Le statut de la responsabilité dans le discours écologique contemporain. A partir de l’éthique de la responsabilité de Hans Jonas


Etude Scientifique, 2021

14 Pages


Extrait


Article:

Auteur: Tchilabalo ADJOUSSI, doctorant à l’Université de Lomé, département de philosophie

Titre: Le statut de la responsabilité dans le discours écologique contemporain. A partir de l’éthique de la responsabilité de Hans Jonas.

Résumé: Le présent article a pour ambition de mettre en exergue le statut de la responsabilité dans le débat écologique contemporain en partant de l’éthique jonassienne de la responsabilité. Il rappelle précisément que la responsabilité, dans le débat écologique contemporain, renvoie essentiellement à la définition des stratégies d’endiguement de la crise écologique, constituant ainsi une antithèse au principe espérance qui est le principe générateur de l’utopie technoscientifique. Justement parce que c’est de la peur de la dégradation irréversible de la biosphère qu’incorpore l’utopie technoscientifique que découle la responsabilité qui s’exprime en stratégie d’endiguement de la crise écologique dans le présent et l’actuel.

Mots-clés: Crise écologique, biosphère, endiguement, responsabilité, éthique.

Abstract:

Introduction

Comprise comme étant l’ensemble des chamboulements du sens des rapports qu’entretient l’homme avec la nature, la crise écologique est devenue l’une des préoccupations majeure de l’époque contemporaine. Ceci parce que non seulement l’ordre des cycles climatiques, les équilibres écosystémiques, et la pureté de l’atmosphère se trouvent modifiés par l’agir de l’homme, mais aussi la nature de l’homme lui-même se trouve menacée par l’application de la technique par lui et sur lui, laissant planer une inquiétude sans cesse grandissante quant à l’avenir de l’humanité et de la biosphère qui le supporte.

Rappelons que la Révolution Industrielle du XVIIIe siècle a joué un rôle non négligeable dans la transformation du rapport de l’homme avec la nature. Autrefois limité à la stricte conservation de la vie pendant l’ère préindustrielle, le rapport entre l’homme et la nature se trouve substitué en un rapport d’exploitation et de pollution de la nature pour assouvir les désirs égoïstes et non nécessaires de l’homme (H. Jonas, 1992). Certes, depuis l’invention de la machine à vapeur de T. Newcomen (1712) utilisable dans l’industrie et améliorée plus tard par James Watt (1712), la qualité de la vie humaine s’est considérablement améliorée et l’humanité peut chanter en chœur que la science et la technique modernes ont fait de nous des maîtres et des possesseurs de la nature (R. Descartes, 2014); c’est sans compter les multiples prouesses dans les domaines de la télécommunication, de la santé, du transport, de l’industrie, etc. qui ont apporté un confort non négligeable dans l’espace sociétal.

Néanmoins, il faut aussi noter que ces progrès tels que connus n’ont été rendus possibles que par un acharnement sans merci sur le capital naturel interne et externe à l’homme ayant conduit à des dérèglements sans pareil dans l’ordre même du cosmos: changements climatiques, épuisement des ressources, pollutions diversifiées, vulnérabilités humaines (la question de la survie des générations futures, les risques de manipulations sur le génome humain, la manipulation du comportement), etc. laissant penser à la suite de H. Jonas (1992, p.7): (…) La promesse de la technique moderne s’est inversée en menace, ou bien que celle-ci s’est indissolublement alliée à celle-là. Elle va au-delà du constat d’une menace physique. La soumission de la nature destinée au bonheur humain a entraîné par la démesure de son succès, qui s’étend maintenant également à la nature de l’homme lui-même, le plus grand défi pour l’être humain que son faire ait jamais entraîné.

C’est dans cet ordre d’idée que se pose la question du statut de la responsabilité dans le débat écologique; responsabilité qui devient dès lors une condition indéniable de la garantie d’une humanité future authentique.

