Extrait
Inhaltsverzeichnis
Bibliographie
A. Introduction
B. Concepts de base
I. Siège d’une société
II. Présentation des théories de rattachement usuelles
C. La liberté d’établissement selon les articles 49 et 54 TFUE
I. Notion
II. L’aspect transfrontalier de la liberté d’établissement
III. Les sociétés pouvant bénéficier de la liberté d’établissement
IV. L’étendue de la liberté d’établissement
1. Les développements jurisprudentiels de la liberté d’établissement
2. Impact de la liberté d’établissement
V. Restrictions à la liberté d’établissement
D. Le transfert international du siège
I. Introduction
II. Les implications liées au transfert de siège
1. Incidence des différentes théories de rattachement
2. Répercussions du transfert de siège dans l’État d’origine et dans l’État d’accueil
III. Les développements jurisprudentiels de la Cour de justice en matière de transfert de siège et leurs analyses
1. Introduction
2. L’arrêt Daily Mail
3. L’arrêt Centros
4. L’arrêt Überseering
5. L’arrêt Inspire Art
6. L’arrêt Cartesio
IV. Possibilités et contraintes concernant la circulation des sociétés
1. De la validité du transfert du siège social
2. Réticence des États à la mobilité des sociétés
3. Le climat juridique communautaire du transfert de siège
V. Les tentatives de réglementation du transfert de siège
E. Les personnes morales communautaires
I. Le groupement européen d’intérêt économique
II. La société européenne
III. la société coopérative européenne
IV. La société privée européenne
F. La fusion transfrontalière
I. Notion
II. Jurisprudence sur les fusions transfrontalières
G. La situation de la Suisse
I. Le traitement des sociétés étrangères
II. Le transfert de siège
III. La conformité du droit suisse au droit européen
H. Conclusion
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A. Introduction
Le monde dans lequel nous vivons ne cesse d’être influencé par la globalisation des échanges économiques et juridiques. Dans ces circonstances, le droit international et européen des sociétés peut se décrire comme étant l’ensemble des règles applicables aux personnes morales ayant un but lucratif et ceci dans un contexte juridique se jouant des frontières. Les personnes morales ayant un but lucratif sont principalement des sociétés dont une définition relativement évasive se trouve à l’article 54 alinéa 2 de la version consolidée du traité sur le fonctionnement de l’union européenne (ci-après : TFUE)1. La notion dont fait appel cet article est primordiale puisqu’elle permet de déterminer les différents bénéficiaires de la liberté d’établissement.
Dans ce contexte, un des souhaits les plus chers pour les sociétés est de pouvoir déplacer leurs sièges dans un autre état sans pour autant craindre des conséquences négatives tant au niveau du droit qu’au niveau de la fiscalité.
Malheureusement, les obstacles juridiques et fiscaux s’opposant au transfert international du siège social sont de taille. Pourtant, ces obstacles ne devraient pas exister, en tous cas au niveau communautaire. En effet, « l’achèvement du marché intérieur et l’amélioration de la situation économique et sociale qu’il entraine dans l’ensemble de la Communauté impliquent, outre l’élimination des entraves aux échanges, une adaptation des structures de production à la dimension de la Communauté»2. Par conséquent, il est nécessaire que les entreprises puissent entreprendre à leur souhait une réorganisation au niveau communautaire, leurs activités n’étant souvent pas cantonnées au niveau local.
Le domaine de la mobilité des sociétés est sous l’influence à la fois du droit communautaire mais aussi des droits nationaux. Or, l’existence du principe fondamental de la liberté d’établissement dans la Communauté européenne énoncé par les articles 49 et 54 TFUE devrait impliquer que le droit communautaire règne seul sur le domaine en question. La liberté d’établissement et la mobilité des sociétés sont intimement liées car la liberté de s’établir ne peut s’exercer pleinement que si les entreprises ont la possibilité de se déplacer dans l’espace communautaire.
Dans ce travail, nous n’avons pas la prétention, qui serait d’ailleurs utopique, de vouloir couvrir la matière dans son ensemble. Au contraire, nous avons l’intention de mettre en lumière certains éléments, plus particulièrement les différents composants du transfert de siège de sociétés et les problèmes qu’ils peuvent soulever.
