Le Rex sacrorum: un vestige romain de la Royauté sous la République et l'Empire


Essai, 2009

22 Pages, Note: none


Extrait


Le Rex sacrorum : un vestige romain de la Royauté sous la République et l’Empire

I. Généralités

Le Rex sacrorum1, appelé aussi Rex sacrificulus, ou Rex sacrificus ou Rex sacrificiorum2 était un prêtre important de la religion officielle romaine, chargé plus particulièrement du culte du dieu Janus.

Sa charge avait été créée aux débuts de la République romaine, pour remplacer l’ancien roi dans ses prérogatives religieuses, alors que les deux praetores3 exerçaient l’ensemble de ses pouvoirs politiques.

Le Rex sacrorum occupait la première place dans l’ordre protocolaire religieux, mais n’était pas le véritable chef de la religion romaine, rôle réservé au Pontifex Maximus4. Il lui était interdit d’exercer aucune autre fonction, ni civile, ni militaire. On le tenait ainsi à l’écart de toute prétention à posséder un quelconque pouvoir et risquer ainsi la restauration de la Royauté.

Le Rex sacrorum semble avoir incarné le principe du mos maiorum5 : si l’on mettait fin aux pouvoirs politiques du roi, il était difficilement acceptable de supprimer ses missions religieuses, en créant ainsi une rupture du lien qu’il assurait entre les hommes et les dieux.

Le Rex sacrorum fut de tout temps un patricien6, car les plébéiens ne revendiquèrent jamais l’accès à ce sacerdoce dépourvu de tout intérêt politique.

Même si ses responsabilités religieuses se réduisirent au cours des siècles au point de disparaître pendant les années tragiques des guerres civiles de la fin de la République, l’institution du Rex sacrorum fut restaurée par Auguste et se perpétua jusqu’au Bas-Empire, lorsque l’empereur Théodose, un chrétien fanatique, mit fin à cet archaïsme, vivant témoignage d’un paganisme devenu intolérable.

II. Création de la charge de Rex sacrorum

Deux sources antiques principales nous renseignent sur la création du Rex sacrorum. Il s’agit d’abord du célèbre historien romain Tite-Live dans son Histoire romaine, en latin « Ab Urbe condita », ce qui veut dire (histoire) depuis la fondation de la Ville. Un autre auteur, grec celui-là, nous donne aussi de précieux renseignements : c’est Denys d’Halicarnasse dans son ouvrage sur les Antiquités romaines.

Ces textes courts mais importants peuvent être retranscrits ici :

(1) On s'occupa ensuite de la religion; et comme les rois avaient eu le privilège d'offrir eux-mêmes certains

sacrifices publics, on fit disparaître tout prétexte de les regretter en créant un roi des sacrifices. (2) Ce sacerdoce fut soumis au souverain pontife, de peur que si l'on ajoutait quelque prérogative à ce nom, on ne portât préjudice à la liberté, qui était alors l'objet de tous les soins; et je ne sais s'ils n'outrepassèrent pas les bornes, en prenant pour la fortifier les précautions les plus minutieuses.1

III. Cependant, comme les rois avaient procuré de grands avantages à la république, afin de conserver le nom de la dignité royale tant que la ville subsisterait, ils ordonnèrent aux pontifes et aux augures de choisir entre les anciens celui qu’ils jugeraient le plus capable pour présider seulement aux sacrifices et au culte divin, sans être chargé d’aucune autre fonction, militaire [ou civile]. On régla qu’il s’appellerait le roi des choses sacrées. Manius Papirius, personnage distingué par son mérite, de famille patricienne, homme paisible et qui aimait le repos et la tranquillité, fut le premier qu’on revêtit de cette éminente dignité.2

Ce deuxième texte présente quelques divergences dans une autre version et traduction qui nous apporte certaines indications supplémentaires : (74). Ils nommèrent un roi des choses sacrées qui jouit de cet honneur pour la vie, il était dispensé de toute obligation militaire ou civile et il était comme [l’archonte-]roi [à Athènes], il exerçait seulement une fonction : celle de superviser les sacrifices.3

De cette lecture, nous pouvons tirer déjà plusieurs renseignements essentiels :

