La Mort dans l’œuvre de Yu Hua


Thèse de Master, 2015

173 Pages, Note: 17


Extrait


SOMMAIRE

Introduction

Chapitre 1 : La place de la mort dans la littérature
1) La place de la mort dans la littérature en général
2) La place de la mort dans la littérature chinoise contemporaine
3) La place de la mort dans l’œuvre de Yu Hua

Chapitre 2 : Typologie de la mort dans l’œuvre de Yu Hua
1) Manifestation de la violence : le meurtre
2) En finir avec soi : les voies du suicide
3) La mort pathétique : mourir à cause de la misère ou de la maladie
4) Terminus de la vie : la mort naturelle
5) La mort imprévisible : l’accident
6) Justice pervertie : la peine de mort
7) L’âme s’envole : la mort surnaturelle de Sun Youyuan
8) Passé et châtiment : la mort symbolique et imaginaire
9) La mort inachevée : le suicide raté et le chantage à la mort

Chapitre 3 : Caractéristiques des récits de mort dans l’œuvre de Yu Hua
1) L'effet formel : l’écriture au-dessous du degré zéro
2) L'effet esthétique : les fleurs du mal
3) L'effet psychique : un écho chez le lecteur
4) La dimension philosophique : le fatalisme, le nihilisme et la métaphysique

Chapitre 4 : Aspects psychologiques
1) Une enfance à l’hôpital : la familiarité avec la mort
2) Une place secondaire dans la famille : un besoin de manifester sa puissance
3) La forte influence de la lecture : Kawabata, Mishima, Kafka

Chapitre 5 : Aspects sociologiques
1) Les empreintes ineffaçables de la Révolution culturelle
2) La conséquence de problèmes sociaux

Chapitre 6 : Aspects religieux
1) Les religions et les coutumes chinoises: une littérature de l’entre deux mondes
2) Des leitmotivs bibliques

Chapitre 7 : Les nouvelles
1) Le monde comme un brouillard : le monde sanglant dans les nouvelles des années 80
2) Le monde dans le crépuscule : la mort pathétique dans les nouvelles des années 90

Chapitre 8 : Les romans
1) Cris dans la bruine: le sommet de l’écriture d’avant-garde de Yu Hua
2) Vivre ! et Le Vendeur de sang: la mort fait aimer la vie
3) Brothers : les morts fatales
4) Le Septième jour: une poétique de la mort

Conclusion

Annexe I : Résumés des nouvelles de Yu Hua mentionnées dans le mémoire

Annexe II : Recensement des récits de mort dans l’œuvre de Yu Hua

Bibliographie

Remerciements

Je voudrais adresser tous mes remerciements à Mme Isabelle Rabut. Elle a accepté mon idée de sujet sans hésitation et a fait une correction minutieuse de mon travail. Sans elle, le présent mémoire n'existerait pas.

Je voudrais aussi remercier mon ami François, qui a répondu avec patience à toutes mes questions concernant la langue française.

A mon père,

Que ton âme repose en paix.

Introduction

Yu Hua, né en 1960 à Hangzhou, qui a été jeune dentiste dans un petit village au sud de la Chine, s’est mué en écrivain, l’une des figures les plus fortes de la nouvelle littérature chinoise, ayant un style d’écriture à la fois touchant, raffiné et violent, voire morbide. Ses œuvres reflètent les aspects cachés de la société chinoise contemporaine comme un miroir déformant, qui amplifie le mal. Mais en même temps, nous éprouvons de la compassion et de la tendresse envers ses personnages. Son deuxième roman Huozhe 活着 (Vivre !) a été adapté au cinéma par Zhang Yimou et a reçu le Grand Prix du jury au festival de Cannes en 1994. Ensuite, il a reçu en 2008 le prix Courrier international du meilleur livre étranger pour Xiongdi 兄弟 (Brothers). Yu Hua est devenu un des auteurs chinois connus par le public français. Ses romans et nouvelles sont traduits en de nombreuses langues. La violence, la cruauté, l’humour, la drôlerie, l’adversité, la relation entre la réalité et le néant, et son style d’écriture sont les thèmes que les chercheurs chinois ont souvent traités.

Dans les années quatre-vingt, les nouvelles de Yu Hua ont marqué la littérature chinoise d’avant-garde[1]. Il s’est émancipé des règles d’écriture de la littérature chinoise traditionnelle. L’apparition de ses romans a élargi son public car Yu Hua a décrit les destins de Chinois ordinaires et a simplifié sa langue. De nombreuses recherches ont été faites sur l’évolution de l’écriture de Yu Hua, notamment par Hong Zhigang, qui a écrit une biographie critique de Yu Hua et a rassemblé les recherches majeures faites par les chercheurs chinois. Un centre de recherche a été établi à l’Université normale de Zhejiang, qui publie sur son site Internet les articles récents. En dehors des chercheurs chinois, Yu Hua est aussi étudié en France, au Canada et au Danemark. Isabelle Rabut, Zhang Yinde, Marie-Claire Huot et Anne Wedell-Wedellsborg ont écrit des articles intéressants. En parcourant les recherches déjà faites, nous pouvons classer les études en trois catégories : premièrement, celles qui concernent le style d’écriture de Yu Hua, son évolution, son art de la narration, sa langue, etc. Deuxièmement, celles qui portent sur les leitmotivs de son œuvre, la réalité inquiétante, la violence, le malheur, la tendresse, etc. Troisièmement, les comparaisons entre Yu Hua et d’autres écrivains, notamment Lu Xun, Kawabata, Kafka, Borgès, Alain Robbe-Grillet et Claude Simon.

La mort est sans aucun doute un élément incontournable dans l’œuvre de Yu Hua. L’idée de meurtre, l’envie de tuer est une disposition chez ses personnages, et la vérité de son œuvre passe par la mort. En outre, les frontières entre la vie et la mort y sont volontairement floues. Par exemple, à propos de Vivre !, même si le livre est intitulé « Vivre!», le texte entier est un récit de mort. Un autre exemple, dans Zai xiyu zhong huhan 在细雨中呼喊 (Crisdans la bruine), dès l’ incipit, la peur et la mort donnent le ton du texte. Beaucoup de chercheurs ont mentionné la récurrence de la mort chez Yu Hua dans leurs articles, mais toujours d’une manière synthétique, sans interprétation. Pourtant, la mort est une clé pour comprendre Yu Hua et ses œuvres. Par conséquent, l’omniprésence de la mort et la fascination de la mort dans l’ensemble de l’œuvre de Yu Hua méritent une étude scrupuleuse.

Quelle est la place de la mort dans la littérature en général et dans la littérature chinoise d’avant-garde? Pourquoi tant de morts dans l’œuvre de Yu Hua? Pourquoi Yu Hua a-t-il besoin de décrire cette étape nécessaire mais cruelle de la vie ? Quelles sont les caractéristiques de la mort dans ses récits ? La mort est-elle un simple contraire de la vie ? Ou bien le salut des uns se nourrit-il de la mort des autres ? Pourquoi la mort appelle-t-elle la mort d’une manière excessive? Est-ce que la problématique de la mort touche la religion, le bouddhisme en particulier ? S’il s’agit d’une obsession, à quoi tient la séduction de la mort dans l’œuvre de Yu Hua ?

Dans un premier temps, nous ferons un « état de la mort ». Nous commencerons par une présentation rapide de la place de la mort dans la littérature en général, dans la littérature chinoise contemporaine, puis nous ferons un recensement de toutes les morts qui surviennent dans l’œuvre de Yu Hua et les classerons selon le type de mort, selon la cause de la mort ou selon la connotation de mort dans la narration : le meurtre, le suicide, la maladie, la folie, la pauvreté, l’accident, la peine de mort. Mais il y a encore des morts qu’il est difficile de faire entrer dans ces catégories. Par exemple la mort surnaturelle de Sun Youyuan, décrite en détail dans Cris dans la bruine, et la mort symbolique dans « Wangshi yu xingfa 往事与刑罚» [Passé et châtiment] et Yijiubaliu nian 一九八六年 (1986). De plus, la mort inachevée occupe également une place dans l’œuvre de Yu Hua. Elle démontre les forts sentiments des personnages, pour lesquels seule une tentative de suicide ou de meurtre est suffisante pour les sauver de leur désespérance. Par exemple dans Brothers Lin Hong a sauté dans la rivière afin de montrer son amour pour Song Gang, et Song Gang se pend pour témoigner des sentiments fraternels indéfectibles qui l’unissent à Li Guangtou.

Ensuite, nous analyserons les différentes caractéristiques des récits de mort dans l’œuvre de Yu Hua. D’abord, sur le plan formel, la mort racontée de manière cruelle, ridicule, voire absurde, illustre parfaitement le programme des avant-gardistes, qui cherchent à bouleverser les règles traditionnelles de l’écriture en décrivant un monde indifférent, au moyen du « degré zéro de l’écriture » (Roland Barthe), voire d’une écriture « au-dessous du degré zéro » (Cao Wenxuan[2] ). Et puis, « les fleurs du mal » (Charles Baudelaire) pourraient bien résumer l’esthétique de la mort dans l’œuvre de Yu Hua. Surtout dans ses nouvelles, beaucoup de scènes de mort soigneusement narrées nous donnent l’impression que Yu Hua était obsédé par la mort et la violence. Par exemple au moment où il décrit le marché de la chair humaine dans « Gudian aiqing 古典爱情 » [Un amour classique], Yu Hua surprend son lecteur en comparant à une fleur de pêcher la plaie ouverte d’une jeune fille. En outre, la dissection du corps de Shangang dans « Xianshi yizhong 现实一种 » [Une certaine réalité] déploie une esthétique cruelle de la mort sous couvert de science. Nous verrons dans l'effet psychique une esthétique de la réception des récits de mort de Yu Hua en nous appuyant sur Pour une esthétique de la réception de Hans Robert Jauss, ainsi que la manifestation du « paradoxe de la fiction » dans ces récits de mort. A la fin de la première partie, nous explorerons la dimension philosophique de la mort chez Yu Hua : le fatalisme, le nihilisme et la métaphysique.

Dans un deuxième temps, nous tenterons d’interpréter la hantise de la mort chez Yu Hua en employant les perspectives psychologique, sociologique et religieuse. Psychologiquement, l’obsession de la mort et de la violence renvoie à l’expérience de Yu Hua pendant son enfance. Ayant un père chirurgien et une mère infirmière, il a grandi à l’hôpital, joué en dehors de la salle d’opération et s’est réfugié dans la morgue pour fuir la chaleur. Il n’a pas peur de la mort et a grandi parmi les morts et le sang. Il a dit dans Shige cihuili de Zhongguo 十个词汇里的中国 (La Chine en dix mots): « J’ai depuis fort longtemps la ferme conviction que ce qu’un homme a vécu pendant son enfance et son adolescence détermine la direction qu’il suivra toute sa vie. C’est à ce moment-là qu’une certaine image du monde se grave en nous, une image de base qui, au fil de nos années de formation, est reproduite à de multiples exemplaires comme si on la photocopiait [3] ». De plus, en tant que second fils de la famille, le petit Yu Hua a été opprimé par son frère. Les scènes de mort et de violence qui parsèment son œuvre expriment sa frustration et sa volonté de puissance, ainsi que l’ont démontré les analyses de Freud et de Jung. En outre, les lectures qu’il a faites pendant son adolescence et sa jeunesse ont forcément influencé le ton de ses récits, notamment celles de Kawabata, Mishima, Kafka…

Sociologiquement, la Révolution culturelle a éclaté pendant son enfance et il a vécu les grands bouleversements de la société chinoise. « En fait, c’est notre vie entière qui se trouve écartelée. J'ai déjà dit qu'on pouvait comparer respectivement la Chine de la Révolution culturelle et celle d’aujourd’hui au Moyen Age européen et à l’Europe de maintenant. Les Chinois ont vécu en l’espace de quarante ans des bouleversements qui ont mis quatre siècles à s’accomplir en Europe[4] ». Dans un passé récent, la société chinoise a été traumatisée : tout d’abord par les troubles politiques et sociaux de la Révolution culturelle, puis par une mutation économique accélérée due aux « réformes » et à « l’ouverture » du pays initiée par Deng Xiaoping. Les conflits entre les différentes classes et l’opposition entre les valeurs anciennes et nouvelles, ont provoqué beaucoup de problèmes sociaux. Yu Hua l’a montré par l’intermédiaire d’histoires pathétiques dans lesquelles la mort occupe une place essentielle, par exemple celle du professeur dans 1986 ou celles de Song Fanping et de Song Gang dans Brothers. En outre, la parution du dernier livre de Yu Hua, Women shenghuozai judade chajuli 我们生活在巨大的差距里 (Nous vivons dans d'immenses inégalités), qui rassemble les diverses réflexions de l'écrivain sur la question des inégalités en Chine, montre sa volonté de confirmer son statut d’écrivain engagé.

