La Weißenhofsiedlung et la Cité Industrielle. Deux projets comparables ?

La conception de l'architecture, de l'urbanisme et de la modernité des visionnaires Le Corbusier et Tony Garnier


Bachelor Thesis, 2014

124 Pages, Grade: 2,0


Excerpt


Table des matières

Introduction

PARTIE I
1. Le mouvement moderne
2. Les villes en Europe au début du XXème siècle
3. Le Corbusier : un personnage exceptionnel
4. La Weißenhofsiedlung : les obstacles avant la réussite
5. Les maisons au Weißenhof - un ensemble malgré la diversité ?
6. La critique
7. Les mesures de sauvegarde ultérieures

PARTIE II
8. Lyon - un site industriel depuis tout temps ?
9. L'homme et la ville - le parcours de Tony Garnier jusqu'à l'obtention du prix de Rome
10. Les travaux de Tony Garnier à l'Académie de France
11. Les projets à Lyon et l'organisation de la Cité Industrielle
12. La ville industrielle et la vie sociale dans Travail
13. La construction du quartier des États-Unis

PARTIE III
14. Le musée - une institution ancienne moderne
15. Le concept du Weißenhofmuseum
16. Conclusion

PARTIE IV
17. Bibliographie

Introduction

Ce mémoire a pour but de présenter et analyser deux projets architecturaux du Mouvement moderne : le premier, situé dans le nord de Stuttgart, est la Weißenhofsiedlung, construite en 1927 par le Deutscher Werkbund ; le deuxième, de l'architecte lyonnais Tony Garnier, est la Cité Industrielle qui, malgré le fait qu'elle n'a jamais été réalisée telle qu'elle avait été conçue dans la dernière version de 1917, a rendu son auteur célèbre. Malgré quelques différences, je montrerai que les projets ont des aspects similaires qui permettent à ce travail de les rapprocher Dans un premier temps, j'expliquerai les principes du Mouvement moderne, et je donnerai un aperçu des situations et du développement des villes européennes vers le début du XXème siècle. Ensuite, commençant par la Weißenhofsiedlung, je parlerai de l'histoire de la ville de Stuttgart, ainsi que les problèmes d'habitat, et les solutions proposées. Puis, après avoir pris en considération non seulement les architectes intéressés, mais aussi les difficultés que ceux-ci ont dû affronter, je proposerai une description détaillée de la Weißenhofsiedlung qui vise tant à montrer les nouveautés des réalisations, qu'à comprendre la raison pour laquelle on les a vivement critiquées. Il sera également question de Le Corbusier, dont les écrits - notamment la théorie des couleurs et d'une nouvelle architecture - seront révélateurs de sa façon de voir l'habitat moderne. Pour finir, j'aborderai les étapes de la sauvegarde des réalisations de la Weißenhofsiedlung et la création du musée dans la maison jumelle de Le Corbusier en 2002. La deuxième partie du mémoire est dédiée à la Cité Industrielle de Tony Garnier. Les événements historiques qui ont engendré la signification particulière de la ville de Lyon seront un premier aspect important de mon travail. Ensuite, je retracerai les moments décisifs de la formation de Garnier jusqu'à sa reconstruction de Tusculum après qu'il a obtenu le Prix de Rome. Je fournirai aussi une description précise de la Cité Industrielle en soulignant le syncrétisme d'éléments modernes et antiques et ses caractéristiques comme le zonage.

L'étude des éléments utopiques du projet donnera ensuite matière à considérer les influences mutuelles de Garnier et d'autres architectes ou écrivains, en particulier Émile Zola et son roman Travail. Les opinions divergentes à propos du projet et de Tony Garnier lui-même feront partie de mon analyse.

Afin d'établir un lien entre les projets effectivement réalisés (la plupart d'entre eux exclusivement à Lyon) et la conception de la Cité Industrielle je m'attacherai au quartier des États-Unis, en tant qu'exemple, avant d'aborder la protection des oeuvres architecturales de Tony Garnier. Je confronterai ensuite quelques points communs et différences entre les deux projets. Finalement, je soulignerai, entre autres, les différences entre les musées en France et en Allemagne, vu qu'il existe non seulement un musée au Weißenhof, mais également le Musée urbain Tony Garnier à Lyon.

Einleitung

Diese Arbeit will zwei Architekturprojekte der Moderne präsentieren und analysieren: das erste, welches sich im Norden von Stuttgart befindet, ist die Weißenhofsiedlung, die im Jahre 1927 vom Deutschen Werkbund erbaut wurde; das zweite Projekt des Lyoner Architekten Tony Garnier ist die Cité Industrielle, die trotz der Tatsache, dass sie niemals ihren letzten Entwürfen von 1917 entsprechend realisiert wurde, ihren Autor berühmt gemacht hat.

Zunächst werde ich die Prinzipien der Modernen Bewegung erklären und einen Überblick über die Situation und Entwicklungen europäischer Städte gegen Ende des 20. Jahrhunderts im Allgemeinen geben. Mit der Weißenhofsiedlung beginnend, werde ich dann die Geschichte der Stadt Stuttgart sowie die Wohnungsnot und die vorgeschlagenen Lösungen für dieses Problem näher untersuchen.

Nachdem nicht nur die beteiligten Architekten, sondern auch die Schwierigkeiten vorgestellt wurden, auf welche jene gestoßen sind, soll eine anschließende detaillierte Beschreibung der Weißenhofsiedlung die Neuheiten dieses Baus zeigen, die Grund für einige Kritik waren. Es wird ebenfalls um Le Corbusier gehen, dessen schriftliche Werke - vor allem seine Theorie der Farben und einer neuen Architektur - bezeichnend für seine Ansichten zum modernen Wohnen sind. Schließlich werde ich die Schritte zur Erhaltung der Bauten am Weißenhof und die Einrichtung des Museums in der Doppelhaushälfte von Le Corbusier im Jahre 2002 vorstellen.

Der zweite Teil der Arbeit ist der Cité Industrielle von Tony Garnier gewidmet. Die geschichtlichen Ereignisse in Lyon, welche die besondere Situation der Stadt hervorgerufen haben, werden einen wichtigen Aspekt darstellen. Danach werden die entscheidenden Punkte der Ausbildung Garniers bis zum Projekt der Rekonstruktion von Tusculum aufzeigen, nachdem er den Prix de Rome erhalten hat. Auch hier werde ich die Cité Industrielle im Detail beschreiben, um den Synkretismus von modernen und antiken Elementen oder andere charakteristische Merkmale wie die Zonenunterteilung zu betonen. Einen weiteren Punkt werden die utopischen Elemente des Projekts darstellen, die Anlass zur Betrachtung von gegenseitigen Einflüssen Garniers und anderen Architekten oder Schriftstellern, insbesondere Émile Zola und sein Roman Travail, geben werden. Die geteilten Meinungen hinsichtlich des Projekts und Tony Garnier selbst werden ebenso Teil meiner Analyse sein.

Um den Zusammenhang zwischen den tatsächlich realisierten Projekten (der Großteil davon in Lyon) und den Plänen der Cité Industrielle herzustellen, soll das Wohnviertel États-Unis als Beispiel dienen. Auch werde ich über die Erhaltung der architektonischen Werke von Tony Garnier sprechen, und anschließend einige Gemeinsamkeiten und Unterschiede der beiden Projekte gegenüberstellen. Schließlich wird das ein Abschnitt unter anderem Museen in Frankreich und Deutschland vergleichen, da es neben dem Weißenhofmuseum auch das Musée urbain Tony Garnier in Lyon gibt.

PARTIE I

1. Le Mouvement moderne

« No better name than 'modern' has yet been found for what has come to be the characteristic architecture of the twentieth century throughout the western world […]. Alternative adjectives such as 'rational', 'functional', 'international', or 'organic' all have the disadvantage of being either vaguer or more tendentious. »1

Cette citation de Henry-Russell Hitchcock met non seulement en évidence qu'il est possible de distinguer plusieurs caractéristiques de l'époque en question, auxquelles je reviendrai ; mais en rejetant certains adjectifs qui pourraient remplacer le mot 'moderne', il réfléchit aussi à ce qui constitue ce phénomène très complexe qui a influencé tant l'architecture que la peinture et d'autres domaines. En plus, l'auteur identifie Le Corbusier et Mies van der Rohe en tant que leaders du mouvement, et on verra que ces deux personnages étaient partie prenante du projet de la Weißenhofsiedlung. Dans ce qui suit, je voudrais dépeindre les éléments décisifs de l'architecture moderne.

Mais qu'est-ce que l'architecture exactement, et est-il possible d'identifier des traits ? Dans la préface de La signification dans l'architecture occidentale, Christian NorbergSchulz essaie de la définir en disant qu'elle est un phénomène concret. Elle comprend des paysages et des implantations, des bâtiments et une articulation caractérisante. Elle est donc une réalité vivante […] [et] a aidé l'homme à rendre son existence signifiante. […] L'architecture a donc un objectif qui dépasse la satisfaction des besoins pratiques et économiques. […] L'architecture ne peut donc pas être décrite de manière satisfaisante au moyen de concepts géométriques ou sémiologiques.2

Tout au long de mon analyse, je montrerai que ces aspects réapparaissent dans les réflexions des architectes, et se retrouvent dans leurs projets.

