La ville de Grasse, est-elle vraiment la capitale du parfum?


Pre-University Paper, 1997

17 Pages, Grade: 12


Excerpt


LE P L A N

A. Le préambule: historique sur Grasse

B. La ville de Grasse est-elle vraiment la capitale du parfum?
I. L'extraction des matières premières
1. Les produits naturels
1.1 La culture des fleurs autour de Grasse
1.2 La concurrence de l'étranger
2. Les produits synthéthiques
II. La fabrication
1. La production à Grasse
1.1 Les techniques
1.2 Les "nez" grassois
2. Les grands groupes internationaux
III. L'avenir de Grasse
1. Le tourisme
2. L'exploitation des fleurs coupées
3. L'élargissement dans la fabrication de détergents, de lessives, d'arômes alimentaires

C. La conclusion

D. L'index

E. Les sources littéraires

Le Préambule: historique sur Grasse

Dès le Moyen-Age, la parfumerie permettait à Grasse de se développer en cité marchande. Grâce à sa tannerie produisant des peaux de première qualité, la ville de Grasse devenait célèbre dans toute l'Europe. Au XIIème siècle, les tanneurs grassois faisaient commerce avec Gênes en exportant du cuir tanné, de la toile, du vin et du bétail, et en important du blé et des peaux. Au XVIIème siècle, Catherine de Médicis a introduit la mode des gants parfumés. L'artisanat du parfum est donc né du mariage de la savonnerie et de la ganterie. Têtes couronnées, nobles ou poudrées, toutes venaient à Grasse pour y acheter des gants parfumés qui sont à cette époque de la dernière vogue, de telle sorte qu'en 1614 le roi a introduit le titre de "Maître Gantier-Parfumeur" par lettre patente. Au même siècle, un autre secteur a pris naissance à Grasse: c'était celui de la culture des plantes aromatiques, qui fournaient aux tanneries les matières premières pour parfumer le cuir. Dès la deuxième moitié du XVIIIème siècle, Grasse passait de la fabrication des cuirs parfumés à la production exclusive de parfums, cette dernière s'accélérant avec l'amélioration de la technologie. La ville de Grasse connaissait un grand essor et devenait, pendant le règne de Napoléon III, une capitale d'une grande importance industrielle. La palette des produits grassois se diversifiait continuellement: pâtes aromatisées, poudres, huiles parfumées, savons embaumant l'iris et la rose, présentés dans des boîtes extraordinaires puis, dès 1825, dans des flacons fabriqués industriellement. Les premières parfumeries ont été fondées par des parfumeurs célèbres. Ils ont donné à la ville cette activité industrielle prépondérante, qu'elle a encore aujourd'hui.

La ville de Grasse, est-elle vraiment la capitale du parfum?

I. L'extraction des matières premières

1. Les produits naturels

Les produits naturels se divisent en deux catégories: ceux d'origine végétable, et ceux d'origine animale. Les premiers sont extraits de diverses parties de plantes; telles que des boutons de fleurs d'oranger, du jasmin et de la rose, dont il sera question dans le paragraphe suivant. On distille également des graines, des racines, des feuilles ou des tiges, du bois, de l'écorce, de la résine et de la mousse. Les produits d'origine animale se limitent à l'ambre, la civette, le castoreum et le musc, la plupart importés du Canada ou issus de produits de synthèse.

1.1 La culture des fleurs autour de Grasse

Située dans l'arrière-pays de Nice, accrochée aux premiers contreforts des Alpes, Grasse doit sa renommée mondiale à l'industrie de la parfumerie. Sa situation géographique, son climat doux et ensoleillé puisque Grasse est adossée à la montagne qui la protège des vents froids et libère les torrents dispensateurs d'irrigations. Ses 310 jours d'ensoleillement par an, font bénéficier la région de conditions très favorables pour la culture des fleurs. Si les plantes des zones chaudes produisent des odeurs fortes, les plantes cultivées dans les régions alpines plus douces du sud de la France engendrent des nuances plus délicates. Sous le ciel de Grasse fleurissent entre autre la violette, l'iris, l'oranger, l'oeillet, les tubéreuses; le genêt à la fin du printemps, et en hiver le mimosa dans des zones plus sauvages. Mais ce sont surtout le jasmin et la rose de mai qui ont rendu la culture des fleurs de Grasse si célèbre.

