Les prisonniers de guerre français en Allemagne pendant la Première Guerre mondiale

Expérience d'une humiliation ou début d'une réconciliation ?


Master's Thesis, 2007

138 Pages, Grade: 17/20


Excerpt


Table des matières

INTRODUCTION ET ETAT DE LA RECHERCHE

I) LE PRISONNIER FACE A LA CAPTIVITE ET FACE A L'ALLEMAND
1) Le début de la captivité
a) La capture
b) La confrontation : la découverte de l'inconnu
c) Une captivité qui dure
2) La vie de prisonnier
a) L'organisation dans le camp
b) Hygiène, courrier et alimentation : la survie
3) Le prisonnier et la population
a) Découverte de la population
b) La propagande
c) Les évasions

II) L'EXPRESSION DES EXPERIENCES
1) Le prisonnier et sa plume
a) Journaux intimes et mémoires
b) La relation à l'écriture
c) La motivation de l'écriture
2) Le jugement sur l'Allemand
a) Le prisonnier en tant qu'observateur privilégié
b) Le prisonnier et la culture : entre civilisation et barbarie
c) L’analyse psychologique
d) Le prisonnier comme penseur autonome ?
3) La fin de la captivité
a) Déroulement de la libération
b) La libération : fin de la captivité ?

III) LE PRISONNIER APRES LA GUERRE
1) Accueil des écrits et introduction du débat
a) La littérature de guerre
b) Le prisonnier en tant qu‘écrivain
c) La perception de l’expérience de la captivité
2) Le chemin vers l‘humiliation
a) L’ancien combattant dans la société d’après-guerre
b) Le prisonnier : combattant pour la reconnaissance
c) Le prisonnier et la politique
d) Court aperçu historiographique
3) Le prisonnier comme vecteur de réconciliation
a) L’idée européenne : Riou et Rivière
b) Le rapprochement : D'Harcourt et De Gaulle

CONCLUSION

BIBLIOGRAPHIE

REMERCIEMENTS

Introduction et état de la recherche

Après quatre ans d’une guerre qui a profondément bouleversé l’Europe, chaque pays est amené à faire le bilan. Avec 1,4 millions de victimes, la France compte proportionnellement le bilan humain le plus lourd. Un peu partout l’on se met à ériger des monuments aux morts et des stèles. Le Poilu devient le symbole de la victoire, le défenseur des valeurs, le héros de la nation. La guerre a détruit tellement de choses que tout est à reconstruire. On parle de Der des Der, on rêve d’un monde de paix. Pourtant, le deuil est omniprésent. Les différentes médailles comme la Croix de Guerre ou la Légion d’Honneur viennent témoigner aux soldats de la reconnaissance de la patrie mais contribuent à jeter un voile doré sur les atrocités du conflit. En trônant sur les monuments, le Poilu allait rester pour longtemps la seule représentation d’une guerre engloutissant par là même une catégorie bien précise de soldats. Ces soldats oubliés à qui l’on n’a pas donné le nom de Poilus, ce sont les prisonniers de guerre.

Faire des prisonniers pendant un conflit permet d’exercer une pression sur l’ennemi, une pression tactique et morale. Le prisonnier fait donc partie à part entière de la guerre comme les autres combattants du front. Les Conférences de la Haye de 1907 avaient fixé les droits et les devoirs des prisonniers et confortaient ainsi leur statut officiel. Malgré cela, ils allaient représenter le contraire de la victoire, ce qui après quatre ans d’une telle guerre était inadmissible aux yeux de l’opinion publique. Le destin des prisonniers de guerre français en Allemagne s’est confronté à l’indifférence et même au mépris. Avec un groupe estimé 480.000 à 520.0001, les Français forment après les Russes le groupe de prisonniers le plus important. Du fait que de nombreux prisonniers soient restés captifs du début à la fin de la guerre, ils ne seront pas ici considérés comme des proies passives mais comme étant au centre d’un système dont ils ont pleinement conscience. La destinée de ces prisonniers est d’autant plus intéressante qu’elle est liée à des conditions de vies morales et physiques difficiles. Contrairement à des livres de poilus comme Le Feu d’Henri Barbusse, les écrits des prisonniers de guerre sont peu connus, leur mémoire s’est peu à peu perdue. D’un côté, on trouve un prisonnier qui écrit le 9 mars 1915 : « C'est donc bien au pays du diable que nous sommes! »2 et une fois libéré, un autre prisonnier qui déclare qu’il n’oubliera jamais la cruauté des barbares allemands3. D’un autre côté, on trouve des témoignages nuancés et même des projets de collaboration avec l’Allemagne comme en ont développés par exemple Gaston Riou ou Jacques Rivière. Cela nous amène à la problématique de notre travail. La captivité des prisonniers de guerre français en Allemagne pendant la Première Guerre mondiale a-t-elle été l’expérience d’une humiliation ou le début d’une réconciliation ? On pourrait également se demander comment s’est construite et développée l’image de l’Allemand au cours de cette période. A travers les récits des prisonniers, la captivité se révèle être un aspect de la guerre où les échanges entre les membres de deux nations ennemies sont très importants.

Ces écrits seront au cœur de ce travail, il s’agira aussi bien de journaux que de mémoires. Ils nous permettront de voir comment le prisonnier voit et pense sa situation. A travers ces écrits, nous disposons d’une large palette - que nous voulons représentative - qui s’étend du simple journal non publié jusqu’au livre primé par le Prix Goncourt. Présentons ces livres rapidement pour en montrer la gradation. Les deux journaux non publiés sont ceux de Louis César Duhaut et de Ernest Etienne,4 qui ont été faits respectivement prisonniers en 1914 et 1915 et dont les journaux ont été transcrits par des proches. On peut y rattacher le journal de Charles Gueugnier publié en 1998 par Nicole Dabernat-Poitevin, tout comme les lettres de Charles de Gaulle.5 Ces documents bruts rendent possible l’analyse de la captivité dans son caractère immédiat contrairement aux mémoires. La gradation évoquée commence avec le livre de Charles Hennebois » Aux mains de l'Allemagne »6. Avec sa forme de journal de captivité, ce livre porte les traces d’une réécriture induite par la publication. Cette réécriture est encore plus visible chez Riou et son « Journal d'un simple soldat »7. Bien que Riou lui donne le nom de journal et qu’il utilise un système de dates, cet ouvrage doit cependant être considéré comme un livre de mémoires. Le reste de notre corpus se compose d’ouvrages qui n’ont plus rien à voir avec le journal de captivité : « Le Purgatoire »8 de Thierry Sandre, « Souvenirs de captivité et d'évasions 1915-1918 »9 de Robert d'Harcourt, « Captivité »10 de Roger Pelletier et l’œuvre de Jacques Rivière « L'Allemand »,11 que nous considèrerons comme l’étude la plus approfondie du corpus. Si notre corpus reflète la multiplicité des formes d’écriture employées, il reflète également les différences induites par la période dans laquelle s’insèrent les ouvrages qui le composent : de 1916 à 1933. Les différences ne s’arrêtent pas là. De par leurs métiers, les auteurs représentent une autre diversité. On rencontre en effet un employé, un professeur d’université, un militaire de carrière ou encore un écrivain politique. Ces différences sont capitales si l’on veut saisir la diversité des expériences de captivité.

Pour répondre à notre problématique - « La captivité des prisonniers de guerre français en Allemagne pendant la Première Guerre mondiale a-t-elle été l’expérience d’une humiliation ou le début d’une réconciliation ? » - nous devons prendre en compte plusieurs aspects de la captivité. Le premier aspect que nous développerons dans la première partie est un des plus importants : les conditions de vie. L’analyse de la situation matérielle est capitale pour tirer les premières conclusions. Il ne s’agira pas seulement d’analyser par exemple le logement des prisonniers mais plus généralement l’ensemble de leur quotidien, de leur capture jusqu’à l’expérience d’une captivité durable, à travers plusieurs thèmes comme le travail, l’hygiène, le courrier ou les tentatives d’évasion. La relation à l’Allemand étant la condition sine qua non pour savoir quel effet la captivité en elle-même a exercé sur les prisonniers, nous étudierons également dans cette première partie les relations qui se sont dessiné avec les Allemands et cela à plusieurs.

Comme annoncé, les écrits des prisonniers constitueront le cœur de ce travail. Ils ne seront pas seulement des sources d’exemples mais seront considérés comme l’expression la plus profonde de ce qu’a été la captivité. Celle-ci ne peut être comprise qu‘à travers les écrits de ceux qui l’ont vécue. Après avoir expliqué les différences et les points communs entre les différentes formes littéraires et l’intérêt qu’elles présentent, nous nous demanderons quelle relation le prisonnier entretient avec ses écrits et comment il les justifie. Nous avons déjà évoqué la confrontation avec l’Allemand, nous en parlerons plus précisément dans cette partie. L’analyse des écrits vont en effet nous permettre de mettre au jour une approche particulière par laquelle le prisonnier se révèle être un observateur à part entière. De ses réflexions et de ses observations naît une représentation à travers laquelle apparaissent les interactions des deux pays sur les prisonniers. Le prisonnier met non seulement en lumière les problèmes auxquels il est confronté dans le pays qui le retient prisonnier mais il fait la même chose pour son propre pays. Nous évoquerons aussi dans cette partie la libération et l’organisation du rapatriement des prisonniers, véritable tournant dans la pensée de la captivité comme nous pourrons le voir à travers les réactions qu’elles ont engendrées.

Cette étude ne saurait être complète sans analyser la vie des prisonniers dans l’après-guerre. Ce sera le thème de la troisième partie. Les écrits sur lesquels se basent notre recherche ont été publiés pour la plupart après la libération de leurs rédacteurs et leur réception doit faire l'objet d'une attention particulière dans le cadre de notre problématique. Il serait également intéressant de voir où se sont situés les prisonniers dans la constellation politique de l'après-guerre. D'autres aspects comme le statut des prisonniers ou la question de leur reconnaissance s'ajouteront à notre questionnement, tout comme la relation qu'établissent humiliation et réconciliation dans l'esprit du prisonnier.

Le thème sur lequel nous avons décidé de travailler a été peu traité par l'historiographie. La multiplicité des prisonniers, la multiplicité de leurs expériences et donc la multiplicité de leurs observations auraient dû faire du prisonnier une figure importante de l'historiographie de la Première Guerre mondiale. Pour pouvoir situer notre travail, il serait intéressant de faire le point sur la recherche à ce sujet. Le premier à s'être confronté à la question de la captivité est Georges Cahen-Salvador,12 alors délégué français à la Société des Nations. Nous reparlerons de son livre publié en 1929. Après Cahen-Salvador le thème tombe dans l'oubli et il faut attendre 1998 pour qu'Annette Becker publie une étude détaillée sur les oubliés de la guerre.13 Cet ouvrage est un nouveau pas dans la recherche. Annette Becker y analyse les défis de la captivité, ses conséquences et ne se contente pas des prisonniers militaires mais aborde également le sujet des prisonniers civils. Le rôle des sociétés humanitaires comme la Croix Rouge est également souligné. Trois ans plus tard, Odon Abbal publie à son tour le résultat de ses recherches14 en ne restreignant pas son champ aux conditions de vie pendant la captivité mais en l'étendant à l'après-guerre en prenant l'exemple des prisonniers de guerre originaires de l'Hérault. Ces deux ouvrages peuvent aujourd'hui être considérés comme les bases de la recherche historique sur la captivité des Français en Allemagne lors de la Première Guerre mondiale. En Allemagne, la recherche a fait un bond en 2006 lorsque le Dr Uta Hinz publie l'une des études les plus détaillées sur la captivité en Allemagne.15 Cet ouvrage ne se focalise pas uniquement sur les prisonniers français mais sur toutes les nationalités, ce qui donne une vue d'ensemble très intéressante. Aucun des aspects majeurs de la captivité n'est oublié, ce qui rend cet ouvrage incontournable. D'autres historiens comme Stéphane Audoin-Rouzeau participent pleinement au développement de la recherche sur la Première Guerre mondiale en général et sur la captivité en particulier.