Avant d'aborder le Mouvement moderne en détail, il faut prendre en compte que l'architecture, ses traditions et les différents styles ne peuvent pas être considérés comme une expression isolée du temps, indépendante des influences d'autres pays. Étant donné que les frontières politiques n'empêchent pas l'échange, il est impossible de parler d'une 'architecture allemande' ou 'française'. Néanmoins, les développements de style à travers le temps et à l'échelle internationale présentent des points communs à l'aide desquels les époques sont classées. À l'intérieur de cette chronologie de l'architecture, je me concentrerai sur le tournant et le début du XXème siècle3. L'Art nouveau, qui précède le Mouvement moderne, se voulait une alternative à l'historisme. Les oeuvres du mouvement, qui se termine vers 1925, abondent en ornements représentant des animaux ou des plantes. En Allemagne, le Jugendstil a ses origines à Munich et Darmstadt. Le Belge van de Velde a édifié en 1911 ce qui est devenu le siège du Bauhaus, fondé en 1919, dont il sera question encore une fois. Les bâtiments des Hackesche Höfe à Berlin ont été construits dans ce style. En ce qui concerne les événements historiques ainsi que l'emploi de certains matériaux, il importe de parler du courant Neues Bauen, apparu dans les années vingt et en rivalité avec les traditionalistes. La Révolution industrielle depuis le milieu du XIXème siècle a pour conséquence que le fer ou le béton sont utilisés de plus en plus. L'architecture industrielle joue un rôle crucial pour le projet de la Cité Industrielle de Tony Garnier. En outre, grâce au fait que les techniques de construction ont également évoluées, on met de plus en plus de logements à la disposition des habitants dans les villes. Cela va de pair avec les particularités des édifices : contrairement à l'Art nouveau où dominent les éléments décoratifs, la rationalité, l'efficacité ainsi que la construction ellemême sont soulignées. La Tour Eiffel, construite en fer, illustre la nouvelle technique de la construction à ossature. De nombreux architectes de la Weißenhofsiedlung sont des représentants du Neues Bauen.

Le Mouvement moderne architectural, ou la Klassische Moderne en allemand, se compose de tous les styles entre les années vingt et soixante, dont bien sûr le Neues Bauen, mais aussi le style international et le constructivisme. Gilbert Gardes et Marie Bouchard voient l'architecture de ce temps-là comme « point de rupture. Une réaction se fait jour contre la surcharge décorative dans le style dit 'éclectique' […] »4. Les architectes associés à ce style (par exemple Walter Gropius, Hans Scharoun, mais aussi Tony Garnier, « un des pères de l'Architecture Moderne »5 ) ont une prédilection pour le béton ou le verre. Bien que l'on trouve souvent la simplicité et les formes rectangulaires parmi les dominantes sujettes à des critiques - d'où le manque de soutien pour la sauvegarde des édifices modernes, voir le chapitre sur l'entretien -, ce n'est pas la règle. Le Congrès International d'Architecture Moderne (CIAM), fondé en 1928, avait pour but d'encourager le courant en établissant ses principes, comme dans la charte d'Athènes en 1933 qui porte sur la manière de construction des villes. Selon Lucie K. Morisset, la planification des villes respecte la « strict segregation into separate zones for industry, residential and civic functions […] for towns that would be both humane and economically productive »6, et on verra que le zonage, par exemple, est crucial pour l'organisation de la Cité Industrielle de Garnier.

En Allemagne, la prise de pouvoir des nationaux-socialistes en 1933 interrompt le mouvement de l'architecture moderne, ce qui a incliné quelques architectes à continuer leur travail aux États- Unis. Dès 1929, la crise économique a fait dépérir l'activité constructrice dans ce domaine. Plus tard, je reparlerai des répercussions de la guerre sur les bâtiments de la Weißenhofsiedlung en particulier, et reviendrai sur le problème de l'habitat mentionné ci-dessus. Le Mouvement moderne avait une grande influence sur d'autres styles architecturaux contemporains et ultérieurs. Des réalisations représentatives sont la Weißenhofsiedlung (ce « manifeste de la Moderne »7 qui a également servi de modèle à l'architecture moderne émergeante), ou la Ville blanche de Tel Aviv. À l'instar des deux projets à Stuttgart et à Lyon, je vais chercher à mettre en relief tant le concept de la ville moderne que celui de l'urbanisme moderne. Pour ce faire, il importe de commencer par l'histoire des villes, leur situation et leurs problèmes.

2. Les villes en Europe au début du XX ème siècle

« En Europe, tout au moins, les villes se sont faites par un travail séculaire, sans règle ni idée préconçue, avec cette précieuse collaboration du hasard et du temps, qui seule peut créer le pittoresque »8, a dit Julien Guadet, architecte et professeur de Tony Garnier à l'École des Beaux-Arts de Paris. Il fait allusion au développent des villes qui, d'après lui, ne correspondent pas à l'organisation souhaitée, ni répondent aux exigences de l'homme du XXème siècle. Premièrement, j'aimerais étudier à la loupe les données historiques de Stuttgart afin de saisir le rapport entre celles-ci et la création artistique, car ce que Guadet a déploré était exactement ce qui a incité les architectes de la Weißenhofsiedlung à trouver des solutions innovatrices en accord avec les principes du Mouvement moderne. L'un des facteurs déterminants pour toutes les villes qui a déjà été mentionné, est l'industrialisation, et ses conséquences pour la construction de logements. Déjà au XVIIIème siècle, les sociétés humaines se développent prestement - d'abord en Angleterre, puis en toute l'Europe -, et il naît le besoin d'améliorer les conditions de vie. La France connaît l'ère industrielle depuis le début du XIXème siècle, l'Allemagne seulement à partir de 1850. Le mouvement 'Arts and Crafts', inspiré par William Morris, est imbu du bénéfice social de l'art et l'artisanat ; il se répand l'idée qu'un paysage urbain idéal aboutira à des meilleures conditions sociales et politiques. Les modifications dans le domaine architectural affectent tant les lieux du travail que les lieux d'habitation. On commence donc à utiliser de nouveaux matériaux et techniques, et une architecture propre à l'âge industriel emerge ; mais ce ne sont pas les seuls changements, loin s'en faut. Car la Révolution industrielle implique également des inconvénients : à cause de l'exode rural, le nombre d'habitants dans les métropoles ne cesse de croître. La situation est catastrophique puisque personne n'y était préparé, et le manque de logements ainsi que l'infrastructure insuffisante posent d'énormes problèmes. Trop souvent, le souci des employeurs de réduire les coûts salariaux a la priorité, de sorte que la santé des ouvriers est mise en danger. De surcroît, la pollution atmosphérique par les voitures et les industries affecte les conditions sociales et hygiéniques9. Ce dernier point sera surtout significatif en examinant les logements conçus pour la Cité Industrielle. C'était dans de telles circonstances que les architectes ont réfléchi à des solutions rapides et efficaces qui pourraient reconcilier les aspects sociaux et économiques. Au début des années vingt, la capitale du Bade-Wurtemberg est une ville en croissance, et un site industriel important. D'une part, la culture, ou plus précisément les courants avant-gardistes, prennent leur essor après la Grande Guerre. D'autre part, la ville est frappée par une grave crise économique qui entraîne l'inflation et le chômage.

Au niveau social, le logement devient la question primordiale à laquelle il faut trouver une réponse. Kathrin Groke dépeint la situation de la manière suivante : « In Stuttgart fehlen etwa 5.000 Wohnungen für Familien mit kleinem und mittlerem Einkommen. Krieg und Inflation bremsen die private Bautätigkeit. Erst nach der Stabilisierung der Währung sind große kommunale Wohnungsbauprogramme möglich »10. Alors que l'on dépense 400.000 Reichsmark pour la construction de logements en 1924, le montant est multiplié par trois l'année suivante. Par la décision en faveur de la Weißenhofsiedlung, la ville de Stuttgart agit contre la crise du logement, et démontre qu'elle est ouverte au nouveau courant dans l'architecture.

Étant donné ce processus d'explosion, on atteint une « étape nouvelle dans l'utilisation du territoire »11 ; les difficultés qui en résultent rendent nécessaire non seulement une réorientation en ce qui concerne les matériaux et l'organisation des logements, mais aussi la planification du territoire en général. Les réflexions sur l'urbanisme seront décrites et expliquées à l'exemple du projet de Tony Garnier.

Un autre point qui est à la base de la conception de la Weißenhofsiedlung est le sujet de la machine que l'on a commencé à traiter vers les années vingt aussi. Pour Le Corbusier, l'architecture est même définie par celle-là, d'où l'expression 'machine à habiter' pour désigner ses logements.