Le jasmin est une fleur dont l'on ne peut pas imiter artificiellement l'odeur en mélangeant d'autres matières odorantes. Le jasmin, originaire des Indes, est l'une des très rares plantes qui produisent encore après la cueillette des huiles éthérées. Le jasmin est l'odeur le plus importante pour la parfumerie. Celui de Grasse, le plus noble, est présent dans tout parfum précieux. Récolté de fin juillet à fin septembre, autrefois roi de la saison florale à tel point que l'on ne le désigne plus que comme "la fleur". Le jasmin doit être herborisé à la main sans feuille et sans pédoncule . « La fleur de jasmin s'est pay é e, en 1995 à Grasse, 179 F le kilogramme, dont 75 F environ sont revenus aux cueilleuses, ce qui n'est pas trop cher pay é puisqu'il faut environ 8000 fleurs pour faire 1 kg et que les cueilleuses r é coltent 3kg seulement en moyenne par matin é e, 4 à 5 kg les championnes. » (Roudnitska: Le parfum, p.40)

En mai, dans les champs des alentours de Grasse, les roses commencent à fleurir. Ce sont elles que les paysans cultivaient déjà dès 1650 environ, et qui ne servent que pour la parfumerie. Ce sont les "centifolia", mais les habitants de Grasse disent simplement "les roses de mai". Elles sont plus petites que les autres roses, mais leur odeur est plus forte. Elles ne sont cueillies que le matin, quand les premiers rayons du soleil en révèlent le parfum, et ce, jusqu'au mois de juin. Les cueilleurs en récoltent huit à dix kilos par heure en travaillant manuellement. Un kilo comprend environ 200 fleurs et est payé 30 F en usine. Le grand problème de la culture des fleurs à Grasse est le démembrement des champs. Quelques 2000 cultivateurs grassois se répartissent 350 ha d'orangeries et 250 ha de jasmins, 250 ha de "terre à roses" sont la propriété de 1500 paysans, et 500 hommes se partagent une superficie de 50 ha de cultures diverses.

1.2 La concurrence de l'étranger

Le traitement des plantes à parfum à Grasse date à la fin du siècle dernier, quand les parfumeurs recherchaient des odeurs exotiques nouvelles. Ils installaient des cultures de plantes odorantes sur les domaines et territoires d'outre-mers et des distilleries sur place, dont quelques-unes sont devenues aujourd'hui des enterprises concurrentes. Dans des îles situées à l'ouest du continent africain, telles que la Réunion et Madagascar, les firmes grassoises implantaient des cultures végétaux. Un exemple typique est le "Cananga odorata", l'arbre dont les fleurs livrent l'Ylang-Ylang qui fait partie des huiles les plus précieuses et les plus chères et est encore aujourd'hui un ingrédient très utilisé dans les bons parfums. Egalement en Afrique du nord, les Grassois possédaient des cultures de plantes à parfum, composées sûrtout d'orangers, de géraniums, de jasmins et d'eucalyptus. Suite à leur cessession du territoire français, les pays du Maghreb (Algérie, Maroc, Tunisie) devenaient des concurrents de Grasse ayant désormais en leur possession les anciennes usines grassoises. L'industrie de la parfumerie se fournit aujourd'hui de produits importés d'Egypte, de Maroc, de Tunisie ou de Turquie qui coûtent moins chers que les fleurs grassoises. A un prix de revient moins élevé, les articles étrangers menacent l'existence des paysans de Grasse. Car un kilo de jasmin provençal coûte 40000 F, c'est- à-dire plus de deux fois et demi le prix du jasmin marocain, qui ne coûte que 9000 F. Le jasmin italien est offert de 30 à 50% moins cher que celui de Grasse, mais en Italie, le jasmin, possédant de plus grandes fleurs et d'odeur plus forte. Au Maghreb et dans le sud d'Italie, la cueillette coûte moins cher résultat dû à l'emploi des enfants et à la grosseur des fleurs. De plus, le climat du sud de l'Italie, plus chaud qu'en Provence, permet un temps de récolte de deux fois de plus qu'à Grasse.

L'Italie satisfait aujourd'hui presque la moitié du besoin mondial. Les roses sont importées de Bulgarie, du Maroc et des Indes. La plupart des produits étrangers sont sans doute de qualité inférieure, mais leur culture et leur production ne cessent pas d'augmenter. Ils trouvent leurs débouchés dans la production cosmétique qui est un marché en pleine expansion. De plus, on achète tout ce que l'on ne récolte pas soi-même par suite de raisons financières ou géologiques. Ce sont soit des matières premières (bois, racines, herbes, feuilles) telles que du patschuli de Sumatra, des racines d'iris de Toscane des racines de vétyver de Java, mousse de chêne de Yougoslavie, des graines , des gommes, des oeillets de Madagascar; soit des drogues d'origine animale importées de Chine, d'Ethopie ou du Canada. Malgré tout, et bien que l'ancienne cité des parfums ait perdu le monopole de la production florale au début des années cinquante, Grasse contrôle encore 95% du marché mondial des matières premières aromatiques naturelles.