Ce travail va essayer de se rapprocher des témoins en analysant leurs écrits. La captivité ne va pas être analysée à travers une optique neutre mais à travers ce que leurs acteurs en ont écrit, avec toutes les disparités et les préjugés que cela peut comporter. Il est nécessaire de s'intéresser aux écrits des prisonniers pour les remettre à la place qu'ils méritent non seulement dans la recherche historique sur la Première Guerre mondiale mais également dans celle des relations entre la France et l'Allemagne. Du fait de la parenthèse qu'a représenté la captivité, certains aspects de la guerre ont été voilés. Cette étude va essayer de lever certains de ces voiles. De par sa situation, le prisonnier est capable de donner des informations sur l'Allemagne et son pays et tout commence avec les opérations militaires. 1914, la guerre de mouvement commence, le risque d'être fait prisonnier est très grand.

I) Le prisonnier face à la captivité et face à l'Allemand

La captivité est fondamentalement liée à la privation de liberté et à la suprématie d'un ennemi. Ancrée, même inconsciemment, dans les représentations que l'on peut avoir de la guerre, elle fait partie de la vie de tout soldat qui peut être fait prisonnier à tout moment. La captivité ne saurait donc être réduite à une simple clôture de barbelés derrière laquelle sont données des punitions et où l'on attend passivement la libération. Cette première partie va nous permettre de mesurer les conséquences physiques mais également morales que la captivité a pu exercer sur les prisonniers. Nous mettrons également en parallèle la captivité en elle-même avec la perception que les prisonniers peuvent avoir de l'Allemand.

1) Le début de la captivité

a) La capture

La captivité est un phénomène profondément ancré dans l'histoire européenne. Depuis le début du XIXe siècle, les différents gouvernements ont essayé de lui donner un cadre juridique lors des conférences de la Haye de 1889 et de 1907. Une partie des accords passés concerne une certaine catégorie de participants à la guerre : les prisonniers dont les droits et les devoirs sont réglementés à travers dix-sept articles. Le logement, la nourriture, le travail ou même l'exercice de la religion sont autant de thèmes qui se retrouvent codifiés. On essaie d'officialiser la captivité. Nous ne pouvons en donner ici qu'un très bref aperçu, nous reparlerons des différents points au cours de ce travail. Nous pourrions nous demander dans quel esprit ces conventions sont rédigées. A première vue, il s'en dégage un esprit humaniste certain. L'article 4 qui sert de préambule contient la formule suivante :» Ils doivent être traités avec humanité. »16 qui résumé un esprit qui semble atteindre son apogée dans l'article 10 où il est précisé qu'un prisonnier peut être libéré contre sa parole d'honneur : « Les prisonniers de guerre peuvent être mis en liberté sur parole, si les lois de leur pays les y autorisent, et, en pareil cas, ils sont obligés, sous la garantie de leur honneur personnel, de remplir scrupuleusement, tant vis-à-vis de leur propre Gouvernement que vis-à-vis de celui qui les a faits prisonniers, les engagements qu'ils auraient contractés. »17. Les deux articles suivants sont rédigés dans le même esprit. Il se dessine une image de la guerre qui certes correspond aux guerres précédentes mais qui sera complètement incompatible avec l'ampleur de la Première Guerre mondiale. En octobre 1918, le nombre des prisonniers retenus en Allemagne s'élève à 2.415.043,18 ce qui rend impossible l'application d'une telle convention dans ses moindres détails. Néanmoins, ce texte est l'une des premières tentatives de reconnaître les prisonniers de manière officielle. Ils font désormais partie intégrante de la guerre. Ajoutons également que la convention ouvre une liberté d'action aux sociétés humanitaires comme par exemple la Croix Rouge, ce qui sera capital au cours de la captivité comme nous pourrons le voir. La convention entre en application en France et en Allemagne le 26 janvier 1910.

Cette brève esquisse du cadre juridique régissant la captivité nous permet de nous demander à présent comment la captivité se déroule. Il y a trois façons d'être fait prisonnier. La plus courante est d'être dépassé militairement par l'ennemi et de se rendre à lui. L'étude de notre corpus laisse apparaître cette hiérarchie. Roger Pelletier par exemple est fait prisonnier dans sa tranchée : « Pendant cinq minutes, nous tirons dans le tas. Mais il en vient de partout: de côté, derrière, on ne sait d'où [...] C'en est fait, nous sommes prisonniers. »19 La deuxième manière d'être fait prisonnier est d'être blessé et transporté derrière les lignes allemands pour se faire soigner. Notre corpus qui se veut représentatif en contient trois exemples. Il s'agit la plupart du temps de blessés graves comme Charles Hennebois, Robert d'Harcourt ou Charles de Gaulle qui sont admis dans des hôpitaux. La troisième et dernière façon de devenir prisonnier semble plus rare : capituler de son propre chef. Annette Becker souligne elle-même la faible proportion de prisonniers entrant dans ce critère.20 Notre corpus en contient un exemple, celui d'Ernest Etienne que l'on peut lire dans son journal non publié. Zouave à la troisième compagnie, Etienne combat sur le front à Charleroi. Après l'explosion d'un obus, il tombe inconscient et se retrouve séparé de son bataillon. Cette situation délicate le pousse à se cacher dans la forêt : « La situation était très critique, et à moins de se faire tuer inutilement, il fallait encore attendre dans le bois plus de calme ».21 Hébergé avec d'autres soldats dans une famille de la ferme toute proche, il décide de se rendre pour éviter de mettre en danger ses protecteurs : « Vu ce décret et sur les conseils de braves gens qui nous avaient fait tant de bien, ont décidé de se rendre tous ensemble. »22 On peut facilement s'imaginer pourquoi le nombre de prisonniers de cette dernière est le plus faible. La violence de la guerre a engendré des comportements imprévisibles mais inacceptables aux yeux d'autres combattants ou de l'opinion publique. Être accusé de désertion peut avoir des conséquences militaires et morales fatales.23

Les manières d'être fait prisonnier peuvent être très différentes, il serait donc intéressant de voir comment les prisonniers ont réagi à leur changement d'état, à leur passage de soldat à prisonnier. Les participants à la guerre sont pour la plupart très jeunes et très peu coutumiers de l'art de la guerre. Ils viennent de la campagne, de la ville et leur service militaire est le seul contact qu'ils ont pu avoir avec l'armée. Lorsque la mobilisation contre l'Allemagne est proclamée le 1er août 1914, tous sont convaincus d'une guerre qui sera courte. Cet esprit patriotique considérant la guerre comme un acte de chevalerie a déçu beaucoup de prisonniers : « Décidément, la guerre que nous faisons ne ressemble en rien aux chevaleresques récits de notre jeunesse. »24 Le fait que la plupart d'entre eux n'ont pas encore vécu de guerre - on pourrait penser à la guerre franco- prussienne de 1870 à laquelle leurs parents avaient pu participer - suppose que les soldats n'ont qu'une expérience indirecte de la guerre. Chez Charles Hennebois, on peut trouver des traces de curiosité : « Il me tarde un peu d'apercevoir les ‹‹Boches››. »25 Être fait prisonnier signifie l'arrêt de la possibilité de défendre son pays contre un ennemi dont on ne sait pour ainsi dire rien. Les écrits des prisonniers reflètent la tristesse et l'amertume. Le 12 mai 1916, le Charles de Gaulle alors colonel écrit : « Mais tu juges de ma tristesse de finir ainsi la campagne. »26 Avec des déclarations comme : « C'en est fait ! Nous sommes prisonniers »27 ou « Me voici donc prisonnier »28, on voit que la captivité n'a pas été envisagée comme une possibilité, seulement comme une sorte de mythe. Si les prisonniers perçoivent la captivité comme la fin de leurs rêves de victoires, elle signifie toutefois la découverte de l'Allemand qui n'est plus l'Allemand du livre d'histoire mais l'Allemand que l'on a en face de soi.

Il serait intéressant de voir comment les prisonniers se sont sentis par rapport à la population française et à leur pays. La captivité met le prisonnier non seulement face à son ennemi mais également face à ses compatriotes puisque le front s'étend dans son propre pays. Interrogeons-nous sur les sentiments qui sont alors nés. Capturés, les prisonniers sont regroupés pour être amenés sur le lieu de détention. Avant de prendre le train, ils doivent accomplir la plus grande partie du trajet à pied pendant une marche longue en moyenne de quinze kilomètres.29 Si son but final est la captivité fermée, la marche signifie aussi que le prisonnier va avoir à traverser de nombreuses localités. Le vainqueur fait marcher ses prisonniers pour les humilier et décourager la population:

« A Dieuze, l'on nous fit faire le tour de la ville. Ce n'était pas nécessaire pour atteindre la gare; et notre prise ne nous semblait point un motif de triomphe. L'on tint quand même à nous exhiber à la population qui ne souffla mot »30

On trouve ce sentiment de honte dans presque tous nos témoignages. Ce sentiment est d'autant plus difficile à supporter que les prisonniers doivent traverser les territoires occupés du nord de la France où les habitants connaissent des conditions de vie très dures.31 Lorsque Roger Pelletier marche à travers Lille, il redoute le ressentiment que la population pourrait ressentir : « Et j'ai l'impression pénible que ses habitants doivent nous tenir responsables de leur captivité. »32 Malgré tout, nous pouvons constater que la population leur réserve un bon accueil. Il est question de consolation,33 d'aide et de sympathie.34 Ce que le prisonnier ressent de ces témoignages, Robert d'Harcourt l'exprime comme « émotion douloureuse »35. La captivité engendre une double honte : Le prisonnier se sent honteux comme Français puis comme soldat. De plus, il s'avère que l'opinion publique change d'avis sur la captivité au cours de la guerre. En 1916, la guerre continue de faire rage, à Verdun notamment, alors que l'on avait promis une guerre courte. Thierry Sandre, officier dans un régiment de chasseurs, est fait prisonnier le 9 mars 1916 près de Douaumont. La date de sa capture nous fait dire qu'avant d'être fait prisonnier il a pu constater la position de l'opinion publique. Il écrit en effet : « En Allemagne, nous sommes un objet de haine; et en France un objet de mépris ».36 L'Allemand vole au prisonnier, comme nous l'avons dit, la possibilité de défendre et de libérer son pays - l'image du soldat qui se sacrifie pour sa patrie est omniprésente dans les esprits : « Que faire ? Des phrases de manuel d'histoire s'imposent à ma mémoire: ‹‹Défendre chèrement sa vie.›› »37 - mais il lui vole aussi la gloire qu'il aurait pu acquérir au combat. Peu à peu, il est dévalorisé aux yeux de l'opinion publique, il se sent rabaissé. C'est pourquoi nous pourrions à présent nous demander qui le prisonnier tient-il responsable de sa captivité.