À Stuttgart, la crise du logement a nécessairement des effets sur le genre de bâtiments qui sont construits. D'immenses blocs d'immeubles sans individualité voient le jour, exemplifiant la production de masse bon marché. Pourtant, la Weißenhofsiedlung réussit à s'en démarquer, bien que réalisée en même temps ; elle fait partie du programme de construction de logements qui a été approuvé en dépit de protestations par les traditionalistes, comme le montrera le chapitre sur les critiques et la Kochenhofsiedlung. Après avoir parlé du lieu, j'aimerais brièvement présenter l'acteur majeur sur les réalisations duquel je me concentrerai en particulier, et ensuite accentuer le rôle du Bauhaus et du Werkbund.

3. Le Corbusier : un personnage exceptionnel

« Le Corbusier, ce théoricien, cet artiste, dont on ne parviendra jamais, je crois, à dire à la fois assez de mal et assez de bien... »12

Né sous le nom de Charles-Édouard Jeanneret-Gris en Suisse en 1887, il y commence sa formation et est déjà très tôt passionné d'architecture. Ses voyages à travers l'Europe sont une source d'inspiration pour lui, et influencent tous les domaines auxquels il s'intéresse : à part architecte, il est également urbaniste, décorateur, peintre, et l'auteur de nombreux ouvrages sur son art. Hanno-Walter Kruft pense même que « Le Corbusier wielded an even grater influence through his forceful theories than through his executed designs »13. En plus, il s'aligne sur l'idée que l'humanité peut être améliorée par les arts. Dans la partie portant sur Tony Garnier, je montrerai pourquoi et comment cette théorie a conditionné sa Cité Industrielle.

Pour les logements à la Weißenhofsiedlung, Le Corbusier travaille avec son cousin Pierre Jeanneret, et applique sa théorie de couleurs et les cinq points de l'architecture moderne que j'examinerai plus tard en détail. Il est d'avis que la fonctionnalité est la compagne de l'esthétique, et considère beaucoup d'aspects d'un logement en disant que « [l]es matériaux de l'urbanisme sont le soleil, l'espace, les arbres, l'acier et le ciment armé, dans cet ordre et dans cette hiérarchie »14. Il a fait construire ses oeuvres pas exclusivement en Allemagne, mais également en France et en Suisse.

Par ailleurs, il est visible que les bâtiments de Le Corbusier et ceux des architectes du Bauhaus sont empreints du même style, s'étant influencés mutuellement. Il a participé à des projets tels que la Weißenhofsiedlung aux côtés des architectes du Bauhaus, quoiqu'il n'y ait jamais enseigné. Afin de démontrer le lien esthétique et théorique entre Le Corbusier, le Bauhaus et le Deutscher Werkbund, qui permettra de mieux concevoir les particularités des logements au Weißenhof, il me semble utile de rappeler les points principaux de ces derniers. Le Bauhaus, fondé en 1919 par Walter Gropius, était une institution d'éducation publique qui, toutefois, ne comprenait pas un groupe homogène d'artistes avec la même -rientation politique. À Weimar, c'était la première académie des Beaux-Arts après la Grande Guerre dont le but a défini Gropius comme « die Zusammenführung der Kunst und des Handwerks unter einem Dach: 'Das Endziel aller bildnerischen Tätigkeit ist der Bau' »15. On cherche à unir l'architecture, la peinture (on y trouve les noms de Klee et Kandinsky), l'urbanisme, et aussi le design. Car le nom 'Bauhaus' fait allusion aux ateliers médiévaux dans lesquels l'art et l'artisanat allaient de pair. C'est par les habitats de la construction de logements sociale que l'école parvient à percer.

Il importait aux 'Bauhäusler' de créer des objets pratiques, fonctionnels ('form follows function'), et actuels, de façon à contribuer au mieux-être des gens. On s'est aperçu que les biens industriels peuvent constituer un facteur économique non négligeable. La standardisation est considérée comme une nécessité, puisque la devise de Gropius est « 'Einfachheit im Vielfachen, knappe Ausnutzung von Raum, Stoff, Zeit und Geld' »16. Les idées et réalisations des artistes du Bauhaus ne sont pas bien perçues de tous. Lorsque les partis nationaux-socialistes obtiennent la majorité en 1925, le Bauhaus est obligé de déménager à Dessau où est bâti son siège qui est devenu le symbole de l'architecture humaine et moderne. Cependant, l'école du Bauhaus n'existait que jusqu'à sa dissolution par les Nazis en 1932. Aujourd'hui, il compte parmi les centres de formation les plus marquants du XXème siècle parce qu'il a influencé un bon nombre d'artistes internationaux. Le Deutscher Werkbund, une association d'artistes, architectes et artisans, peut être considéré comme le précurseur du Bauhaus. Il a été fondé à Munich en 1907, et l'un de leurs points communs était la collaboration des artistes de tous les domaines, « 'vom Sofakissen bis zum Städtebau' »17. Y ont adhéré Peter Behrens et Ludwig Mies van der Rohe (1886-1969), le directeur artistique de l'exposition 'Le logement' ('Die Wohnung') en 1927, pour laquelle la Weißenhofsiedlung a été construite. En Suisse et en Autriche, on assiste également à des formations du Werkbund. En 1923, le Journal Die Form, le porte-voix du Mouvement moderne, est publié pour la première fois. Ses intentions étaient multiples : faire sortir l'Allemagne de son 'arriération culturelle'18, promouvoir les produits allemands de haute qualité, développer la forme à partir de la fonction, remettre au carré la relation entre l'art et l'industrie ; bref, organiser toutes les sphères de vie en aspirant à « die Erzielung größter Wirkungen mit den kleinsten Mitteln »19. Dans leur programme, la crise du logement est vue d'une manière plus abstraite : « Das Problem der Neuen Wohnung ist im Grunde ein geistiges Problem und der Kampf um die Neue Wohnung nur ein Glied in dem Kampf um neue Lebensformen »20. Il y avait bien sûr des adversaires tels que Bonatz et Schmitthenner, j'y reviendrai. La dissolution du Werkbund avait lieu en 1934.

On voit donc que tant le Deutscher Werkbund que le Bauhaus se sont occupés des questions qui portaient sur l'habitat, en voulant se démarquer du temps préindustriel. Mais c'était le Werkbund qui a initié l'exposition au Weißenhof duquel je voudrais présenter les architectes, les préparations, le but, et aussi les problèmes que l'on a rencontrés.

4. La Weißenhofsiedlung : les obstacles avant la réussite

« Ich kämpfe mit Göttern, Döcker, Schmid und Welt für unsere Sache. Gott erbarme der Siedlung Aber ich bleibe oben »21 Le boulanger Georg Philipp Weiß (1741-1822) a prêté son nom au site que la ville de Stuttgart achète en 1911. L'idée d'y organiser une exposition se forme vers 1924 puisque la construction de logements est devenue une préoccupation primordiale. En plus, l'exposition 'Die Form', organisée par le Werkbund et la Württembergische Arbeitsgemeinschaft en juin, contribue également à la formation de cette idée. La ville met de l'argent à la disposition des architectes, et compte vendre les appartements après l'exposition, ce qui se révèlera assez difficile. Cependant, jusqu'à l'emménagement du premier locataire, énormément d'obstacles ont dû être surmontés. Je montrerai quels problèmes se sont présentés aux architectes qui sont restés attachés à leurs buts, et commencerai par détailler ces derniers.

Tout d'abord, il fallait définir pour qui on allait construire - car tous n'ont pas les mêmes besoins ni les mêmes moyens financiers. Les conceptions s'adaptent selon les exigences. Après la parution de quelques écrits qui ont tâché de définir les buts de l'exposition, la déclaration définitive est publiée en 1926. Celle-ci précise que leur 'groupecible' sont les couches aisées, mais aussi les personnes qui gagnent peu d'argent, et l'homme moderne de la grande ville. Comme le citadin moderne - selon les architectes - travaille, peut se déplacer facilement, et surveille sa santé, il faut avoir égard à tous ces aspects.

Absolument parlant, les architectes veulent démontrer plusieurs possibilités nouvelles d'habiter dans une métropole (le 'neues Wohnen'). Il s'agit de montrer les tendances actuelles en créant non des objets temporaires de luxe, mais de vrais logements habitables qui sont rationnels et économiques. Selon Jean-Louis Cohen, on peut même dire que le concept de 'maison' a été redéfini22.