2. Les produits synthétiques

La spéculation des producteurs et des intermédiaires, l'incertitude des récoltes et les troubles diplomatiques, économiques ou sociaux entraînent la disparition des produits naturels du marché. De même, la protection des animaux et leurs frais d'élevage très élevés causent des difficultés en matière d'approvisionnement. Tous ces désavantages liés à la production des matières premières naturelles favorisent l'essor des produits de synthèse. Cent-cinquante ans auparavant, il n'existait que 100 ou 150 matières odorantes, que le parfumeur pouvait mélanger lors de la création d'un nouveau parfum. Les recherches scientifiques sur les essences naturelles, dont la constitution chimique est désormais connue, ont révolutionné l'industrie du parfum. En 1834, le chimiste allemand Mitscherlich a découvert une huile d'amande synthétique, aujourd'hui abandonnée en raison de sa toxité. Quelques années plus tard, la vanille est devenue aussi produit de synthèse, encore aujourd'hui d'une importance capitale dans la parfumerie. Même l'industrie grassoise, dont l'existence consiste en l'extraction des matières odorantes naturelles, ne peut pas disparaître. Car les produits de synthèse ont des avantages éclatants: les prix fixes des matières odorantes synthétiques ne dépendent plus des récoltes ou du marché. Leur ravitaillement est sûr, ne résultat plus de saisons ou de l'abondance ou non des récoltes; également de grande importance, leur stabilité au niveau de la composition et surtout, la diversité de leur odeur.

Edmond Roudnitska, l'un des "nez" grassois, en parle dans son livre "Le parfum" à la page 43: « A c ô t é d'une centaine d'essences naturelles , nous disposons de plusieurs milliers de produits de synth è se, dont beaucoup sont fort beaux; des odeurs fines, d é licates, vari é es à l'infini, permettant des combinaisons d'une richesse, d'une ampleur, d'un fleuri naturel, que les seules essences naturelles ne pouvaient pas nous apporter.(...) L'exemple le plus c é l è bre, l é gendaire n ° 5 de Chanel, cr éé à Grasse, contient exclusivement de substances chimiques » (Musée: Techniques de production du parfum), sans lesquelles les nouveautés ne pourraient voir le jour. Bien que la science essaie depuis dès décennies de découvrir la constitution de l'"absolue" de jasmin dont un millier de constituants sont déjà isolés, il lui faudra encore quelques années des recherches scientifiques pour l'amélioration du procédé de synthèse et l'obtention d'un produit stable et de qualité à un prix pas peu élevé. L'essence de rose, déjà produite de manière synthétique, concurrence le produit naturel puisque le prix d'un kilo d'essence synthétique se situe entre 600 et 1800 F, en comparaison de 9000 à 24000 F pour le produit naturel. A Grasse, la synthèse demeure une activité secondaire puisque les leaders mondiaux de ce secteur se trouvent aux Etats-Unis et en Allemagne, à Holzminden. La citation de Paul Rasse s'impose en conclusion de ce chapitre:

« En d é finitive, la synth è se aura davantage servi à é largir le nombre des substances disponibles pour le cr é ateur en parfumerie, elle ne remplace pas les essences naturelles mais les concurrence. » (Rasse: La cité aromatique, p. 34)

II. La fabrication

1. La production à Grasse

1.1 Les techniques

Au XVIème siècle, un italien a découvert « que les parfums sont solubles dans l'esprit de vin et fournit ainsi une m é thode pour la conservation des parfums dans l'alcool » , (Musée: Techniques de production du parfum) Comme _a, il a ouvert le chemin de la fabrication moderne du parfum.

*Il s'agit de la "distillation", technique très ancienne mais encore pratiquée à Grasse. Cette première technique de production, donnant les huiles essentielles et les eaux aromatiques, est fondée sur le fait que la plus grande partie des matières premières sont entraînables par les moléculs de vapeur d'eau, ce qui permet de vaporiser l'essence. Pour que celle-ci se sépare de l'eau aromatique, au contact de la fleur ou de la plante, le mélange fleur-eau est chargé dans une chaudière, l'"alambic", un appareil en acier inoxydable. (cf. document 1 à l'index) La condensation a lieu dans des réfigérants jusqu'à ce que l'huile essentielle se sépare automatiquement de la solution acqueuse dans un vase florentin en verre ou en métal, que -d'après la tradition- Catherine de Médicis a importé elle-même à Grasse. La distillation de 450 kg du lavandin provençal nécessite une demi-heure, alors qu'il faut 80 à 100 heures pour la même quantité du bois de santal.