- Tite-Live et Denys s’accordent pour dire que la charge de Rex sacrorum fut instaurée après la chute du dernier roi étrusque et qu’elle fut créée pour que les sacrifices effectués par les anciens rois puissent continuer. Les deux auteurs insistent sur le fait que cette institution fut conçue comme un simple sacerdoce religieux et qu’il ne pourrait lui être attachée une quelconque forme de pouvoir. Denys précise que le Rex sacrorum était comparable à une institution qu’il devait bien connaître puisqu’il était grec : l’archonte-roi (un des archontes à Athènes, dépourvu de responsabilités politiques et chargé des affaires religieuses) mais il est probable que les Romains furent avant tout influencés par des exemples d’institutions similaires dans le Latium ; Tite-Live nous fait aussi savoir que dès le départ, le Rex sacrorum fut soumis au pouvoir hiérarchique du souverain pontife, c’est-à-dire du Pontifex Maximus. Cela semble cependant un peu contredit par Denys d’Halicarnasse qui nous explique que le premier Rex sacrorum fut désigné par l’ensemble des pontifes et des augures. On sait par contre que par la suite, cette nomination releva du seul Pontife suprême. Il est donc possible que Tite-Live ait commis dans ce cas une forme d’anachronisme : un fait bien connu de son temps mais dont on ignore s’il existait aux premiers temps de la République ; Denys nous donne d’autres indications : d’abord, ce prêtre chargé des sacrifices ne pouvait exercer aucune autre fonction, tant civile que militaire. Cela était fort logique puisqu’il était exclu qu’il puisse disposer d’un quelconque pouvoir. Denys ajoute que le Rex sacrorum était désigné pour la vie, ce qui était tout à fait compatible avec son rôle purement honorifique. Le Roi du sacré devait être aussi patricien. Ce fait est confirmé par les sources ultérieures qui précisent que le Rex sacrorum fut toujours un patricien1, en tout cas jusqu’à Marcus Marcius2. En outre, il est aussi certain qu’au début de la République, tous les sacerdoces et toutes les magistratures importants furent réservés aux seuls patriciens. Enfin, Denys nous explique une évidence : celui qui acceptait une telle charge devait être un éminent et paisible notable, dépourvu de toute ambition politique. Cette insistance, confortée par les dires de Tite-Live, semble ne pas représenter un anachronisme. Même si ses prérogatives religieuses étaient sans doute plus importantes au début de la République, l’institution du Rex sacrorum fut certainement dès les débuts de son existence strictement délimitée pour la circonscrire à un cadre purement religieux et principalement honorifique.

III. Caractéristiques de la charge de Rex sacrorum à la période classique

Par période classique, nous voulons entendre la période de la République romaine la plus connue et la mieux documentée, c’est-à-dire depuis les guerres puniques jusqu’aux guerres civiles de la fin de la République. La plupart des caractéristiques qui ont été évoquées ci-dessus étaient encore applicables à cette époque, grâce au conservatisme romain. Elles furent aussi remises en vigueur au début de l’Empire lorsque Auguste restaura la dignité de Rex sacrorum après plusieurs années de vacance. Le Roi ainsi ressuscité garda son caractère honorifique, mais retrouva un certain lustre, tout au moins pendant la première période du Principat. Les premiers empereurs désignèrent assez régulièrement des patriciens à cette dignité, d’autant plus que plusieurs d’entre eux avaient renouvelé le vivier des gentes patriciennes. Par la suite, la dignité de Rex sacrorum tomba en désuétude et connut de nombreuses vacances avant d’être supprimée dans l’indifférence générale.

Ainsi donc à l’époque classique, la dignité de Rex sacrorum présentait les caractéristiques suivantes :