L’étude du transfert de siège des sociétés dans l’espace communautaire conduit à analyser dans un premier temps les concepts de base tels que les différentes théories de rattachement usuelles (Partie B.). Vient dans un second temps, l’analyse de la liberté d’établissement, de son étendue et de ses restrictions (Partie C.). Dans un troisième temps, le transfert international de siège de sociétés et ses implications, à la lumière des grands arrêts de la Cour de justice sera étudié (Partie D.). En réponses aux difficultés du transfert de siège de sociétés, nous traiterons, dans un quatrième temps, les différentes formes de sociétés européennes (Partie E.). Nous aborderons ensuite la thématique des fusions transfrontalières (Partie F.), avant de traiter plus particulièrement du cas de la Suisse concernant le déplacement de siège (Partie G.).
B. Concepts de base
Dans cette partie sur les concepts de base, nous aborderons certaines notions, telles que la notion de siège d’une société, ou encore les différentes théories de rattachement, de manière très sommaire, car nous traiterons de ces notions de manière beaucoup plus approfondie dans leurs parties respectives. Il s’agit ainsi d’une introduction sur ces notions qui pose les fondements du raisonnement qui va suivre.
I. Siège d’une société
Nous verrons la notion de siège de société plus en détail dans la suite du développement, ceci étant dit, il n’est peut-être pas inutile de faire quelques remarques à ce stade sur cette notion. En effet, la terminologie utilisée par les différents États membres n’est pas toujours claire et le vocabulaire utilisé peut parfois être différent d’un État à un autre.
Pour essayer de simplifier la terminologie, nous pouvons différencier deux sortes de siège, à savoir le siège réel (également appelé siège effectif) et le siège statutaire. Le siège réel peut être défini comme étant l’endroit où se situe l’administration principale ou l’établissement principal de la société, c’est-à-dire le lieu où se trouve le centre décisionnel de l’entreprise3. Le siège statutaire quant à lui est l’endroit que les statuts désignent comme étant le siège de la société4.
II. Présentation des théories de rattachement usuelles
Les États distinguent principalement deux grandes théories, à savoir la théorie de l’incorporation et la théorie du siège réel pour déterminer le droit national applicable à une société.
En ce qui concerne la théorie de l’incorporation, elle soumet la société au droit de l’État au sein duquel elle possède son siège statutaire. Autrement dit, la lex societatis dépend de la volonté des fondateurs. Le fondement de cette théorie est de pouvoir laisser la liberté de choix aux fondateurs, mais aussi de favoriser la mobilité des sociétés à l’extérieur des frontières de leur État de création. Les États membres qui appliquent cette théorie reconnaissent l’existence d’une société dont l’administration effective se trouve sur leur territoire alors que le siège statutaire de la société est situé dans un autre État membre5.
Pour ce qui est de la théorie du siège réel, la société est soumise au droit de l’État dans lequel elle possède son administration effective. L’administration effective peut se trouver à différents endroits tels que, par exemple, à l’endroit du conseil d’administration, ou encore au siège social de l’actionnaire majoritaire qui détient réellement les pouvoirs. Ainsi, c’est le lieu de l’administration de la société qui crée le siège effectif6.
C. La liberté d’établissement selon les articles 49 et 54 TFUE
I. Notion
La liberté d’établissement est une notion incontournable pour le droit des sociétés en Europe. Cette notion de base se caractérise par différents éléments ainsi que par certaines affaires jurisprudentielles ayant subi au cours du temps une évolution non négligeable. Nous traiterons dans la suite de ce développement de ces éléments et de la jurisprudence relative à ceux-ci. Nous articulerons notre développement sur la liberté d’établissement en relation étroite avec le transfert de siège de sociétés, tout en faisant référence à la jurisprudence de la Cour de justice.
La liberté d’établissement est une condition sine qua non du Marché intérieur qui est définit par « un espace sans frontières intérieures dans lequel la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux » (art. 26 TFUE). La liberté d’établissement a pour but d’établir des conditions adéquates pour le développement d’activités économiques à l’échelon communautaire.