Sur le plan religieux, la mort est le sujet préféré des croyants et des chercheurs en théologie. Comme Yu Hua est imprégné par la culture et les religions chinoises, le bouddhisme et les coutumes chinoises ont laissé des traces dans son œuvre, qui constitue une littérature de l’entre deux mondes. Par exemple avec l’apparition des revenants, la fabrication de la monnaie de papier[5] et le mariage posthume, notamment dans « Shishi ruyan 世事如烟 » [Le Monde comme un brouillard]. Par ailleurs, Yu Hua a dit à plusieurs reprises dans ses essais et dans des interviews que la Bible faisait partie de ses lectures favorites. La structure de Di-qi tian 第七天 (LeSeptième jour) a pris la forme de la création en sept jours de la Genèse. Nous pouvons également trouver des leitmotivs bibliques dans son œuvre : le péché et la rédemption, la trahison et la fidélité, l’ombre et la lumière, la mort et la vie…

Enfin, la représentation de la mort a beaucoup évolué dans l’œuvre de Yu Hua au fil du temps et ce sera l’objet de notre troisième partie. Dans ses nouvelles, la mort est souvent sanglante et peu logique. Nous verrons le monde sanglant des nouvelles des années 1980 et la mort pathétique dans les nouvelles des années 1990. Ensuite, nous étudierons les romans un par un. Cris dans la bruine est le sommet de l’écriture d’avant-garde de Yu Hua dans lequel nous trouvons quinze morts. A partir de Vivre !, la mort est devenue relativement douce, le malheur de la mort nous encourage à mieux vivre et à supporter toutes les difficultés dans la vie. Dans Xu Sanguan maixue ji 许三观卖血记 (Le Vendeur de sang), seule la mort de He Xiaoyong est décrite relativement en détail. Mais dans Brothers, les morts de Song Fanping et de Sun Wei font revenir une mort extrêmement sanglante. Mais toutes les morts dans ce récit sont logiques, contrairement aux nouvelles des années 1980. Ces morts sont les fruits amers du contexte politique, historique et social, pathétiques mais inévitables.

Néanmoins, dans Le Septième jour, toutes les morts nous paraissent tendres en dépit de la présence du sang. Bien que ce roman soit une histoire de morts racontée par un mort, Yu Hua fait référence au monde réel. Il a dit dans une interview : « Quand j’ai écrit ce roman, j’ai eu la forte conviction que j’écrivais sur le monde réel comme un reflet inversé. Mon objectif n’étant pas le monde réel, mais le monde des morts. Quand le monde réel me déprime, j’écris sur un beau monde des morts. Ce monde n’est ni une utopie, ni un pays des merveilles, mais c’est beau[6] ». Le pays des morts est poétique, comme le décrit Yu Hua à la fin de son roman : « là-bas les feuilles des arbres te feront signe, les rochers te souriront, les eaux de la rivière te salueront ; là-bas, il n'y a ni pauvres ni riches, il n'y a ni chagrin ni douleur, il n'y a ni rancune ni haine...là-bas, tous sont égaux dans la mort[7] ».

Etant donné que la mort est encore un sujet très peu traité dans le domaine de la littérature chinoise, nous ne pouvons dans ce mémoire qu’essayer de proposer quelques analyses intéressantes, en nous appuyant sur des passages pertinents, afin d’étudier la mort dans l’œuvre de Yu Hua. C’est-à-dire uniquement la mort comme thème littéraire, sans trop entrer dans les aspects biologique, thanatologique, religieux et philosophique.

Première partie :

Omniprésence et caractéristiques des récits de mort dans l’œuvre de Yu Hua

Chapitre 1 : La place de la mort dans la littérature

1) La place de la mort dans la littérature en général

Dans la littérature de chaque pays, l’expression et l'esthétique de la mort ont une influence profonde sur la conscience du peuple, la culture et l’esprit national. La mort est la fin de la vie pour chacun d’entre nous, mais personne ne peut la ressentir ni nous la raconter. Par conséquent, mettre la mort en scène devient une excellente manière de l’affronter et de réfléchir sur elle. L’écriture est aussi comme une lutte contre la mort, parce qu’un chef-d’œuvre a le pouvoir d’immortaliser le nom de son auteur. Par exemple, « Sima Qian, sous les Han, qui accepte de son vivant l'indignité de la peine de castration infligée par l'empereur pour s'assurer une renommée éternelle grâce à la rédaction de ses monumentaux Shiji 史记 (Mémoires historiques) [8] » . Il y a donc une relation étroite, voire consubstantielle entre la littérature et la mort.

L’intérêt que les écrivains portent à la mort provient de la religion, car la mort est la plus essentielle question religieuse. Etant donné que presque tous les pays occidentaux ont une tradition religieuse, les études sur la mort dans la littérature abondent. Les recherches déjà faites reposent sur les aspects philosophique, théologique, religieux, psychologique, esthétique et culturel de la mort dans la littérature occidentale. Vu que chaque pays a ses propres croyances et un contexte historique et culturel particulier, et que la réflexion sur la mort varie beaucoup selon les différentes époques et auteurs, les ouvrages sur la mort dans la littérature occidentale sont innombrables. Ce sujet est largement traité dans le domaine de la littérature française, et plusieurs colloques ont été organisés dans les universités pour discuter ce thème sensible et passionnant[9]. La mort est un leitmotiv chez Montaigne, Hugo, Baudelaire, Proust, Camus…

La tradition religieuse orientale a engendré une vision littéraire de la mort complètement différente. Sous l’impact de la tradition bouddhique et taoïste, il y a une littérature de l’entre deux mondes — les vivants et les morts — dans la littérature sinisée, surtout dans la littérature japonaise et chinoise. Par exemple avec l’apparition de revenants. La culture chinoise est basée principalement sur le confucianisme. Ce dernier, d’un côté, fait l’éloge des personnes qui se sacrifient pour la vertu et la justice ; d’autre part, influencée par la pensée classique selon laquelle : « 未知生,焉知死 / Tant qu'on ne sait pas ce que c'est que la vie, comment peut-on savoir ce qu'est la mort ? »[10], la littérature chinoise a mis l’accent sur la mort héroïque et patriotique mais n’a pas encore fait suffisamment attention à la représentation de la mort de Chinois ordinaires. Joël Thoraval l'affirme dans son article « La mort en Chine » : « Cette dimension plus subjective, qu'elle soit d'ordre psychologique ou spirituel, est relativement peu représentée dans la littérature sinologique relative à la mort[11] ». C’est seulement depuis la nouvelle époque[12] que des lettrés chinois ont commencé à se plonger dans ce sujet et que quelques ouvrages sur la philosophie et l’esthétique de la mort sont apparus. Cao Wenxuan dit que « 死亡的主题,是八十年代中后期文学的一个时髦。这与大量的西方的有关死亡的哲学著作的译入所给予的启发有关。海德格尔对死亡的哲学解释,曾为一时的流行观念。而尼采的生命哲学,又从积极的意义上使人们对死亡产生一种抑制不住的悲剧性快感。/ Le thème de la mort était à la mode dans la littérature chinoise au milieu et à la fin des années 1980. Ce phénomène est lié aux inspirations apportées par les traductions d’ouvrages philosophiques occidentaux. L’explication philosophique de Heidegger sur la mort a été en vogue. En outre, la philosophie de la vie de Nietzsche nous a fait éprouver un plaisir spontané mais tragique face à la mort[13] ». Mais concernant l’étude de la mort dans la littérature chinoise, la thèse publiée par Shi Jinju 施津菊, intitulée Zhongguo dangdai wenxue de siwang xushi yu shenmei 中国当代文学的死亡叙事与审美 , (Le Récit et l’esthétique de la mort dans la littérature chinoise contemporaine) est le seul ouvrage que nous ayons trouvé vraiment pertinent, mais l’analyse consacrée au courant d’avant-garde occupe seulement quelques pages. Si bien que les études dans ce domaine n’en sont qu’à leurs débuts.

2) La place de la mort dans la littérature chinoise contemporaine

Shi Jinju a résumé le développement du récit et de l’esthétique de la mort dans la littérature chinoise contemporaine depuis plus d’une cinquantaine d’années, précisément depuis la fondation de la République Populaire de Chine en 1949. D’après sa thèse[14], la mort dans la littérature des trente premières années (1949-1979) repose essentiellement sur des valeurs et des idéologies politiques. La littérature loue la mort héroïque au service de la cause révolutionnaire et de la nation, et il manque une représentation ontologique de la mort. Celle-ci est représentée uniformément de manière idéalisée, conceptualisée et abstraite. Surtout pendant la Révolution culturelle, la représentation de la mort est devenue extrêmement gauche et restreinte, ce qui a eu une influence négative sur la vision de la mort dans la société. Depuis la fin des années 1970 et le début des années 1980, la vision de la mort dans la littérature est devenue pluraliste au fur et à mesure de la réforme et de l’ouverture et de la recrudescence de diverses religions en Chine. La mort quotidienne, non-héroïque, voire anti-héroïque a surgi en dépit de la tendance dominante de la mort héroïque idéalisée qui dominait jusqu’alors dans la littérature chinoise[15].

Au début de la nouvelle époque, beaucoup d'écrits concernant la mort sous la Révolution culturelle (meurtre, suicide, maltraitance…) ont vu le jour, comme autant de témoignages pour que la nation chinoise se souvienne de ses malheurs. Depuis le début des années 1980, la société chinoise connaît des transformations sociales et culturelles. De nouvelles valeurs ont rapidement remplacé les valeurs anciennes et traditionnelles. Pendant ces années de bouleversements, les maux humains ont frappé la Chine comme rarement dans son histoire. Depuis la littérature de cicatrice (shanghen wenxue 伤痕文学[16] ) et la littérature de réflexion (fansi wenxue 反思文学[17] ) dans lesquelles le mal a été exposé à la lumière du contexte social et politique, en passant par les avant-gardistes, les néo-réalistes, jusqu’à l’écriture indifférente, l’écriture au degré zéro, et l’écriture du désir (yuwanghua xiezuo 欲望化写作[18] ), le mal est devenu un point d’entrée dans l'exploration profonde de la nature humaine. C'est pourquoi la mort occupe une place capitale dans la littérature chinoise contemporaine[19].

Depuis les années 1980, inspirés par les modernistes occidentaux, les avant-gardistes chinois[20] examinent l’existence et la condition humaine, à la lumière d'une philosophie nihiliste et d’une esthétique anti-traditionnelle. En ce qui concerne la mort dans la littérature chinoise d’avant-garde, l’ambiance est lugubre et morbide et les cadavres effrayants. D’autant plus que le narrateur raconte le processus de mort des personnages d'une manière indifférente et cruelle, comme si ces derniers étaient des animaux dans un abattoir. La description froide de la mort est donc devenue un trait particulier et remarquable dans la littérature chinoise d’avant-garde, accompagnée par une philosophie absurde et des scènes dégoûtantes, comme par exemple les scènes de mort dans l’œuvre de Can Xue[21] et dans celle de Yu Hua.

3) La place de la mort dans l’œuvre de Yu Hua

Dans les années quatre-vingt, les nouvelles de Yu Hua ont marqué la littérature chinoise d’avant-garde. Il s’est émancipé des règles d’écriture de la littérature chinoise traditionnelle. La mort est omniprésente tout au long de la carrière littéraire de Yu Hua. Beaucoup influencée par les modernistes occidentaux, qui abandonnent l’esthétique du beau pour une esthétique du laid, l’écriture de Yu Hua se concentre sur le laid et le mal. La représentation de la mort devient un élément fondamental dans l’esthétique du laid, ou de « l’informe », dans la littérature d’avant-garde. Parmi les morts qui apparaissent dans les récits de Yu Hua, la mort absurde et fatale, la manifestation du processus détaillé de la mort, l’exposition de cadavres, et la mort symbolique constituent sa propre esthétique de la mort.