La question de la responsabilité est intéressante car elle amène un constat que nous n'aurions sans doute pas attendu. Le choc de la captivité aurait pu en effet laisser supposer que le prisonnier reporte l'entière faute de sa nouvelle condition sur l'ennemi. Pourtant, l'examen de notre corpus montre le contraire. Prenons par exemple le témoignage de Roger Pelletier qui est intéressant car il énumère les causes possibles qui l'ont conduit à la captivité. Il se demande tout d'abord : « Est-ce nous, soldats français, qui avons été vaincus par les soldats allemands? »38 Derrière cette question, on trouve une réflexion plus profonde qui peut être surprenante dans la bouche d'un soldat. Pelletier se demande en effet si la défaite ne viendrait pas de plus haut : « Ou bien la cause de la défaite est-elle au-dessus de nous, due à une préparation que nous voyons insuffisante? »39 S'en suit une critique de l'armée française. Rappelons que les soldats français sont habillés jusqu'en 1915 avec des pantalons garance, les casquettes et des bandes molletières. Non seulement les couleurs criardes font de lui une cible facile mais cet habillement est de plus très incommode. Ceux d'en face qu'ils appellent les « Feldgrau » se distinguent par leur uniforme qu'ils envient : « Quelle armée admirablement outillée par comparaison avec nos ridicules pantalons rouges! »40. Les soldats français sont habillés comme les soldats de la guerre de 1870. Pelletier continue sa critique en remettant en cause l'État-Major : « La faute en est-elle encore à notre état-major qui attendait l'attaque par l'Est, cependant que l'Allemagne l'avait organisée depuis longtemps par le Nord [...] »41 Même les ordres sont discutés, Pelletier souligne la consigne donnée que chaque régiment doit faire le sacrifice d'une compagnie.42 L'armée ne serait alors pas seulement mal entraînée mais surtout mal commandée. Le prisonnier ne se considère pas comme personnellement responsable de ce qu'il lui arrive. Il a défendu de son mieux son paix. Si nous avons parlé tout à l'heure de l'impossibilité pour le prisonnier de défendre son pays, nous pouvons ajouter que l'Allemand empêche le soldat de mourir en héros : « Au même instant, il était tué raide par la riposte allemande, d'une balle dans la tête, laissant l'exemple de la plus magnifique fin que puisse avoir un soldat. »43 La politique n'est pas épargnée par Pelletier qui en fait aussi la cible de sa critique. Nous en reparlerons plus tard. En tout cas, il est clair que le prisonnier est très troublé de ce qui lui arrive et essaie de chercher une réponse à sa situation. L'Allemand ne porte pas expressément la responsabilité de la captivité. L'Allemand est tout d'abord celui dont on fait enfin la connaissance. Dès lors, tout un système de pensée va être mis en marche Demandons-nous à présent comment l'image de l'Allemand se construit parmi les prisonniers.

b) La confrontation : la découverte de l'inconnu

Comme nous l'avons dit, la multitude des prisonniers signifie la multitude des expériences. La même chose est vraie pour l'image que le soldat français a de l'Allemand. Une image ne peut se construire que de deux façons : de manière directe ou indirecte. On retrouve cette partition dans les témoignages de notre corpus. La plupart des soldats français ne connaissent l'Allemand qu'indirectement. La seule image qu'ils ont de lui remonte à la dernière guerre qui avait fait près de 140000 morts et conduit à la chute de Napoléon III. L'image du soldat prussien, acteur de l'annexion de l'Alsace-Lorraine, est dans la mémoire de beaucoup de combattants. Lorsque Charles Gueugnier, zouave au 4e régiment, est fait prisonnier et envoyé en train en Allemagne, il associe le mauvais accueil qui lui est fait à lui et ses compagnons avec les souvenirs de cette guerre : « Est-ce notre chéchia ou bien le souvenir de 70 [...] »44 Même en ayant ces représentations de l'Allemand, ce dernier reste tout compte fait un inconnu. Le « boche » n'est qu'une image d'Épinal. On trouve un exemple édifiant dans le témoignage de Thierry Sandre. Sur le chemin de la captivité, un soldat allemand remplit une gourde d'eau et boit dedans avant d'en offrir aux Français pour prouver qu'il n'y avait pas versé de poison. Sandre écrit alors :

« Et voilà que ce mince tableau de guerre me rappelle des histoires de l'autre guerre, de celle qui a nourri notre enfance. Je revois les Prussiens de 1870 faisant goûter par leurs hôtes forcés les mets qu'on leur avait préparés [...] »45

L'ignorance de ce qu'est l'Allemand pourrait être une explication possible pour le fait que l'on trouve peu de haine dans les témoignages. Il est en effet nécessaire de constater le fait que le soldat considère l'Allemand comme un ennemi mais non comme un ennemi à haïr mais un ennemi à combattre. Même si les sentiments ont pu évoluer par la suite, la haine n'est pas une prémisse dans l'image de l'Allemand. Il règne même une sorte de neutralité envers l'Allemand, une distinction entre l'Allemand et l'ennemi. Lorsqu'au début de sa captivité les journaux dans le camp sont interdits, Charles de Gaulle écrit : « Il faudrait en effet avoir le caractère particulièrement élevé pour nous les donner tout de même, et on ne peut en conscience exiger que les Allemands aient une élévation de caractère supérieure à la moyenne de l'humanité. »46 Ce qui est important est que l'Allemand n'est pas considéré comme le plus mauvais, ni comme le meilleur. On pourrait parler d'indifférence, une indifférence curieuse. L'Allemand en tant que membre d'un autre peuple n'est pas automatiquement associé avec l'Allemand en tant qu'ennemi. Pour d'autres prisonniers, l'image de l'Allemand s'appuie sur des expériences directes et c'est un tout autre sentiment que l'indifférence qui se fait jour.

Avant que la Grande Guerre n'éclate, l'Allemagne est un pays où voyagent de nombreux intellectuels qui veulent connaître le pays de Goethe, contempler les paysages, l'art et l'architecture. L'Allemagne bouillonne alors de nouvelles idées portées par exemple par Karl Lamprecht ou Max Weber.47 L'armée française mélange différentes couches de la société. Certains prisonniers viennent des cercles cultivés comme Gaston Riou, simple soldat, qui en est un bon exemple. Avant 1914, il voyage à travers l'Allemagne où il fait un pèlerinage48 à travers des grandes villes comme Heidelberg, Dresden, München, Weimar, Essen, Berlin, « ces riantes cités de l'esprit. »49 Le journal de Gaston Riou contient un chapitre entier qui mêle les événements de sa capture et son voyage en Allemagne. La connaissance du pays ne se limite pas à une connaissance géographique. Il y a une véritable volonté de le découvrir intellectuellement. Riou rencontre les personnalités de cette époque : Max Weber, Wilhelm Windelband, Karl Lamprecht50 et se créent des relations de confiance : « Il admira que je fusse déjà de plain-pied et presque intime avec cet Allemand. »51 On admire l'Allemagne et on la fête comme le pays de la culture. Riou souligne d'autres aspects comme l'armée allemande au sujet de laquelle il écrit : « L'Allemagne, c'est son armée »52, bien qu'il explique également que les Allemands aspirent à la paix : « Ils étaient sincères quand ils me parlaient de paix. »53 Riou n'est pas le seul Français qui a essayé de considérer l'Allemagne dans ses détails. Robert d'Harcourt en est un autre exemple. Ces hommes qui estiment ce pays voisin qu'est l'Allemagne ne pouvaient pas s'imaginer que l'Allemagne puisse apparaître sous un jour différent. Nous avons parlé d'indifférence pour certains prisonniers. Chez d'autres comme Riou, on observe une déception surprise. La guerre a engendré des comportements chez les belligérants - en l'occurrence l'Allemagne - qui ne correspondent plus aux souvenirs qu'en avaient les prisonniers. Lorsque Robert d'Harcourt est fait prisonnier, il séjourne à l'hôpital militaire de Metz où il est le témoin d'un passage à tabac d'un blessé agonisant par un infirmier allemand. Profondément épouvanté, il écrit : « C'était la première fois que je voyais l'Allemagne sous ce jour. A Metz, en 1915, nous étions loin de l'Allemagne de Goethe et de Weimar, des tilleuls de Werther et de l'idylle de Sesenheim. »54 On trouve les mêmes expressions chez Riou pour qui l'Allemand a subi une métamorphose : « Le visage de mes amis d'Allemagne n'a cessé de me hanter. Ils ne souriaient plus comme autrefois. Une flamme sourde agrandissait leurs yeux. Ils me fixaient comme ceux des éperviers. »55 L'image qu'ils avaient de l'Allemand se trouble par un sentiment d'incompréhension. Riou parle de haine dure à porter.56 Le prisonnier est forcé d'avoir des sentiments qui lui font mal, ce qui nous mène à un autre aspect important dans la représentation de l'Allemand.

L'image qu'avait le prisonnier à l'origine s'est modifiée au début de la captivité. Ce changement n'est pas intervenu du fait de la captivité mais à cause du comportement de certains Allemands. Nous nous concentrerons tout d'abord sur la population avec qui le premier contact est très important. Le transport des prisonniers effectué dans des trains de quatrième classe sans fenêtre ni lumière réquisitionnés par l'état-major allemand57 est un premier pas vers l'humiliation et donc un premier pas vers la détérioration des relations entre le prisonnier et l'Allemand. Charles Gueugnier parle de wagons à bestiaux : « Nous sommes empilés 42 hommes par wagon à bestiaux et enfermés. »58 L'expression qu'emploie Roger Pelletier « le troupeau des prisonniers »59 prend alors tout son sens. Le voyage jusqu'au camp dure au moins plusieurs jours, ce qui peut paraître étonnant étant donné que la distance qui sépare la plupart des prisonniers de l'Allemagne est réduite du fait de la proximité du front. Dans notre corpus, les prisonniers donnent deux explications à cette durée. Les trains de prisonniers ne sont pas prioritaires par rapport aux trains de marchandises, les betteraves sont des voyageurs plus dignes.60 Ce que les prisonniers relèvent sans cesse, c'est la lenteur des trains dont la vitesse peut être estimée à 10km/h61: « Nous roulons lentement, très lentement. Nous nous arrêtons souvent en pleine voie. »62, « La suite de mon existence de captif devait s'habituer à la lenteur des transports des prisonniers. »63 La nourriture que l'on distribue à la hâte aux prisonniers se compose principalement de soupe claire et parfois de boudin et de Kriegskartoffelbrot. L'humiliation de ces prisonniers traités comme des bêtes est renforcée comme nous l'avons annoncée par la population qui se rassemble dans les différentes gares par lesquelles les prisonniers transitent pour donner lieu à de véritables scènes d'hystérie collective. Les menaces et les injures pleuvent : « Paris kaputt! A mort! A mort, les Français. »64 Même si les prisonniers sont protégés de la population par les gardes, ils sont exhibés comme un butin de guerre et dans les gares sont pendus des mannequins représentants les soldats français : « Je remarque que dans beaucoup de gares, les boches ont pendu des mannequins représentent tantôt un zouave, un fantassin ou un artilleur. »65 Par définition, le prisonnier est inoffensif puisqu'il ne porte plus d'arme : « Un homme désarmé est-il un ennemi? »66 La population allemande est très véhémente au début de la guerre : « La clameur devient stridente, effroyable, folle. »67 et cet accueil fait aux prisonniers se calmera par la suite.68 Nous pourrions nous demander comment le prisonnier ressent cet accueil et surtout s'il trouve des raisons à ce comportement.