*La deuxième technique, encore aujourd'huipratiquée,c'est l'"extraction par les solvants volatils". Ce procédé permettait à Grasse de produire l'essence de la "rose de mai" dès 1894. Les matières premières odorantes sont traitées par des solvants tels que le benzène ou l'hexane. Dans l'extracteur, les lavages des fleurs se succèdent jusqu'à ce que le solvant se charge de leur parfum. Par le procédé d'extraction, le solvant disparaît à la distillation dans le concentrateur sous vide et il reste alors la "concrète", une essence parfumée et colorée. Après l'avoir séparée des cires par lavage à l'alcool, on recueille l'"absolue", dont la concentration est si extrême qu'une tonne de fleurs de jasmin n'en fournit environ qu'un kilo et demi, ce qui explique également son prix considérable. Exemple: « Un litre de l'essence de rose la plus pur co û te d'apr è s la qualit é et la marque entre 65000 et 125000 Frs. Un litre d'essence absolue suffit à la production de3000 litres de parfum hautement concentr é . » (Musée: Techniques de production du parfum) L'aide des solvants volatils, alcooliques ou acétoniques, donne encore les résinoïdes, que l'on obtient après infusion, puis évaporation du solvant. Enfin, après filtration en série, il reste l'essence absolue, solution hautement concentrée.

*Le procédé de l'extraction par "enfleurage" n'est pas encore très utilisé, car c'est onéreux, sauf à Grasse où l'on traîte ainsi le jasmin et la tubéreuse. On distingue l'"ernfleurage à froid" et celui à chaud, la "macération". Avec le premier, on exploite les aptitudes des graisses à extraire les parfums floraux: les fleurs sont étalées sur des châssis enduits de graisse. (cf. doc 2)

L'enfleurage à chaud, également peu utilisé, consiste en la décoction de fleurs sur un corps gras fixant leur parfum et qui est ensuite dissoute dans l'alcool. (cf. doc 3) De plus, il y a l'extraction des zestes de fruits frais utilisé lors de la fabrication de la bergamotte, de l'orange, du citron, de la mandarine, d'essence d'hespéridées. « L'extraction des esssences (ou huiles essentielles) à partir de fleurs, fruits, feuilles, graines, bois, r é sines ou racines. C'est l'industrie de la mati è re odorante naturelle, qui exploite une production agricole diss é min é e à travers le monde mais plus ou moins centralis é e à Grasse qui, malgr é bien des vicissitudes mais gr â ce aux efforts de ses industriels,m é rite toujours le nom de "Cit é des fleurs et des parfums". Le chiffre d'affaires de Grasse en1994 a é t é 2 milliards 237 millions des francs, en augmentation de 7,4% par rapport à 1993. » (Roudnitska: le parfum, p. 107) Grasse et sa région produisent une gamme d'essences de choix pour laquelle la ville est partout renommée. Chaque fabricat produit de manière individuelle sa propre palette d'odeurs, composée d'essence néroli et des huiles de la rose de mai et du jasmin. La variété des essences odorantes permet aussi la fabrication de parfums vendus directement.

1.2 Les "nez" grassois

Au siècle dernier, l'apparition des parfumeries parisiennes inquiétait les parfumeurs grassois qui ont fait alors preuve d'imagination afin de contrer la concurrence. Ils se spécialisaient dans la production des bases et non plus des parfums de même nom. De nos jours et suite á leurs frais énormes de lancement, les "nez" des entreprises grassoises créent des parfums uniquement sur ordre de la Haute Couture. Ces "nez", qui profitent du choix énorme des essences absolues et des extraits de fleurs, peuvent reconnaître à coup sûr jusqu'à 1000 parfums différents. Les plus gros salaires de cette branche, seulement 250 hommes à l'heure actuelle dans le monde entier, travaillent à l'"orgue à parfum", un pupitre en bois sur lequel se trouvent souvent des milliers de petits flacons. (cf. doc 4) Les artisans y composent la plupart des parfums français destinés à la haute couture parisienne, en mêlant plusieurs dizaines d'essences. Au cours de la création, un "nez" se décide pour la "note de tête", l'odeur perçue tout de suite, la "note de coeur", l'odeur charactéristique du parfum, et la "note de fond", fixant le tout. Un parfum est le résultat du mélange de notes fruitées ou vertes, boisées, fleuries ou animales.