Selon le recensement[22] que nous avons effectué parmi les cinq recueils de nouvelles publiés dans les années 1980 et 1990[23], dans les treize nouvelles des années 1980 on note seulement trois nouvelles[24] dans lesquelles il n’y pas de récit de mort si l’on ne compte pas les tentatives de suicide ou de meurtre. Il y a donc quarante-cinq morts dans treize nouvelles à cette époque. Dans « Shishi ruyan » [Le Monde comme un brouillard] (1988), la mort revient à quinze reprises, ce qui marque le sommet de l’écriture de la mort chez Yu Hua. Dans les dix-huit nouvelles des années 1990, il y a seize morts dans huit nouvelles. En résumé, il y a environ soixante et un morts dans les trente-quatre nouvelles, soit en moyenne deux morts dans chaque nouvelle. De plus, la mort naturelle est presque absente. La relation étroite entre la vie et la mort demeure un leitmotiv dans les romans de Yu Hua. Dans son premier roman Cris dans la bruine (1991), la mort d’un homme inconnu vêtu de noir ouvre l’histoire, suivie de quatorze autres morts. Vivre !, est en fait un récit de mort, on y compte dix morts au total dont la plupart sont les proches de Fugui. Le Vendeur de sang est le roman le plus doux de Yu Hua, seulement six morts y ont eu lieu sans description détaillée. Dans Brothers, il y a huit morts, et les morts de Song Fanping et de Sun Wei font revenir la mort extrêmement sanglante de l'époque de la Révolution culturelle. Enfin, Le Septième jour constitue une littérature de l’entre-deux mondes. C’est une histoire de morts racontée par un mort. Deux mondes cohabitent, le monde des vivants et celui des morts. Dans ce dernier, les êtres ont enfin réussi à trouver la justice, l’égalité et la paix.

Par conséquent, la mort est une clé essentielle pour bien décrypter Yu Hua et son œuvre. Dans le chapitre suivant, nous allons classer les morts de la plus concrète et récurrente à la plus abstraite et symbolique. Dans chaque sous-partie, nous examinons d'abord les nouvelles, puis les romans, dans l'ordre chronologique, sous réserve d’aménagements nécessaires pour la cohérence du texte.

Chapitre 2 : Typologie de la mort dans l’œuvre de Yu Hua

1) Manifestation de la violence : le meurtre

Edgar Morin écrivait déjà : « Le meurtre a une signification de véritable naissance virile : il est l’initiation elle-même, qui comporte mort et renaissance, mais au lieu de mourir soi-même, c’est autrui qui est sacrifié[25] ». Dans le monde réel, il se peut que de nombreuses personnes aient éprouvé sur le coup de l’émotion l'envie de tuer. Mais dans la plupart des cas ce désir mortel est réprimé par la peur de la punition judiciaire, ou bien disparaît avec le temps. Dans la réalité, il existe un fossé entre l'envie de tuer et l'acte de meurtre. Et il est difficile de le franchir, car il faut du courage et une motivation solide. En revanche, tuer est plus facile dans l'écriture, car il n'y a pas de victimes réelles, et l'envie de tuer cachée dans le cœur de l’auteur peut être ainsi assouvie par le biais du récit de mort. Dans l’œuvre de Yu Hua, le meurtre sert à manifester violence, vengeance et désir. En dépit du caractère cruel et négatif de la mort, Yu Hua a décrit en détail le processus du meurtre, en exigeant de son lecteur qu’il entre dans le monde sanglant de son œuvre. Nous classons dans cette catégorie presque tous les morts exécutés par une autre personne, quel qu'en soit le motif, et que la mort ait été donnée volontairement ou non.

Dans « Siwang xushu 死亡叙述 » [Récit de mort][26] (1986), le camionneur, qui a écrasé une petite fille avec son véhicule, est tué par trois personnes en quête de vengeance. Ce récit de mort extrêmement détaillé est comme un film en couleur, qui déploie la scène de mort du camionneur. Pour faciliter l’entrée dans les détails de la mort, le camionneur devient le narrateur et raconte sa propre mort :

那个十来岁的男孩从里面蹿出来,他手里高举着一把亮闪闪的镰刀。他扑过来时镰刀也挥了下来,镰刀砍进了我的腹部。那过程十分简单,镰刀像是砍穿一张纸一样砍穿了我的皮肤,然后就砍断了我的盲肠。接着镰刀拔了出去,镰刀拔出去时不仅划断了我的直肠,而且还在我腹部划了一道长长的口子,于是里面的肠子一拥而出。当我还来不及用手去捂住肠子时,那个女人挥着一把锄头朝我脑袋劈了下来,我赶紧歪一下脑袋,锄头劈在了肩胛上,像是砍柴一样地将我的肩胛骨砍成了两半。我听到肩胛骨断裂时发出的“吱呀”一声,像是打开一扇门的声音。大汉是第三个蹿过来的,他手里挥着的是一把铁左边金字旁右边答。那女人的锄头还没有拔出时,铁某的四个齿已经砍入了我的胸膛。中间的两个铁齿分别砍断了肺动脉和主动脉,动脉里的血“哗”地一下涌了出来,像是倒出去一盆洗脚水似的。而两旁的铁齿则插入了左右两叶肺中。左侧的铁齿穿过肺后又插入了心脏。随后那大汉一用手劲,铁某被拔了出去,铁某拔出后我的两个肺也随之荡到胸膛外面去了。然后我才倒在了地上,我仰脸躺在那里,我的鲜血往四周爬去。我的鲜血很像一棵百年老树隆出地面的根须。我死了。[27]

Le garçon d’une dizaine d’années en est sorti, brandissant une faucille étincelante. Il s’est jeté sur moi et m’a frappé avec la faucille, qui s’est enfoncée dans mon ventre. Selon un processus extrêmement simple, la faucille m’a transpercé la peau comme elle l’aurait fait d’une feuille de papier, après quoi elle m’a tranché l’appendice. Puis elle est ressortie et, ce faisant, elle m’a non seulement sectionné le rectum, mais elle a en plus tracé une longue entaille sur mon abdomen, si bien que mon intestin en a jailli. Avant que j’aie eu le temps de le contenir avec mes mains, la femme, agitant une houe, l’a dirigée vers ma tête, que j’ai vite inclinée : la houe s’est plantée dans mon épaule et a coupé mon omoplate en deux, comme une bûche. J’ai entendu le grincement qu’à produit l’os en se fendant, c’était le grincement que fait une porte quand on l’ouvre. Le grand costaud a été le troisième à se ruer sur moi, avec à la main un râteau. La houe de la femme n’en était pas encore ressortie que déjà les quatre dents du râteau s’enfonçaient dans ma poitrine. Les deux dents du milieu ont sectionné respectivement l’artère pulmonaire et l’aorte, et mon sang a jailli à gros bouillons, comme quand on vide la cuvette de l’eau d’un bain de pieds. Quand aux dents extérieures, elles m’ont crevé les poumons. La dent gauche, en ressortant du poumon, s’est fichée dans le cœur. Puis le grand gaillard a extirpé le râteau d’un coup sec, arrachant du même coup mes poumons qui ballottaient maintenant hors de ma poitrine. Alors je me suis écroulé à terre où je suis resté étendu sur le dos, tandis que mon sang se répandait tout autour. Mon sang était parfaitement semblable aux racines chevelues qui saillent de la terre au pied d’un arbre centenaire. J’étais mort[28].

Ce récit de mort est remarquable dans l’œuvre de Yu Hua car c’est le mourant qui raconte sa propre mort, mais sans aucune description de ses sentiments douloureux. Le camionneur relate sa mort comme s’il en était étranger. Les sentiments et les comportements qui accompagnent normalement la mort : la peur, les cris, les pleurs, la douleur, le tremblement, la crispation…Tout cela est absent. Au contraire, le camionneur a un ton indifférent quand les trois meurtriers détruisent ses organes : « selon un processus extrêmement simple, la faucille m’a transpercé la peau comme elle l’aurait fait d’une feuille de papier, après quoi elle m’a tranché l’appendice ». Normalement, quand une faucille transperce le ventre d’une personne, cela cause une extrême douleur. Mais ici le processus est simple comme si la faucille avait transpercé une feuille de papier. Yu Hua a profité de sa connaissance en médecine pour préciser chaque partie du corps à détruire : le ventre, l’appendice, le rectum, l’abdomen, l’intestin, l’épaule, l’omoplate, la poitrine, l’artère pulmonaire, l’aorte, les poumons et le cœur. En outre, au lieu d’employer un couteau, les paysans ont utilisé une faucille, une houe et un râteau pour tuer le camionneur. Ils ont perpétré une vengeance sauvage et primitive en abattant leur proie sans la moindre considération pour l’humanité de la victime. Celle-ci n’a manifesté aucune réaction spontanée en vivant cette scène violente. De plus, c’est le mourant qui annonce sa propre mort à la fin du récit, ce qui prolonge le malaise du lecteur même après la fin de la nouvelle.

« Hebian de cuowu 河边的错误 » [Erreur au bord de l’eau] (1987) met en scène une histoire policière captivante. On assiste aux trois meurtres commis par un fou ainsi qu'à la mort de ce dernier, abattu par le policier Ma Zhe. Les trois victimes tuées par le fou, la vieille Benjamine du passage de l’Ancienne-Poste, un ouvrier de trente-cinq ans et un enfant, sont tués de la même façon : « Le criminel avait frappé la nuque de sa victime avec une serpette. L’examen des blessures révélait que le premier coup n’avait servi qu’à la faire tomber ; une trentaine d’autres avaient été nécessaires pour parvenir à trancher la tête[29] ». Les motivations du fou ne sont indiquées nulle part dans le texte. Peut-être est-ce pour montrer le non-sens du comportement du fou ou pour créer un contraste entre le calme du village au bord de l’eau et la cruauté du meurtrier, entre la logique des policiers et l'absence de logique dans la conscience du fou. La seule explication que nous pouvons fournir concernant les crimes violents de ce dernier provient de sa relation aberrante avec la veille Benjamine : « Il me bat aussi fort, aussi cruellement que me battait naguère mon mari ! » Son visage resplendissait alors de bonheur[30] ». Elle l’a autorisé à la frapper, peut-être car cela lui rappelait son mari défunt. Et cela a duré deux ans. C'est elle qui a laissé faire le fou, et a refusé l'aide des autres quand il l'a maltraitée :

幺四婆婆的呻吟声与日俱增,越来越响亮,甚至她哭泣求饶的声音也传了出来,而疯子打她的声音也越来越剧烈。然而当他们实在忍不住,去敲她屋门时,却因为她紧闭房门不开而不可奈何[31]

Elle geignait de plus en plus fort, suppliait le fou de cesser, mais celui-ci hurlait de plus belle. Les voisins, indignés par cet insupportable spectacle, allaient frapper à la porte mais personne ne leur ouvrait[32].

Nous pouvons donc faire l'hypothèse qu'elle est la victime de ses propres comportements irrationnels et de ses pensées absurdes. C'est elle qui a cultivé le goût du fou pour la violence. Et les meurtres ne sont qu'une manifestation de cette violence en dehors de la maison. Quoique meurtrier, le fou est protégé par la loi, car pour lui la peine de mort est exclue. Afin d’éviter d’autres victimes, Ma Zhe « sortit son revolver et le visa à la tête [du fou][33] ». Bien que son geste soit justifié, Ma Zhe doit être puni par la loi. Sous la pression de sa femme et du commissaire, Ma Zhe se fait passer pour fou afin d’éviter la punition. Par conséquent, l’histoire entière construit un monde mêlé de folie et de logique, de sains d'esprit morts et de fous vivants.

« Nan tao jieshu 难逃劫数 » [Difficile d’échapper à la fatalité] (1988) dépeint un monde extrêmement étrange. L'histoire se compose de plusieurs épisodes dans lesquels un destin mortel attend la plupart des personnages dans un univers étrangement décrit, rempli de désir et de vengeance. Un enfant est tué violemment par Senlin après avoir épié l'union en plein air de Senlin et de Caidie : « 血从孩子的嘴角欢畅流出,血在月光下的颜色如同泥浆。/ Le sang s’est écoulé joyeusement de la bouche de l’enfant, la couleur du sang étant comme celle de la boue sous la lumière de la lune[34] ». « 愤怒的结果使他[森林]杀死了男孩 / c'est la colère [de Senlin] qui l'a poussé à tuer l'enfant [35] ». Plus tard, Dongshan a tué sauvagement sa nouvelle épouse par vengeance [36] car elle avait mutilé son visage. Tous les personnages dans cette nouvelle ont assouvi leurs désirs au maximum en dépit des conséquences, souvent mortelles. Ils veulent que ceux qui les ont fait souffrir en payent le prix bien cher. Malheureusement, le désir est invincible, et finalement tout le monde en est victime.