Cette confrontation soudaine de la population avec le prisonnier fait tout d'abord apparaître une certaine curiosité chez l'Allemand qui ressemble à celle que nous avions observée chez les soldats français. L'armée allemande fait des prisonniers, elle les exhibe, c'est le jeu de la guerre. L'afflux massif de la population montre que les Français sont quelque chose de nouveau, on veut les voir. La guerre qui était portée et racontée par la propagande devient quelque chose de tangible, surtout dans des régions éloignées du front comme la Bavière, la Basse-Saxe ou la Posnanie. Les prisonniers sont également la preuve que l'armée allemande est victorieuse. Le patriotisme se mêle à la curiosité. Les prisonniers savent reconnaître les mécanismes de ces comportements. Pour eux, l'ignorance est l'une des principales raisons qui pousse l'Allemand à se comporter ainsi. Charles Gueugnier originaire d'Algérie sert dans l'armée comme zouave mais n'est considéré comme Français par les Allemands : »C'est là que l'on remarque leur animosité contre les zouaves, et leur grossière ignorance. Ils donnent l'ordre que les zouaves se mettent au fond à gauche, et les...Français ! À droit, bien séparés! »69 Cette ignorance est commune aux deux pays, chacun ayant une représentation bien spécifique de l'autre. Pour le prisonnier, l'une des causes de cette ignorance serait la propagande qui désinforme la population. Citons par exemple Riou qui répond au sujet d'un adjudant allemand qui affirme que la France est l'agresseur : « Mon Dieu, qu'il est donc facile de «truquer» les événements, de boulanger l'opinion publique. »70 L'utilisation du verbe « boulanger » ajoute un trait de caractère dans l'image que se fait le prisonnier de l'Allemand : l'influençabilité. Certains Allemands par exemple persuadés par la propagande que des soldats français utilisent des balles dum-dum lors des combats bien que cela soit interdit par les conventions. Charles Duhaut explique à une dame lui faisant ce reproche que les balles qu'elle lui montre ne sont que des balles de Lebel et s'exclame : « C'est comme cela lui dis-je, que l'on monte le cou aux gens chez vous. »71 On retrouve la même chose chez Thierry Sandre qui écrit le 9 mars 1916 comment les Allemands sont persuadés que Verdun tombera en deux semaines : « Dans deux semaines Verdun kapùt. »72 La bataille de Verdun a commencé le 21 février. La prise du fort de Douaumont quatre jours plus tard enthousiasme les soldats allemands et la propagande n'hésite pas à relayer cet événement. Toutefois, il faut préciser que le fort ne disposait pas alors de troupes importantes. Le fait que de nombreux prisonniers relatent cet événement laisse entrapercevoir le début d'un portrait de la situation politique allemande. S'esquisse une représentation politique et surtout sociologique. L'image de l'Allemand qui découle des écrits des prisonniers est intéressante car très riche. Il serait donc intéressant de voir dans quelles conditions matérielles le prisonnier a vécu.

c) Une captivitéqui dure

L'un des problèmes que pose la captivité vient du fait que l'on a sous-estimé la durée de la guerre. Jamais l'Allemagne n'avait compté prendre un si grand nombre de prisonniers. Dans les premiers mois de la guerre, plus de 100 000 soldats sont captifs.73 L'hébergement des prisonniers avait été fixé par les conventions de la Haye mais la captivité ne signifie pas seulement logement mais également nourriture et habillement, ce qui est très lourd à supporter pour un pays en guerre. Les premiers temps de la guerre ont été très difficiles, les installations font défaut. N'oublions pas non plus que le début de la captivité coïncide avec l'automne et surtout l'hiver. On se met à réquisitionner les écoles ou encore les installations militaires comme lieux de détention.74 Gaston Riou, qui est fait prisonnier le 20 août 1914, a passé sa captivité au Fort Orff dans la forteresse d'Ingolstadt : « De l'arrivée au fort, je ne garde que le souvenir d'une grande porte en fer [...] et d'une casemate - cette casemate - bétonnée, crue, sans paille, aux voûtes suintantes. »75 L'Allemagne est submergée de prisonniers, à l'image du Fort Orff qui compte alors déjà beaucoup de prisonniers : « Au fort Orff, à deux heures d'ici, vers le nord. Vous y trouverez un millier de vos compatriotes. »76 A cause du manque de structures d'hébergement, les prisonniers doivent dans les premiers temps être cantonnés dans des tentes ce qui a contribué encore à la détresse individuelle. L'impression d'être parqué comme du bétail reste forte « Quand finira donc cette vie en troupeau! »77 L'afflux massif des prisonniers oblige l'armée allemande à réagir très vite. Les conditions de vie de la plupart des prisonniers se dégradent également à cause du manque d'installations sanitaires.78 Les prisonniers sont blessés dans leur dignité humaine. Aussi minimes soient-ils, les soins corporels ne sont pas seulement nécessaires au bien-être physique mais également au moral. Le manque d'hygiène rabaisse le prisonnier au rang inférieur à l'animal, qui lui peut se laver. Il provoque également la propagation de maladie. Au Fort Orff par exemple, l'humidité et le froid affaiblissent les prisonniers : « Mes jambes frissonnent de fièvre. Hier je me suis traîné un quart d'heure dans la cour Est. »79 Les forts disposent d'installations sanitaires mais pas les camps de tente, ce qui favorise les épidémies.80 Le choléra s'étend tandis que le typhus est transmis par les poux : « Bien dormi malgré les démangeaisons suspectes, mon vieux P. Est infecté de poux ! Bon encore des ennemis de plus, le froid, la faim, les Allemands et les...poux! »81 Pour les autorités, les épidémies sont d'ailleurs d'autant plus dangereuses qu'elles pourraient contaminer la population.

A partir de 1915, les camps de prisonniers se développent. Le nombre de prisonniers s'élève alors à 652.000.82 La construction des camps avait débuté quelques temps auparavant mais a été retardée du fait du manque de main d'œuvre comme le souligne Charles Gueugnier le 26 octobre 1914 : « On demande des maçons, charpentiers et couvreurs pour activer l'achèvement du camp. »83 En février 1915, Roger Pelletier parle d'un terrain provisoire clôturé où sont implantées des baraques : « Ils ont construit provisoirement, près d'une forêt de pins, sur le versant d'une côte qui descend vers la ville, un vaste enclos pour 12.000 hommes. »84 Les chiffres qu'il avance font état de 250 prisonniers par baraque. Il serait intéressant de voir comment est organisé le camp de base, le Mannschaftslager. Nous évoquerons les autres sortes de camps plus tard. Dans les journaux, on trouve une assez bonne description. La première chose que les prisonniers notent, c'est la clôture de barbelés, l'enfermement :

« Tout autour du camp, il y a des fils de fer barbelés de 3 mètres de haut, les fils sont espacés de 15 centimètres chaque, un poteau de bois chaque trois mètres, et en travers d'autres fils de fer barbelés tous les 50 centimètres formant grillage. »85

Roger Pelletier parle d'une multitude de barricades de barbelés.86 Robert d'Harcourt fait la même remarque : « Nous fîmes aussitôt connaissance avec le fil de fer barbelé qui devait être notre compagnon fidèle pendant de si longues années. »87 Ce système consistant à monter des clôtures de barbelés, parfois renforcées de canons et de mitrailleuses ou de ronces artificielles88, est obsédant car il monte très haut. Le prisonnier ne peut pas voir autre chose. Le prisonnier est non seulement isolé du monde mais également des autres compagnies présentes dans le camp. Il vit constamment entouré des mêmes personnes. Cette oppression morale est pour certains insupportable, la maladie appelée psychose des barbelés se développe chez les plus faibles. Divisés en différents blocs correspondants chacun à une compagnie, les camps ont une structure très simple. Chaque compagnie se divise en deux rangées de baraques où les prisonniers sont logés.89 Comme nous l'avons déjà indiqué, environ 250 prisonniers se partagent chaque baraque. Robert d'Harcourt décrit la structure de ces baraques en bois : dix mètres de large et cinquante de long. Elles sont recouvertes de goudron pour en assurer l'étanchéité, elles ressemblent alors plus à des hangars ou des étables qu'à des lieux où l'on peut garder sa dignité. De chaque côté d'un couloir central se trouvent les paillasses bourrées de paille ou de sciure arrangées sur deux étages.90 Le nombre des prisonniers peut atteindre 300 par baraque, ce qui accroit encore la promiscuité : « L'atmosphère était irrespirable, et comme l'on dit, à «couper au couteau». »91 L'aménagement intérieur est sommaire : une table, des chaises ou des bancs, un poêle en fonte et un peu d'éclairage. Dans sa baraque, le prisonnier est livré aux saisons. En hiver il gèle : « Transis sous nos hardes insuffisantes, nous restons donc à l'intérieur, rassemblés autour de l'unique poêle. »92 En été, le goudron se met à fondre et répand une odeur oppressante : « De ces toits se détachaient de grosses gouttes de goudron que la chaleur faisait fondre. »93 Renaud de la Frégeolière compare le camp à un cimetière et les baraques à des catafalques : « Les baraques sont trapues, noires de goudron, sévères et hostiles, on dirait les énormes catafalques d'un étrange cimetière. »94 Rajoutons enfin que le sol du camp n'est pas en dur et peu rapidement se transformer en boue.95 Nous parlerons des autres parties du camp au cours de ce travail. Demandons- nous à présent ce que ces conditions de vie ont déclenché chez le prisonnier.