Cela étant dit, il est question dans ce texte de contribuer à mettre en exergue la responsabilité qui est incontournable dans le contexte écologique contemporain pour la garantie d’une vie authentiquement humaine dans le futur en partant de l’éthique jonassienne de la responsabilité. Pour y parvenir, nous préciserons d’abord le fondement de la responsabilité chez H. Jonas (1992) qui est l’improbabilité de l’utopie technoscientique. Ceci permettra de comprendre la critique jonassiennce de cette utopie technoscientifique eu égard aux risques qu’une telle logique fait courir à l’humanité; ce qui permettra enfin de déboucher sur la responsabilité comme stratégie d’endiguement systématique de la crise écologique.

1- L’utopie technoscientifique: principe générateur de la technique moderne

L’exercice philosophique de penser l’homme et son interaction avec la nature s’est imposé aux philosophes du XXe siècleprécisément parce qu’après les deux guerres qui furent la manifestation d’un mal être politique à travers le monde, il s’avérait impérieux de repenser le rapport qu’entretient l’homme avec la nature et avec lui-même. Cette remarque est plus saisissante chez les philosophes allemands à l’instar de H. Jonas (1992) et E. Bloch (1954). Dans cet ordre d’idée nous pouvons reprendre P. Bouretz (2003), pour qui les réflexions politiques d’après-guerre ne pouvaient s’éloigner del’expérience du pire qu’a entrainée ces guerres, à telle enseigne quel’imagination du meilleur dans la dynamique évolutive des technosciences est autant extraordinaire qu’intrigante. Ce paradigme intellectuel fut donc celui dans lequel émergea la pensée jonassienne, notamment son éthique pour une civilisation technologique.

Les réflexions de cette période peuvent ainsi être regroupées en deux ensembles; d’une part une refondation de la philosophie sur le principe de l’espérance comme le préconise E. Bloch (1976), selon qui l’utopie doit être le moteur de l’activité politique, «la pulsion première de l'humain» (G. Richard-Ouellet, 2012, p.03); à l’opposé de cet élan, une autre tendance se fait remarquer, celle de la responsabilitéqui, s’inspirant des dérives imprévisibles et, souvent, irréversibles de l’utopie, préconise la prudence politique à l’égard des sciences et techniques modernes. Ce fut la quintessence de la pensée de H. Jonas (1992).

Dans son ouvrage Le principe responsabilité: une éthique pour la civilisation technologique, H. Jonas (1992), s’inscrivant dans le débat sur l’avenir de l’humanité en lien avec le pouvoir croissant des sciences et technologies, prend la posture inverse auprincipe espérance d’E. Bloch (1976). Bien que ce dernier n’eu pas le privilège de répondre à la critique du Principe espérance de Jonas, puisque le principe responsabilité parut en 1979 alors qu’E. Bloch décéda plus tôt le en 1977, ces deux auteurs ont introduit deux réflexions qui irriguent les réflexions éthiques contemporaines.

Des trois tomes du Principe espérance, se dégage une idéecentrale chez E. Bloch (1976); celle de l’illusion communément partagée selon laquelle: «l'essentiel est déjà existant et statique et donc fermé et fini» (E. Bloch, 1976 p. 28). La philosophie de l’espérance de E. Bloch (1976) est celle du «non-encore» inspirée de l’utopie. Comme il le confiait lui-même lors d’un entretien accordé à Michael Löwy (1974) rapporté par G. Richard-Ouellet (2012), le monde tel qu’il existe n’est pas vrai. Il existe un deuxième concept de vérité, qui n’est pas positiviste, qui est plutôt chargé de valeur.

Ici se laisse voir le fondement du Principe espérance chez E. Bloch (1976): l’utopie. Nouménale, l’utopisme de Bloch est une philosophie du non-encore; le non-encore conscient de l’être humain, le non-encore-devenu de l’histoire, le non-encore manifesté dans le monde; Puisse que l’humanité, dans son évolution historique est entendue comme une disposition à quelque chose, une tendance vers une fin évidente mais qui ne se laisse pas encore connaître mais se laisse penser comme étant: «un monde délivré des souffrances indignes de l’angoisse, de l’aliénation» (G. Richard-Ouellet, 2012).