La liberté d’établissement prend source dans l’article 49 TFUE. Les particuliers peuvent directement tirer des droits de cette disposition et les invoquer devant les juridictions nationales étant donné que cet article est pourvu de l’effet direct7. Le principe du traitement national est essentiel en matière de liberté d’établissement. Ce principe est garanti aux ressortissants d’Etats membres par l’article 49 TFUE et prévoit « l’accès aux activités non salariées et leur exercice, ainsi que la constitution et la gestion d’entreprises ». Par conséquent, les États membres se doivent d’appliquer les mêmes règles aux ressortissants des autre États membres que celles qu’ils appliquent à leurs propres ressortissants, tout en s’abstenant de toute mesure qui rendrait plus difficile ou moins attrayant l’exercice de la liberté d’établissement. En ce qui concerne notre sujet, la liberté d’établissement comprend notamment la constitution et la gestion de sociétés au sens de l’art. 54 TFUE, pourvu qu’il y ait une implantation matérielle dans un lieu spécifique. L’art. 49 alinéa 1 TFUE, quant à lui, interdit les restrictions à la liberté d’établissement entre autres en ce qui concerne les sociétés, pour la création d’agences, de succursales ou de filiales.
L’art. 54 TFUE permet aux sociétés constituées conformément à la législation d’un État membre et ayant leur siège statutaire, leur administration centrale ou leur principal établissement dans la Communauté, de se prévaloir des garanties prévues par l’art. 49 TFUE. A la différence des personnes physiques, pour les personnes morales c’est donc le siège qui permet, à la place de la nationalité, de déterminer le rattachement à l’ordre juridique d’un État.
Enfin, outre le mode d’établissement principal qui consiste pour une société à implanter son siège social, il y a aussi un mode secondaire qui permet à la société restant établie dans son État d’origine de créer des implantations stables, telles des agences, succursales ou des filiales, dans un autre Etat de l’Union européenne en délocalisant une partie de ses activités ou en mettant sur pied de nouvelles activités8.
II. L’aspect transfrontalier de la liberté d’établissement
L’art. 49 TFUE ne concerne que les cas dans lesquels des effets se déploient au-delà du territoire d’un État membre. L’objectif étant d’éviter les restrictions ou les discriminations lors de l’établissement de personnes physiques ou de sociétés d’autres États membres. Par conséquent les situations purement nationales sont exclues du champ d’application de l’art. 49 TFUE et elles doivent être réglées par le droit national de l’État en question.
Pour l’application des dispositions sur la liberté d’établissement, la Cour de justice se contente d’appliquer un critère relativement large et se satisfait donc d’un caractère transfrontalier indirect9.
III. Les sociétés pouvant bénéficier de la liberté d’établissement
Comme nous l’avons vu précédemment, la liberté d’établissement, ou plus précisément le droit d’établissement se trouvant à l’art. 49 TFUE, est accordé aux sociétés par assimilation aux personnes physiques. C’est ainsi à l’art. 54 TFUE que se trouvent définis les sociétés et les personnes morales qui peuvent bénéficier du droit d’établissement. Les personnes morales ne pouvant pas bénéficier du droit d’établissement sont celles qui ne poursuivent pas un but lucratif. Par conséquent, les associations se voient exclure du champ d’application du droit d’établissement conféré par le traité.
D’autre part pour pouvoir bénéficier du droit d’établissement, les sociétés doivent à la fois être constituées conformément au droit d’un État membre, mais aussi avoir leur siège statutaire, leur administration centrale ou leur principal établissement à l’intérieur de la Communauté. L’art. 54 TFUE traite de manière identique le siège statutaire, le principal établissement et l’administration centrale en tant que principe de rattachement. Autrement dit, il suffit par exemple d’avoir une société constituée conformément à la législation d’un État membre et ayant son siège statutaire dans ce même État pour remplir les critères du rattachement. La présence de l’administration centrale ou du principal établissement ne sont pas des conditions cumulatives mais alternatives car l’art. 54 TFUE les met sur le même pied d’égalité. Par conséquent, il suffit aux sociétés, pour bénéficier de la liberté d’établissement, qu’elles remplissent l’un ou l’autre des critères mentionnés ci-dessus.
IV. L’étendue de la liberté d’établissement
L’étendue du droit d’établissement des sociétés a été très largement définie par la Cour de justice et ceci dans le but de remédier au manquement de texte communautaire dans le domaine, pour accorder aux sociétés le libre choix de l’État membre de constitution, et ce indépendamment de l’État où est exercée tout activité sociale c’est-à-dire l’État du siège réel.