Mais cela ne suffit pas, il faut donc surtout donner une valeur artistique à un mélange pourqu'il arrive au statut d'un parfum, d'une oeuvre d'art. Grâce aux "nez" grassois, chacun des parfums les plus célèbres a maintenant une forme spécifique reconnaissable entre mille. Quelques uns des "nez" les plus célèbres:

- Ernest Beaux a créé en 1921 le "N° 5" de Chanel, aujourd'hui encore en tête des ventes des grands classiques féminins. (cf. doc 5)

- Edmond Roudnitska a composé en 1944, sur ordre de Rochas, le premier grand succès d'après-guerre "Femme". Son "'Eau Sauvage" (1966) a réçu un accueil favorable dans la jeune clientèle féminine, et "Diorella"(1972) pour Christian Dior.

- Jean Fabron a inventé pour Nina Ricci l'"Air du Temps" en 1947. Ce parfum occupe encore la troisième place des ventes européennes et demeure un "best-seller" aux Etats-unis et au Japon. La parfumerie française, source du pouvoir économique, ne serait pas ce qu'elle est sans la ville de Grasse. Les quelques 30 entreprises familiales grassoises réalisent environ un chiffre d'affaires de 2 milliards de francs.

« Ce chiffre repr é sente 2/3 du chiffre total de la parfumerie fran ç aise (...) D'apr è s les propos de Pierre Vigne, Pr é sident du syndicat fran ç ais des Parfumeurs, de nos jours les plus grands parfums sont encore cr éé s à Grasse. » (Musée: L'histoire de l'industrie de la parfumerie) On peut donc dire, que cette industrie a son importance dans la balance commercial et monétaire de la France.

« En 1994, la balance commerciale de la Parfumerie fran ç aise (exportations moins importations) a é t é b é n é ficiaire de 21 milliards 710 millions de francs , non compris les exportations "invisibles" (achats des touristes é trangers en France) qui sont importantes. Tandis que cette m ê me ann é e la balance commerciale de la France a é t é d é ficitaire de 7 milliards 907 millions de francs. A diverses reprises la balance commerciale annuelle de la France n'a é t é b é n é ficiaire que gr â ce au solde tr è s largement cr é diteur de la Parfumerie. » (Roudnitska: Le parfum, p. 117f)

2. Les grands groupes internationaux:

Dès les années soixante-dix, les parfumeries étaient rachetées après avoir mise en faillite par des groupes industriels français et étrangers par les énormes marges de ce secteur. Alors que les parfumeries grassoises vivaient sur les structures antérieures de petites et moyennes entreprises familiales, de puisssantes multinationales ont fait irruption dans leur domaine. Par une forte concentration de la production, elles cherchaient à prendre pied dans la ville de Grasse qui occupé toujours un créneau intermédiaire stratégique dans l'organisation mondiale de la production des parfums. Les géants veulent contrôler les approvisionnements de matières premières et s'approprier le savoir-faire et les réseaux commerciaux des marques de parfums préstigieux.

L'absence de coopération entre les entreprises grassoises et l'individualisme du patronat fragilisent les entreprises. Les grands groupes n'ont plus qu'à profiter de cette mésentente. Le groupe Unilever a racheté l'entreprise Bertrand frères en 1964, tandis qu'Hoffman la Roche a pris le contrôle de RBD, l'une des parfumeries grassoises les plus importantes. Les rachats se succédaient jusqu'à l'année de 1986 où il ne subsistait que 2 à 3 établissements importants, notamment Mane et Robertet qui ne dépendent pas jusqu'à aujourd'hui d'aucune multinationale. Non seulement les parfumeurs traditionnels grassois, mais également « la plupart des marques ont é t é absorb é es par un des cinq leaders mondiaux (dans l'ordre: Est é e Lauder, L'Or é al, LVMH, Sanofi, Unilever), qui r é alise chacun entre 5 et 6,5 milliards de francs de chiffre d'affaires dans le parfum par an. » (Soula: Combat des géants) Nombreux sont les groupes dépendant des "lessiviers": « Calvin Klein est une filiale du groupe Unilever (lessive Omo), Hugo Boss ou Giorgio Beverly Hills d é pendent de Procter (Ariel), Lancaster appartient à l'allemand Benckiser (Calgon). » (même source)