Tous les architectes mettent en exergue la qualité de leurs constructions, qu'il faut voir zunächst in Opposition zur Stilpluralität des 19. Jahrhunderts, die als willkürliche Anhübschung beurteilt und damit als qualitätslos definiert wurde. Im Begriff der Qualität ist der Aufbruch zu verstehen, den Herausforderungen einer neuen Zeit gerade nicht durch präzise Festlegungen […] begegnen zu wollen, sondern duch Auslotung der Bedingungen und durch intensive Suche nach der sich daraus ergebenden Gestalt zu Lösungen zu führen.23

La diversité des réalisations à la Weißenhofsiedlung est remarquable. Malgré le fait que les architectes avaient tous les mêmes objectifs, leurs logements représentent des façons différentes de s'y prendre avec la situation : ainsi, il a été prouvé que la rationnalité n'exclut pas la fonctionnalité, ni les logements pratiques et bon marché. Certes, on retrouve ce phénomène dans d'autres villes, mais ce qui distingue le projet à Stuttgart est le fait que des artistes célèbres de différents pays y ont participé, et que toutes leurs réalisations se trouvent au même endroit.

La sélection et l'invitation des architectes ne se sont pas effectuées sans encombre. Mies van der Rohe veut opérer très soigneusement et ne permettre de participer qu'à tous ceux dont il pensait qu'ils étaient les meilleurs. Toutefois, Bodo Rasch raconte que le conseil municipal se mêle de cette affaire, exigeant que l'on fasse participer certains architectes de Stuttgart24. Finalement, on arrive à trente-huit nominations, dont dix appartiennent au 'Ring' - tous de jeunes architectes avec une attitude nonconservatrice. Puis, quelques-uns sont décommandés (comme Adolf Loos, qui a critiqué les expositions précédentes du Werkbund), d'autres refusent. Seulement huit mois avant le début de l'exposition, la liste est établie. Le Corbusier, lui, a d'abord été exclu pour des raisons 'politiques'. À la suite de la Première Guerre mondiale, tous les Français ne sont pas bienvenus en Allemagne - que Le Corbusier soit Suisse est ignoré. Pourtant, lorsque l'on prend en compte qu'il a un grand impact publicitaire et ainsi pourrait garantir le succès international du projet, il reçoit une invitation à laquelle il répond : « J'accepte avec plaisir »25.

Jusqu'à l'achèvement de la Weißenhofsiedlung, les architectes ont encore d'autres obstacles à vaincre ; l'une des raisons pour lequelles certains architectes ne voulaient pas participer étaient les faibles honoraires. Nonobstant, les dix-sept architectes finaux se mettent au travail. Après l'avoir rédigé plusieurs fois, Mies van der Rohe présente son plan en septembre 1925. La situation géographique de la ville y est respectée. La « topographie en cuvette de Stuttgart »26 a fait qu'à l'époque, les logements de la Weißenhofsiedlung étaient situés au bord de la ville - tout en étant à proximité du centre -, et profitaient de la vue et de la tranquillité. L'auteur de l'article « Maisons de la Weissenhof-Siedlung » insiste sur le fait que, « [b]ien que la zone d'habitation se soit considérablement étendue depuis, la cité du Weissenhof et son environnement immédiat ont conservé leur caractère spécifique d'aménagement aéré et verdoyant »27.

Non seulement les préparations, mais aussi les travaux ne se déroulent pas comme prévus. Tout le monde est pressé par le temps puisque l'ouverture de l'exposition est censée avoir lieu le 23 juillet 1927. En vingt-et-une semaines, soixante-trois appartements voient le jour. D'un côté, le temps extrêmement limité sert à prouver la supériorité de la nouvelle façon de construire aux façons précédentes, car les bâtiments au Weißenhof montrent comment on peut venir à bout de la crise des logements. De l'autre côté, cette pression a de graves influences tant sur le mode de construction, que sur l'atmosphère au chantier. Le 6 juillet, le maire de Stuttgart reçoit une lettre de réclamation dans laquelle on se plaint que les travaux aux bâtiments de Mies van der Rohe avancent trop lentement :

[Es] war festzustellen, dass der Block Mies offensichtlich eine der ruhigsten Baustellen ist, obwohl es sich bei diesem Block von 24 Wohneinheiten um den im Interesse der Ausstellung am meisten förderungsbedürftigen Bau handelt. […] Kurz nach 6 Uhr abends konnte festgestellt werden, dass am Bau Mies überhaupt nicht mehr gearbeitet wurde, im Gegensatz zu einer Reihe anderer Bauten, bei denen noch flotter Arbeitsgang festzustellen war. Wenn in diesem Tempo weitergearbeitet wird, kann der Block Mies in diesem Jahr überhaupt nicht mehr fertig werden. Für die Ausstellung sind damit nicht geringe Gefahren verbunden […]28.

On remarque le ton à la fois menaçant et narquois de l'expert qui est très pessimiste en ce qui concerne la finalisation des édifices, et il s'avèrera qu'il a en partie raison. Il ne faut pas -ublier que l'aménagement intérieur des logements fait également partie des préparations dont les architectes sont responsables. Pour ce qui est des édifices de Le Corbusier, les meubles originels ainsi que les tableaux aux murs dérivent tous des propositions d'Alfred Roth (1903-1998), le maître d'oeuvre responsable des bâtiments de Le Corbusier. Les travaux aux derniers logements ne finissent que début septembre. Avec un sourire, Kurt Schwitters raconte : « 'Ich war 6 Stunden unter den Häusern, habe meinen neuen Sommermantel mit frischer Ölfarbe eingeseift, wodurch ich mich nicht von anderen Besuchern unterschied' »29.

Mies van der Rohe et le conducteur de travaux, Richard Döcker, se disputent souvent à cause de questions de compétence, parce que Rohe a l'habitude de faire des changements à la dernière minute. La collaboratrice Mia Seeger raconte que Döcker, ce « schwäbischer Dickkopf »30, a quitté la salle lorsque Rohe y est entrée. Et début mai 1927, Rohe écrit :

Ich wiederhole, dass ich lediglich die Verantwortung für den künstlerischen Wert der Ausstellung trage und verwahre mich nochmals dagegen, für Dinge verantwortlich gemacht zu werden, die Sache und Aufgabe anderer sind. Ich bin künstlerischer Oberleiter, nicht Sekretär der Ausstellung.31

Pendant un certain temps, il n'est pas sûr non plus que les oeuvres de Le Corbusier seront achevées à temps. À la fin des travaux, on doit constater que les coûts effectifs sont plus élevés que prévus, et naturellement, cela fait augmenter le loyer. Malgré le fait que le but de l'exposition, à savoir construire des logements payables aussi pour les bas salaires, n'est pas atteint complètement, elle est parvenue à attirer l'attention internationale, également grâce à Werner Graeff qui apprend seulement par hasard que Rohe l'a nommé le responsable de la publicité :

Ich hatte Mies gesagt, wenn es da irgendwas für mich zu tun gebe, so würde ich gern helfen […]. Eines Tages, im Herbst 26, rief ich ihn mal wieder an und sagte: 'Wie steht es jetzt?' - 'Ja', sagte er, 'gut, dass Sie anrufen Sie sind nun Propaganda- und Pressechef der Werkbundausstellung. Fahren Sie rasch hin, die Leute warten schon auf Sie.' Mies schreibt nicht gern Briefe, und er hängt sich auch nicht gern ans Telefon. Wenn man sich nicht selbst an ihn wendet, so erfährt man nichts32.

De plus, la communication entre ceux qui conçoivent, et ceux qui doivent exécuter, fonctionne mal. Alfred Roth déplore que les jardiniers fassent ce qu'ils veulent (« '[Sie arbeiten nicht] nach unseren Prinzipien, sondern nach ihren fixen Ideen' »)33, et quand j'aborderai la remise en état et l'entretien des monuments, je montrerai en quoi cela pose des difficultés.

Il y a également des conflits avec l'administration, par exemple pour l'échelle inusitée que Le Corbusier emploie, de sorte qu'il est obligé de la changer - Bodo Rasch, lui aussi, se plaint des autorités pénibles qui compliquent le cheminement du projet34. De surcroît, étant donné les problèmes de temps et d'argent, il faut que Le Corbusier vienne en personne à Stuttgart en mars 1927, puisque Roth, son suppléant sur place, n'arrive plus à faire face aux nombreux problèmes. À court terme, ce dernier a été envoyé à Stuttgart fin avril, quoiqu'il n'ait aucune expérience pratique du tout. Au préalable, il a seulement travaillé au bureau de ce dernier. Les travaux à la maison jumelle commencent seulement début mai, et Roth attend toujours avec impatience les instructions et plans que son chef lui envoie par poste depuis Paris. Beaucoup d'idées de Le Corbusier sont irréalisables, faute de temps, ou arrivent trop tard à Stuttgart où Roth décide, bon gré mal gré, tout seul sur quelques détails des bâtiments. Le fait que les plans ne coïncident pas avec la réalité y est donc imputable. Mais quel est le résultat en 1927, et à quoi les maisons de la Weißenhofsiedlung ressemblent-elles ? Dans le but de démontrer les nouveautés et d'expliquer l'unicité de l'installation, je chercherai à analyser les caractéristiques extrusives de celle-ci. Une attention particulaire sera attribuée à la maison jumelle de Le Corbusier et son cousin Pierre Jeanneret puisqu'une connaissance approfondie est nécessaire pour comprendre la structure du musée au Weißenhof que je présenterai à la fin de la première partie de ce travail.