Ces dix dernières années, au travers entre autres des arrêts Centros, Überseering, Inspire Art, et Cartesio, la Cour de justice a établi que le siège statutaire prévalait sur le siège réel et que l’État membre d’accueil du siège réel ne pouvait se prévaloir de ce dernier en ce qui concerne une société valablement rattachée par son siège statutaire à un autre État membre pour lui refuser l’immatriculation d’une succursale, pour contester sa capacité juridique (entre autres sa capacité d’agir en justice) ou pour lui appliquer des dispositions de sa propre loi en matière de sociétés.
Dans un premier temps nous analyserons les développements de la jurisprudence de la Cour de justice concernant la liberté et dans un deuxième temps nous traiterons de l’impact qu’a eu cette jurisprudence.
1. Les développements jurisprudentiels de la liberté d’établissement
Il nous semble important avant de commencer l’analyse d’un arrêt de le replacer dans son contexte, raison pour laquelle nous commencerons l’analyse de chaque arrêt de la Cour de justice par quelques lignes permettant de nous remémorer l’état de fait.
La première grande affaire qui a marqué le droit européen en ce qui concerne la liberté d’établissement a été, en 1988, l’arrêt Daily Mail10. La société anonyme Daily Mail était immatriculée au Royaume-Uni et y possédait son siège statutaire et son siège de direction. Cependant, pour des raisons fiscales, la société a désiré transférer son siège de direction en Hollande, afin de devenir un sujet fiscal hollandais et ainsi éviter une importante taxation de la part des autorités anglaises concernant la cession de valeurs mobilières qu’elle avait l’intention de réaliser. Le montant total de la taxation s’élevait à environ 24 millions de livres sterlings. Mais les autorités fiscales anglaises refusèrent le déplacement de résidence en Hollande à moins que Daily Mail accepte de procéder à la majorité de la cession envisagée avant le transfert de siège, ce qu’elle refusa. Par conséquent, la Cour de justice de l'Union européenne fut saisie à titre préjudiciel par la High Court of Justice.
L’argumentation de la Cour de justice sépare le transfert de siège du droit d’établissement. Considérant, d’une part, les très grandes divergences entre les différentes législations nationales en ce qui concerne le rattachement à un État et à la possibilité de les modifier et, d’autre part, le manque de réglementation communautaire, la Cour de justice finit par déterminer que les problèmes causés par les disparités des différentes législations nationales en ce qui concerne d’un côté le lien de rattachement exigé pour une société, et d’un autre côté les modalités d’un transfert du siège d’une société d’un État membre à un autre, n’étaient pas des problèmes résolus en l’état actuel du droit. Par conséquent, la Cour de justice interprète dans cette affaire les articles 52 et 58 du Traité CE (actuels articles 49 et 54 TFUE) comme « ne conférant pas, en l’état actuel du droit communautaire, le droit à une société de transférer son siège de direction dans un autre État membre ». Cette première solution jurisprudentielle est à contre courant avec la liberté d’établissement.
L’affaire Centros11 a, quant à elle, changé la donne concernant le droit d’établissement des sociétés. Dans cette affaire, il s’agit de deux citoyens danois résidant au Danemark qui ont constitué en Angleterre une société à responsabilité limitée (private limited company), Centros Ltd, ayant son domicile en Angleterre. La société n’exerçait aucune activité en Angleterre et les associés voulaient établir une succursale au Danemark. Mais les autorités danoises ont refusé l’immatriculation de la succursale au Danemark, qui aurait été le siège réel de la société, car elles ont estimé que cette configuration, à savoir que la société ait été constituée en Angleterre puis qu’elle ait ensuite son siège réel transféré au Danemark, comme visant à échapper aux règles sur les sociétés à responsabilité limitée du Danemark.
La problématique posée par cette affaire était de savoir si le refus d’immatriculer une succursale d’une société ayant été légalement constituée dans un autre État membre était compatible avec les articles 52 et 58 du Traité CE (actuels articles 49 et 54 TFUE) alors que cette société n’exerçait aucune activité dans le pays où elle avait été constituée et que la constitution en Angleterre n’avait que pour but d’échapper aux règles nationales danoises des sociétés à responsabilité limitée, État dans lequel voulait être implanté la succursale. Selon la Cour de justice, les articles 52 et 58 du Traité CE (actuels articles 49 et 54 TFUE) ne permettent pas à un État de refuser l’immatriculation d’une succursale d’une société valablement constituée selon le droit d’un autre État membre12. Il s’agit ici d’une prise de décision majeure de la part de la Cour de justice. Dès lors, avec cet arrêt, il n’est plus censé être possible de refuser l’immatriculation d’une succursale d’une société valablement constituée selon le droit d’un autre État membre. Mais comme nous allons le voir, la situation n’est pas aussi claire que cela.