Dans « Gudian aiqing » [Un amour classique] (1988), « comme les récoltes cette année-là avaient été désastreuses et que les écorces et les racines avaient peu à peu disparu, la chair humaine était devenue une denrée alimentaire que l’on pouvait se procurer sur des marchés apparus pour la circonstance[37] ». Dans ce récit, les humains misérables sont comme des animaux à l’abattoir. Les clients riches commandent de la chair humaine et les bouchers n’ont aucune pitié. C'est ainsi par exemple qu'est décrite la mise à mort d'une femme et d'une fillette dans une taverne :

妇人开口说道:

“她先来。”

妇人的声音模糊不清。

店主答应一声,便抓起幼女的手臂,拖入棚内。

妇人又说:

“行行好,先一刀刺死她吧。”[38]

C’est alors que la femme prit la parole :

—Elle d’abord.

Sa voix était indistincte.

Le propriétaire acquiesça, saisit la fillette par le bras et la tira dans la cabane.

La femme ajouta :

—Faites cela correctement, tuez-la du premier coup[39].

Ayant peur de la mort, même la mère est prête à sacrifier sa fille en premier, tout en suppliant le patron de lui accorder une mort correcte. « Impossible, répondit le patron, la viande ne resterait pas fraîche[40] ». Quelle parole inhumaine ! L'appétit du client prime sur la vie de la fillette.

幼女被拖入棚内后,伙计捉住她的身子,将其手臂放在树桩上。幼女两眼瞟出棚外,看那妇人,所以没见店主已举起利斧。妇人并不看幼女。

柳生看着店主的利斧猛劈下去,听得“咔嚓”一声,骨头被砍断了,一股血四溅开来,溅得店主一脸都是。

幼女在“咔嚓”声里身子晃动了一下。然后她才扭回头来看个究竟,看到自己的手臂躺在树桩上,一时间目瞪口呆。半晌,才长嚎几声,身子便倒在了地上。倒在地上后哭喊不只,声音十分刺耳。

店主此刻拿住一块破布擦脸,伙计将手臂递与棚外一提篮的人。那人将手臂放入篮内,给了钱就离去。

这当儿妇人奔入棚内,拿起一把放在地上的利刃,朝幼女胸口猛刺。

幼女窒息了一声,哭喊便戛然终止。待店主发现为时已晚。店主一拳将妇人打到棚角,又将幼女从地上拾起,与伙计二人令人眼花缭乱地肢解了幼女,一件一件递与棚外的人。[41]

Quand la petite fille fut dans la cabane, le commis se saisit d’elle, lui prit un bras qu’il étendit sur un billot. L’enfant regarda du coin de l’œil vers la femme, à l’extérieur, aussi ne vit-elle pas que le patron avait déjà levé sa hache. La femme détourna les yeux.

Liu Sheng regarda la hache du patron s’abattre d’un seul coup et entendit un craquement d’os fracassé. Le sang gicla tout autour, éclaboussant le visage du patron.

Le corps de la fillette se convulsa dans ce craquement. Ensuite, elle tourna la tête pour voir ce qui s’était passé. En apercevant son bras qui gisait sur le billot, elle resta hébétée un certain temps. Enfin, après un bon moment, elle poussa de longs hurlements et s’effondra sur le sol. Puis elle pleura sans plus s’arrêter, avec des cris stridents.

Le patron prit alors un chiffon pour s’essuyer le visage et le commis remit le bras à quelqu’un qui, dehors, portait un panier. La personne rangea le bras dans son panier, paya et s’en alla.

Sur ces entrefaites, la femme se rua dans la cabane, ramassa un couteau pointu qui traînait par

terre et le plongea de toutes ses forces dans la poitrine de la petite fille.

Celle-ci suffoqua et ses cris s’arrêtèrent net. Quand le patron s’en aperçut, il était déjà trop tard. D’un coup de poing, il projeta la femme dans un coin de la cabane, ramassa l’enfant et, avec l’aide de son commis, la dépeça à une vitesse vertigineuse, passant un par un les morceaux aux gens qui attendaient dehors[42].

Ainsi, trois personnes ont accompli le meurtre de la fillette, y compris sa propre mère. Face à la souffrance, à la douleur et à la désespérance, une mort rapide est une délivrance. Yu Hua décrit cette scène tachée de sang en détail, dans un langage réaliste, sans rien atténuer de sa violence.

柳生看得魂不附体,半晌才醒悟过来。此刻幼女已被肢解完毕,店主从棚角拖出妇人。柳生不敢继续目睹,赶紧转身离去,躲入僻巷。然而店主斧子砍下的沉重声响,与妇人撕裂般的长嚎却追赶而来,使柳生一阵颤抖,直到他疾步走出僻巷,那些声音才算消失。可是刚才的情景却难以摆脱,凄惨惨地总在柳生眼前晃动。无论柳生走到何处,这惨景就是不肯消去。[43]

Liu Sheng assista à la scène, paralysé par l’épouvante. Un temps assez long s’écoula avant qu’il ne reprît ses sens. Le dépeçage de la petite fille était terminé, et le patron tirait la femme du coin de la cabane vers le billot. N’osant pas regarder davantage, Liu Sheng se hâta de tourner les talons et de disparaître dans une ruelle écartée. Mais les coups sourds de la hache et les hurlements déchirants de la femme le poursuivaient et il fut pris de tremblements. Ce fut seulement lorsqu’il se précipita hors de la ruelle que les bruits se turent. Mais il lui était difficile de chasser de son esprit la scène dont il venait d’être témoin et qui ne cessait de redéployer toute son horreur devant ses yeux. Partout où il irait, cette vision de cauchemar le hanterait[44].

Malheureusement pour Liu Sheng, le cauchemar venait seulement de commencer. Dans une autre taverne, il a rencontré son amoureuse :

柳生仔细辨认,认出来正是小姐惠。不觉一阵天旋地。没想到一别三年居然在此相会,而小姐竟已沦落为菜人。柳生泪如泉涌。[45]

Liu Sheng l’examina attentivement : il s’agissait bien de la demoiselle Hui. Tout se mit à tourner autour de lui. Jamais il n’aurait imaginé qu’après trois ans de séparation, il la retrouverait ici, réduite à l’état de viande de boucherie. Liu Sheng fondit en larmes[46].

La scène de mort pathétique de la jeune fille contraste avec la scène amoureuse et douce du pavillon il y a trois ans. Dans les nouvelles écrites par Yu Hua dans les années 1980, tous les amours sont tragiques, c’est souvent la mort qui sonne la fin d’une histoire d’amour.

小姐用最后的声音求柳生将她那条腿赎回,她才可完整死去。又求他一刀了结自己。小姐说毕,十分安然地望着柳生,仿佛她已心满意足。在这临终之时,居然能与柳生重逢,她也就别无他求。[47]

Dans un dernier souffle, la jeune fille supplia Liu Sheng de racheter sa jambe pour qu’elle puisse mourir dans son intégrité. Elle le pria aussi de l’achever d’un coup de couteau. Quand elle eut fini de parler, elle posa sur lui un regard serein, comme si elle était déjà comblée. Avant sa mort, elle avait pu malgré tout revoir Liu Sheng : elle n’avait plus d’autre exigence[48].

De nouveau, de même que la mère a tué sa fille pour mettre fin à sa souffrance, la jeune fille a demandé à Liu Sheng de l’achever d’un coup de couteau. Se faire tuer par son amoureux, c'est pour la jeune fille la seule façon de retrouver la paix.

小姐虽不再呻吟,却因为难忍的疼痛,她的脸越发扭曲。柳生无力继续目睹这脸上的凄惨,他不由闭上双眼。半晌,他才向小姐胸口摸索过去,触摸到了微弱的心跳,他似乎觉得是手指在微微跳动。片刻后他的手移开去,另一只手举起利刀猛刺下去。下面的躯体猛地收起,柳生凝住不动,感觉着躯体慢慢松懈开来。待下面的躯体不再动弹,柳生开始颤抖不已。[49]

Bien que la jeune fille ne gémît plus, ses traits étaient de plus en plus convulsés par l’intolérable douleur. Liu Sheng n’avait plus la force de continuer à regarder la détresse ravager ce visage et ne put s’empêcher de fermer les yeux. Après un moment, il avança une main tâtonnante jusqu’à sa poitrine et sentit son cœur battre faiblement. Il lui semblait que c’étaient ses propres doigts qui tremblotaient. Un instant plus tard, il retira sa main et, de l’autre, brandit le couteau et frappa. Le corps, sous le coup, se contracta violemment. Liu Sheng s’immobilisa et le sentit se relâcher lentement. Quand le corps ne bougea plus, Liu Sheng fut pris de tremblements incontrôlables[50].

Ici, il s’agit d’un meurtre involontaire qui a pour but de sauver la fille de la souffrance : la morte « avait une expression très sereine […] Elle semblait apaisée et comblée » tandis que « Liu Sheng était comme un corps sans âme, poursuivi par un rêve[51] ». Quand Liu Sheng essuya le corps de la jeune fille, « en pensant que c’était lui-même qui [l']avait poignardé[e], il fut pris de tremblements. Une attente de trois années s’était dénouée en un coup de couteau. Liu Sheng n’osait vraiment pas croire à cette réalité [52] ». Mais c’est la dure réalité et Liu Sheng ne peut que l’accepter. Cependant, la mort de la jeune fille est-elle vraiment la fin de leur histoire d’amour ? Pourraient-ils se retrouver après la mort ? Nous y reviendrons.

Ruan Jinwu, « le meilleur des grands maîtres de sa génération, était mort des mains de deux brigands de la Forêt des Chevaliers [53] ». Le début de la nouvelle « Xian xue meihua 鲜血梅花» [Fleurs de prunier ensanglantées] (1989) annonce une histoire de vengeance, et une intrigue récurrente dans la tradition des histoires martiales de la littérature chinoise. Mais Yu Hua a bouleversé plusieurs règles de cette tradition. Le premier point à noter est que Ruan Haikuo, le fils de Ruan Jinwu, est pratiquement ignorant des arts martiaux. Néanmoins, « sa mère lui fit remarquer qu’il y avait déjà quatre-vingt-dix-neuf fleurs de prunier ensanglantées sur l’épée. Elle espérait que le sang de l’assassin de son mari ferait s’y épanouir une nouvelle fleur[54] ». Mais elle ne lui a donné aucune piste pour trouver l’assassin et la recherche de Ruan Haikuo s’est faite par l'errance. L’histoire se termine sur la confidence de Bai la Pluie, qui révèle à Ruan Haikuo que les assassins de son père ont été tués :

你的杀父仇敌是两个人。一个叫刘天,一个叫李东。他们三年前在去华山的路上,分别死在胭脂女和黑针大侠之手。[55]

Les assassins de ton père sont deux. L’un s’appelle Liu Tian, et l’autre Li Dong. Ils sont morts il y a trois ans, sur le chemin du mont Hua, le premier de la main de la Fille au fard rouge, et le second de celle du grand redresseur de torts Aiguille noire[56].

« Xianshi yizhong » [Une certaine réalité] (1989) dépeint une scène sanglante inouïe, il s’agit de meurtres au sein d’une famille. La tragédie commence par un enfant de quatre ans, qui se promène dans la cour de la maison avec son petit cousin dans les bras :

然而孩子感到越来越沉重了,他感到这沉重来自手中抱着的东西,所以他就松开了手,他听到那东西掉下去时同时发出两种声音,一种沉闷一种清脆,随后什么声音也没有了。现在他感到轻松自在,他看到几只麻雀在树枝间跳来跳去,因为树枝的抖动,那些树叶像扇子似的一扇一扇。[57]

Mais l’enfant, qui se sentait chargé d’un poids de plus en plus lourd, eut l’impression que ce poids provenait de la chose qu’il avait dans les bras, c’est pourquoi il la lâcha. Il entendit cette chose produire simultanément deux sons en tombant, l’un sourd, l’autre cristallin, puis il n’y eut plus aucun bruit. A présent, il se sentait soulagé. Il regarda les moineaux sautiller de branche en branche. Sous l’effet des secousses, les feuilles s’agitaient comme autant d’éventails[58].