5. Les maisons au Weißenhof - un ensemble malgré la diversité ?

À la Weißenhofsiedlung, il y a de différentes réalisations qui répondent toutes au besoin de trouver une réponse à la question « comment habiter ? » - le sous-titre de l'exposition - en prenant en compte les développements de l'architecture moderne. L'exposition est si particulière parce qu'elle est une installation permanente : les bâtiments sont édifiés de manière à servir de vrais logements.

Avant d'entrer dans les détails de quelques-uns d'entre eux, dont la maison jumelle de Le Corbusier et Jeanneret, il importe de parler de l'arrangement des bâtiments, ainsi que de leurs points communs.

Les seize architectes principaux de la Weißenhofsiedlung sont Peter Behrens, Victor Bourgeois, Le Corbusier, Richard Döcker, Josef Frank, Walter Gropius, Ludwig Hilbersheimer, Ludwig Mies van der Rohe, Jacobus Johannes Pieter Oud, Hans Poelzig, Adolf Rading, Hans Scharoun, Adolf Gustav Schneck, Mart Stam, et Bruno et Max Taut. Aucun d'entre eux n'était encore célèbre.

Située en haut à la pente du Killesberg, la cité procure aux habitants un cadre tranquille à l'écart du centre frénétique de Stuttgart. L'ensemble est borné par le Hölzelweg au nord, la Rathenaustraße (Scharnhorststraße durant le régime nazi à partir de 1933) à l'est, la Friedrich- Ebert-Straße (Freiherr-von-Steinstraße) au sud, et la rue Am Weißenhof à l'ouest. Plusieurs représentants du Mouvement moderne sont venus à Stuttgart pour montrer les nouveautés de l'architecture. Parmi celles-ci, les architectes cherchent à réaliser par exemple l'agencement bien conçu, la prise en compte des besoins des habitants, et la constuction économique et efficace. Dans son oeuvre Ornament und Verbrechen, Adolf Loos écrit ce qui peut être vu comme le 'programme' des maisons au Weißenhof : « Ornamentlosigkeit ist ein Zeichen geistiger Kraft »35, condamnant ainsi tout élément décoratif orné de fioriture qui a marqué l'Art nouveau en louant tous ceux qui osent trancher avec la tradition - et ce programme rigoureux aura un succès international. Ce n'est pas en vain que la cité est appelée un manifeste de la Modernité, avec son architecture inspirée par le cubisme. Il ne s'agit plus d'être de valeur artistique, mais d'être fonctionnel, de sorte que l'aspect représentatif se met en retrait. Toutefois, les principes du Mouvement moderne laissent encore du champ libre à la variation : par exemple, la maison individuelle de Hans Scharoun, l'un des représentants majeurs de l'architecture organique, joue avec les formes anguleuses et circulaires.

Les nouvelles méthodes de construction, dont la construction à sec, ou celle à ossature de Le Corbusier, sont employées pour la première fois.

Victor Bourgeois commente l'emploi de matériaux tels que le béton, le fer et le verre en soulignant les possibilités inouïes qui se présentent aux architectes qui, cependant, n'ont pas encore tellement d'expériences techniques dans ce domaine36. Bien que sa maison individuelle ait été construite pour un maître d'ouvrage privé et, strictement parlé, ne devrait donc pas être considérée comme faisant partie de la Weißenhofsiedlung, on a tendance à l'inclure en raison de son apparence simple, dépourvue de décoration.

Walter Gropius construit sa maison individuelle au numéro 6 du Bruckmannweg avec des éléments préfabriqués afin de montrer comment on peut bâtir de manière efficace en gagnant beaucoup de temps. Cette approche implique une plus grande indépendance des conditions météorologiques, car tout peut être préparé à un endroit protégé, comme un atelier de production.

Les architectes sont tous occupés à définir ce qui constitue l'équipement minimal d'un appartement. Mies van der Rohe, par exemple, insiste pour que toutes les maisons soient munies d'une salle de bains, de toilettes, et d'un chauffage central. Pour des raisons d'installation, il n'y a que trois pièces à utilisation fixe ; toutes les autres sont divisibles individuellement, et les habitants sont libres de les façonner comme bon leur semble. En ce qui concerne l'aménagement intérieur, celui-ci n'existe plus sous forme de meubles conçus exclusivement pour une certaine pièce ou fonction, mais sous forme d'élements simples qui peuvent être combinés à volonté. L'architecte d'intérieur Bodo Rasch définit le but de son travail :

Wir sahen unsere Aufgabe darin, durch solide gefertigte, den neuen Fabrikationsmethoden angepasste Möbel auch dem einfachen Arbeiter ein Gebrauchsgerät zu schaffen, das allen Ansprüchen genügt - ihn von dem Ballast zu befreien, mit dem er sich durch das Schielen auf großbürgerliche Prestigeeinrichtungen immer wieder umgab37.

La standardisation, élément décisif du Neues Bauen, se retrouve dans les considérations des planificateurs, et dans tous les logements.

Comme les plans des logements n'étaient pas définis, la marge de manoeuvre des architectes a rendu possible les nombreuses propositions de solutions à la crise en gardant l'impression d'homogénéité de l'ensemble.

Pour ne pas gaspiller la place, les éléments mobiles et les meubles de séparation permettent d'utiliser les pièces de façon variable ; en conséquence, l'exploitation optimale de tout l'espace est garantie. Plusieurs fonctions d'habitat s'unissent dans une seule salle. Le bloc d'immeubles de Mies van der Rohe est le plus grand bâtiment de la Weißenhofsiedlung. Dans les années trente, il a abrité une épicerie, alors que maintenant s'y trouve le centre d'information. Dans sa maison jumelle, l'architecte autrichien Josef Frank prend en charge l'enjeu de l'énergie. La partie qui donne vers le sud chauffe au gaz, tandis que dans l'autre partie, tout fonctionne à l'électricité - alors un équipement très progressiste, vu que l'installation du réseau électrique à Stuttgart n'a été achevée que trois ans auparavant.

Le souci du bien-être et de la santé des habitants est repérable dans les considérations hygiéniques : les architectes font grand cas de logements baignés dans une profusion de lumière, et bien aérés ; souvent, les maisons sont munies d'un balcon ou d'un jardin. Richard Döcker souligne l'importance des grandes fenêtres, alors que la maison à terrasses de Peter Behrens, qui est l'un des architectes les plus expérimentés, est conçue afin d'accorder assez de lumière à tous, et de prendre des précautions contre les maladies. Voici ce que dit l'architecte lui-même :

Durch die Anlage solcher Häuser, die Lichthöfe vermeiden […], würde den drei großen Feinden der Volksgesundheit entgegengearbeitet werden können: Erstens soll durch den dauernden Aufenthalt bei Tag und Nacht in frischer Luft auf den Terrassen den an Tuberkulose leidenden oder dazu neigenden Personen ein Heilmittel zugeführt werden, zweitens soll durch das Hinausbringen der Säuglinge und Kinder auf neben der Wohnung gelegene Freiplätze der Kindersterblichkeit in den heißen Monaten entgegengearbeitet werden, und drittens sollen durch das Abtrennen mittels Scherwänden der einzelnen Schlafstellen Ansteckungsgefahren […] vermieden werden38.

Pourtant, il faut dire que les besoins de la ménagère ou la bonne ne sont pas toujours pris en compte : la maison d'Adolf Gustav Schneck dans la Friedrich-Ebert-Straße (la plus grande maison individuelle de toute la cité) prévoit une pièce consacrée au repassage au sous-sol, sans lumière du jour. Dans la maison de Hans Poelzig, la petite chambre de la bonne se trouve également au sous-sol.

Par contre, la décision en faveur d'un toit plat n'est pas toujours liée à l'idée de l'utiliser comme terrasse, mais aussi à celle d'épargner à la ménagère tout travail supplémentaire. D'après Josef Frank, le toit plat est devenu le symbole de l'architecture moderne parce qu'il suggère la clarté, c'est-à-dire, la simplicité des formes39. Dans la maison d'Adolf Rading (qui prévoit même un terrain de jeux sur la terrasse), ainsi que dans les maisons mitoyennes de Jacobus Johannes Pieter Oud, la pièce pour repasser est située au rez-de-chaussée. Ce dernier explique l'agencement pour lequel il a opté par l'incidence de la lumière :

Die Häuser sind als typischer Ausschnitt aus einer Großsiedlung aufzufassen, wobei es schmale Ostweststraßen gibt mit Gärten nach dem Süden und geschlossener Wirtschaftsfront nach dem Norden. […] Dieser Einteilung zufolge ist also der Wohntrakt, durch das Fenster stark geöffnet, jeweils nach Süden, der Wirtschaftstrakt, fast ganz geschlossen nach Norden verlegt40.