Dans l’arrêt Überseering13, la société Überseering, immatriculée à Amsterdam et Haarlem, assigna en justice une autre société en Allemagne. À ce moment, l’autre société invoqua le fait que la société Überseering, ayant cédé toutes ses parts à des citoyens allemands résidants en Allemagne, était désormais dirigée depuis l’Allemagne et que son siège réel avait été transféré sans pour autant que son immatriculation ait été modifiée. Par conséquent, la société Überseering ne répondait plus aux critères allemands pour ester en justice dans ce pays. La Cour de justice eut donc à répondre à cette problématique, à savoir : est-ce que le système de rattachement des sociétés par le siège réel au droit communautaire d’établissement est conforme ? Dans cette affaire, la Cour de justice débute son raisonnement par répondre que les articles 49 et 54 TFUE s’opposent à ce qu’un État n’accepte pas la capacité d’ester en justice d’une société ayant été constituée conformément dans un autre État membre au seul motif que cette société aurait transféré son siège effectif. Cet arrêt plaide en faveur du rattachement du problème du cas d’espèce à la liberté d’établissement, dans la mesure où cette liberté ne peut pas exister si un État membre refuse toute capacité juridique à une société valablement constituée dans un autre État membre14. Et puis, dans un deuxième temps, la Cour de justice juge que l’État membre sur le territoire duquel la société exerce sa liberté d’établissement, doit respecter la capacité d’ester en justice que lui accorde le droit de l’État membre dans lequel elle a été constituée. Cet arrêt apporte une nouvelle pierre à l’édifice en construction qu’est la liberté d’établissement. Les questions traitées par la Cours de justice ne sont pas identiques à celles des arrêts précédents, ce qui permet donc d’avoir de nouveaux éléments nous permettant de mieux définir les contours de la liberté d’établissement.
Une année plus tard, en 2003, la Cour de justice a de nouveau eu à s’exprimer sur une affaire portant sur la liberté d’établissement. Il s’agit cette fois de l’affaire Inspire Art15. Cet arrêt vient constituer le troisième élément d’une série qui forme une solution cohérente avec le droit communautaire, mais qui restreint la marge de manœuvre laissée à l’État membre du siège réel.
Dans cette affaire, la Cour de justice a écarté les dernières possibilités d’utiliser le critère du siège réel dans l’État d’accueil à l’encontre d’une société constituée dans un autre État membre. Il s’agissait en l’espèce d’un résident hollandais qui avait constitué au Royaume-Uni une société à responsabilité limitée (private company limites by shares) dans le domaine de la vente d’objets d’art. Ultérieurement, il avait établi une succursale à Amsterdam lieu où s’exerçait la totalité de l’activité de la société. Mais au moment de l’immatriculation de la succursale, elle ne comprenait pas, selon la loi hollandaise, l’appellation « société étrangère de pure forme ». Par conséquent, il s’en est suivi un litige au cours duquel la Cour de justice a été saisie à titre préjudiciel. Il s’agissait pour la Cour de justice de savoir si les dispositions de la loi néerlandaise constituaient ou non une entrave à la liberté d’établissement consacrée par les articles 49 et 54 TFUE.
Dans sa décision, la Cour de justice différencia, d’une part, les dispositions de la loi hollandaise qui entraient dans le champ d’application de la 11ème directive 89/666/CE du Conseil du 21 décembre 1989 et, d’autre part, les dispositions de la loi hollandaise qui n’entraient pas dans le domaine d’application de la directive mentionnée ci-dessus. Pour ce qui est des dispositions qui entraient dans le champ d’application de la 11ème directive l’analyse de conformité n’était pas très compliquée. En revanche, pour les dispositions de la loi hollandaise qui n’entraient pas dans le champ d’application de la 11ème directive, il s’agissait de vérifier leur comptabilité avec les articles 49 et 54 TFUE. C’est à ce sujet que la Cour de justice déclare que l’application de règles impératives de droit d’un État membre à une société constituée dans un autre État membre représente une entrave à la liberté d’établissement qui n’est pas justifiée selon le droit communautaire.