Evidemment, il ne s’agit pas d’un meurtre intentionnel. Un enfant de quatre ans n’a pas encore beaucoup de conscience du danger, peut-être que Pipi n’a pas encore compris ce que signifiait la mort. Il a lâché son petit cousin simplement parce qu’il « se sentait chargé d’un poids de plus en plus lourd », et il avait envie de s’en débarrasser. A ce moment-là, il a oublié le fait qu’il s’agissait d’un petit être bien vivant et faible. Même enfant, Pipi a déjà montré sa tendance à satisfaire son désir aux dépens des autres, il a obéi inconsciemment au « principe du plaisir » (Freud)[59]. Pipi a d'abord pincé la joue du bébé, il a aimé le bruit des pleurs de son petit cousin, donc il l’a frappé. Tout ce qu’il a fait, il l’a fait pour se sentir mieux. Après s’être débarrassé du poids lourd dans ses bras, « il se sentait soulagé ». Mais en même temps, le bébé est tombé et est mort sans que son meurtrier ne s’en rende compte. Ensuite, le crime de Pipi a provoqué la vengeance des parents de son petit cousin, puis la vengeance de ses propres parents. La mort appelle la mort d’une manière excessive et de plus en plus violente.

山岗这时看到弟媳伤痕累累地出现了,她嘴里叫着“咬死你”扑向了皮皮。与此同时山峰飞起一脚踢进了皮皮的胯里。皮皮的身体腾空而起,随即脑袋朝下撞在了水泥地上,发出一声沉重的声音。他看到儿子挣扎了几下后就舒展四肢瘫痪似的不再动了。[60]

C’est alors que Shangang vit surgir, couverte d’ecchymoses, sa belle-sœur qui se rua sur Pipi en criant :

—Je vais te tuer !

Au même moment, Shanfeng prit son élan et donna un coup de pied dans l’entrecuisse de Pipi. Celui-ci fut projeté en l’air et sa tête heurta aussitôt après le sol cimenté avec un bruit sourd. Shangang vit son fils, après quelques soubresauts, étendre ses membres et rester inerte, comme paralysé[61].

La colère causée par la mort a atteint un sommet, une vengeance sanglante a eu lieu. Pipi n’est pas innocent, un choc (au sens physique) lui a donc enlevé la vie comme il l'avait enlevée à son petit cousin. Mais cette fois-ci il s’agit bien d’un meurtre intentionnel, commis par Shanfeng, sous les yeux de Shangang. Shanfeng en paiera donc le prix : son frère Shangang le torture en l’attachant à un arbre et en poussant un chien à lui lécher la plante des pieds jusqu’à ce qu’il meurt, étouffé par son rire.

山峰这次不再哈哈大笑,他耷拉着脑袋“呜呜”地笑着,那声音像是深更半夜刮进胡同里来的风声。声音越拉越长,都快没有间隙了。然而不久之后山峰的脑袋突然昂起,那笑声像是爆炸似的疯狂地响了起来。这笑声持续了近一分钟,随后戛然而止。山峰的脑袋猛然摔了下去,摔在胸前像是挂在了那里。而那条狗则依然满足地舔着他的脚底。[62]

Shanfeng, au lieu de rire aux éclats, avait la tête baissée et poussait des gémissements semblables à ceux du vent qui s’engouffre dans les ruelles au plus profond de la nuit. Ceux-ci se firent de plus en plus traînants, jusqu’à devenir une plainte ininterrompue. Mais peu après, Shanfeng releva brusquement la tête, et son rire frénétique retentit comme une explosion. Il dura près d’une minute, puis s’arrêta net. La tête de Shanfeng retomba brusquement devant sa poitrine, comme si elle y avait été accrochée. Le chien, quant à lui, léchait toujours la plante de ses pieds avec satisfaction[63].

Ainsi, nous ne voyons pas de fraternité ni même d’humanité. Au contraire, c’est un meurtre inouï, inventé pour réaliser la vengeance la plus cruelle possible. Au lieu de tuer Shanfeng directement, Shangang l’a torturé et a rejeté la faute sur le chien. De plus, le rire est généralement considéré comme un signe de joie, mais il est devenu ici un signe de mort. Tout le récit est ironique et triste.

Dans « Ouran shijian 偶然事件 » [Un événement fortuit] (1989), deux meurtres ont eu lieu dans le café des Gorges au début et à la fin du récit, les deux scènes de mort sont semblables :

头发漂亮的男人此刻倒在地上。他的一条腿还挂在椅子上。胸口插着一把尖刀,他的嘴空洞地张着,呼吸仍在继续。[64]

« L’homme bien coiffé s’est écroulé sur le sol. Une de ses jambes reste accrochée au fauteuil. Un couteau acéré planté dans l’estomac, il a la bouche grande ouverte et continue de respirer [65] ».

穿灯芯绒夹克的男人倒在地上,胸口插着一把刀。[66]

« L’homme à la veste en velours s’écroule sur le sol, un couteau planté dans l’estomac[67] ».

Deux hommes ont assisté au premier meurtre, et ils ont continué à s’écrire par hasard. Après avoir échangé beaucoup de lettres où ils discutent les tenants et les aboutissants du meurtre, ils ont réussi à conclure qu’il s’agit bien d’une vengeance concernant une affaire amoureuse. Le témoin, Chen He, trompé par sa femme, a tué Jiang Piao, l’autre témoin, qui est un freluquet courant après toutes les femmes. Dans une lettre de Jiang Piao à Chen He, il a dit ainsi : « Dans ce cas, l'assassin a pu aussi bien tuer cet homme dans un acte suicidaire, bien que celui-ci n'ait jamais séduit sa femme. Parce que pour lui le plus important était d'apaiser cette colère qu'il ne pouvait plus supporter, c'était le point le plus crucial. Le meurtre, à ce moment-là, n'était rien d'autre, en fait, qu'un moyen d'y parvenir, et tuer n'importe qui serait revenu au même[68] ». Impossible de supporter le ton indifférent de Jiang Piao concernant le sérieux de l'amour voire le meurtre, Chen He a proposé un rendez-vous à ce dernier. C'est ainsi que le deuxième meurtre a eu lieu. Ce meurtre est donc provoqué par une relation épistolaire et le meurtrier a bien réfléchi avant d’agir. Même s’il doit subir la peine de mort, Chen He a choisi de tuer Jiang Piao de ses propres mains. Car la jalousie et la colère dans une affaire amoureuse peuvent amener à commettre des erreurs graves.

Les ancêtres dans « Zuxian 祖先 » [L’Ancêtre] (1992) ne sont pas des vrais ancêtres, leurs morts sont donc imaginaires, mais le meurtre violent du premier « ancêtre » que les villageois ont vu est très détaillé, comme s'il était mort sous nos yeux :

我看到一把镰刀已经深深砍进他的肩膀,那是我母亲的镰刀。母亲睁圆了眼睛恐惧地嘶喊着。这景象让我浑身哆嗦。村里很多人挥着镰刀冲过来,朝他身上砍去。他吼叫着蹦起身体,挥动胳膊阻挡着砍来的镰刀。不一会他的两条胳膊已经鲜血淋淋。他一步一步试图逃跑,砍进肩膀的那把镰刀一颤一颤的。没多久,他的胳膊已经抬不起来了。耷拉着脑袋任他们朝他身上乱砍。接着他扑通一声坐到了地上,嘴里呜呜叫着,两只滚圆的眼睛看着我。我哇哇地哭喊,那是祈求他们别再砍下去。我的身体被母亲从后面紧紧地抱住,我离开了田埂,在母亲身上摇晃着离去。我还是看到他倒下的情形,他两只乌黑的大眼睛一闭,脑袋一歪,随即倒在了地上[69]

Je vis une faucille déjà profondément enfoncée dans son épaule : c’était la faucille de ma mère. Cette dernière écarquilla les yeux et hurla de peur. Cette scène fit trembler tout mon corps. Beaucoup de villageois s’élancèrent vers nous en brandissant leurs faucilles, puis coupèrent son corps. Le monstre bondit en hurlant et agitant ses bras pour repousser les faucilles. En un rien de temps, ses deux bras étaient déjà ensanglantés. Il essaya de s'enfuir et la faucille enfoncée dans son épaule trembla. Mais il n’arrivait plus à lever ses bras et, tête baissée, il laissa frapper pêle-mêle les gens avec leurs faucilles. Puis il tomba par terre en gémissant, ses deux yeux ronds me regardèrent. Je fondis en larmes pour les prier de ne pas continuer de l'abattre. Ma mère m'embrassa tout en me serrant dans ses bras. Je quittai le champ en chancelant sur le corps de ma mère. Je vis malgré tout la scène de sa chute : une fois ses deux grands yeux noirs fermés, sa tête penchée de côté, il tomba par terre.

Cette scène inoubliable est restée gravée dans la mémoire du protagoniste[70]. Étant jeune, il ne comprend pas la violence des villageois, y compris celle de sa mère, car le monstre était tendre avec lui. Il est venu le voir alors qu’il se sentait abandonné.

Dans « Mingzhong zhuding 命中注定 » [Prédestination] (1992), il s’agit de nouveau d’un meurtre violent : « Chen Lei avait été tué dans son sommeil à coups de marteau. De la tête à la poitrine, son corps était criblé de trous[71] » dans la grande maison où il venait de s'installer. Mais jamais dans le récit nous ne connaîtrons l’identité du véritable meurtrier. Cependant, Liu Dongsheng, l'ancien ami de Chen Lei, a sa propre interprétation de la mort de son ami : il « se souvient qu'il y a trente ans, ils avaient entendu aux abords de cette veille bâtisse une voix semblable à celle de Chen Lei, et qui lançait des appels au secours, comme si sa fin tragique était déjà inscrite entre les murs de sa future demeure [72] ».

Les meurtres dans « Yige dizhu de si 一个地主的死 » [La mort d’un propriétaire foncier] (1992) sont pathétiques. Le premier meurtre est commis par un Japonais lors de la guerre sino-japonaise[73]. La mort misérable d’un homme provoque néanmoins le rire des autres soldats japonais. La guerre a fait disparaître le sentiment d'humanité, tuer une personne n’est plus qu’un simple divertissement. Wang Xianghuo est aussi une victime de la guerre[74]. Il pousse un cri enfantin lorsque les soldats japonais le tuent avec leurs baïonnettes. L’élément humoristique « 两把闪亮的刺刀仿佛从日本兵下巴里长出来一样 / les deux baïonnettes éclatantes semblent pousser du menton du soldat japonais[75] » et le cri[76] poussé par Wang Xianghuo avant sa mort diminuent la dimension héroïque de son acte.

Nous pouvons trouver des morts à la fois violentes et déplorables dans Cris dans la bruine, où Wang Liqiang a essayé de tuer la femme qui a dénoncé son adultère : « A l’approche de l’aube, un homme à l’air agressif surgit, une grenade à la main, dans l’hôpital du bourg[77] ». Mais malheureusement, ce sont les deux petits enfants de la femme qui sont les victimes : « En proie à un trouble extrême, il regardait les deux cadavres : il n’avait pas prévu que ce seraient eux les victimes. Il sortit à reculons de la salle d’opération. Maintenant qu’il avait vu les deux petits garçons, il n’avait plus envie de retrouver la femme[78] ». Au départ, son intention était de se venger à tout prix, mais la mort des deux enfants l’a réveillé. Mais le crime est déjà commis, la mort est son seul choix.

Dans Brothers, les morts de Song Fanping et de Sun Wei exposent la violence et la folie qui régnaient pendant la Révolution culturelle. D’abord, Li Guangtou, enfant étourdi, a mené Song Fanping à sa perte :

“你是骗我们的,你根本没有教会我们扫堂腿你还骗我们木牌上的字,明明是‘地主’两个字,你说是‘地’上的毛‘主’席”

当时李光头不知道这句话会给宋凡平带去什么,接下去的情景把他吓傻了,那些人听到李光头的话以后先是愣了一下,然后一阵拳打脚踢,把宋凡平揍了个死去活来。他们吼叫着,几只脚对准地上的宋凡平又是踩又是蹬,要宋凡平老实交代他是怎样恶毒攻击伟大的领袖、伟大的导师、伟大的统帅、伟大的舵手——毛主席。

李光头从来没有见过一个人会被打成这样,宋凡平满脸是血,他头发都被血染红了,他躺在地上,不知道有多少只大人的脚和小孩的脚蹬在他的身上,他的身体像是台阶似的被人踩个不停。[79]

—Tu t’es moqué de nous, tu ne nous as pas du tout appris le balayage…Tu t’es aussi moqué de nous pour les caractères de la pancarte. Il y a marqué « propriétaire foncier », et toi tu nous as raconté que ça voulait dire « président par terre »…

Li Guangtou était loin d’imaginer les conséquences de son intervention, et la scène qui s’ensuivit le laissa muet de terreur. Les gens qui étaient là restèrent un moment interdits, puis ce fut une grêle de coups de poing et de coups de pied qui s’abattit sur Song Fanping, le laissant à moitié mort. Au milieu des cris, leurs pieds s’acharnèrent sur leur victime, tombée à terre. Ils exigeaient que Song Fanping leur explique sons détour comment il avait perfidement calomnié le grand leader, le grand guide, le grand commandant, le grand timonier, le président Mao.

