle. Cela nous invite à réfléchir sur le besoin de «négocier» les conditions de travail avec la famille, de la faire sentir au cœur des décisions de la démarche du soin dont elle bénéficie,et surtout d’atténuer l’autorité des institutions en tant que «loi» pour permettre cela. Autrement dit, une fois que l’institution a su atténuer son pouvoir, et ne se montre pas autoritaire, elle pourra établir cette fois un lien grâce auquel la famille va donner à l’institution une «autorité».Je reviensà l’importance de faire des entretiens préliminaires avant de commencer une démarche de soin à domicile;pouvoir éclairer la famille sur le but de la démarche, pouvoir écouter ses attentes, pouvoir lui dire les nôtres et ses responsabilités etc.Cela va faire que les démarches de l’institution ne soient pas vécues comme imposées et on va alors compter sur l’accord et la participation de la famille dans le soin.

Il est important de revenir aussi sur la solution qui nous a donné Gagnon et collaborateurs «L'intervenante ne peut apporter une aide en perturbant les rapports familiaux, même si elle vient les modifier… L'intervention peut consister à donner une formation, à offrir aux membres de la famille des conseils, des trucs sur la manière d'intervenir auprès de l'aidé, à lui apprendre à donner des soins spécialisés à déplacer l'aidé sans se blesser ou lui enseigner une manière d'être avec un personne démente» (Gagnon et col. 2011).

Comment je l’avais déjà dit, il me semble que cette solution, bien que nécessaire, ne suffit pas. Parce que «instruire» «apprendre» à la famille dans les tâches de soin de leur proche est aussi problématique dans la mesure que relève à nouveau, parfois, un lien d’imposition (comme on l’a pu voir dans le cas d’Eliana, où l’instruction sur une façon d’aider son proche a été vécu comme une imposition). Il me parait nécessaire d’instruire aux professionnels à domicile sur l’importance des repérer «le savoir de la famille» et pouvoir proposer des alternatives sans juger les solutions que la famille utilisait.C’est-à-dire; dans le cas d’Eliana il me parait que cela aurait été mieux de ne juger pas la manière dont Eliana aidait son proche à se lever, mais d’offrir une autre manière «plus bénéfique» de l’aider.

Il me semble qu’une autre solution est celui souligné par Djaoui (2011); il faut profiter de la logique curative qui travers le soin à domicile. Je pense qu’accentuer aux bénéficiaires que l’on est chez eux implique d’emblée reconnaitre que c’est leur domicile le lieu propice pour prendre soin et pas l’institution.Que c’est chez eux qui est la solution et donc on pourra atténuer l’imposition qu’implique la démarche de travailler à domicile. En utilisant la logique curative on pourra atténuer les effets nocifs de la logique du contrôle.

B. Il me semble, bien que ce ne soit qu’une hypothèse, que parfois l’imposition du pouvoir à l’intérieur d’une famille peut, au contrario de ce qu’on pourrait penser, faire perdre des repères institutionnels. Le professionnel peut être englouti par la famille.

Le rôle du pèreest reconnu comme la position de la loi, de celui qui établit la loi. A défaut de ce rôle dans une famille le travail du professionnelimposant une loi (celui de l’institution) peut réveiller le désir de la famille d’engloutir le professionnel, le positionner dans la famille en tant que «père» et donc perdre les repères du soin à domicile.On peut le voir quand Milena dit «Mais me donner des ordres comme si j'étais chez lui ou qu'il était mon mari.»

Cette question a été abordée pour Marie Line Lafay Amado. Comment je l’avais indiqué elle cherche à montrer les enjeux transférentiels impliqués dans la construction d’un dispositif de thérapie « mère-enfant » au domicile. Selon elle, « la situation de travail au domicile active et vectorise de façon prévalent des contenus fantasmatiques et une dynamique transféro/contre transférentielle dans le registre de l’oralité (intrusion, incorporation, dévoration, cannibalisme…) » (Lafay Amado, 2011)

7.4 Dévoiler l’intimité; le sujet inconnu.

Un autre problème auquel le professionnel qui s’aventure dans cette démarche à domicile doit faire face est celui de la peur du bénéficiaire qu’on puisse dévoiler son intimité.Le professionnel est un inconnu qui est dans la maison, qui regarde, qui connait, et plus encore si le professionnel est psychologue qui va connaitre l’intimité de la famille. En tant qu’inconnu et sans confiance, les personnes peuvent ressentir la peur que le professionnel raconte tout à n’importe qui.Eva nous dit que le plus difficile fut de s’exprimer en face d’un inconnu «Au début bien sûr c'était difficile pour moi de raconter mes problèmes à quelqu'un je ne connaissais pas, je pensais qu'il allait le répéter à tout le monde. Donc sincèrement ce fut quelque chose de difficile».