« Cette vue du camp m'oppresse, en y rentrant il me semble avoir revêtu un manteau de plomb et je pense à l'Enfer de Dante. »96 Voilà comment Charles Gueugnier décrit son entrée au camp de Merseburg. Le sentiment d'oppression est grandissant, l'espoir se dilue et les mauvaises conditions de vie favorisent l'apparition du « cafard ». Ce sentiment dépressif apparaît d'autant plus rapidement que le prisonnier qui a laissé tant de choses en France a le sentiment d'être inutile :

« Cependant, parfois, l'impression de me sentir diminué s'ajoute aussi chez moi au regret de ne plus servir à rien et d'être parqué là comme un pauvre bétail, alors qu'en France d'autres vivent une grandiose aventure. »97

La captivité retire au prisonnier sa valeur humaine dans le sens que le prisonnier ne se sent plus homme. Le prisonnier ne se considère pas lui-même comme un être humain normal. Le traitement que leur réserve l'ennemi a renforcé cet état de d'esprit. Beaucoup de prisonniers en viennent même à remettre en cause le bien-fondé de leur vie : « Mon Dieu! Que la vie est donc vide et stérile. »98 Il serait intéressant de voir si l'on peut faire une distinction entre les prisonniers selon qu'ils sont simples soldats ou officiers. Dans le système de captivité, les officiers sont traités autrement que les soldats, on peut même s'avancer à dire qu'ils sont favorisés. Cette préférence faite ne leur permet pas de mener une vie idéale mais elle leur a sans doute permis de mieux supporter l'enfermement. Les officiers sont très souvent internés dans des citadelles ou des forts et disposent d'installations meilleures. En ce qui concerne les sous-officiers, ceux-ci restent la plupart du temps dans les camps avec les soldats.99 Ce que les officiers ont en commun avec les soldats, c'est la mélancolie engendrée par l'impossibilité de pouvoir remporter personnellement la victoire :

« Dans mon lamentable exil, c'est ma meilleure consolation de penser que les heures de l'Histoire autrefois écoulées et où j'ai eu l'honneur immense de prendre part sont pour quelque chose dans les heures qui s'écoulent à présent et où je ne suis plus rien. »100

Les prisonniers sont poussés à surmonter la captivité, ce à quoi les officiers parviennent plus facilement. Les journaux nous montrent que les officiers s'efforcent toujours à avoir une occupation intellectuelle. Prenons par exemple les notes qu'a écrites Charles de Gaulle. Il couche sur le papier les résultats de ses lectures et ses connaissances sur des sujets très divers. Celui qui ne s'occupe pas l'esprit est livré à ses pensées qui peuvent se révéler dangereuses : « Je ne rêvais pas trop longtemps; je savais qu'il ne fallait pas laisser le cœur s'amollir et que les prisonniers ont besoin de toutes leurs forces. »101 Les officiers disposent de plus de libertés individuelles que les simples soldats, il leur est plus aisé de ne pas rester passif. On peut remarquer une chose, c'est que le prisonnier qui avait eu des relations intellectuelles avec l'Allemagne avant le conflit essaie de se remémorer ce qu'était l'Allemagne. Gaston Riou lit un manuel de discussion dont les mots le tirent de son état déprimé : « Ces humbles mots me semblent amis. »102 On a recours à l'ancienne image de l'Allemagne, une image romantique, une image de culture. Plus la captivité dure, plus le fossé entre ces deux représentations se creuse et plus le cafard grandit.

Certains ne supportent plus la captivité et se suicident.103 Le nombre des prisonniers français qui se sont suicidés de 1914 à 1918 peut être estimé à 0,8%.104 Puisque nous sommes entrés de plain-pied dans la vie du prisonnier, nous pourrions nous demander comment celle-ci s'est développée dans le camp et bien sûr ce qui en a résulté dans sa relation à l'Allemand.

2) La vie de prisonnier

a) L'organisation dans le camp

Personne ne croit que la captivité va se prolonger : « Un grand sergent de territoriale, l'industriel Edmond F..., prétend bien que nous en avons peut-être pour deux ans, mais chacun lui rit au nez, en le qualifiant de plus Boche que les Boches. »105 Les prisonniers sont encore persuadés que l'armée allemande va être battue très vite. Ces illusions sont d'autant plus difficiles à supporter qu'elles confirment au fil du temps le prisonnier dans son statut d'être inutile. Le prisonnier s'enlise moralement dans la captivité, il se rend compte que ce n'est pas un phénomène court. La plupart des prisonniers resteront d'ailleurs en Allemagne jusque la fin du conflit et tous se demandent quand ils seront libérés : « Couvert. Deux ans ce soir arrivions ici, à quand la fin? »106 Le caractère durable de la guerre et donc de la captivité force le prisonnier à vivre avec l'Allemand. Pour voir comment le prisonnier vit avec l'Allemand, il est nécessaire d'évoquer l'organisation du camp. Le camp est le plus souvent dirigé par un officier qui ne peut plus prendre part aux opérations armées.107 C'est un adjudant, un major ou un colonel qui joue le rôle le plus important. Lui sont subordonnés d'autres sous-officiers. Les relations hiérarchiques entre eux sont bien décrites par Robert d'Harcourt.108 La discipline est le quotidien du camp, elle est dure : « Et puis douloureuse est cette obligation d'obéir à l'ennemi et de courber la tête, car, finalement, il faut bien céder à nos gardiens où à leurs règlements. »109 Le prisonnier doit obéir : « En revanche, la nomenclature de vos devoirs est plus longue que la table de nos immortels principes de 89. »110 L'appel est en quelque sorte au centre de ce système disciplinaire. Il a lieu sur la place d'appel et cela par tous les temps. Le premier appel se déroule vers sept heures111, il consiste tout d'abord à compter les prisonniers pour voir si aucun ne s'est évadé. L'appel est également l'occasion de distribuer différentes choses comme des vêtements : « A l'appel, ils distribuent quelques chemises et chaussettes. »112 mais également et surtout le courrier dont nous reparlerons. Les autorités du camp se servent de l'appel comme d'un moyen pour conditionner et impressionner les captifs. Pour les sous-officiers, l'appel est souvent couplé à des exercices militaires :

« Tous les jours, durant ces mois de l'hiver 1916-1917, à dix heures, retentissait le commandement «Antreten» (à l'exercice). Toutes les compagnies se rangeaient devant leur baraque, par section, dans la boue gluante du camp d'où les souliers avaient peine à s'arracher. Les commandants de compagnie faisaient leur apparition devant leurs troupes. L'appel lu, commençaient les exercices de salut. »113

Les simples prisonniers s'occupent alors des corvées à l'intérieur du camp où partent travailler dans les commandos à l'extérieur. On essaie de casser la résistance morale des prisonniers. La répétition des appels sert une certaine automatisation. Les exercices de salut que les sous-officiers doivent accomplir ne contribuent pas seulement à les humilier en tant que Français saluant des Allemands mais également à modifier l'image que peuvent avoir les soldats qui servaient sous leurs ordres. L'ennemi pousse à la remise en cause de l'autorité dans l'autre camp et ainsi diviser l'ensemble des prisonniers. Charles Gueugnier écrit à ce propos le 2 décembre 1914 : « Le chef de baraque français a de la peine à se faire obéir, les Allemands ayant tout fait et continuent pour faire perdre toute autorité aux gradés français et anglais sur les hommes. »114 Les exercices militaires peuvent avoir une autre conséquence que les prisonniers. Ils leur rappellent en effet - dans ce cas nous parlons des sous-officiers - qu'ils restent des soldats. Les mauvaises conditions de vie et leur statut de prisonnier leur avaient fait penser qu'ils n'en étaient plus : « Car, pour nous rappeler que nous étions soldats, la Kommandantur nous faisait faire de l'exercice. »115 La douleur ne plus servir son pays est ravivée et par là même l'humiliation ressentie même si l'on peut constater que les officiers et les sous-officiers résistent plutôt bien : « Toutes ces petites vexations n'ont aucune importance. »116 On trouve la même chose chez Thierry Sandre: « Si l'Allemagne, en nous imposant toutes les vexations, tendait à nous déprimer et à nous diminuer, elle s'est trompée, une fois de plus, comme toujours. »117 Pour le simple prisonnier, les humiliations quotidiennes sont par exemple exercées lors des fouilles pratiquées par les autorités du camp. Le 15 février 1916, Charles Gueugnier écrit : « [...] Recherchent toujours: argent, carnets de notes, cartes géographiques, boussoles, pinces ou tenailles à couper les fils de fer pour passer d'une compagnie à une autre, ils cherchent aussi le fameux journal Le Tuyau et les chansons russes et anti allemandes! »118 La discipline passe également par les privations et les punitions.

Nous parlerons des privations lorsque nous aborderons le sujet du courrier et de l'alimentation, concentrons-nous sur les punitions qui sont apparues très rapidement après le début de la captivité. Quinze jours après son entrée au camp de Merseburg, Charles Gueugnier fait la remarque suivante : « Attention! Au fond de la cour en face des cabinets un grand poteau est planté pour les...punitions! »119 Les conventions de la Haye avaient traité du thème des punitions. L'article 8 précise en effet : « Les prisonniers de guerre seront soumis aux lois, règlements et ordres en vigueur dans l'armée de l'État au pouvoir duquel ils se trouvent. Tout acte d'insubordination autorise, à leur égard, les mesures de rigueur nécessaires. »120 Robert d'Harcourt énumère les peines prévues par le ministère de la guerre allemand.121 Il y a tout d'abord le Gelinder Arrest où le prisonnier est simplement enfermé. Ensuite, il y a le Mittelarrest, la peine la plus employée. Le prisonnier est alors enfermé sans rien recevoir de l'extérieur hormis 300 grammes de Kriegskartoffelbrot ainsi qu'un supplément au quatrième jour de détention. Il y a enfin le Strenger Arrest où le prisonnier vit dans les conditions du Mittelarrest, l'obscurité constante en plus. On trouve un très bon aperçu des punitions employées dans le livre d’Uta Hinz.122 A côté de ces sanctions, on trouve des punitions plus radicales qui sont plus là pour impressionner les prisonniers, des sortes d'exemples. Le recours à ses punitions de manière abusive a massivement contribué à dégrader l'image de l'Allemand, notamment la punition du poteau. « War kein geeignetes Arrestlokal verfügbar, so sollte bei schwerem Arrest zwei Stunden täglich mit « Anbinden » bestraft werden. »123: prévu comme peine disciplinaire au sein de l'armée allemande, le poteau est mis en usage dans les camps. L'attachement au poteau est pratiqué jusqu'à l'effondrement physique du prisonnier : « Le poteau a fait des petits, il y en a 2 autres, il y a un Belge et un Russe attachés comme des saucissons, mais comme le vent est glacial, il arrivent à force de patience à mettre les mains dans les poches. »124 La punition du poteau peut être exécutée de différentes manières, laissant place à des inventions des plus cruelles.125 Roger Pelletier explique le prisonnier peut-être surélevé par des briques le temps de l'attacher pour qu'il ait les pieds dans le vide une fois les briques retirées et multiplier ainsi la tension musculaire.126 Nous ne donnerons pas la liste des punitions possibles, ce n'est pas le but de ce travail. Il est beaucoup plus intéressant de décrire et analyser les sentiments du prisonnier dans le cadre de sa relation à l'Allemand, ce que nous allons voir à présent.