Li Guangtou n’avait jamais vu battre un homme avec une telle sauvagerie. Song Fanping avait le visage en sang, et ses cheveux mêmes étaient teints en rouge. Il était étendu sur le sol et personne n’aurait su dire combien de pieds d’adultes ou d’enfants lui étaient montés sur le corps. On le piétinait comme une marche d’escalier[80].

Souvent, les témoignages des enfants dans les affaires de crimes sont considérés comme peu crédibles à cause de leur naïveté. Par exemple dans « Hebian de Cuowu » [Erreur au bord de l'eau], c'est un enfant qui est le premier à informer les gens de sa découverte (la tête coupée de la veille veuve), mais personne ne prend ses paroles au sérieux, y compris ses parents. Néanmoins pendant la Révolution culturelle, les mots de Li Guangtou sont mortels pour Song Fanping car selon les gardes rouges, ce dernier a outragé le grand leader Mao. De plus, quand les gardes rouges agissent ensemble sous prétexte de protéger le pays et commettent un crime, ils le considèrent comme un acte juste. Ils ont perdu la raison et ne ressentent point de culpabilité. Lorsqu’ils ont découvert la disparition de Song Fanping de l’entrepôt, tuer cette personne devient une mission pour eux car sa fuite est une preuve de son crime. « Des habitants de notre bourg des Liu avaient assisté au massacre de Song Fanping par les six brassards rouges[81] » :

刚刚休息过来的六个红袖章再次冲了上去,再次将宋凡平打倒在地。宋凡平不再反抗,他开始求饶了。从不屈服的宋凡平这时候太想活下去了,他用尽了力气跪了起来,他吐着满嘴的鲜血,右手捧着呼呼流血的腹部,流着眼泪求他们别再打他了,他的眼泪里都是鲜血。他从口袋里摸出李兰的信,他郎当的左手本来已经不能动了,这时竟然打开了李兰的信,他要证明自己确实不是逃跑。没有一只手去接他的信,只有那些脚在继续蹬过来踩过来踢过来,还有两根折断后像刺刀一样锋利的木棍捅进了他的身体,捅进去以后又拔了出来,宋凡平身体像是漏了似的到处喷出了鲜血。[82]

Les six brassards rouges un peu requinqués se ruèrent sur Song Fanping et le plaquèrent au sol. Song Fanping ne résistait plus et il commença à demander grâce. Lui qui ne se soumettait jamais, à présent il aurait tant voulu continuer à vivre. Rassemblant ses dernières forces, il s’agenouilla. Alors, crachant le sang à peine bouche, soutenant de sa main droite son ventre d’où le sang s’échappait à flots, il supplia en pleurant les six brassards rouges de na plus le frapper. Ses larmes étaient mêlées de sang. Il sortit de sa poche la lettre de Li Lan, et bien que son bras gauche disloqué fût devenu raide il réussit tout de même à l’ouvrir. Il voulait leur prouver qu’il ne songeait nullement à s’enfuir. Aucune main ne se tendit pour prendre la lettre, mais les pieds continuaient à le frappe et à le piétiner, et deux bâtons acérés s’enfoncèrent dans son corps, puis en ressortirent : le corps de Song Fanping était devenu une passoire pissant le sang de partout[83].

Un ancien garde rouge, Sun Wei, est devenu lui-même une victime à cause de ses longs cheveux. Sa résistance a déchaîné la violence des gardes rouges :

红袖章手里的理发推子像一把锯子在孙伟的头发上和脖子上绞割着,红袖章的用力和孙伟的拼命挣扎,使理发推子从孙伟的头上滑下来以后,竟然深深插进孙伟的颈部,红袖章还在用力绞割,鲜血涌出来染红了理发推子,红袖章的手仍然没有停止,红袖章割断了里面的动脉。

李光头看到了恐怖的一幕,动脉里的血喷射出来,足足有两米多高,喷得红袖章们满脸满身都是血,把红袖章们吓得像弹簧一样蹦了起来。[84]

Dans les mains des brassards rouges, la tondeuse passait comme une scie dans les cheveux et sur le cou de Sun Wei. L’action conjuguée des brassards rouges et des contorsions de Sun Wei fit déraper la tondeuse : glissant de sa tête, elle s’enfonça profondément dans son cou. Les brassards rouges continuaient à couper de toutes leurs forces. Le sang jaillit et rougit la tondeuse, mais les mains des brassards rouges s’activaient toujours : ils avaient tranché l’artère.

Li Guangtou assista à une scène terrifiante. Le sang gicla de l’artère à plus de deux mètres de hanteur, inondant le visage et le corps des brassards rouges qui, effrayés, bondirent comme des ressorts[85].

Dans Le Septième jour (2013), la seule mort sanglante est le meurtre de Zhang Gang commis par le dénommé Li, qui l'a égorgé avec un long couteau, guidé par une soif de vengeance[86].

En résumé, les meurtres sous la plume de Yu Hua sont tous la manifestation de la violence pure, et surtout de la vengeance. Les meurtriers ont commis leur crime tout en en connaissant la conséquence, car le désir de tuer leur ennemi est tellement puissant qu’ils n’arrivent plus à le réprimer. Mais ce qui distingue les meurtres dans les récits de Yu Hua de ceux dans les récits des autres, c’est la description détaillée des scènes de mort et du processus de mort. Yu Hua ne se contente pas de mentionner la mort, mais le mourant est un objet d’art dans ses récits. Yu Hua veut filmer le mourant.

2) En finir avec soi : les voies du suicide

Depuis l’antiquité, le suicide est une façon d’aboutir à la mort avec dignité car il s’agit d’un choix subjectif du mort. Quelles qu'en soient les causes — le courage ou la faiblesse — , et les voies — violente ou douce — , le suicide est une autodestruction, commise dans un état extrême de pression et de désespérance. Mais il est la dernière défense de la dignité et de la liberté d’esprit. Camus a dit que le suicide était la seule question sérieuse en philosophie. « Il n'y a qu'un problème philosophique vraiment sérieux : c'est le suicide. Juger que la vie vaut ou ne vaut pas la peine d'être vécue, c'est répondre à la question fondamentale de la philosophie. Le reste, si le monde a trois dimensions, si l'esprit a neuf ou douze catégories, vient ensuite. Ce sont des jeux ; il faut d'abord répondre[87] ». Michel Braud a commenté ainsi ce passage :

Ces premières phrases du Mythe de Sisyphe tournent le dos à la philosophie traditionnelle, et font passer au premier plan la réflexion sur l'existence ; l'interrogation sur la vie, sur la valeur de la vie, relègue les autres au rang des accessoires. L'homme semble découvrir, en ce milieu du XXe siècle, que son existence ne va pas de soi, ou ne va plus de soi. Le sentiment de l'absurde, qui débouche sur le risque du suicide, rend l'interrogation existentielle « pressante [88] »; l'homme doit savoir si la vie a un sens, et doit définir pour lui-même, par rapport à la possibilité de se tuer, une morale : une morale d'existence ou de mort[89].

Peut-être que la réflexion de Camus découle de l’ambiance morbide des guerres de la première moitié du 20e siècle en Europe. Les gens vivaient dans une société où leur existence n’allait pas de soi. Quelques décennies plus tard, à l’autre bout du monde, une grande révolution culturelle à forte dimension guerrière se déroulera en Chine. Pendant cette période, des milliers de Chinois innocents se suicideront à cause des persécutions politiques. Malheureusement, la tragédie a continué dans la société chinoise de la nouvelle époque, où la croissance économique masque le désarroi de Chinois ordinaires. Si bien que la représentation du suicide abonde dans la littérature chinoise, et occupe une place majeure dans l’œuvre de Yu Hua.

Durkheim définit ainsi le suicide dans son livre phare Le Suicide: « On appelle suicide tout cas de mort qui résulte directement ou indirectement d'un acte positif ou négatif, accompli par la victime elle-même et qu'elle savait devoir produire ce résultat . La tentative, c'est l'acte ainsi défini, mais arrêté avant que la mort en soit résultée [90] », et identifie quatre catégories : premièrement, le « suicide égoïste[91] » : « celui qui varie en raison inverse du degré d'intégration des groupes sociaux (religieux, domestiques, politiques) dont fait partie l'individu. Les protestants, les célibataires et les veufs y sont le plus exposés [92] ». Le suicide égoïste intervient lors d'un défaut d'intégration : l'individu n'est pas suffisamment rattaché aux autres. Deuxièmement, le « suicide altruiste [93] »: « celui qui se produit dans des groupes où les individus existent moins par eux-mêmes que pour et par le groupe dont ils font partie ; l'intégration de l'individu aux valeurs collectives est forte au point de provoquer le sacrifice de la personne aux normes du groupe : ce type de suicide est fréquent dans la société militaire [94] ». A l'inverse du suicide égoïste, le suicide altruiste est déterminé par un excès d'intégration. Les individus ne s'appartiennent plus et peuvent en venir à se tuer par devoir. Troisièmement, le « suicide anomique[95] »: « celui qui augmente proportionnellement au dérèglement et au relâchement de normes sociales (l'anomie). Il est particulièrement fréquent dans les périodes de crise économique ; il se rencontre aussi, à l'échelon familial, lorsque le divorce vient affaiblir la discipline matrimoniale [96] ». Le suicide anomique intervient lors d'un défaut de régulation : la réglementation, les normes sont moins importantes, elles sont devenues plus floues. Les individus sont moins tenus, leurs conduites sont moins réglées, leurs désirs ne sont plus limités ou cadrés. Ils peuvent éprouver le « mal de l'infini[97] » où tout semble possible alors qu'en fait tout ne l'est pas. Quatrièmement, le « suicide fataliste[98] » : le suicide fataliste, quant à lui, intervient dans les cas d'excès de régulation : la vie sociale est extrêmement réglée, les marges de manœuvre individuelles sont réduites. Le contrôle social, les normes, sont trop importants. Mais dans d’autres cas de suicide, la cause pourrait être plus délicate ou plus simple.

Quand nous étudions le suicide dans l’œuvre de Yu Hua, nous pouvons trouver toutes ces catégories. Et nous allons essayer de ranger les suicides sous la plume de Yu Hua dans une des catégories définies par l’analyse de Durkheim, quand leur cause n'est pas simplement impulsive, et en dépit de la différence qui existe entre le suicide réel et celui dans la fiction que nous allons voir un peu plus tard.

Le suicide de Xu Liang dans « Hebian de cuowu » [Erreur au bord de l’eau] (1987) mérite d’abord notre attention. Xu Liang n'a pas de chance car d'après ses aveux, il n'est jamais allé auparavant à cet endroit au bord de l'eau : « Je ne sais ce qui m'a entraîné vers le fleuve le jour où justement un crime y a été commis. Je n'y vais jamais. Ce doit être la volonté du Ciel ! [99] ». Quand Ma Zhe lui demande de s’expliquer, il croit qu'il n'a même pas de besoin de se défendre car il ne pense pas que la police puisse lui faire confiance. Après avoir eu vent du deuxième crime au bord de l'eau, Xu Liang a tenté de se suicider en prenant des médicaments car il s'est persuadé qu'il s’était de nouveau rendu au bord de l'eau et avait vu la tête coupée. Il serait donc sûrement arrêté par la police. Mais sa tentative de suicide échoue car il est sauvé par son ami venu le chercher pour aller pêcher. Le suicide de Xu Liang est finalement réussi lors de sa deuxième tentative après le troisième crime au bord de l'eau. C’est sa nervosité extrême et sa culpabilité imaginaire qui entraînent ce suicide. Sa mort malgré son innocence et le rire du fou malgré son crime construisent l’ironie de l’histoire.