Enfin, la Cour de justice termine son raisonnement d’une part par affirmer que seule la loi de l’État membre de constitution est applicable à la société, « sauf à établir au cas par cas l’existence d’abus» et d’autre part en mentionnant que les exigences du droit communautaire n’ont pas été respectées. En conséquence, la Cour de justice continue de remettre en cause la possibilité même d’application de la loi du siège réel à tel point qu’on peut se demander s’il reste encore de la place pour des exceptions. On aurait pu penser qu’aucune entrave à la mobilité intracommunautaire ne trouvait place en l’espèce, lorsque l’État d’accueil exige qu’une société que l’on pourrait nommer d’artificiellement étrangère, se conforme à certaines règles auxquelles sont soumises les sociétés constituées selon le droit local. Premièrement, la société n’est étrangère que par son incorporation dans un autre État membre, mais dans le fond on pourrait se demander si cette société n’est pas purement interne. Partant, la sollicitation du droit communautaire concernant la liberté d’établissement ne devrait pas avoir lieu, à savoir parce qu’il n’y a pas de réelle mobilité au sein de la communauté européenne, ou encore parce que l’invocation du droit communautaire serait abusive ou frauduleuse. Deuxièmement, en admettant que la situation en question relève bien de la protection de la liberté d’établissement au niveau communautaire, on pourrait quand même se poser des questions quant à la question de savoir s’il y a une réelle entrave alors que l’État d’accueil ne refuse pas de reconnaître la personnalité juridique d’une société constituée conformément selon le droit d’un autre État membre et ne refuse pas non plus que la société dont il est question puisse créer une succursale sur son sol. Enfin, s’il y avait réellement une entrave, est-ce qu’elle ne serait pas justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général ?
La réponse de la Cour de justice à ces trois questions est négative. Premièrement, la société constituée en vertu du droit d’un État membre et qui prétend exercer ses activités dans un autre État jouit de la protection du droit communautaire, quand bien même elle n’a pas de lien réel avec le premier État et qu’elle serait donc exclusivement intégrée dans l’État d’accueil. Deuxièmement, la liberté d’établissement de cette société s’oppose à la loi police de l’État d’accueil qui l’empêcherait de jouir pleinement de ce que lui offre son État d’incorporation, alors même que l’État d’accueil lui permettrait la création d’un établissement secondaire et qu’il ne le priverait pas de sa personnalité juridique. Troisièmement, concernant les raisons impérieuses d’intérêt général, comme par exemple la protection des créanciers, la Cour de justice juge que d’imposer le respect de certaines règles à cette société, comme par exemple celles portant sur la responsabilité des administrateurs, n’est ni proportionnée, ni réellement non discriminatoire.
[...]
1 Idot, p.33.
2 Considérant n°1 du règlement (CE) n°2157/2001 du conseil, du 8 octobre 2001, relatif au statut de la SE.
3 Rohde, p. 16.
4 Pour plus d’informations sur cette notion, voir : Trost, p. 16ss.
5 Trüten 2005, p. 78.
6 Trüten 2005, p. 94.
7 CJCE, arrêt Reyners du 21 juin 1974, aff. 2/74, Rec. 1974, p. 631.
8 Rohde, p. 154. Pour plus d’informations concernant les modes d’implantations secondaires à l’étranger, voir : Menjucq 2008, p. 443ss.
9 CJCE, arrêt Halliburton du 12 avril 1994, aff. C-1/93, Rec. 1994, p. I-1137.
10 CJCE, arrêt Daily Mail du 27 septembre 1988, Affaire 81/87, Rec. 1988, page 05483.
11 CJCE, arrêt Centros du 9 mars 1999, aff. C-212/97, Rec. 1999, p. I-1459.
12 Dinkhoff, p. 95.
13 CJCE, arrêt Überseering du 5 novembre 2002, aff. C-208/00, Rec. 2002, p. I-09919.
14 Menjucq, L’articulation du droit d’établissement communautaire et des droits nationaux relatifs au rattachement juridique des sociétés, La Semaine juridique – édition générale 2003 II 10 032 p. 363.
15 CJCE, arrêt Inspire Art du 30 septembre 2003, aff. C-167/01, Rec. 2003, p. I-10155.