La question n’est pas évidente parce qu’elle amène le psychologue à établir une relation de confiance sans perdre les repères institutionnels, déjà qu’il les a un peu perdus en sortant des murs de l’institution pour rentrer dans le territoire de la famille.

Comment je l’avais indiqué précédemment, il est important de clarifier dès le debout le secret professionnel, le droit à la confidentialité etc.

7.5 La perte des limites.

Tous les auteurs qui ont travaillé sur le soin à domicile s’accordent sur la difficulté à maintenir les limites de l’institution en dehors de cela.

Il est souligné pourPascal Roman que « les pratiques cliniques à domicile mobilisent, pour les professionnels et pour les sujets accueillis, des modalités particulières de lien» (2011). Gagnon et collaborateurs ont aussi, à son tour, travaillé sur les modifications dans les liens sociaux produits de cette nouvelle forme de clinique.Pour ces auteurs le lien établit dans le soin à domicile est avant tout un lien problématisé pour la dichotomie institutionnel/ non institutionnel.«L’inscription institutionnelle de la pratique professionnelle vient se heurter sur la limite propre à une pratique hors de l'institution, au risque d’une perte des repères.» (Pascal R. 2011)

Il est important de souligner l’importance de faire la démarche à domicile toujours dans le même endroit de la maison. C’est-à-dire,si le professionnel démarre son travail à domicile dans le salon, il est important de le faire toujours dans le salon et ne pas changer de lieu afin de permettre à la famille d’investir ce lieu en tant que lieu de soin, de travail. En investissant un lieu de telle façon le risque de perdre des limites va se voir atténué.

Malgré cela, la possibilité d’établir un lien plus que professionnel dans la maison de quelqu’un est grande et amène le professionnel à une réflexion sur ces risques.On n’a pas les «murs» de l’institution pour s’en protéger.

La famille peut aussi sentir que des repères se faiblissent et s’en protéger. Maria nie l’existence «d’affection» pour se protéger de cette perte des limites.Pour elle, l’existence d’une affection fait échouer la relation professionnelle.

Il me semble que des différents auteurs ont souligné les défenses que le professionnel peut mettre en place pour se protéger contre la perte des limites mais n’ont pas repéré que la famille met aussi, à son tour, des défenses pour s’en protéger.

Cette question de la perte des limites m’a amené à la problématique de l’incompréhension ressentie pour les bénéficiaires.

7.6 L’incompréhension

Parfois les familles ont du mal à admettre le pouvoir des institutions et trouvent ces décisions injustes. Catherine Caleca et élise Joncheres soulignent cette question: des enjeux émotionnels peuvent s’exprimer chez les proches du patient suite à l’intrusion d’un professionnel au sein du domicile du patient. (Caleca C. & Joncheres É., 2011). Ces enjeux émotionnels peuvent être évacues à forme de plainte. Égalementles recherches de Perreault et col (2002) ont montré que la plus grande inconformité des aidants familiaux ayant une proche soigné à domicile est celle de l’incompréhension. «Des aidants mentionnent que les intervenants devraient prendre plus souvent en considération leur avis» (Perreault et col, 2002).

Aussi Therrien (1990) pense que l’intervention au domicile d’un patient psychiatrique produit des incompréhensions chez la famille. Mais l’auteur pense que cette incompréhension est due au cadre théorique de la psychanalyse (qui est utilisé majoritairement pour les professionnels au Québec). J’ai trouvé aussi, dans ma recherche cette incompréhension mais pas produit pour une utilisation négative des théories freudiennes (en Colombie l’utilisation de la psychanalyse est minoritaire) sinon pour le même statut d’être professionnel. C’est-à-dire, j’ai trouvé différents plaintes sur une incompréhension ressenti par les famillesassociés au l’impossibilité du professionnel de comprendre la situation de la famille parce qu’il était dans un «piédestal». À cet égard je voudrais souligner le fait que l’incompréhension dans le soin à domicile n’est pas du nécessairement au fait de la «culpabilisation» de la psychanalyse, comme pense Therrien, mais intrinsèque à cette modalité de soin.