Mais son cas n'est pas aussi simple que cela. Notre hypothèse est que son suicide pourrait rentrer dans le cadre du « suicide égoïste » car il y a une autre cause qui a contribué à la réalisation de son « suicide maniaque [100] », qui « est dû soit à des hallucinations, soit à des conceptions délirantes [101] ». Regardons d'abord l’étrangeté de la personnalité de Xu Liang, 35 ans, ouvrier et célibataire : « il avait eu trente-cinq ans cette année, était célibataire et semblait ne pas s'intéresser aux femmes ; la pêche était son unique passion. Ses voisins le disaient solitaire et renfrogné, mais pour ses collègues, c'était un homme très ouvert. Selon les témoignages, Ma Zhe avait l'impression d'avoir affaire à deux hommes totalement différents [102] ». En outre, d'après son ami pêcheur, « Ce type a la manie de s'attribuer les succès des autres ; il prétendait toujours avoir attrapé lui-même les poissons que j'avais pêchés [103] ». Par conséquent, sa double personnalité et sa confusion nous montrent qu'il avait déjà des troubles psychiques bien avant son suicide. Xu Liang est solitaire et son seul ami ne lui fait pas confiance et le pense coupable :

那个幺四婆婆死时,他找过我,要我出来证明一下,那天傍晚曾在什么地方和他聊天聊了一小时,但我不愿意。那天我没有见过他,根本不会和他聊天。我不愿意是这种事情太麻烦。[...]我当时就怀疑幺四婆婆是他杀的,要不他怎么会那样。[...]现在说出来也无所谓了,反正他不想活了。他想自杀,尽管没有成功,可他已经不想活了。你们可以把他抓起来,在这个地方。”他用手指着太阳穴,“给他一枪,一枪就成全他了。”[104]

Le jour de l'assassinat de la grand-mère Benjamine, il est venu chez moi : il voulait que je lui fournisse un alibi, en disant que j'étais resté à bavarder avec lui pendant une heure. Mais j'ai refusé parce que je ne l'ai pas vu ce jour-là, encore moins parlé avec lui, et puis ce genre d'affaire, c'est trop compliqué...[...] « Je l'ai alors soupçonné d'avoir lui-même assassiné la grand-mère, sinon, pourquoi serait-il venu me demander de le couvrir ? Mais cela n'a plus d'importance puisqu'il ne veut plus vivre. Il veut mourir, même s'il a raté son suicide. Vous pourrez l'arrêter. Là. » Il posa deux doigts sur sa tempe : « Une balle dans la tête ; comme ça vous l'aiderez ! [105] »

Son ton froid montre bien qu'il n'est pas du tout un vrai ami de Xu Liang, il est pour lui un simple compagnon de pêche. Rejeté par son ami, Xu Liang n'a plus d'autre moyen pour prouver son innocence. Il dit ainsi douloureusement : « Je n'ai jamais imaginé que quelqu'un pourrait me croire[106] » y compris les policiers. En conséquence, Xu Liang n'est plus attaché à personne. « On a dit quelquefois que, en vertu de sa constitution psychologique, l'homme ne peut vivre s'il ne s'attache à un objet qui le dépasse et qui lui survive, et on a donné pour raison de cette nécessité un besoin que nous aurions de ne pas périr tout entiers. La vie, dit-on, n'est tolérable que si on lui aperçoit quelque raison d'être, que si elle a un but et qui en vaille la peine [107] ». D'après le peu de choses que nous connaissons sur la vie de Xu Liang, nous ne trouvons pas sa « raison d'être », ni son but dans la vie. Lorsqu'il a décidé de se suicider, bien qu’il ait échoué, ce qui restait de saint dans son esprit a disparu, comme le montre le fait qu’il a cru à tort avoir été dans un endroit où il ne s’était pas rendu, et qu’il a cru voir des choses qu'il n'avait pas vues réellement. Il s'est imaginé coupable des crimes du fou. Ses hallucinations l'amènent au bord de la folie et le troisième crime déclenche son suicide maniaque. Il n'a même pas cherché de secours car il vivait dans un monde hostile où il croyait que personne ne lui faisait confiance. Ses hallucinations l’ont mené à la mort, mais elles ne sont pas sans précédents dans sa vie que nous connaissons à peine.

Dans « Nan tao jieshu » [Difficile d’échapper à la fatalité] (1988), le suicide de Caidie a une dimension fatale. « Le destin est en train de la tenter de se suicider[108] ». L’échec de l’intervention de chirurgie esthétique de Caidie la plonge dans l'anxiété et la désespérance, car c'est la beauté qui compte le plus dans sa vie. C'est sa beauté qui lui a construit un réseau social. Elle vit de sa beauté et pour son désir. Par exemple, elle a eu des rapports sexuels avec Senlin lors du mariage de Dongshan et Luzhu, et a invité tous les beaux hommes de la ville pour célébrer ses nouvelles paupières. Elle a un corps parfait mais on ignore si elle a du cœur, car elle a regardé sans malaise la scène du meurtre de l'enfant par Senlin après l'assouvissement de son désir. Une fois sa beauté perdue, elle n'a plus rien. Son suicide est donc « égoïste », car c'est sa beauté qui la lie au monde mais non pas sa personne : elle est vide. Sur la route de son suicide, elle est devenu un fantôme, « ses yeux jaillissent de la lumière verte [109] ».

Le suicide de la mère de Ruan Haikuo dans « Xian xue meihua » [Fleurs de prunier ensanglantées] est une sorte de « suicide altruiste » car elle s’immole par le feu pour confirmer son fils dans sa résolution de vengeance. D'après Durkheim, « Puisque nous avons appelé égoïsme l'état où se trouve le moi quand il vit de sa vie personnelle et n'obéit qu'à lui-même, le mot d' altruisme exprime assez bien l'état contraire, celui où le moi ne s'appartient pas, où il se confond avec autre chose que lui-même, où le pôle de sa conduite est situé en dehors de lui, à savoir dans un des groupes dont il fait partie. C'est pourquoi nous appellerons suicide altruiste celui qui résulte d'un altruisme intense [110] ». La femme de Ruan Jinwu, — le meilleur des grands maîtres de sa génération— , s'est suicidée comme si c'était son devoir car son groupe est celui des gens de la Forêt des Chevaliers. Dans la tradition des familles qui font partie de la Forêt des Chevaliers, la vengeance est une des choses les plus importantes car cela concerne non seulement l'honneur de la famille, mais aussi celui des ancêtres. Après la mort de son mari, la vengeance est devenue la raison d'être de sa femme : son moi ne s'appartient plus. Comme le fait que le fils se charge de la vengeance du père est aussi une tradition, la mère se sert de sa propre mort pour encourager son fils. Si elle ne le fait pas, elle sera punie par son déshonneur. Il s'agit donc plutôt d'un « suicide altruiste obligatoire [111] ». De plus, elle a aussi brûlé la maison. Ruan Haikuo a donc parfaitement compris qu’ « au cours des longues années qui suivraient, il n’aurait plus d’endroit où revenir [112] ».

La mort de Wang Xiaohuo dans « Yige dizhu de si » [La mort d'un propriétaire foncier] peut aussi être traitée comme un suicide héroïque. Quand il décide de guider les soldats japonais vers un endroit isolé et demande aux villageois de détruire les ponts alentours, il sait déjà qu'il sera tué par les Japonais. Alors que s'il avait obéi à leurs ordres et pris le bon chemin, il aurait pu éviter la mort. Par conséquent, nous pouvons ranger sa mort dans la catégorie du « suicide altruiste facultatif [113] ». Au contraire, la mort de son père Wang Ziqing est plutôt « anomique ». Il refuse l'aide d'un paysan quand il tombe du haut de la cuve à merde, et choisit de mourir assis par terre. La mort de son fils, la guerre désespérante, la douleur de sa chute et sa vieillesse, tout cela l’a privé de son envie de vivre.

« Xiaji taifeng 夏季台风 » [Le Typhon estival] (1992), est une nouvelle écrite en mémoire du grand tremblement de terre qui a eu lieu à Tangshan en 1976, comme Yu Hua le confie dans un passage de son dernier livre :

今天是汶川地震的第一个哀悼日[...] 默哀之后,我重读了自己的旧作《夏季台风》。[...] 这是一个有关一九七六年唐山地震的小说,故事发生的地点是距离唐山千里之外的南方小镇。[...] 我在《夏季台风》里抹去了具体的地点,可是里面的感受全部来自于我十六岁时候的浙江海盐。

Aujourd'hui est le premier jour de commémorations pour le séisme de Wenchuan[114]. […] Après avoir déploré les victimes, j'ai relu mon ancienne nouvelle « Typhon estival ». […] Il s'agit d'une nouvelle concernant le séisme de Tangshan de 1976. L'histoire a lieu dans un petit village du Sud de la Chine, situé à mille kilomètres de distance de Tangshan. […] J'ai effacé le lieu exact dans « Typhon estival », mais les sentiments dans cette nouvelle proviennent complètement du village de Haiyan dans le Zhejiang de mes seize ans[115].

La machine censée détecter le tremblement de terre laisse des traces inhabituelles, ce qui provoque le chaos dans la petite ville où se trouvent les personnages. La radio publique annonce l'arrivée prochaine du tremblement de terre, et tous les citoyens s'installent dans la rue. Mais ce qui arrive en premier, c'est la pluie de la saison des prunes, qui fait souffrir les gens qui ne peuvent pas rester à la maison. Quelques jours plus tard, alors que tout le monde est convaincu qu'il n'y aura pas de tremblement de terre, la terre commence à trembler légèrement. Les gens retombent dans la panique et l'inquiétude. Un cas extrême concerne Wu Quan, qui ne supporte plus la pression et se suicide en sautant de la fenêtre de sa maison, laissant sa femme enceinte. « Au lieu de dire que « Typhon estival » raconte une histoire autour du séisme, je dirais qu'il s'agit d'une histoire autour de la peur du séisme », Yu Hua confie ainsi :

[...]


[1] La littérature chinoise d'avant-garde est un courant littéraire qui a émergé dans les années 1980, influencé par le modernisme occidental. Un groupe d'écrivains essaye de renouveler la littérature chinoise en brisant les normes et les traditions qui imprègnent largement le monde littéraire chinois. Ils ne cessent de créer de nouveaux styles et abordent des sujets sensibles qui ont été négligés ou interdits auparavant. L’œuvre des avant-gardistes est en rupture avec la littérature chinoise de la période maoïste. Leur but est de bouleverser les lecteurs influencés par la tradition et de défier le credo et les dogmes traditionnels concernant la littérature et la culture chinoises.

[2] Cao Wenxuan 曹文轩 : écrivain, il enseigne la littérature contemporaine à l’Université de Pékin. Sur « l'écriture au-dessous du degré zéro », voir p. 69.

[3] Yu Hua, La Chine en dix mots, traduit par Angel Pino et Isabelle Rabut, Actes Sud, Paris, 2010, p. 122. En ce qui concerne l'indication des pages dans l’œuvre de Yu Hua, quand il s'agit d'un ouvrage déjà traduit en France, on suit la version française, quand l'ouvrage n'est pas encore traduit, on suit la version chinoise.

[4] Ibid., p. 179.

[5] Argent factice que l’on brûle pour acheter le droit de passage d’un mort : cette aumône destinée aux esprits devant les convaincre de ne pas nuire à l’âme du défunt, note des traducteurs dans Brothers, p. 991.

[6] « Yu hua, l'écrivain fantôme », le Quotidien du Peuple en ligne, le 6 août 2013, http://french.peopledaily.com.cn/Culture/8354587.html

[7] Yu Hua, Le Septième Jour, roman, traduit du chinois par Angel Pino et Isabelle Rabut, Arles, Actes Sud, coll. « Lettres chinoises », 2014, p. 270.

[8] Joël Thoraval, « La mort en Chine », in GODELIER, Maurice (éd.), La Mort et ses au-delà, CNRS éditions, 2014, p. 206.

[9] Par exemple : ERNST, Gilles (éd.), La mort en toutes lettres, Colloque organisé par le Département de littérature comparée de l'Université de Nancy II, Nancy, 2-4 octobre 1980, Nancy : Presses universitaires de Nancy, 1983 ; GARREAU, Bernard-Marie (éd.), Les représentations de la mort, actes du colloque, Université de Bretagne-Sud, Lorient, 8-10 novembre 2000, organisé par le CRELLIC, Centre de recherche en littératures, linguistique et civilisations, Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2002.

[10] Lunyu 论语 (Entretiens de Confucius), XI, 12, traduit par Anne Cheng, Seuil, 1981, p. 89.

[11] Joël Thoraval, « La mort en Chine », in Maurice Godelier (éd.), La Mort et ses au-delà, CNRS EDITIONS, 2014, p. 213.