En dehors du commandant du camp, le prisonnier est entouré de différents militaires et cela de sa capture sur le front à son quotidien dans le camp ou encore dans l'hôpital car n'oublions pas qu'il se trouve également des prisonniers dans les hôpitaux. Ces prisonniers blessés sont intéressants à plus d'un titre. Comme nous l'avons déjà évoqué, beaucoup de soldats ont été sévèrement blessés. La Première Guerre mondiale est une guerre où les armements se sont considérablement développés, avec les conséquences humaines que l'on connait. Deux possibilités s'offrent au soldat blessé fait prisonnier : soit il meurt très vite de la gravité de ses blessures ou il est emmené derrière les lignes allemandes pour être soigné. La survie du prisonnier blessé est entre les mails de l'ennemi. Charles Hennebois qui a été blessé à la jambe fournit un témoignage poignant. Il écrit le 13 octobre 1914 :

« Des blessés de la veille les appelaient de loin et demandaient à boire. Les Allemands les achevèrent à coups de crosse de fusil ou bien à coups de baïonnette, puis les dévalisèrent. J'ai vu cela à quelques mètres. Un groupe de sept ou huit hommes, abattu par un feu croisé de mitrailleuses, se trouvait sur ce point. Plusieurs vivaient encore, puisqu'ils suppliaient les soldats. Ils furent achevés comme je viens de dire, fouillés et mis en tas. »127

On trouve d'autres témoignages de cruauté chez Riou par exemple.128 Celui qui fait de telles expériences entrevoit l'Allemand d'une façon qu'il ne peut pas oublier. Le fait d'achever des blessés n'est pas seulement un geste contraire à l'honneur militaire, il est également un geste contraire à l'honneur humain. On voit peu à peu se dessiner les prémisses d'une image de l'Allemand qui correspond à l'image d'un barbare Nous en reparlerons. Après que les prisonniers sont trouvés sur le champ de bataille, ils sont comme nous l'avons dit emmenés derrière les lignes et internés dans des hôpitaux militaires. Robert d'Harcourt est par exemple transporté à Metz. Le fait de quitter le champ de bataille et l'espoir d'une guérison posent la question de savoir comment le prisonnier considère son sauvetage. Charles Hennebois a été sauvé par un étudiant allemand. Il fait une différence dans la relation du prisonnier à l'Allemand, une différence que nous retrouverons plus tard, à savoir celle entre l'homme et le soldat. Hennebois écrit tout d'abord qu'il ne ressent aucune reconnaissance :

« Je ne peux pas l'aimer. Il m'a sauvé la vie et je ne trouve en moi nulle reconnaissance, mais j'ai prié Dieu, humblement, qu'il veuille l'épargner, ou du moins mettre sur sa route, s'il tombait quelque jour, des cœurs compatissants et qui fissent pour lui ce qu'il a fait pour moi. »129

Le fait d'avoir été sauvé par l'ennemi l'empêche d'avoir des sentiments. L'utilisation de l'expression « cœurs compatissants » montre tout de même qu'il reconnaît à demi-mot la possibilité que l'ennemi puisse être bon. Il écrit plus tard : « En écrivant ces lignes, avec bien du recul, je ne puis faire moins que l'assurer ici de la gratitude de l'homme. »130 Derrière le prisonnier et derrière le soldat allemand, il y a avant tout des hommes. Le fait que certains prisonniers parlent de cette humanité peut nous laisser penser qu'il subsiste tout de même la possibilité d'une relation positive entre eux, une relation sur un plan « anthropologique ». Continuons d'évoquer le quotidien du blessé. Après avoir reçu les soins nécessaires commence pour lui la période de convalescence ponctuée par les visites du médecin, les repas et le repos. La vie dans les hôpitaux est décrite comme régulière et calme.131 Robert d'Harcourt consacre un chapitre entier de son livre à son séjour à l'hôpital San-Klemens.132 Même si la vie des blessés est monotone, elle est beaucoup plus agréable que celle de leurs camarades des camps. La relative tranquillité dont dispose le blessé lui permet d'observer les Allemands qui sont dans son entourage comme les gardes ou les infirmiers. Le médecin est souvent la première rencontre importante. Charles Hennebois et Robert d'Harcourt ont été tous les deux soignés au San-Klemens de Metz. Le premier, simple soldat, a été blessé à la jambe tandis que le deuxième, sous-officier, a été touché à la bouche. Les expériences de ces deux hommes ne semblent pas être très différentes. Charles Hennebois a été raté lors de son opération, on peut même parler de charcutage, ce qui l'a conduit à l'amputation. Le médecin est représenté comme un bourreau voulant détruire les blessés physiquement et moralement : « Alors, alors, que croire? ... Volonté de mal faire ? Désir de frapper dans la chair, fût-il sans défense et sans force, l'esprit inaccessible? »133 On lit la même chose chez Robert d'Harcourt à propos du médecin-chef : « Ce dernier, qui ne savait pas un mot de chirurgie, sous prétexte de sutures de nerfs, saccageait comme de vulgaires cobayes de laboratoire. »134 On retrouve la différence anthropologique. L'être allemand expliquerait de tels comportements : « L'homme en est capable, lorsqu'il est Allemand. »135 L'image de l'Allemand est irrémédiablement barbare. Le traumatisme vécu conduit à un jugement dur mais nuancé en insistant sur le rôle de l'éducation : « Il n'a de conscience que celle que lui donne une éducation restrictive au sein d'un milieu amoral. »136 L'Allemand devient au fil de l'écriture l'objet d'une étude que l'on pourrait appeler sociologique. Le prisonnier essaie de prendre en compte des arrière-plans culturels. La vie avec les soignants allemands laisse apparaître l'Allemagne comme une nation enthousiasmée par la guerre. La guerre fait alors figure de catalyseur, le catalyseur qui a permis de voir le vrai visage de l'Allemand qui serait le porteur d'une mission : « Bien gouverné à l'intérieur, armé contre les dangers du dehors, sa mission était haute. Il voulait apporter au monde une forme nouvelle du progrès général. »137 Nous venons d'esquisser la réflexion que peut formuler le prisonnier blessé. Demandons-nous à présent comment l'Allemand est perçu en tant que personne.

La perception de l'Allemand peut être aussi différente que les expériences faites par les prisonniers. Ce que nous pouvons tout d'abord constater, c'est que beaucoup de prisonniers font une description physique des Allemands qui les entourent : « Quand j'aurai dit que nous l'appelions Tête de veau, je n'aurai pas besoin de tracer le portrait de ce comparse falot et sévère. »138, « Le jeune docteur qui me soigne, - vingt-cinq ans peut- être, figure distinguée, regard très profond presque doux [...] »139 Pourquoi ces descriptions sont-elles si importantes ? On pourrait y voir une recherche de stéréotypes comme celui de l'Allemande blonde : « Sa femme est major infirmière : c'est l'Allemande blonde, au visage riant, au teint coloré sans excès, à la parole douce. »140 La description physique serait un moyen de se rassurer ou plutôt de se rapprocher de la réalité, de l'humanité des Allemands. Le prisonnier est la cible d'une telle humiliation - comme nous l'avons vu, il est traité comme un animal - qu'il se persuade qu'il a bien affaire à des êtres humains. Cependant, le recours à la description physique peut être ambivalent car il sert également à se prouver que l'Allemand n'est pas humain comme lorsque Riou décrit les femmes dans les gares :

« L'œil meurtrier, la main crispée, qui laboure et déchire comme dans un rêve de tigresse, les naseaux larges et reniflants, les lèvres vineuses, grimaçantes de haine, je n'avais vu nulle part ces figures de damnation, ces groins de Méduses. Qui m'eût dit que des femmes puissent être aussi atroces. »141

On trouve la même chose chez Hennebois : « Les doigts du docteur sont des griffes. Ils excellent à découvrir, dans un porte-monnaie, les quelques pfennigs défendus dépassant de la somme permise. »142 Les descriptions physiques permettent au prisonnier de confirmer la réalité de sa captivité et également de confronter ce qu'il voit à ce qu'il connaissait auparavant. On essaie de retrouver dans l'Allemand le cliché, l'image mentale que l'on avait de lui : « Voulez-vous son portrait? La taille avantageuse, 1m 80 peut-être [...] Une face glabre, quelconque, avec, en travers de la joue, depuis l'oreille droite, des cicatrices roses souvenirs de duels. [...] C'est le type parfait de l'officier prussien [...] »143 Si l'image qui se forme n'est pas conforme au stéréotype, le prisonnier s'en étonne mais il n'hésite pas à l'écrire : « C'est un homme de quarante ans, à la figure fine, ayant beaucoup plus du Latin, jusque dans la démarche, que du lourd Allemand. »144 La part de subjectivité est évidemment énorme mais elle n'implique pas que le prisonnier discrimine physiquement tous les Allemands qui l'entourent. Le prisonnier se met à caractériser certains d'entre eux par des surnoms résumant leur aspect physique ou leur comportement : « L'adjudant allemand, la brute personnifiée, un bulldog enragé que nous appelons Gueule d'Acier »145. On peut également trouver « Jambes de laine », « Je sais tout »146, « Rabiot de tripes »147 ou encore « La Galoche » et « Sourire d'Avril ».148

Le prisonnier peut être envoyé dans un simple camp de prisonniers ou dans un camp de représailles. Commençons par le simple camp. Le déroulement de la journée est réglé très précisément. Comme nous l'avons déjà indiqué, l'appel est l'un des points d'orgue de la journée. La distribution de la soupe, du courrier et des paquets est très attendue par les prisonniers. Bien que les prisonniers soient enfermés, ils vivent tout de même dans une discipline toute militaire que les gardes se chargent de faire régner. Charles de Gaulle écrit le 29 juillet 1916 :

« Dans l'intérêt de la Justice, je dois dire d'ailleurs qu'elles (les vexations) ne nous sont pas imposées par des gens qui ont combattu à Douaumont ou à Belloy. [...] Mais n'est-ce pas ? Dans l'armée allemande comme du reste dans toutes les autres, ceux qui gardent les prisonniers sont bien rarement ceux qui les font... »149

La différence faite par De Gaulle est très importante pour notre travail. La relation entre le prisonnier et l'Allemand est repoussée sur un autre plan. Les gardes et les officiers du camp ne possèderaient pas la valeur militaire. Les descriptions laissent à penser que la plupart des militaires allemands en poste dans les camps sont inaptes au combat. Soit ils sont trop âgés : « Ai vu le général commandant du camp: vieille baderne à pantalon noir à bandes rouges [...] et grosse croix de fer, il boîte. »150 soit ils souffrent de différents « handicaps » : alcoolisme151, séquelles de blessures, etc. On trouve souvent de jeunes officiers parmi les dirigeants des camps :

« Enfin le quatrième caporal allemand, le plus jeune, Bébé rose, signe élève qui fait honneur au Sauvage et à Gueule d'acier ne cherche que le mal, toujours provocant, ayant à son actif plusieurs actes de sauvagerie. »152

Les prisonniers ont beaucoup à craindre de l'excès de zèle de ces jeunes officiers et des officiers en général :

« La férocité réfléchie, quand nous avons eu à la subir, s'est surtout manifestée parmi la classe dirigeante, les officiers, les administrateurs et plus particulièrement elle nous est venue par les ordres ministériels élaborés à Berlin. »153