- pour être désigné à cette fonction, il était en principe indispensable d’être patricien1. Il ne semble pas cependant nécessaire d’appartenir à une gens patricienne puissante. Les quelques noms de Rex sacrorum connus montrent des représentants de familles les plus illustres comme les Cornelii2 ou les Papirii3, mais également des familles patriciennes plus modestes ;
- pour pouvoir exercer cette fonction, il était tout aussi indispensable de renoncer à toute fonction civile ou militaire4. Celui qui possédait une telle charge devait impérativement y mettre fin avant de pouvoir entrer en fonction de son sacerdoce. Un exemple de cette exigence est décrit minutieusement dans un passage de l’œuvre de Tite-Live : (8) Le remplacement de Cn. Cornélius Dolabella aux fonctions de roi des sacrifices fut une occasion de débats entre le grand pontife C. Servilius et le décemvir naval L. Cornélius Dolabella. Le grand pontife, avant d'inaugurer ce dernier, exigeait qu'il renonçât à sa magistrature; (9) et comme le duumvir s'y refusait, il fut condamné à une amende par Servilius. Il en appela au peuple (10) et les débats recommencèrent. Déjà la plupart des tribus étaient entrées dans l'enceinte et avaient déclaré que le duumvir se soumettrait aux ordres du pontife, et que son amende serait levée, s'il renonçait à sa magistrature, lorsqu'un coup de tonnerre rompit l'assemblée. Des scrupules religieux empêchèrent alors les pontifes d'inaugurer Dolabella. (11) Ils lui substituèrent P. Cloelius Siculus5 ;
- le Rex sacrorum était désigné par le seul Pontifex Maximus6, le véritable chef hiérarchique de la religion officielle romaine. Apparemment, le premier Roi des sacrifices fut nommé par les collèges des pontifes et des augures7, mais ce fut peut-être une exception. A l’époque classique, en tout cas, la désignation ne dépendait plus que de la volonté d’un seul homme, même si le Roi du sacré était, comme les Flamines majeurs, choisi au sein d’une liste de candidats dressée par le Collège des Pontifes ;
- après avoir été désigné, le futur Rex sacrorum était inauguré par les pontifes8 au sein des Comitia calata9, c’est-à-dire les Comices curiates réunis sous la présidence du Pontifex Maximus pour régler des affaires purement religieuses. Il devait s’agir d’une simple ratification, présentant un caractère religieux puisque l’inauguration impliquait la prise des auspices par le Grand Pontife. L’épisode de la désignation ratée de Lucius Cornelius Dolabella décrite ci-dessus ne semble pas s’être déroulée lors de Comitia calata. En effet, on sait que lors de tels comices, on ne procédait à aucun vote. En outre, Tite-Live précise que le vote fut effectué par tribus, il ne peut donc s’agir que de Comices tributes. On peut s’imaginer sans peine que c’est le litige apparu entre le Grand Pontife et le candidat qui a provoqué le recours à ces comices ;
- une fois inauguré, le nouveau Rex sacrorum devait respecter certaines obligations. Il devait effectuer diverses cérémonies religieuses à des dates précises et selon des formes minutieuses (ses missions sacrées seront décrites par après). On a déjà dit qu’il s’abstenait de toute autre activité, civile ou militaire. Il lui était aussi interdit de faire des discours devant le peuple même lorsqu’il procédait à un sacrifice au sein des comices1 ;
- le Rex sacrorum était le grand prêtre de Janus et parfois on l’assimilait aux Flamines, les prêtres attachés à un dieu particulier, comme s’il était le Flamine de Janus, le premier en dignité. Il semble que le Roi du sacré était soumis aux mêmes obligations et privilèges que les flamines2. Cependant, on ignore si le Roi du sacré était soumis à un ensemble de règles strictes et d’interdits comme l’était un autre prêtre important, le Flamen Dialis, le Flamine de Jupiter. Cette institution est en effet très connue pour l’ensemble des règles parfois ahurissantes que ce Flamine devait respecter, sans que quiconque puisse en connaître les véritables raisons si ce n’est parfois quelques conjectures3. Les deux prêtres semblent être soumis à une même obligation : celle d’être marié par la procédure de la confarreatio4. L’épouse du Roi des sacrifices, la Regina sacrorum avait une fonction religieuse comme la Flaminica Dialis, l’épouse du Flamine de Jupiter. Le sacerdoce de ce dernier était tellement lié à celui de son épouse qu’il était prévu que ses fonctions prenaient fin si son épouse venait à décéder. Cela n’était sans doute pas le cas pour le Rex sacrorum car il semble clair que celui-ci était nommé à vie et que cette nomination n’était pas révocable. Il est possible cependant que le Roi du sacré était tenu de se remarier s’il devenait veuf ;
- s’il était soumis à certaines obligations assez strictes, le notable tranquille qu’était le Rex

sacrorum jouissait de nombreuses prérogatives et avantages : il était nommé à vie sans qu’il soit possible de le destituer (contrairement à d’autres prêtres, comme le Flamen Dialis, qui pouvaient subir l’exauguratio), il jouissait de l’inviolabilité comme les tribuns du peuple et comme sa personne était sacrée, aucun romain un tant soit peu respectueux des règles du mos maiorum ne se serait risqué à commettre un meurtre ou même une simple violence contre ce dignitaire, sans réel pouvoir mais particulièrement respecté. Le Rex sacrorum recevait une résidence particulière, distincte du lieu où il tenait son office religieux. Enfin, le Roi des sacrifices occupait une place privilégiée dans l’ordre protocolaire religieux puisque l’on considérait qu’il en occupait la première place, avant le Flamen Dialis et le Pontifex Maximus. Cet ordre protocolaire n’avait pas de réelle implication dans la hiérarchie réelle de la religion romaine mais cela permettait notamment au Rex sacrorum d’occuper la meilleure place dans le triclinium5 lorsque les plus hauts dignitaires religieux étaient invités à un même banquet. Ainsi selon Festus :

« Le plus grand des prêtres est le Roi [du sacré], puis vient le Flamine de Jupiter, après lui, le Flamine de Mars, en quatrième lieu le Flamine de Quirinus, en cinquième lieu, le Souverain Pontife »6.