[12] A partir de 1978, après la Révolution culturelle.

[13] Cao Wenxuan, Ershi shijimo Zhongguo wenxue xianxiang yanjiu 二十世纪末中国文学现象研究, (Etude des phénomènes littéraires de la fin du 20e siècle en Chine), Beijing daxue chubanshe, 2003, p. 61.

[14] En ce qui concerne les idées dans les ouvrages chinois cités dans ce mémoire, il ne s’agit pas d’une traduction stricte, mais plutôt d’une réécriture, d’un résumé ou d’une paraphrase pour mieux servir le propos de l’auteur du mémoire. Quand il s'agit d'une traduction stricte, elle apparaît entre guillemets.

[15] Shi Jinju 施津菊, Zhongguo dangdai wenxue de siwang xushi yu shenmei 中国当代文学的死亡叙事与审美 , (Le Récit et l’esthétique de la mort dans la littérature chinoise contemporaine), Beijing : zhongguo shehui kexue chubanshe, 2007, p. 2.

[16] La littérature de cicatrice est apparue en Chine à la fin des années 1970, alors qu'un regain de liberté voyait le jour pour les intellectuels et les écrivains notamment, à la suite du procès de la bande des quatre et la critique officielle de Mao Zedong après sa mort en 1976. Beaucoup d'écrivains ont alors exorcisé un passé marqué par le réalisme-socialiste et la littérature officielle, en offrant une vision crue et directe de la société chinoise, marquée notamment par les traumatismes de la campagne des cent fleurs et la condamnation des intellectuels qui s'ensuivit, le Grand Bond en avant et la famine, enfin la Révolution culturelle. L'intitulé de « la littérature de cicatrice » trouve son origine dans la nouvelle « Cicatrice » de Lu Xinhua 卢新华. Il y a aussi d'autres représentants, par exemple Liu Xinwu 刘心武, Feng Jicai 冯骥才, etc.

[17] Vers la fin des années 1970 et le début des années 1980, un groupe d'écrivains chinois tentent de restituer la nature ridicule de la Révolution culturelle sur les plans politique et social par le biais de la littérature. Par rapport à la littérature de cicatrice, le regard de la littérature de réflexion est plus lucide, rationnel et profond. Citons ici quelques représentants : Wang Meng 王蒙, Zhang Xianliang 张贤亮, Chen Rong 谌容, Zhang Jie 张洁, Liang Xiaosheng 梁晓声, etc.

[18] L'écriture du désir est un phénomène littéraire chinois qui émerge au début des années 1990, et qui privilégie le plaisir sensuel, et en particulier charnel. Les points de vues des critiques chinois envers ce courant sont très divergents. Soit ils estiment qu'il s'agit d'un progrès dans la littérature chinoise contemporaine car cette écriture s'affranchit des règles et met en scène le désir humain d'une manière esthétique et profonde ; soit ils jugent que cette écriture est une marchandise de bas niveau, un fruit amer de l'économie de marché et du courant de pensée consumériste. En résumé, nous devons avoir une attitude dialectique face à cette écriture qui découle des mutations de la société chinoise.

[19] Ibid., p. 111.

[20] Ma Yuan, Hong Feng, Can Xue, Zhaxi Dawa, Su Tong, Yu Hua, Ge Fei, Ye Zhaoyan, Bei Cui, Ye Shuming, Sun Ganlu …

[21] Can Xue (1953 - ) : une émule féminine de Kafka qui fut une des pionnières incontestables de l’avant-garde chinoise au début des années 80. Traductions françaises : Dialogues en Paradis, nouvelles, textes choisis, présentés et trad. du chinois par Françoise Naour, Gallimard, 1991 ; La Rue de la boue jaune, trad. du chinois par Geneviève Imbot-Bichet, Bleu de Chine, 2001.

[22] Voir annexe II : Recensement des récits de mort dans l’œuvre de Yu Hua.

[23] Xianxue meihua 鲜血梅花, (L’Epée tachée de fleurs de sang), Beijing : zuojia chubanshe, 2012 ; Shishi ruyan 世事如烟, (Le Monde comme un brouillard), Beijing : zuojia chubanshe, 2012 ; Zhanli 战栗, (Frisson), Beijing : zuojia chubanshe, 2012 ; Xianshi yizhong 现实一种, (Une certaine réalité), Beijing : zuojia chubanshe, 2012 ; Wo danxiao rushu 我胆小如鼠, (J’ai un sang de navet), Beijing : zuojia chubanshe, 2012 ; Huanghunli de nanhai 黄昏里的男孩, (L’Enfant dans le crépuscule), Beijing : zuojia chubanshe, 2012.

[24] « Lianggeren de lishi 两个人的历史», (1989),(Histoire de deux êtres) ; « Aiqing gushi 爱情故事», (1989), (Histoire d’amour) ; « Shibasui chumen yuanxing 十八岁出门远行 », (1986),(Sur la route à dix-huit ans).

[25] Phrase citée par Michel Picard, in Michel Picard, La littérature et la mort, Paris : Presses universitaires de France, 1995, p. 182.

[26] Vous trouverez en annexe I les résumés des nouvelles de Yu Hua mentionnées dans le mémoire.

[27] « Siwang xushu 死亡叙述 » [Récit de mort] , in Shishi ruyan, Beijing : zuojia chubanshe, 2012, pp. 23-24.

[28] « Récit de mort », in Un monde évanoui, nouvelles, traduit du chinois par Nadine Perront, Arles, Philippe Picquier, 1993, pp. 41-42.

[29] « Erreur au bord de l'eau », in Un monde évanoui, p. 16.

[30] Ibid., p. 23.

[31] « Hebian de cuowu », p. 67.

[32] « Erreur au bord de l'eau », p. 23.

[33] Ibid., p. 59.

[34] « Nan tao jieshu 难逃劫数 » [Difficile d'échapper à la fatalité], in Shishi ruyan, p. 64.

[35] Ibid., p. 70.

[36] Ibid., p. 93.

[37] « Un amour classique », in Un amour classique, petits romans, traduits du chinois par Jacqueline Guyvallet, Arles, Actes Sud, coll. « Lettres chinoises », 2000, p. 108.

[38] « Gudian aiqing 古典爱情 » [Un amour classique], in Xianxue meihua, Beijing : zuojia chubanshe, 2012, p. 40.

[39] « Un amour classique » , p. 109.

[40] Ibid., p. 110.

[41] « Gudian aiqing », pp. 40-41.

[42] « Un amour classique » , p. 110.

[43] « Gudian aiqing », p. 41.

[44] « Un amour classique », p. 110.

[45] « Gudian aiqing » , p. 44.

[46] « Un amour classique », p. 115.

[47] « Gudian aiqing », p. 45.

[48] « Un amour classique » , p. 116.

[49] « Gudian aiqing », p. 46.

[50] « Un amour classique », p. 117.

[51] Ibid., p. 118.

[52] Ibid., p. 119.

[53] « Fleurs de prunier ensanglantées », in Sur la route à dix-huit ans, et autres nouvelles, textes traduits du chinois par Jacqueline Guyvallet, Angel Pino et Isabelle Rabut, Arles, Actes Sud, coll. « Lettres chinoises », 2009, p. 63.

[54] Ibid., p. 66.

[55] « Xianxue meihua 鲜血梅花 » [Fleurs de prunier ensanglantées],in Xianxue meihua, p. 18.

[56] « Fleurs de prunier ensanglantées », p. 85.

[57] « Xianshi yizhong 现实一种 » [Une certaine réalité], in Xianshi yizhong, p. 6.

[58] « Une certaine réalité », in Un amour classique, p. 16.

[59] Sigmund Freud, Au-delà du principe de plaisir (1920), Paris, Payot, coll. "Petite Bibliothèque Payot", 2010.

[60] « Xianshi yizhong », p. 19.

[61] « Une certaine réalité », p. 32.

[62] « Xianshi yizhong », p. 37.

[63] « Une certaine réalité », p. 56.

[64] « Ou'ran shijian 偶然事件 » [Un événement fortuit], in Zhanli, p. 4.

[65] «Un événement fortuit », in Un amour classique, p. 202.

[66] « Ou'ran shijian », p. 50.

[67] « Un événement fortuit », p. 258.

[68] Ibid., p. 256.

[69] « Zuxian 祖先 » [Ancêtre], in Xianxue meihua, p. 141.

[70] Ibid., p. 142.

[71] « Mingzhong zhuding 命中注定 »[Prédestination], in Shishi ruyan, p. 98.

[72] Isabelle Rabut, « Yu Hua et l'espace hanté », op.cit., p. 224.

[73] « Yige dizhu de si 一个地主的死 » [La mort d'un propriétaire foncier], in Zhanli, p. 56.

[74] Ibid., p. 98.

[75] Ibid., p. 98.

[76] Il a crié « 爹啊,疼死我了!Père, cette douleur m'amène à la mort ! », p. 98.

[77] Cris dans la bruine, roman, traduit du chinois par Jacqueline Guyvallet, Arles, Actes Sud, coll. « Lettres chinoises », 2003, p. 316.

[78] Ibid., p. 317.

[79] Xiongdi 兄弟 (Brothers), Beijing : zuojia chubanshe, 2012, p. 94.

[80] Brothers, roman, traduit du chinois par Angel Pino et Isabelle Rabut, Arles, Actes Sud, coll. « Lettres chinoises », 2008, pp. 146-147.

[81] Ibid., p. 199.

[82] Xiongdi, pp. 126-127.

[83] Brothers, pp. 198-199.

[84] Xiongdi, p. 172.

[85] Brothers, pp. 267-268.

[86] Le Septième jour, p. 164.

[87] Albert Camus, Le Mythe de Sisyphe, Paris : Gallimard, 1961, p. 17.

[88] Ibid., p. 18.

[89] Michel Braud, La Tentation du suicide dans les écrits autobiographiques : 1930-1970, Presses universitaires de France, 1992, p. 7.

[90] Émile Durkheim, Le Suicide, étude de sociologie, Paris : PUF, 1960, p. 5.

[91] Ibid., p. 149.

[92] Christian Baudelot, Roger Establet, Durkheim et le suicide, Paris, PUF, 2011, p. 10.

[93] Émile Durkheim, Le Suicide, étude de sociologie, op.cit., p. 233.

[94] Christian Baudelot, Roger Establet, Durkheim et le suicide, op.cit., p. 10.

[95] Émile Durkheim, Le Suicide, étude de sociologie, op.cit., p. 264.

[96] Christian Baudelot, Roger Establet, Durkheim et le suicide, op.cit., pp. 10-11.

[97] Émile Durkheim, Le Suicide, étude de sociologie, op.cit., p. 304.

[98] Ibid., p. 311.

[99] « Erreur au bord de l'eau », p. 34.

[100] Classification de Jousset et de Moreau de Tours, empruntée par Émile Dukheim, op.cit., p. 27.

[101] Ibid., p. 27.

[102] « Erreur au bord de l'eau », p. 35.

[103] Ibid., p. 45.

[104] « Hebian de cuowu », p. 90.

[105] « Erreur au bord de l'eau », pp. 46-47.

[106] Ibid., p. 34.

[107] Émile Durkheim, op.cit., p. 224.

[108] « Nan tao jieshu 难逃劫数 » [Difficile d'échapper à la fatalité], in Shishi ruyan, p. 70.

[109] Ibid., p. 99.

[110] Émile Durkheim, op.cit., p. 238.

[111] Ibid., p. 238.

[112] « Fleurs de prunier ensanglantées », p. 67.

[113] Émile Durkheim, op.cit., p. 245.

[114] Un bourg de la province du Sichuan, le séisme a eu lieu en 2008.

[115] « Aidao ri 哀悼日 » [Jour de commémorations], in Women shenghuozai judade chajuli 我们生活在巨大的差距里 (Nous vivons dans d'immenses inégalités), Beijing : Beijing shiyue wenyi chubanshe, 2015, p. 19.

Fin de l'extrait de 173 pages

Résumé des informations

Titre
La Mort dans l’œuvre de Yu Hua
Note
17
Auteur
Année
2015
Pages
173
N° de catalogue
V539544
ISBN (ebook)
9783346139917
ISBN (Livre)
9783346139924
Langue
français
Mots clés
mort, littérature chinoise contemporaine, Yu Hua
Citation du texte
Junxian Liu (Auteur), 2015, La Mort dans l’œuvre de Yu Hua, Munich, GRIN Verlag, https://www.grin.com/document/539544

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