Les relations hiérarchiques sont dominées par les relations de pouvoir : le caporal est subordonné à l'adjudant. On attend de l'officier qu'il obéisse et qu'il craigne son supérieur. Les prisonniers observent très précisément ces relations de pouvoir qui font apparaître également complaisance et lâcheté. Il faut également prendre en compte le comportement du soldat allemand dans les camps de représailles afin d'en dresser une image plus précise. La captivité des Français est liée à celle des Allemands en France. Le but des camps de représailles est d'exercer une pression sur la France afin d'améliorer les conditions de détention des soldats allemands.154 La vie dans ces camps est si difficile que beaucoup en meurent. Les témoignages que l'on peut rencontrer rappellent ceux que l'on pourra lire au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Robert d'Harcourt décrit par exemple l'arrivée dans son camp d'un convoi de prisonniers revenant d'un camp de représailles :

« Ces hommes - des soldats - marchaient, mais ils étaient morts, au-dessus de chaque capote bleue, il y avait une tête de mort: les yeux caves, les pommettes saillantes, le rictus décharné des crânes de cimetière. »155

Cette description est sans appel. Le logement sommaire dans ces camps inhumains rappelle celui des premiers temps de la guerre : « Nous sommes logés dans des tentes (trois cent par tente). L'eau pénètre partout et entraîne la paille qui nous sert de lit, ainsi que le peu d'objet que nous possédons. Dieu quelle vie. »156 Le manque de nourriture, les punitions et la violence forment le quotidien des représailles dont la sauvagerie et l'inhumanité deviennent des symboles : « Après la sauvagerie des représailles, l'Allemand achevait le crime en expédiant ses victimes dans un camp au lieu de les envoyer directement dans un lazaret. »157 Dans son livre, Roger Pelletier traduit un ordre du Ministère de la Guerre concernant la vie dans les camps de représailles.158 Le travail décrit est un travail harassant. Les prisonniers disposent d'un litre d'eau par jour pour satisfaire tous leurs besoins. Pelletier précise que cette eau est sale et que la vie que l'on mène dans ces camps est une vie de prisonniers. Le résultat de la vie dans ces camps convainc les prisonniers que la barbarie fait partie de l'être allemand. Même si la majorité des prisonniers n'ont pas vécu les représailles, les témoignages des prisonniers qui les ont vécues impressionnent tellement leurs camarades que l'image de l'Allemand s'en trouve fortement imprégnée.

L'examen des écrits des prisonniers permettent toutefois de nuancer cette image. Le prisonnier fait en effet la connaissance d'Allemands qui se distinguent des autres. Les Allemands qui permettent cette nuance sont le plus souvent les gardes. Le prisonnier différencie les soldats de métier des soldats conscrits : « Avions aussi comme caporal allemand un laitier et un maréchal-ferrant: trop indulgents pour nous sans doute, sont déjà partis. »159 Cela reviendrait à dire que le prisonnier développe des sentiments contre l'armée qu'il n'a pas par rapport au simple soldat. Toutefois, le jugement par rapport à l'armée peut mener à un jugement général de l'Allemagne - l'armée étant pour beaucoup le symbole allemand par excellence : « A ces moments-là, je trouvais l'armée prussienne taillée à l'exacte mesure de la nation allemande [...] Oui il lui fallait à cette nation, cette armée. »160 Même si le prisonnier ne peut pas aimer son geôlier, il tente de prendre en compte tous les aspects possibles. Il serait injuste de ne pas évoquer le caractère bon de certains soldats allemands. Gaston Riou décrit comment une sentinelle lui apporte à manger ainsi qu'à ses camarades. Pour lui, cet acte est un témoignage d'amitié inattendu : « Monsieur Magen, tout Bavarois que vous soyez, vous êtes un frère, ein Bruder, un vrai camarade ! Je vous aime. »161 Les réactions face à la captivité et aux surveillants sont personnelles. Gaston Riou qui écrivait : « Que la haine est dure à porter »162 montre également qu'il se produit une division dans le for intérieur du prisonnier. Il se sent d'une part obligé de haïr l'ennemi mais d'autre part certains Allemands ne montrent pas cette image de l'ennemi. Au cours de ce travail, nous nous demanderons s'il existe vraiment deux images de l'Allemand qui s'opposent.

b) Hygi è ne, courrier et alimentation : la survie

La vie des prisonniers ne se résume pas et ne peut pas se résumer à la violence quotidienne. Pour mieux apprécier les sentiments des prisonniers, il est nécessaire de prendre en compte trois points sur lesquels s'appuie l'existence des captifs. Le premier point est celui de l'hygiène. Comme nous l'avons déjà évoqué, les mauvaises conditions d'hygiène engendrent un ressentiment. La situation sanitaire peut être divisée en plusieurs parties qui interagissent entre elles. Commençons tout d'abord par les soins corporels. Les douches ne sont pas présentes dans tous les camps, dans beaucoup de cas, les prisonniers ne disposent que d’un simple robinet ou d'une pompe : « La première occupation de nos camarades anglais le matin, dès le réveil, était de se précipiter à la pompe, et là, le torse nu, hiver comme été, de se récurer à grande eau. »163 Parallèlement à la saleté des douches164, on trouve la saleté des toilettes. Comme pour les douches, la plupart des camps ne disposent pas de véritables toilettes qui ne sont le plus souvent que des fossés sur lesquels est posée une planche trouée.165 Le caractère rudimentaire de ces installations n'est pas seulement gênant pour les prisonniers, elles ne lui permettent surtout aucune sécurité sanitaire. Charles Gueugnier souligne à plusieurs reprises que les toilettes débordent : « Les cabinets sont inondés, empuantissent l'air de tout le camp. »166 La situation est d'autant plus catastrophique que le sol est souvent impraticable : « Par temps de pluie, avons vrais marais à traverser, enfonçons jusqu'à chevilles. »167 L'état misérable de ces installations, le confinement et les mauvaises conditions de logement favorisent les maladies et de nombreuses épidémies de choléra et de typhus se propagent.168 « De nous voir entassés de la sorte les majors français craignent une épidémie, nous conseillent fréquente aération et une grande propreté. »169 Ce conseil venant d'officiers se veut alarmant. Les épidémies qui se déclenchent sont si violentes que les Allemands quittent les camps comme celui de Chemnitz en février 1915,170 où le camp est fermé pour cause de typhus. Roger Pelletier fait le récit de la fermeture de son camp où les douches manquent tellement que les prisonniers sont envahis par les poux : « Les douches n'existant pas ici, aucun de nous n'a pris de bain depuis son départ pour le front, en août 1914. [...] Aussi sommes-nous couverts de poux, dont nous tentons sans conviction de détruire le plus possible, chaque jour, en commun. »171 Ce manque d'hygiène donne lieu à des scènes d'épouillage commun comme on peut en voir chez les singes. Le prisonnier est rabaissé au rang d'animal. En perdant sa dignité, sa répulsion envers l'Allemand grandit.

D'après un rapport des délégués neutres cité par Pelletier, l'épidémie est propagée par les Russes que les Allemands mélangent aux autres prisonniers.172 Pelletier en tire la conclusion que l'Allemagne veut soit se débarrasser des prisonniers ou déclencher des conflits entre eux dont elle pourrait tirer avantage. Toujours est-il que les prisonniers sont abandonnés à eux-mêmes dans le camp. Les seuls convois de voitures qui y accèdent sont ceux apportant les cercueils. Comment peut se sentir un prisonnier dont la vie compte moins que celle d'un animal qui lui a droit aux soins du vétérinaire lorsqu'il souffre ? Après ces épidémies, le Ministère de la Guerre a dû réagir. Une circulaire concernant la désinfection est envoyée dans les différents camps en novembre 1915173 afin de mettre en place de nouvelles règles d'hygiène. Le combat contre les poux est au centre des nouvelles réglementations. On préconise le recours à différents moyens comme les crèmes dépilatoires ou la création de salles de désinfection.174 Ce combat contre les épidémies peut sembler paradoxal. Les mesures sanitaires engagées améliorent la situation. Les vaccinations par exemple deviennent plus voire trop courantes. Charles Gueugnier est vacciné le 28 septembre 1915 contre le typhus mais également le 2 et le 7 octobre. Au cours de sa captivité, il sera vacciné huit fois. Toutefois, ces mesures sont accompagnées par un manque total aux règles d'hygiène élémentaires. Les eaux stagnantes sont des milieux favorables aux épidémies : « Des gros travaux de drainage sont en cours, cette eau croupie des fontaines et des lavoirs empoisonne. »175 Les vêtements des prisonniers sont certes désinfectés mais ils reviennent de la désinfection dans un état pitoyable. Les prisonniers revêtissent alors ces haillons et deviennent des proies encore plus faciles aux intempéries. Au camp de Merseburg, les couvertures sont épouillées pour la première fois le 5 juin 1915 : « Pour la première fois désinfection des couvertures (tant mieux); cet hiver nous amusions à voir sur certaines d'entre elles étendues dehors des légions grouillantes de poux de toutes couleurs, de toutes grandeurs. »176 Il n'y a aucune politique de propreté ni de prévention durable : « Ne s'occupent pas de l'hygiène du camp, que forcés par des cas douteux d'infection, alors ils s'affolent. »177 Le savon est une denrée rare que les prisonniers peuvent toutefois se procurer à la cantine : « Comme j'aimerais en avoir un petit bout de savon. »178 Le 10 octobre 1916, Charles Gueugnier reçoit du savon pour la première fois : « Pour la première fois touchons à peu près 100 grammes de potasse et un tout petit savon de guerre, Kriegseife, petit mais très lourd !, genre de savon au grès pour nettoyer métal ou casserole! »179 L'Allemagne laisse les prisonniers livrés à eux-mêmes et ne se préoccupe de leur santé que lorsque les conséquences peuvent lui nuire.

[...]


1 Odon Abbal, « Kriegsgefangenen im Europa des Ersten Weltkriegs », dans : Jochen Oltmer (Dir.), Kriegsgefangene im Europa des Ersten Weltkriegs, Paderborn 2006, p. 295.

2 Charles Gueugnier, Les Carnets de Captivité de Charles Gueugnier, 1914-1918, Nicole Dabernat- Poitevin, Toulouse 1998, p. 52.

3 Louis César Duhaut, Journal de Guerre de Louis César Duhaut, 1914-1919, transcrit par Benoît Dubus, non publié, p. 29.

4 Etienne Ernest, Souvenirs de Belgique et d'Allemagne, Guerre 1914-15-16, transcrit par Jean Jacques Lannois, non publié.

5 Charles de Gaulle, Lettres notes et carnets, 1905-1918, Paris 1980.

6 Charles Hennebois, Aux mains de l'Allemagne, Paris 1916.

7 Gaston Riou, Journal d'un simple soldat, guerre-captivité, 1914-1915, Paris 1917.

8 Thierry Sandre, Le Purgatoire, Amiens 1924.

9 Robert d'Harcourt, Souvenirs de captivité et d'évasions 1915-1918, Paris 1935.

10 Roger Pelletier, Captivité, Paris 1933.

11 Jacques Rivière, L'Allemand, Paris 1924. 8

12 Georges Cahen-Salvador, Les Prisonniers de guerre (1914-1919), Paris, 1929.

13 Annette Becker, Oubliés de la grande guerre, humanitaire et culture de guerre populations occupées, déportés civils, prisonniers de guerre, Paris 1998.