L'influence des grandes multinationales est énorme: L'Oréal, le champion français au CA de 6 milliards de francs en 1994 pour les parfum, a les licenses des marques Lancôme, Ralph Lauren, Cacharel, Guy Laroche, Giorgio Armani, Paloma Picasso et Lanvin. Le propriétaire de Christian Dior et Guerlain qui a été racheté en avril 1994 pour près de deux milliards de francs, ainsi que Givenchy et Kenzo, c'est Louis-Vuitton-Moët-Hennessy (LVMH) avec un chiffre d'affaires de 5,4 milliards de francs. Le groupe Elf- Aquitaine fait aussi partie de ce marché dont la croissance résiste aux crises économiques, par sa filiale Sanofi distribuant les marques Y. S. Laurent, Nina Ricci etc. L'émergence de multinationales dans la parfumerie entraîne de mauvaises conséquences car elle intensifie la concurrence entre les marques. Le lancement d'un nouveau parfum nécessite de 400 à 500 millions de francs et environ une centaine de nouveaux parfums apparait en France par an. Les structures de marketing, dérivées des méthodes "lessiviers", écrasent le coeur de métier, cet artisanat qui crée chaque fois par la composition d'une odeur une petite oeuvre d'art. Et comme le dit Pierre Le Tanneur: « La parfumerie est un m é tier qui a besoin de temps pour r é ussir, mais qui n'en prend pas. Elle scie la branche sur laquelle elle est assise. » (Soula: Combat des géants, p. 22)

III. L'avenir de Grasse

1. Le tourisme

Face à la prise de possession par les grands groupes des entreprises locales, le tourisme joue un rôle de plus en plus important pour l'économie grassoise. Il démarrait au siècle dernier quand des visiteurs très célèbres comme Pauline Bonaparte, la soeur de Napoléon, ou la reine Victoria séduites par ses champs floraux et ses collines sont venus en cure à Grasse. L'industrie de la parfumerie attire chaque année un million de visiteurs enregistrés qui logent dans des hôtels portant des noms comme "Hôtel des Parfums" ou "Les Arômes" et qui se restaurent dans les locaux comme "Les Jasmins". Le tourisme offre aux Grassois un débouché assuré et mieux rémunéré que la culture florale, où le travail est très dûr et moins bien payé. Il concurrence donc la parfumerie et nombreux sont les habitants qui préfèrent travailler dans cette branche que dans celle de l'exploitation florales. La ville vit de l'argent que le tourisme lui apporte et ce dernier lui donne prétexte à investir dans des loisirs comme le golf, l'equitation et le tennis, etc., ce qui permet à la localité de devenir encore plus attractive. Mais les parfumeries également profitent des touristes, qui viennent souvent avant pour elles et comme ça, elles offrent à leurs hôtes des visites de leurs usines en expliquant les techniques de fabrication des parfums. Cela leur permet de vendre leurs produits à leur visiteurs et de réaliser ainsi un profit non négligeable. Le "Musée International de la Parfumerie", créé en 1989, fait découvrir aux touristes l'histoire de Grasse et du parfum. Les dépliants publicitaires raccolent avec les fêtes des fleurs: « Les choeurs de l'Ecole Ma î trisienne assurent lors des tourn é es et des festivals la renomm é e de la Cit é des Parfums dans le monde, tandis que la ville c é l è bre au mois de mai l'une de ses plus belles fleurs: la Rose et f ê te traditionellement au mois d'ao û t le Jasmin. » (Office du tourisme, Grasse un parfum de Provence) Avec ses 310 jours anuels d'ensoleillement, cette ville calme, d'athmosphère quasi moyenâgeuse est vouée au plaisir des touristes. Le tourisme représente donc un secteur en pleine progression.

2. L'exploitation des fleurs coupées

La superficie de culture des fleurs coupées représente environ 50 ha. A cause du démembrement, les petites entreprises, dont la plupart sont familiales, font face à des difficultés financières puisqu'elles ne gagnent pas assez pour ne vivre que de la culture florale déstinée à la parfumerie. Les importations étangères font chuter les prix, si bien que les ventes des produits leur suffisent tout juste pour survivre.