Ces maisons représentent la meilleure mise en pratique de l'objectif de concevoir des logements à prix abordable en accord avec les principes du Neues Bauen.

Contrairement à l'idée de la 'machine à habiter' de Le Corbusier, Oud veut respecter toutes les demandes de confort des habitants. Le seul inconvénient de ces maisons sont les murs : ayant utilisé un certain mélange de béton, ceux-ci avaient besoin de deux ans pour sécher entièrement.

Ludwig Hilbersheimer a une autre opinion sur qui a le droit de jouir des beaux alentours de la cité. Sa maison destinée à six personnes réalise sa conception de la vie d'une famille avec des enfants. Elle devrait vivre en périphérie de la ville, alors que les célibataires ou couples sans enfants sont relégués dans les grands immeubles. L'hollandais Mart Stam est d'avis que les besoins de la communauté, et non ceux d'une personne spécifique, sont prioritaires ; la maison individuelle est donc un concept démodé.

La maison jumelle de Jeanneret et Le Corbusier - sans aucun doute l'architecte le plus connu et le plus contesté du projet - est située dans la Rathenaustraße, en bordure de la Weißenhofsiedlung. Elle est libre d'accès jusqu'en 1929, et ensuite donnée en location. Employant la construction à ossature en béton armé, le bâtiment à deux étages comprend deux appartements en miroir ; l'un de 60, l'autre de 75 mètres carrés. Le musée se modèle sur cette division en deux parties. L'aménagement de la façade lors de l'exposition en 1927 témoigne des réflexions théoriques de Le Corbusier : à l'extérieur, elles sont presque tout blanches ; à l'intérieur, surtout en camaïeu de bleu. La maison individuelle de Bruno Taut laisse également entrevoir des réflexions sur les couleurs, mais son choix est rejeté : comme chaque mur extérieur est peint d'une différente couleur, les critiques se moquent de la maison en disant que seules les personnes daltoniennes peuvent la supporter.

De plus, Le Corbusier manifeste sa prédilection pour les pilotis par lesquels il est capable de donner à la maison une certaine légèreté, comme si elle flottait, et dit sur l'architecture idéale : « '[Sie ist ein] Kristall, das im All spiegelt, das vielmehr zu schweben scheint, als auf dem Boden zu stehen' »41.

La seule décoration est le 'nez en tôle' ('Blechnase') qui interrompt la rangée de fenêtres au premier étage. Le Corbusier le justifie en disant qu'il sert d'élément pare-vue, mais en vérité, il n'est pas possible de jeter un coup d'oeil dans l'appartement voisin. Une autre spécificité sont les cages d'escalier qui ressortent.

La conception du logement est inspirée par le wagon-lit d'un train puisque le compartiment, qui est 'le salon' pendant la journée, peut être transformé facilement en 'chambre à coucher' : le soir, il suffit de sortir du placard (alors en béton) les lits en acier. Comme l'architecte prévoit des éléments mobiles, l'espace intérieur est utilisé de beaucoup de façons.

La maison transformable qui est une 'machine à habiter' est l'interprétation de Le Corbusier de l'architecture de l'avenir. Tout en n'ayant que de la place restreinte, il essaie d'en tirer le plus possible.

Le couloir extrêmement étroit (60 cm avant la restauration), ressemble à ceux d'un wagon de train et ne sert que de passage. Il cause l'incompréhension et la critique du public et est, entre autres, la raison pour laquelle personne ne veut louer cet appartement. L'agencement de la maison est le suivant : au sous-sol se trouvent une chaufferie et une cave à charbon ; au rez-de-chaussée, l'entrée, le cellier, la chambre de fille, le débarras, et la buanderie. À l'étage supérieur se trouve la salle de séjour (divisible en plusieurs dortoirs), la cuisine, le bureau, la salle de bains et les toilettes. La bibliothèque ainsi que le toit en terrasse (le 'luxe gratuit', comme l'a dit l'architecte) sont situés à l'étage mansardé. Un escalier en colimaçon permet l'accès à cet étage.

La rangée de fenêtres en bois, qui illuminent les pièces au premier étage et permettent une vue magnifique sur Stuttgart, est reprise par le cadre en béton au toit en terrasse. La chambre de fille est petite, mais lumineuse ; dans la bibliothèque, grâce au fait qu'elle est située à l'étage mansardé, aucun bruit ne dérange le lecteur. Le Corbusier prend soin des habitants et veut créer une atmosphère agréable pour tous. La cuisine et la salle de bains profitent de la lumière du jour et correspondent aux demandes hygiéniques. L'architecte ne veut que très peu de meubles pour l'exposition ; dans la salle de séjour et la chambre à coucher, on ne trouve pas beaucoup plus que des tables et chaises en acier. En général, au regard de l'idée que les femmes, elles aussi, devraient s'investir dans une activité professionnelle, tous les meubles sont d'un entretien facile. Non seulement à la maison jumelle, mais aussi à la maison individuelle au numéro 2 du Bruckmannweg, Le Corbusier applique ses « Cinq points d'une architecture nouvelle », formulés en 1926. Ce sont les conclusions auxquelles il a abouti après de nombreuses années d'expérience, car ces principes caractérisent son travail depuis 1920. Ce que Kathrin Groke met en avant, c'est qu'il ne s'agit point ici de 'fantaisies esthétiques'42, mais de faits architecturaux tres précis qui désignent le Neues Bauen.

Le premier point se réfère aux pilotis, à la base desquels est la distinction entre parties portantes, et parties non-portantes. Il faut calculer exactement la charge qui est transmise aux pilotis, afin qu'ils puissent remplacer les murs. Le rez-de-chaussée est soulevé et protégé de l'humidité du sol grâce à ceux-là ; il y a de l'air et de la lumière. En outre, on récupère beaucoup de terrain à bâtir en bas où un jardin est aménagé ; la surface du terrain entier est gagnée par le toit avec la terrasse. Il n'est pas tenu compte de la disposition intérieure de la maison, qui est subordonnée à l'arrangement des pilotis. Les toits en terrasse que je viens de mentionner constituent le deuxième point. D'un côté, ils signifient l'abandon du type de construction traditionnel et permettent aux habitants d'utiliser toute la surface de façon optimale ainsi que de vivre dans un espace vert. De l'autre côté, ils ont une fonction architectonique : les jardins protègent le ciment armé, sensible aux variations de température, d'une éventuelle dilatation. Puisque les eaux de pluie s'écoulent lentement (les tuyaux sont à l'intérieur de la maison), l'humidité continuelle fait en sorte qu'il y ait une végétation abondante. Des arbrisseaux de deux ou trois mêtres sont même possibles. Ainsi, le toit devient le lieu privilégié de la maison. Le troisième point, à savoir le plan libre, est lié au premier. Le système de pilotis porte les plafonds de tous les étages. Étant donné qu'il n'existe plus de murs porteurs qui définissent la structure du logement, celui-ci se subdivise par des cloisons érigées au choix. Pour cette raison, le plan peut être différent à chaque étage, l'espace étant indépendant de la structure.

Les fenêtres en longueur sont l'avant-dernier point de l'« architecture nouvelle ». Il a déjà été montré que les architectes s'attachent tous à respecter le confort et l'hygiène, et les fenêtres pour lesquelles opte Le Corbusier veulent répondre à ces deux exigences : à l'inverse des fenêtres séparées par des trumeaux, des expériences scientifiques ont prouvé qu'une chambre à fenêtres en longueur est huit fois plus lumineuse. Le béton armé permet donc qu'un maximum de lumière et d'air puisse entrer dans les pièces. Pour finir, la façade libre veut dire qu'il n'y a plus aucune partie porteuse en façade parce que le plancher en porte-à-faux est est avancé au-delà des poteaux. Sans rapport à l'intérieur, les fenêtres en longueur se poursuivent librement.

L'intérieur de la maison jumelle est polychrome. Le Corbusier définit ses réflexions sur les couleurs utilisées, qu'il considère d'importance égale au plan d'ensemble, et Alfred Roth veille à ce que les idées de l'achitecte soient réalisées. Il envoie les esquisses de l'intérieur à Paris pour que Le Corbusier puisse y enregistrer les couleurs. Lors de la restauration de la maison, il se présente des difficultés à reconstruire la coloration originale, que j'aborderai plus tard en détail.

Au début des années vingt, Le Corbusier ne s'est point fait connaître comme architecte, mais comme peintre. Ses oeuvres théoriques sont aussi signifiantes que ses édifices, et sur son passeport, il s'appelle lui-même 'homme de lettres'. Hans Hildebrandt (1878-1957), professeur d'histoire de l'art et d'architecture moderne, s'est lié d'amitié avec Le Corbusier et a traduit ses écrits en allemand, dont Vers une architecture (Kommende Baukunst) en 1926.