[...]


1 Roi du Sacré ou Roi des Choses Sacrées. L’appellation Rex sacrorum est la seule connue des inscriptions. Les autres dénominations proviennent de divers auteurs antiques

2 Roi des Sacrifices. Trois orthographes latines sont connues dans Tite-Live : voir notamment dans son fameux ouvrage « Ab Urbe Condita », (II,2), (IX,34), (XXVII,6), (XXVII,36) et (XL,42)

3 Préteurs : nom donné originellement aux Consuls

4 Grand Pontife ou Pontife suprême, chef du Collège des Pontifes

5 « l’usage des ancêtres », c’est-à-dire la coutume, le respect des traditions

6 on connaît cependant au moins une exception : Marcus Marcius, décédé en -210, était plébéien

1 Tite-Live, ab Urbe condita, II, 2

2 Denys d’Halicarnasse, Antiquités romaines, V, Ch. I, III.

3 Denys d’Halicarnasse, Antiquités romaines, IV, N°74 (version différente de la précédente)

1 Voir notamment dans Cicéron, Pro Domo sua, n°14 : « Chaque fois qu’un patricien souhaitera devenir plébéien, il le fera au moyen de cette sorte d’adoption et bientôt le peuple romain n’aura plus de roi des sacrifices… »

2 Selon Tite-Live (XXVII, 6, 16), Marcus Marcius, mort en -210, fut le premier rex sacrorum issu de la plèbe. Il est en fait possible qu’il soit la seule exception, explicable par le caractère illustre de sa famille, mais notre connaissance de la liste des rois des sacrifices est trop lacunaire

1 Cette condition est souvent rappelée dans de nombreuses sources, antiques comme modernes mais comme on l’a précisé plus haut, il a existé au moins une exception, le rex Marcus Marcius étant incontestablement issu de la plèbe. Ses descendants plébéiens, de la gens Marcia, prirent d’ailleurs le cognomen de Rex

2 Par exemple : Cneius Cornelius Dolabella, voir Tite-Live, XXVII, 36

3 Par exemple : Manius Papirius, le premier Rex sacrorum, voir Denys d’Halicarnasse, Antiquités romaines, V, Ch. I, III.

4 Cette exigence fut apparemment supprimée pendant l’Empire, vu le faible nombre de candidats à ce poste

5 Tite-Live, ab Urbe Condita, XL, 42

6 Tite-Live, ab Urbe Condita, II, 2 et XL, 42

7 Denys d’Halicarnasse, Antiquités romaines, V, Ch. I, III.

8 Tite-Live, ab Urbe Condita, XL, 42

9 Aulu-Gelle, Nuits attiques, XV, 27

1 Plutarque, Œuvres morales, Questions romaines, n°63

2 Dictionnaire des antiquités grecques et romaines Daremberg et Saglio, édition de 1877, article Flamen

3 Voir notamment Plutarque, Œuvres morales, Questions romaines, n°109 à 113

4 Mariage régi par des coutumes archaïques et ayant un caractère indissoluble. Ce type de mariage ayant quasiment disparu au début de l’Empire, l’exigence de la conforreatio fut supprimée

5 Salle à manger dans une domus. A l’origine signifiait un des trois lits à trois places que l’on disposait autour de la table

6 Festus, Ordo sacerdotum

Fin de l'extrait de 22 pages

Résumé des informations

Titre
Le Rex sacrorum: un vestige romain de la Royauté sous la République et l'Empire
Université
University of Brussel
Cours
Histoire - Protohistoire, Antiquité
Note
none
Auteur
Année
2009
Pages
22
N° de catalogue
V153006
ISBN (ebook)
9783640651733
ISBN (Livre)
9783640651917
Taille d'un fichier
588 KB
Langue
français
Mots clés
religion romaine, roi sacré, roi à Rome, roi des sacrifices
Citation du texte
Frédéric Coppin (Auteur), 2009, Le Rex sacrorum: un vestige romain de la Royauté sous la République et l'Empire, Munich, GRIN Verlag, https://www.grin.com/document/153006

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