Le roman culturel - Une lecture ethnocritique de Nnanga Kon


Wissenschaftliche Studie, 2009

16 Seiten


Leseprobe


Résumé

Quel intérêt suscite encore la lecture de Nnanga Kon aujourd’hui où les écrivains camerounais explorent de nouveaux paysages littéraires, de nouvelles esthétiques sous l’impulsion de la mutation des déterminants idéologiques et historico-sociologiques ? Certes, on peut s’attarder sur son statut (parfois contesté) de première œuvre de fiction écrite par un Camerounais pour voir, au nom d’un souci archéologique, quelles formes génériques et quels mécanismes de fonctionnement du texte utilise son auteur alors que les épistémologies ne sont pas, au moment de la production du livre, la chose du monde la mieux partagée. Selon une approche ethnocritique qui traque les idéosèmes culturels dans le texte littéraire, il est possible de démontrer que ce texte, qui amorce une esthétique moderne, est aussi traversé par un intertexte socio-culturel, fait de savoirs locaux et de rémanences de l’oralité, sources de création verbale chez la plupart des écrivains camerounais de première heure.

Mots clés : culturème, ethnocritique, idéosème, intertexte socio-culturel, texte culturel.

L’écriture de Nnanga Kon[1] par Jean-Louis Djemba Medou en 1932 peut à juste titre s’appréhender comme ce que Xavier Garnier et Alain Ricard (2007) appellent l’« effet roman » ou l’« effet d’une fiction en prose ». Ce texte écrit en langue bulu émerge du contexte colonial marqué par l’oraliture[2]: la création littéraire écrite est alors encouragée par certains missionnaires qui, au nom des idéologies peu transparentes souvent entretenues en filigrane par les intellectuels et les politiques de l’Hexagone, souhaitent accompagner les indigènes dans leurs efforts d’ouverture à la civilisation occidentale. L’oeuvre de Jean-Louis Njemba Medou va donc d’abord imiter l’esthétique romanesque telle que prescrite par l’Occident, avant de s’en éloigner et d’affirmer son authenticité et son identité à la fois littéraire et culturelle. L’exploration contemporaine de cette fiction à l’aune de l’ethnocritique souligne à la fois l’importance de la littérature dans la culture locale de l’heure et oblige à déployer une réflexion sur la théorie du roman traditionnel camerounais du début du XXe siècle, dont on sait qu’il est traversé par l’intertexte socio-culturel local, qui modifie considérablement sa configuration et influence l’art du récit.

On est peut-être déjà dans la problématique du texte culturel. Celui-ci transcende l’exploration anthropologique et ethnologique d’une civilisation pour devenir à juste titre une esthétisation du social, une socio-poétique. On comprend dès lors la difficulté qu’il y a à articuler concomitamment une poétique du littéraire et une ethnologie du symbolique, dans le but de lire le texte littéraire dans sa réappropriation polyphonique des données du culturel, qu’il s’agisse des idées qui le traversent ou des langues qui l’expriment. L'ethnocritique, de l’avis de Jean-Marie Privat (2009), se propose à cet effet de mettre en évidence, à des fins interprétatives, le dialogisme culturel qui structure les fictions littéraires. Elle entre en adéquation avec les formes socio-idéologiques – les idéosèmes –, préconisées par Edmond Cros (2002), l’un des pères de la théorie sociocritique montpelliéraine, qui pose la problématique de la création artistique et de la représentation du point de vue de « l’incorporation de l’histoire dans l’espace imaginaire multidimensionnel du sujet culturel ». Dans la lignée de l’héritage structuraliste, c’est aux formes qu’elle s’intéresse, car c’est à ce niveau qu’opère l’inscription du socio-culturel. Comprendre et analyser les culturèmes consiste alors à les mettre en relation avec leur origine socio-idéologique. Emergent ainsi dans les œuvres des indices objectifs non conscients qui structurent le vécu individuel et collectif. Il s’agit de reconstituer l’ensemble des médiations culturelles qui déconstruisent, déplacent, réorganisent et re-sémantisent les différentes représentations de la vie. L’ethnocritique montre que ces médiations relèvent non seulement du discours social et du transhistorique, mais aussi de l’acte de parole et de son intégration dans le cadre du champ littéraire et artistique.

La représentation du sujet culturel est une problématique centrale pour l’ethnocritique. En ce sens, elle approfondit les questions identitaires renouvelées par les Cultural studies américaines. En particulier, la notion de sujet culturel définit un espace complexe, hétérogène, conflictuel, un « tout à dominante dynamique » où se trouvent redistribués les tracés sémiotico-idéologiques d’un certain nombre de sujets transindividuels. De ce fait, il ne cesse de se redéfinir tout au long de l’existence du sujet. La culture, dans cette perspective, n’existe que par ses manifestations concrètes, que le texte littéraire se charge de représenter. Son inscription dans Nnanga Kon s’élabore selon plusieurs modalités.