À l'école du Bauhaus, on attache beaucoup d'importance à l'enseignement des propriétés de certains matériaux ainsi que des caractéristiques des couleurs. Pour Le Corbusier, les couleurs sont même l'un des éléments de la vie dont l'architecture ne peut pas se passer non plus. Il les emploie systématiquement et toujours avec l'intention de souligner la relation entre couleur et forme. Le jeu de couleurs a nombre de conséquences sur l'effet du bâtiment, et les pièces en particulier : la polychromie peut donner aux locaux une sensation d'espace, et les murs se dématérialisent. Le Corbusier traite les surfaces extérieures différemment de celles à l'intérieur, car la façade extérieure reste plutôt monochrome :

'[P]olychromy on the exterior has the effect of camouflage; it destroys, disjoints, divides and thus thwarts unity […]'. In this matter, Le Corbusier adopted the standpoint of Charles Blanc, [who] derived the monochromy of the exterior not from classic architecture but from a consideration of nature. On the outside, the human body is almost wholly monochrome, whereas the inside is polychrome. Because architecture takes its most important characteristics - proportion and symmetry - from the exterior of the human body, the use of colour should also be oriented to this appearance43.

Puisque l'architecture est une cohabitation de volume et de lumière selon Le Corbusier, il fait attention aux caractéristiques des couleurs (avant tout du rouge et du bleu) par rapport à l'emprise de la clarté. Il exige que ses couleurs soient de la meilleure qualité, et se focalise sur peu de coloris. « Den Pinsel oder Spachtel in der Hand, beschränkte ich mich ausschließlich auf das, was ich fühlte, ohne mich jemals durch die Vorstellung verwirren zu lassen, dass einst allein Herr Chevreuil mehr als zehntausend Nuancen geschaffen hatte Dies getan hatte ich 43 Töne. Ich hätte gewiss noch mehr haben können, aber ich möchte mich nicht verzetteln » 44. Pourtant, il ne néglige pas les sentiments du contemplateur (ni les siens, voir la citation ci-dessus), et crée aussi de l'harmonie avec ses claviers de couleurs. Il en publie deux ; l'un en 1931, qui est celui qui contient 43 couleurs, l'autre en 1959, avec vingt couleurs plus soutenues. Par conséquent, sa polychromie se compose de 63 nuances, ses 'outils pour un travail précis et déterminé'45. Tous les coloris sont combinables entre eux, proposant un programme complet pour la conception de l'intérieur - et pour les surfaces, et pour les objets. La simultanéité est cruciale : au lieu de contempler une couleur après l'autre, l'oeil doit les voir ensemble, dans un contexte.

Toutes les couleurs ont une fonction et évoquent des associations. Le rouge, qui est lié à la clarté, peut stimuler ; le bleu, nous faisant penser à la mer ou au ciel, peut calmer, et ainsi de suite. Les couleurs froides sont davantages utilisées.

Il est visible que les considérations théoriques de Le Corbusier aspirent à satisfaire tant aux principes de l'architecture, qu'aux besoins des habitants. La polychromie dénote ses facultés de peintre et de stylicien. Pour les deux maisons à la Weißenhofsiedlung, l'artiste se concentre sur le brun, le rouge, le gris, et le bleu. Dans un premier temps, les couleurs à l'extérieur, ensuite celles à l'intérieur, seront présentées.

En ce qui concerne les pilotis de la terrasse au toit, et ceux qui portent le premier étage, Le Corbusier les veut en bleu foncé. Les portes d'entrée au rez-de-chaussée sont gris foncé ; la cloison séparative ainsi que les murs extérieurs à l'est sont rouges. Les pans de mur de la terrasse à l'étage supérieur sont principalement gris et bruns. Le reste de la façade extérieure est blanc. D'après l'artiste, la monochromie permet l'estimation exacte du volume d'un objet, alors que la polychromie détruit la forme et rend le volume inestimable46.

En considérant les couleurs des murs de refend, leur effet d'ensemble qui explique le choix de Le Corbusier deviendra compréhensible. Au sujet de la couleur blanche, Alfred Roth justifie son emploi :

[I]n Verbindung mit Weiß [ist] die farbige Stimmung festgelegt. Die Verteilung von Weiß ist von vornherein bestimmt:

1. Die Fensterfläche als die unbeleuchtete und daher dunkelste Fläche ist Weiß. [...]
2. Die Decken; Weiß ist hier am Platze zufolge seiner Unkörperlichkeit, um Höhe zu geben, und seiner Eigenschaft, das Licht zu reflektieren.
3. Wände, die seitlich vom Licht gestreift werden, zufolge der reflektorischen Wirkung […].47

Presque tous les plafonds de l'appartement sont blancs parce qu'ils représentent la

superficie la moins illuminée directement. Mais toutes les couleurs ne réagissent pas à la lumière de la même façon, puisque le rouge, qui souligne la présence du mur, en a besoin 'afin d'exister pour de vrai'48, mais le bleu a besoin de pénombre pour s'épanouir. À l'exemple de la chambre-salon au premier étage, je voudrais commenter les couleurs en détail.

Comme on le voit très bien dans les images, le mur du couloir qui donne sur l'ouest est peint en jaune foncé, les murs qui donnent sur le sud et le nord sont bleus. Cette couleur-ci suggère la distance et donne une impression d'espace à la pièce, de sorte que le mur perd quasiment sa solidité. Voilà le lien entre ces caractéristiques et les associations telles que la mer, la tranquillité, et la légèreté49.

Tandis que les murs latéraux sont donc souvent peints en bleu, ceux qui ont des fenêtres sont d'une couleur plus claire, comme le jaune. Ces murs ne sont pas illuminés directement et nécessitent un éclaircissement par la peinture. Dans la plupart des cas, les murs en face des fenêtres sont brun foncé, comme le mur à l'étage supérieur, ou le mur de la plus grande partie de la chambre-salon à droite. Vu que l'autre partie semblerait 'étouffer' la personne qui y demeure si la pièce était trop sombre, elle est peinte en bleu. Cet aspect est également envisagé dans l'autre pièce où une bande à l'angle en haut à gauche, de l'armoire jusqu'au plafond, n'est pas brune, mais bleue.

Toutes les portes à l'intérieur sont brun rouge, le sol est gris clair. Les plinthes dans la maison sont gris foncé, mais les bordures de l'armoire qui font saillie sont blanches. On remarque que Le Corbusier ne laisse rien au hasard en ce qui concerne les couleurs pour ses oeuvres architecturales. Toutefois, il est impossible de dire avec certitude si tous les plans ont été réalisés comme il le souhaitait.

Le Corbusier ne visite le chantier que trois fois - et cela seulement à cause de problèmes mentionnés au chapitre précédent : d'abord en novembre 1926 afin d'examiner le terrain à bâtir, en mars 1927 pour essayer de régler les problèmes de coûts et de temps, et finalement en octobre de la même année où il visite les maisons achevées. Ses maisons peu conventionnelles, témoins du bouleversement du Mouvement moderne, font sensation et sont au centre de l'intérêt des visiteurs. Cependant, l'état de la maison jumelle tel qu'il l'est à ce moment-là ne durera pas longtemps.

6. La critique

Entre 1925 et 1927, beaucoup de publications voient le jour, dont Bau und Wohnung avec les descriptions des architectes, Innenr ä ume de Werner Graeff, et Wie Bauen ? des frères Rasch. Elles sont destinées à accompagner l'exposition, qui ne consiste pas seulement en les maisons de la Weißenhofsiedlung. À proximité de l'endroit où se trouve aujourd'hui la bibliothèque universitaire, l'aménagement intérieur est exposé. De plus, la 'Internationale Plan- und Modellausstellung' de Ludwig Hilbersheimer est présentée au grand public à l'Interimsplatz. À côté de la cité, il se trouve un terrain d'expérimentation qui montre des maisons à moitié achevées pour exposer des méthodes de construction.

On montre les façons d'habiter dans l'avenir dans tous les domaines. Entre le 23 juillet et le 31 octobre 1927, environ 500.000 visiteurs viennent la voir. Certainement, la publicité sous forme d'affiches a contribué à attirer ce nombre impressionnant de gens pour l'architecture. Willi Baumeister (1889-1955), peintre, graphiste et décorateur, s'occupe de toutes les publications. Du premier coup d'oeil, les affiches provocatrices font comprendre que les courants précédents doivent être surmontés. Les affiches échauffent les esprits, et la radicalité du programme moderne de la Weißenhofsiedlung polarise les critiques. Premièrement, la voix sera donné aux visiteurs et locataires des maisons au Weißenhof, et deuxièmement, la partie adverse et le contre-projet de la Kochenhofsiedlung seront présentés.