Les champs de fleurs, qui occupent le tiers de surface cultivée, ne sont pas exclusivement déstinés à l'industrie du parfum. On les exploite aussi pour le "bouquet", secteur qui gagne en importance ces dernières snnées car les fleurs coupées nécessitent moins de travail et rapportent plus d'argent. Les fleurs à bouquet offrent un choix incomparable et poussent en plein air ou sous châssis. Celles nécessitent des serres spécialisées, exigent les expéditions rapides par transport routier et ferroviaire. Malgré la rigueur des derniers hivers, le secteur des fleurs à bouquet est en pleine expansion et ne ressente guère de la crise économique. Les exportation annuellement comptent quelques 1500 t, dont les deux tiers vers l'Angleterre et le reste vers le Bénélux et l'Allemagne. Si en 1927, la surface exploitée pour la parfumerie l'emportait encore, la culture de la fleur coupée a occupé deux fois plus de place en 1939 pour quintupler ou sixtupler aujourd'hui. La culture florale est un marché à risque. Son rendrement dépend de la récolte qui peut être mauvaise par suite du gel hivernal ou autres conditions climatiques défavorables. Les horticulteurs possèdent des entreprises miniscules souvent spécialisées dans la production d'un nombre restreint d'espèces florales. De plus, les prix du marché dépendent des floralies de Nice ou de Paris. Malgré tout, « la France est plus que jamais le leader d'un march é florissant. Ses exportation durant le premier semestre 1994 ont augment é de 8% par comparaison à la m ê me p é riode 1993. » (Gandois, La revue des entreprises, p. 22) Par ailleurs, il ne faut pas négliger que les plantes à parfum sont considérées pas comme un produit agricole mais industriel et qu'elles ne peuvent pas à ce titre bénéficier des réglementations du Marché Commun et des subventions de Bruxelles.

3. L'élargissement dans la fabrication de détergents, de lessives, d'arômes alimentaires

Dès les années soixante, un nouveau marché se développe dû à l'invasion des grandes multinationales, surtout celles des fabricants de lessives, ce qui explique la mutation du secteur de la parfumerie. Un phénomène également influent, c'est le changement des modes de vie et de consommation. Grasse a maintenant un avant-poste parce qu'elle a élargi son activité pour suivre les besoins d'aujourd'hui des consommateurs. Les produits parfumés trouvent de nouveaux débouchés dans les détergents et les lessives et dans les arômes alimentaires. Les industriels grassois travaillent de nos jours non seulement avec les clients traditionels de la parfumerie de luxe, de la cosmétique et de la savonnerie, mais aussi avec les fabricants de détergents, de lessives, de produits d'entretien, d'insecticides et autres.

Pour masquer les odeurs chimiques désagréables de détergents et de lessives, on introduit des parfums de rose ou de citron. Les "nez" grassois doivent se recycler. Ces artistes, magiciens créatifs de parfums, sont aujourd'hui devenus des chimistes. Leurs recherches perdent leur côté mystique. La fabrication des arômes alimentaires constitue un autre débouché. La tâche des "nez" consiste alors à rendre les plats plus attractifs. On parfume presque tous les produits alimentaires: produits laitiers, glaces et crèmes glacées, confiserie, pâtisserie, biscuiterie, plats cuisinés, boissons gazeuses, sirops etc. Les industriels grassois se recouvrent facilement dans l'alimentaire parce qu'ils sont capable de traiter techniquement les substances d'origine naturelle pour en extraire les principes aromatiques. C'est un secteur en pleine progression dont l'avenir de Grasse dépend d'après les propos de Hervé de Fontmichel, maître de Grasse, qui a constaté en 1994, que les industriels avaient investi beaucoup d'argent dans ce créneau. Robertet SA se développait dans la production d'arômes alimentaires; comme le PDG (président- directeur-général) Philippe Maubert l'a confirmé en 1994, quand son entreprise a attribué

« 15 millions de francs à la mise en place de nouveaux ateliers de production de mati è res premi è res aromatiques et 20 millinons à la modernisation des installations de production. » (Bovas: Grasse. La parfumerie en difficulté) Mane SA, une autre entreprise également indépendante vis à vis des multinationales, « a investi 200 millions dans la construction et l' é quipement d'une nouvelle unit é de production d'ar ô mes. » (même source) Dès 1991, les débouchés de ce secteur ont représenté 30% du chiffre d'affaires grassois qui a atteint cette année-là une somme de 2,8 milliards de francs dont plus de 50% réalisé à l'export avec l'Allemagne, les Etats-Unis et le Royaume-Uni. Aujourd'hui, il n'existe guère d'aliment dont au moins l'un de ses ingrédients ne provienne de Grasse. En 1994, la ville a produit déjà 50% du marché français des arômes et 6% du marché mondial. La production des arômes alimentaires a représenté 35% de l'activité grassoise; les 65% restant se sont réparti entre les secteurs parfumerie, savonnerie et cosmétique, secteurs à problèmes suivant Pierre Vigne, le président de Prodarom.