On peut voir cette plainte surtout dans le cas de Milena bien sûr, mais aussi plus nuancé dans les autres cas. L’imposition de l’institution est vécue comme une incompréhension des conditions de la famille. Pour Eliana, le professionnel ne comprend pas qu’elle aide sa grand-mère à se lever d’une certaine façon sans l’idée de lui faire mal.Milena ressent que l’ICBF ne comprend pas la situation d’une «mère pauvre».

Milena appelle à une connaissance de la mère pauvre ou de la personne non professionnelle (qui n’a pas un bon salaire et donc doit laisser tout seuls ses enfants) pour justifier les raisons qui l’ont amenée à laisser seuls ses enfants mais que l’ICBF n’arrive pas à comprendre parce que le psychologue n’est pas une mère pauvre et a de l’argent pour payer unenourrice.Cette incompréhension fait que les décisions de l’institution sont vécues comme injustes.

Milena arrive à reconnaitre un aspect positif dans tout cela seulement grâce à la présence d’une personne non professionnelle qui peut la comprendre et partager son savoir «de mère pauvre»

Cela m’a amené à me poser une question sur le besoin du psychologue de parfois atténuer son statut de professionnel pour établir une relation de soin dans ces cas d’opposition à l’institution.C’est difficile et dangereux de le faire au risque de perdre complètement les repères institutionnels, mais parfois on doit reconnaitre que ces mêmes repères empêchent le but de l’institution: le soin.On peut constater dans l’ouvrage de Gagnon et collaborateurs (2001) cette même question; Ils pensent que la neutralité classique des soins hospitaliers n’a plus la place mais qu’il faut garder certes normes propres au travail professionnel. Il faut perdre la neutralité classique de l’hôpital, mais jusqu’à où peut-on les perdre? «Elle (le professionnel) doit s'intégrer en partie au groupe familial sans toutefois jamais en faire partie pleinement.» (Ibid.)

Quand Favligny a écrit sur la psychopathie, il a conclu ce que je suis en train de dire: il faut que le patient puisse établir un lien non professionnel dans l’institution pour que cela puisse lui procurer un soin. Si le professionnel arrive à descendre de son piédestal (selon les dire de Milena) et à s’asseoir au niveau du patient, cela peut établir un lien soignant. Je termine mon mémoire de recherche avec cette discussion sur le risque/opportunité de perdre les repères dans la fonction soignante des institutions.

«parfois vous (les psychologues) êtes sur un piédestal, vous croyez que vous pouvez venir et tout arranger mais non ça serait tellement facile et au moins cette fille a été plus aimable avec moi, elle a su me parler, je crois qu'elle sait plus comment aider les enfants à aller de l'avant, je ne sais pas si elle est mère, peut-être l’est-elle, et surement qu'elle sait comme moi que la vie est dure, oui c'est peut-être ça et qu'elle partage ma situation et c'est pour ça qu'elle me comprend et qu'elle m'aide mieux» Milena.

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[1] Hospitalisation à Domicile

[2] http://www.codededeontologiedespsychologues.fr/Avant-propos.html

[3] Institute colombien de bienêtre familial

Fin de l'extrait de 76 pages

Résumé des informations

Titre
Les limites entre l’institution et l’intimité. Le vécu des familles ayant un malade soigné à domicile
Auteur
Année
2013
Pages
76
N° de catalogue
V430760
ISBN (ebook)
9783668751804
ISBN (Livre)
9783668751811
Taille d'un fichier
1004 KB
Langue
français
Citation du texte
Camilo Eduardo Arenas Mozo (Auteur), 2013, Les limites entre l’institution et l’intimité. Le vécu des familles ayant un malade soigné à domicile, Munich, GRIN Verlag, https://www.grin.com/document/430760

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