14 Odon Abbal, Soldats oubliés. Les prisonniers de guerre français, Bez-et-Esparon 2001.

15 Dr. Uta Hinz, Gefangen im Großen Krieg, Essen 2006.

16 Reichsgesetzblatt, 1910, Nr. 2, p. 134.

17

Ibid. p. 136.

18 Hinz, Gefangen im Großen Krieg, p. 10.

19 Pelletier, Captivité, p. 23sq.

20 Annette Becker, «Paradoxien in der Situation der Kriegsgefangenen 1914-1914»,, dans : Oltmer, Kriegsgefangene im Europa des Ersten Weltkriegs, p. 27.

21 Etienne, Souvenirs de Belgique et d'Allemagne, p. 9.

22 Ibid. p. 11.

23 Voir Becker, «Paradoxien in der Situation der Kriegsgefangenen 1914-1914»,, dans : Oltmer, Kriegsgefangene im Europa des Ersten Weltkriegs p. 27.

24 Pelletier, Captivité, p. 24.

25 Hennebois, Aux mains de l'Allemagne, p. 14.

26 De Gaulle, Lettres, notes et carnet 1905-1918, p. 312.

27 Pelletier, Captivité, p. 24.

28 Riou, Journal d'un simple soldat, p. 1.

29 Jean-Claude Auriol, Les barbelés des bannis, La tragédie des prisonniers de guerre fran ç ais en Allemagne durant la Grande Guerre, Paris 2002, p. 45.

30 Riou, Journal d'un simple soldat, p. 29.

31 Stéphane Audoin-Rouzeau/Annette Becker, La Grande guerre 14-18, Paris 1998, p. 72.

32 Pelletier, Captivité, p. 27.

33 Ibid. p. 29.

34 D'Harcourt, Souvenirs de captivité et d'évasions, p. 54.

35 Ibid.

36 Sandre, Le Purgatoire, p. 33.

37 Pelletier, Captivité, p. 24.

38 Ibid. p. 27.

39 Ibid.

40 Ibid. p. 25.

41 Ibid. p. 28.

42 Ibid. p. 12.

43 D'Harcourt, Souvenirs de captivité et d'évasions, p. 14. 16

44 Gueugnier, Carnets de captivité, p. 11.

45 Sandre, Le Purgatoire, p. 30.

46 De Gaulle, Lettres, notes et carnets 1905-1918, p. 315.

47 Joseph Rovan, Histoire de l'Allemagne des origines à nos jours, Paris 1999, p. 724.

48 Riou, Journal d'un simple soldat, p. 2.

49 Ibid. p. 3.

50 Ibid. p. 4.

51 Ibid. p. 8.

52 Ibid. p. 22.

53 Ibid. p. 18.

54 D'Harcourt, Souvenirs de captivité et d'évasions, p. 55.

55 Riou, Journal d'un simple soldat, p. 25.

56 Ibid.

57 D'Harcourt, Souvenirs de Captivité et d'évasions, p. 55.

58 Gueugnier, Carnets de captivité de Charles, p. 10.

59 Pelletier, Captivité, p. 30.

60 D'Harcourt, Souvenirs de Captivité et d'évasions, p. 55.

61 Auriol, Les barbelés des bannis, p. 46.

62 Sandre, Le Purgatoire, p. 66.

63 D'Harcourt, Souvenirs de Captivité et d'évasions, p. 55.

64 Riou, Journal d'un simple soldat, p. 1.

65 Duhaut, Journal de guerre, p. 9.

66 Hennebois, Aux mains de l'Allemagne, p. 59.

67 Ibid. p. 2.

68 Auriol, Les barbelés des bannis, p. 47.

69 Gueugnier, Carnets de captivité, p. 10.

70 Riou, Journal d'un simple soldat, p. 34.

71 Duhaut, Journal de guerre, p. 15.

72 Sandre, Le Purgatoire, p. 15. 20

73 Jochen Oltmer, «Funktionen und Erfahrungen von Kriegsgefangenschaft im Europa des Ersten Weltkriegs», dans : Oltmer, Kriegsgefangene im Europa des Ersten Weltkriegs, p. 18.

74 Ibid.

75 Riou, Journal d'un simple soldat, p. 35.

76 Ibid. p. 33.

77 Ibid. p. 38.

78 Hinz, Gefangen im Großen Krieg, p. 99.

79 Riou, Journal d'un simple soldat, p. 37.

80 Hinz, Gefangen im Großen Krieg, p. 99.

81 Gueugnier, Carnets de captivité, p. 12.

82 Hinz, Gefangen im Großen Krieg, p. 92.

83 Gueugnier, Carnets de captivité, p. 14.

84 Pelletier, Captivité, p. 31.

85 Gueugnier, Carnets de captivité, p. 14.

86 Pelletier, Captivité, p. 31.

87 D'Harcourt, Souvenirs de captivité et d'évasions, p. 56.

88 Ibid.

89 Auriol, Les Barbelés des Bannis, p. 20.

90 D'Harcourt, Souvenirs de captivité et d'évasions, p. 57.

91 Ibid.

92 Pelletier, Captivité, p. 35.

93 D'Harcourt, Souvenirs de captivité et d'évasions, p. 58.

94 Renaud de la Frégeolière, A tire d'ailes: carnet de vol d'un aviateur et souvenirs d'un prisonnier, Paris 1916, cité dans : Gueugnier, Carnets de captivité, p. 11.

95 Pelletier, Captivité, p. 32.

96 Gueugnier, Carnets de captivité, p. 10.

97 Pelletier, Captivité, p. 37.

98 Riou, Journal d'un simple soldat, p. 40.

99 Hinz, Gefangen im Großen Krieg, p. 123.

100 De Gaulle, Lettres notes et carnets 1905-1918, p. 315.101 D'Harcourt, Souvenirs de captivité et d'évasions, p. 58.102 Riou, Journal d'un simple soldat, p. 41.

103 Voir le cas d’un prisonnier belge dans : Pelletier, Captivité, p. 36.

104 Nach Doegen, dans : Hinz, Gefangen im Großen Krieg, p. 299.

105 Pelletier, Captivité, p. 32.

106 Gueugnier, Carnets de captivité, p. 143.

107 Auriol, Les barbelés des bannis, p. 25.

108 D'Harcourt, Souvenirs de captivité et d'évasions, p. 168sq.

109 Pelletier, Captivité, p. 37.

110 Sandre, Le Purgatoire, p. 131.

111 Auriol, Les barbelés des bannis, p. 87.

112 Gueugnier, Carnets de captivité, p. 24.

113 D'Harcourt, Souvenirs de captivité et d'évasions, p. 165.

114 Gueugnier, Carnets de captivité, p. 25.

115 D'Harcourt, Souvenirs de captivité et d'évasions, p. 165.

116 De Gaulle, Lettres, notes et carnets 1905-1918, p. 317.

117 Sandre, Le Purgatoire, p. 180.

118 Gueugnier, Carnets de captivité, p. 113.

119 Ibid. p. 15.

120 Reichsgesetzblatt, 1910, N° 2, p. 135.

121 D'Harcourt, Souvenirs de captivité et d'évasions, p. 146sq.

122 Hinz, Gefangen im Großen Krieg, p. 141-169.

123 Ibid. p. 163.

124 Gueugnier, Carnets de captivité, p. 15.

125 Voir Auriol, Les barbelés des bannis, p. 224sqq.

126 Pelletier, Captivité, p. 158.

127 Hennebois, Aux mains de l'Allemagne, p. 27.

128 Riou, Journal d'un simple soldat, p. 28.

129 Hennebois, Aux mains de l'Allemagne, p. 34.

130 Ibid. p. 30.

131 Hennebois, Aux mains de l'Allemagne, p. 65.

132 D'Harcourt, Souvenirs de captivité et d'évasions, p. 9-55.

133 Hennebois, Aux mains de l'Allemagne, p. 95.

134 D'Harcourt, Souvenirs de captivité et d'évasions, p. 28.

135 Hennebois, Aux mains de l'Allemagne, p. 95.

136 Ibid.

137 Ibid. p. 108.

138 Sandre, Le Purgatoire, p. 158.

139 Hennebois, Aux mains de l'Allemagne, p. 93.140 Ibid. p. 70.

141 Riou, Journal d'un simple soldat, p. 2.

142 Hennebois, Aux mains de l'Allemagne, p. 85. 30

143 Ibid.

144 Ibid. p. 67.

145 Gueugnier, Carnets de captivité, p. 27.

146 D'Harcourt, Souvenirs de captivité et d'évasions, p. 165.

147 Gueugnier, Carnets de captivité, p. 137.

148 Sandre, Le Purgatoire, p. 162.

149 De Gaulle, Lettres, notes et carnets 1905-1918, p. 317.

150 Gueugnier, Carnets de captivité, p. 65.

151 Ibid. p. 62.

152 Ibid.

153 Pelletier, Captivité, p. 91.

154 Auriol, Les barbelés des bannis, p. 14.

155 D'Harcourt, Souvenirs de captivité et d'évasions, p. 154.

156 Duhaut, Journal de guerre, p. 14.

157 D'Harcourt, Souvenirs de captivité et d'évasions, p. 156.

158 Pelletier, Captivité, p. 104sq.

159 Gueugnier, Carnets de captivité, p. 62.

160 Riou, Journal d'un simple soldat, p. 22.

161 Riou, Journal d'un simple soldat, p. 89.

162 Voir remarque 56.

163 D'Harcourt, Souvenirs de captivité et d'évasions, p. 179.

164 Gueugnier, Carnets de captivité, p. 133.

165 Pelletier, Captivité, p. 36.

166 Gueugnier, Carnets de captivité, p. 109.

167 Ibid. p. 95.

168 Hinz, Gefangen im Großen Krieg, p. 99.

169 Gueugnier, Carnets de captivité, p. 21.

170 Hinz, Gefangen im Großen Krieg, p. 100.

171 Pelletier, Captivité, p. 51sq.

172 Ibid. p. 52.

173 Hinz, Gefangen im Großen Krieg, p. 101.

174 Pelletier, Captivité, p. 68.

175 Gueugnier, Carnets de captivité, p. 99.

176 Ibid. p. 72.

177 Ibid. p. 103.

178 Ibid. p. 15.

179 Ibid. p. 142.

Excerpt out of 138 pages

Details

Title
Les prisonniers de guerre français en Allemagne pendant la Première Guerre mondiale
Subtitle
Expérience d'une humiliation ou début d'une réconciliation ?
College
RWTH Aachen University  (Université de Reims et RTWH Aachen)
Course
Civilisation allemande
Grade
17/20
Author
Year
2007
Pages
138
Catalog Number
V175354
ISBN (eBook)
9783640963010
ISBN (Book)
9783640963294
File size
1087 KB
Language
French
Keywords
prisonnier, prisonniers, captivité, guerre mondiale, Grande Guerre, Première Guerre mondiale, anthropologie, France, Allemagne, français, allemand, Gaulle, Harcourt, Riou, Rivière, Revue, journaux, littérature, soldats, mémoire, soldat, camps de concentration, camp
Quote paper
Loïc Delafaite (Author), 2007, Les prisonniers de guerre français en Allemagne pendant la Première Guerre mondiale, Munich, GRIN Verlag, https://www.grin.com/document/175354

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