L’utopie devient dans cet ordre d’idée, le fondement de la société industrialisée contemporaine. C’est ce que fait remarquer H. Jonas (1992, p. 197)à travers ces termes:

Accélérer l'industrialisation est ainsi, partout où jusqu'à présent le socialisme a pris le pouvoir, la signature de sa politique effective et résolument décidée. Ainsi jusqu'à aujourd'hui vaut la loi que le marxisme, « progressiste» dès l'origine, né sous le signe du « principe Espérance » et non sous celui du « principe Crainte » est en fait non moins inféodé à l'idéal baconien que son antagoniste capitaliste, dont il est ici le concurrent : le rattraper et pour finir le dépasser dans ses fruits, récoltés grâce à la technique, était partout la loi qui commandait la volonté de sa réalisation.

Dans cette perspective l’utopie, autrefoisconçue, comme simple rêve, un désir chimérique, loin de s’identifier à une idéologie politique de façon précise, est, pour ainsi dire, le fondement de la société moderne industrialisée (P. Ricœur, 1997). L’expression « S n'est pas encore P » d’Ernst Bloch (1976), résume, à en croire H. Jonas (1992) l’idée du progrès qu’abrite le principe espérance, l’utopie donc . En effet, dans l’expression « S n'est pas encore P », « P » est l’ultime destinée de l’homme émancipé de toute contrainte et réaliser cette destinée est ce à quoi doit se consacrer la technique moderne. Mais le «n’est pas encoreêtre de P» signifie l’état de l’homme présent qui est en pèlerinage vers cette destinée; bref,l'homme véritable est seulement encore à venir et que l'homme passé et actuel ne l'est pas encore et ne l'a jamais été (H. Jonas, 1992).

Dans cette perspective utopiste, toute l’histoire de l’humanité est, pour ainsi dire, une préhistoirede l’homme tel qu’il doit être à l’avenir et l’instrument par excellence pour hâter cet avenir de l’homme émancipé et heureux, est la technique moderne. Ainsi la technique moderne doit être libérée de toute entrave et se déployer dans tous les domaines du connaissable afin de conduire l’homme à l’état de béatitude qu’est «P».

Il semble désormais évident qu’on ne peut parler de l’utopie, sans parler de l’idéal baconien. Ces conceptions de l’histoire de l’humanité, dans la logique de l’espérance, se rejoignent et convergent vers la croyance d’une humanité délivrée de ses maux grâce à la civilisation technoscientifique. Car, c’est seulement une civilisation industrielle qui permettrait d’envisager une construction sociale équitable.

Mais l’utopie, ainsi exprimée, semble ignorer le doute sur les chances de maitriser les dangers que peuvent entrainer une explosion libertine des technologies; car la maîtrise de la technologie sera fragilisée par les mécanismes de concurrence interne à elle-même, la production de marché visant à exciter les consommateurs et la volonté d’imposer pratiquement une telle rationalité pour tous, conduisent inéluctablement à des conséquences non maitrisables sur la biosphère, une situation «multi-stress» comme le disait N. Rousset (2012). Tel est le point de départ de la critique de l’utopie portée par H. Jonas(1992), qui énonce précisément, rappelons-le une fois encore: (…) La promesse de la technique moderne s'est inversée en menace, ou bien que celle-ci s'est indissolublement alliée à celle-là (…). La soumission de la nature destinée au bonheur humain a entraîné par la démesure de son succès, qui s'étend maintenant également à la nature de l'homme lui-même, le plus grand défi pour l'être humain que son faire ait jamais entraîné (Hans Jonas, 1992, 13). H. Jonas (1992) s’attelle ainsi à la construction d’une éthique nouvelle, non seulement différente de l’éthique traditionnelle grecque préindustrielle, mais aussi basée essentiellement sur le principe précaution, sur la base des risques qu’inspire l’évolution des technosciences sur la biosphère et partant, sur l’humanité. Précaution qui se justifie par l’improbabilité de l’utopie technoscientifique et surtout la menace de l’irréversibilité des choix technoscientifiques et de leurs conséquences sur l’humanité présente et future.