La conclusion

Si autrefois la parfumerie était un "tout", aujourd'hui, c'est difficile de comprendre et de mettre en évidence les relations entre les entreprises et les multinationales. Les petites entreprises artisanales disparaissent souvent à suite de raisons financières. Ce sont, soit au niveau de l'extraction des matières premières, les horticulteurs spécialisés dans la production d'une ou deux espèces de fleurs, soit au niveau de la composition des parfums, les "nez" qui travaillent aujourd'hui dans des secteurs tout à fait différents de l'artisanat de la parfumerie de jadis. Les changements actuels poussent les grandes multinationales à contrôler toutes les actions de leurs filiales en étant présentes dans tous les cadres de l'économie. Le parfum est devenu un article avec lequel on peut gagner beaucoup d'argent, un produit et non plus une oeuvre d'art comme autrefois. De plus, les chefs des maisons de la parfumerie ne sont plus des patrons-compositeurs, artistes et techniciens,

« mais des "managers", habiles hommes d'affaires certes, mais ignorant tout de la composition et de ses exigences techniques ou esthetiques. »

(Roudnitska: Le parfum, p. 108)

La ville de Grasse reste, malgré tous les changements, une ville importante dans l'industrie de la parfumerie qui conserve sa place grâce à son adaptabilité à l'évolution du marché. Si elle reste la capitale historique dans ce secteur, elle perd sa phérogative de capitale économique, place prise par Paris, Londres où les décisions sont désormais prises.

L'index

Documentations du texte:

1) L'alambic (dans l'arrière-plan)

(Fragonard)

2) L'enfleurage à froid

(Fragonard)

3) La macération

(Fragonard)

4) Le "nez" devant l'orgue à parfum 5) Le gros succès en parfumerie

(Fragonard)

Les ventes en Europe

Nom Marque Groupe

N°5 Chanel (Chanel) Shalimar Guerlain (LVMH) L'Air du temps Nina Ricci (Sanofi)

Paris YSL (Sanofi)

Opium YSL (Sanofi) (Le nouvel observateur, p. 22)

Les sources littéraires

1. Roudnitska, E., Le parfum, Paris, Presses universitaires de France, 1996
2. Rasse, P., La cité aromatique, Nice, Les éditions serre, o.J.
3. Horn, E., Parfum, Zauber und Geheimnis des schönen Düfte, München, 1969
4. o. Hg., La France dans ses régions, Sedes, 1994
5. Carrère,P./ Dugrand, R., La région méditerranéenne, Paris, Presses universitaires de France, 1960
6. Hennequin, B., Richesse des terroirs de France, o.O., Bordas, o.J.
7. Estienne, P., Les régions françaises, Paris, Masson, 1991
8. Pons, A., A la découverte des provinces françaises, Paris, 1994
9. Gandois, J., La revue des entreprises, in: CNPF N° 566, 12/94-01/95
10. Soula, C., Combat des géants dans les parfums, in: Le nouvel observateur, 29.08.- 04.09.1996, S. 20-22
11. Villeneuve, A., Le parfum, in: Label France, N° 24, Juni 1996, S. 26- 29
12. Bovas, N., Grasse: la parfumerie en difficulté, in: La tribune desfossés, September 1994, S.16
13. P.G., La guerre de la lavande, in: Le figaro, 06./07.12. 1980, S. 8
14. Blum, D., Die feinen Nasen vor den Orgeln, in: Die Welt, 07.07.1986, S. 19
15. Codoret, J-P., Grasse ist in Aufruhr, in: Die Welt, 15.07.1982, S. 18
16. Vigne, P., Grasse et l'industrie de la parfumerie, 20.01.1989, S.1-5
17. Office du tourisme: Grasse, un parfum de Provence
18. Musée International de la Parfumerie: * Le tourisme à Grasse * L'histoire de l'industrie de la parfumerie * Techniques de production du parfum * L'histoire de Grasse * L'art de la composition des parfums

Excerpt out of 17 pages

Details

Title
La ville de Grasse, est-elle vraiment la capitale du parfum?
Grade
12
Author
Year
1997
Pages
17
Catalog Number
V102381
ISBN (eBook)
9783640007646
File size
377 KB
Language
German
Notes
Eine Abhandlung über die Industrie des Parfums von den Anfängen bis zur heutigen Zeit. Grasse als ehemalige Hauptstadt der Parfumindustrie wird der Herausforderung der Fließbandproduktion des Parfums durch die Chemiekonzerne gegenübergestellt.
Keywords
Grasse
Quote paper
Claudia Geyer (Author), 1997, La ville de Grasse, est-elle vraiment la capitale du parfum?, Munich, GRIN Verlag, https://www.grin.com/document/102381

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