I- UNE ÉCRITURE ENDOCENTRIQUE

Il existe chez Njemba Medou une pulsion endocentrique qui l’amène à saisir le monde bulu de l’intérieur. Cette approche holistique permet de mettre en exergue ce qui est véritablement propre aux us et coutumes de son environnement socioculturel. Les habitudes vestimentaire, alimentaire, linguistique ; l’initiation ou l’éducation, les scénarii mytho-rituels où la chasse, les jeux, la lutte, les guérisons, l’art de la guerre constituent la mise en scène d’un monde jaloux de son identité. Il faut probablement situer l’œuvre de cet écrivain dans le contexte de l’autodéfense culturelle au cours duquel les détenteurs de vieux secrets et des arcanes hésitent à exposer leur culture. Prince Dika Akwa (1983 : 7) l’explique :

Dans une situation coloniale telle que le continent noir l’a vécue, les grands Maîtres africains du savoir n’étaient guère prêts, dans un monde en proie à la vulgarisation et la dépersonnalisation, à livrer ce qui constitue le nerf vital de leur pensée et de leur mode d’organisation.

En écrivant Nnanga Kon, Njemba Medou se présentait ainsi comme l’un des tout premiers Camerounais à prendre la plume pour traduire par la langue ordinaire, mais aussi par les langues secrètes qui recèlent les textes sacrés et les modes du silence, des connaissances issues de la tradition bulu. Deux modalités de prises de parole sociale, telles qu’énoncées par Calane Griaule (1974), intéressent ce propos : « La parole de côté qui « approfondit les explications, attire l’attention sur quelques parties essentielles des rites, telles représentations sont livrées, d’autres ne doivent pas quitter une déposition », et la parole claire qui concerne l’édifice du savoir dans la complexité ordonnée. » L’on peut aisément reconnaître ces modalités de prise de parole dans les textes parémiologiques et dans la description des rites bulu.

I.1- Les parémies

Le texte parémiologique apparaît dans Nnanga Kon sous des formes diverses et complémentaires : les fables, les adages, les devises, les devinettes, les proverbes et les chants, qui constituent cependant l’apanage de ce mode d’expression de la parole en milieu traditionnel bulu. Maloux (1960) les définit comme « une vérité morale ou de fait exprimée en peu de mots ou bien une expression imagée de la philosophie pratique ou bien une parole mémorable.»

La civilisation de l’oralité bulu où des assemblées dans la case commune du lignage sont sacrées, Mvondo Ela, le meilleur connaisseur des codes sociaux et du répertoire culturel, est interpellé dans plusieurs situations pour conclure les arbitrages si nécessaires à l’équilibre et à l’harmonie du groupe. Les proverbes opèrent ainsi dans plusieurs circonstances de la vie des habitants de Monezoula sous la forme de devises:

Quand la guerre est perdue, c’est le sauve qui peut.
Il pratique la sorcellerie à minuit.
Le ruisseau ne craint pas la forêt dense.
La haine est éphémère, l’Amitié est passagère.
Le lièvre gambade le long de la longue batterie de pièges assommoirs.

[...]


[1] Jean-Louis Njemba Medou, (1989) Nnanga Kon, Traduction française de Jacques Fame Ndongo, Yaoundé, Éditions Sopecam.

[2] Entendue comme l’art de toutes les expressions oralittéraires : contes, proverbes, adages, devises, etc.

Ende der Leseprobe aus 16 Seiten

Details

Titel
Le roman culturel - Une lecture ethnocritique de Nnanga Kon
Hochschule
Université de Maroua, Cameroun  (Ecole Normale Superieure)
Autor
Jahr
2009
Seiten
16
Katalognummer
V132030
ISBN (eBook)
9783640381395
ISBN (Buch)
9783640381463
Dateigröße
536 KB
Sprache
Französisch
Schlagworte
Nnanga
Arbeit zitieren
Raymond Mbassi Ateba (Autor:in), 2009, Le roman culturel - Une lecture ethnocritique de Nnanga Kon, München, GRIN Verlag, https://www.grin.com/document/132030

Kommentare

  • Noch keine Kommentare.
Blick ins Buch
Titel: Le roman culturel - Une lecture ethnocritique de Nnanga Kon



Ihre Arbeit hochladen

Ihre Hausarbeit / Abschlussarbeit:

- Publikation als eBook und Buch
- Hohes Honorar auf die Verkäufe
- Für Sie komplett kostenlos – mit ISBN
- Es dauert nur 5 Minuten
- Jede Arbeit findet Leser

Kostenlos Autor werden