2- De la critique de l’utopie technoscientifique à la nécessité de la responsabilité

La critique jonassienne de l’utopie technoscientifique est également la critique del’euphorie prométhéenne post-baconienne dont l’éthique de la responsabilité se doit dès à présent de contenir. Cette responsabilitén’est rien de plus qu'une prévoyance intelligente, couplée avec la simple décence, à l'égard de notre postérité (H. Jonas, 1992). Cette critique n’aurait de sens si le destin atroce de l’humanité qui profile à l’horizon, eu égard aux dégradations diversifiées de la biosphère et l’amenuisent les chances d’une humanité future, était évitable. La raison d’être de cette critique est que nous sommes devenus progressivement les prisonniers des processus que nous avons déclenchés nous-mêmes (H. Jonas,1992).

Pour asseoir une telle éthique H. Jonas (1992) passe par une fondation ontologique de la viequi implique l'impératif moral de sa propre préservation, où être signifie devoir-être. Ainsi, de l'ontologie on déduit une éthique nouvelle qui, à son tour engendre une position politique, un anti-utopisme qui doit caractériser le monde moderne comme le note G. Richard-Ouellet (2012). Et naturellement, à une telle éthique, correspond un nouvel impératif catégoriquequi est désormais: «Agis de façon que les effets de ton action soient compatibles avec la permanence d'une vie authentiquement humaine sur terre » (H. Jonas, 1992, p. 30). A en croire H. Jonas (1990), il n’est plus question seulement de démocratiser les applications des science et techniques modernes pour améliorer la vie du l’humanité comme autrefois soutenu par E. Bloch (1976), mais aussi et surtout que ces applications soient compatibles avec la permanence d’une vie authentiquement humaine sur terre; permettant ainsi de comprendre aisément la nécessité de la responsabilité.

Cet impératif se distingue non seulement de la logique de l’éthique traditionnelle limitée dans le temps et l’espace puisque l’on était responsable que de ce qui existe déjà, de ce qui est déjà connu et en aucun cas du pas encore, mais aussi de l’impératif kantien. L’impératif d’ E. Kant (1985):«agis de telle sorte que tu puisses également vouloir que ta maxime devienne une loi universelle»duquel il convient de noter qu’il exprime plus une compatibilité logique qu’une approbation morale. Comme l’explique encore H. Jonas (1992), le «que tu puisses», est celui de la raison en accord avec elle-même; et dans un contexte social, il est plus qu’intrigant d’appliquer un impératif logiquement plus rigoureux que moralement; car même un génocide peut être logique; de même la dégradation du capital naturel environnemental et humain (la manipulations d’embryons humains aux fins médicales, ainsi les manipulations du génome humain aux mêmes fins) trouvent leurs explications logiques, mais peinent à trouver des fondements éthiques.

[...]

Fin de l'extrait de 14 pages

Résumé des informations

Titre
Le statut de la responsabilité dans le discours écologique contemporain. A partir de l’éthique de la responsabilité de Hans Jonas
Université
University of Lomé (form. University of Benin)  (Pepartement de Philosophie)
Cours
Philosophie
Auteur
Année
2021
Pages
14
N° de catalogue
V1129370
ISBN (ebook)
9783346497819
ISBN (Livre)
9783346497826
Langue
français
Annotations
Mots clés
hans, jonas
Citation du texte
Tchilabalo Adjoussi (Auteur), 2021, Le statut de la responsabilité dans le discours écologique contemporain. A partir de l’éthique de la responsabilité de Hans Jonas, Munich, GRIN Verlag, https://www.grin.com/document/1129370

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