Tant en Allemagne qu'à l'étranger, les réactions à l'exposition - positives et négatives - sont nombreuses. Le journal Vorw ä rts approuve l'abandon du style précédent : « Das Haus als Wohnmaschine, befreit vom Ballast sentimentaler Ornamente, ein lebendiges, atmendes Nutzwesen; schreckhaft noch anzuschauen für den Banausen und ewigen Spießbürger, der alles so haben will, wie es bei Großväterchen war »50. Anton Kolig, professeur à une école d'art décoratif et le premier locataire de la maison jumelle de Le Corbusier, dit : « Ich bin noch weit davon entfernt, dieses sehr eigenwillige Haus mit meinem Geiste zu durchdringen und zu beherrschen. Dafür regt es meine Phantasie in hohem Maße an und auf »51. Il souligne que l'architecture n'est pas 'consommable passivement', comme c'est le cas avec les maisons traditionnelles. Au contraire, elle demande que l'on réfléchisse, et elle ne se plie pas aux conceptions des habitants. Mais en retour, il leur est offert le sentiment, à nul autre pareil, d'être directement aux prises avec les formes d'expression du Mouvement moderne.

Alors que cette citation est ambiguë et ni entièrement positive, ni négative, les caricatures d'un contemporain tournent l'aspect extérieur et la composition de la maison en ridicule. Le premier dessin, intitulé « Das Dachgartengrab der bodenständigen Bauweise und der Gemütswerte », fait allusion aux toits en terrasse alors inhabituels qui, selon l'auteur, pourraient parfaitement servir de tombeau. L'autre caricature reprend les qualités de la maison de Mies van der Rohe en les interprétant de manière négative, c'est-à-dire, elle se moque des principes du Neues Bauen en exagérant :

« Neueste Lebensform von Mies v. d. Rohe: Das Dachgartenbad mit angehängtem Haus. Keine Bodenfeuchtigkeit. Kleinste Küche. Keine Möbel. Lässt sich nach jeder Windrichtung drehen, daher Luft, Licht, Sonne ganz nach Bedarf ». Avant tout, l'auteur critique la constriction des pièces et l'aspect extérieur de la maison. Mais en fait, les adversaires ont déjà tenté à empêcher la construction de la cité en influençant les autorités même avant que les travaux aient commencé pour de vrai. Le chef du bureau de presse, Werner Graeff, raconte :

[Man hatte] sich gehütet […], den Verantwortlichen im Stadtparlament Aufschluss darüber zu geben, wie radikal das Experiment 'Weißenhofsiedlung' sein werde. Man hatte eigentlich keine Ahnung, wer Mies, Gropius, Oud, Stam, Corbusier, Poelzig, Hilberseimer, Scharoun und die anderen waren. Als die Sache bekannter wurde, haben die Gegner des 'Neuen Bauens' Abbildungen früherer Bauten der Genannten gesammelt und die Leute von der Stadt gefragt: 'Wollt ihr eigentlich sowas?' - 'Nein, gar nicht. Wieso?' - 'Ja, sowas wird jetzt da oben gebaut' Die Bombe war geplatzt. Man sprach davon, alles abzublasen.52

Aussi, comme l'a montré la citation de Pierre Francastel au début du chapitre sur Le Corbusier, ce dernier ne fait pas l'unanimité. Son programme d'habitat expérimental n'est pas du goût de tout le monde, et puisque les locataires ne peuvent ou ne veulent plus vivre dans de tels logements, les travaux de transformation commencent dès le début des années trente. Quand le contrat de location de Kolig expire, la ville de Stuttgart entreprend des transformations lors desquelles disparaissent les éléments distinctifs de l'achitecture de Le Corbusier. Sur le toit en terrasse un étage supplémentaire est construit, on installe des fenêtres différentes, et ainsi de suite. Jean-Louis Cohen explique cela en écrivant que la cité est une « operation that was fiercely opposed by the public and conservative critics alike, who saw in it a sort of 'Arab village', running quite counter to all German building traditions »53.

La maison jumelle de Le Corbusier subit d'énormes changements afin de la faire correspondre aux idées traditionnelles d'une maison, de sorte que la reconstruction sera compliquée. Les meubles sont enlevés, et puisque quelques locataires se plaignent de ne pas avoir assez de cabinets de débarras, une cave est parfois intégrée. Le bilan des recherches scientifiques, établi en 1929, révèle également que les critiques portent sur l'humidité des murs et d'autres vices rédhibitoires.

Dès le début de l'exposition, on discute de la question de savoir quelle est la 'bonne' façon de construire. Nombre d'architectes soutiennent le nouveau style, d'autres le réfutent rigoureusement. Kurt Schwitters, dont la citation fait allusion à celle de Werner Graeff, se moque de l'aspect de la cité :

Aber ich denke, die Behörden in Stuttgart und Württemberg kommen mir vor, als wären sie Hühnerglucken, die falsche Eier ausgebrütet haben, und nun stehen sie am Ufer des Teichs und sehen mit Stolz und Grauen, wie die Entenkücklein [sic], die sie aber doch für ihre Kinder ansehen, weit hinaus auf die Wasserfläche schwimmen, wo sie ihnen nicht folgen können.54

Les avant-gardistes et les traditionalistes s'affrontent irréconciliablement. Paul Schmitthenner (1884-1972) fait partie de ces derniers, et considère le style moderne une 'fausse piste'. Pour l'oeuvre de Le Corbusier, il ne trouve que des mots de mépris : « 'Erstarrte Gedankenlosigkeit eines geistreichen Ästheten von Geschmack. Diese 'neue Sachlichkeit' hat internationale Gültigkeit, denn es ist gleichgültig, in welchem Erdteil das Gebäude steht' »55. Ses propres constructions sont, selon lui, typiques de l'Allemagne ; il cherche à définir ce qui fait partie de l'architecture traditionnelle allemande et n'aspire pas à l'approbation internationale. En 1934, il publie Baukunst im neuen Reich.

Paul Bonatz et lui sont des représentants de l''École de Stuttgart'56 et veulent empêcher que la Weißenhofsiedlung soit construite. Ils se retirent du Werkbund et écrivent des lettres diffamatoires qu'ils publient dans les journaux Schw ä bischer Merkur et S ü ddeutsche Zeitung. Pour tous les traditionalistes, les bâtiments de la cité sont scandaleux. En 1928 est fondé le 'Block', une association d'architectes qui, s'orientant à l'historisme, propagent le retour au style conservatif. Tant Bonatz que Schmitthenner figurent parmi les membres de la fondation.

[...]


1 p. 419.

2 p. 5.

3 Cependant, il importe de dire que les dates exactes des époques artistiques varient puisque la périodisation n'a été faite qu'a posteriori.

4 p. 7.

5 Alain Vollerin.

6 p. 106.

7 Goruma.

8 p. 104. Cité d'Anthony Vidler.

9 Révélateurs sont par exemple les ouvrages de Louis-René Vuillermé (Tableau de l' é tat physique et moral des ouvriers employ é s dans les manufactures de coton, de laine et de soie, 1840), le poème « Zone » de Guillaume Apollinaire (1913), ou De la prostitution dans la ville de Paris d'Alexandre Parent-Duchâtelet (1836). Ces oeuvres cherchent à mettre l'hygiène au premier plan, à assimiler les profondes modifications, et à dénoncer les conditions de travail.

10 p. 24.

11 p. 62. Antonio Font Arellano.

12 Larousse. « Charles-Édouard Jeanneret, dit Le Corbusier ». Citation de Pierre Francastel.

13 p. 396.

14 Husgallery. On retrouve des considérations hygiéniques, dont l'importance de la lumière et les plantes pour un logement, tant chez Le Corbusier que chez Tony Garnier. Voir les passages sur l'hygiène et les passages sur les points communs des deux projets.

15 p. 60. Uwe M. Schneede. Il faut dire que tout au début, au Bauhaus n'existait pas encore de section d'architecture.

16 p. 62.

17 p. 10. Valerie Hammerbacher et Anja Krämer.

18 p. 9. cf Kathrin Groke.

19 Weissenhofsiedlung. « Die Werkbundsiedlung 1927 ». Mémoire écrit en 1925 par Karl Lautenschlager et Peter Bruckmann.

20 Deutscher Werkbund Nordrhein-Westfalen.

21 p. 43. Paul Meller, chef de chantier de J.J.P. Oud. Cité de Kathrin Groke.

22 p. 35.

23 p. 8. Helge Classen.

24 Museum der Dinge.

25 p. 45. Cité de Kathrin Groke.

26 p. 1. « Maisons de la Weissenhofsiedlung. Stuttgart, Allemagne, 1927 ». Dans les titres, les sites Internet ou les citations, l'orthographie ancienne a été gardée.

27 ibid.

28 p. 38. Kathrin Groke.

29 p. 6. Claudia Mohn.

30 Deutscher Werkbund Nordrhein-Westfalen. Citation de Mia Seeger.

31 p. 41. Kathrin Groke.

32 Werner Graeff.

33 p. 105. Kathrin Groke.

34 Museum der Dinge.

35 Weissenhofsiedlung Stuttgart. « Die Weißenhofsiedlung Stuttgart ».

36 ibid. « Die Gebäude der Weißenhofsiedlung ».

37 Museum der Dinge.

38 Weissenhofsiedlung Stuttgart. « Die Gebäude der Weißenhofsiedlung ».

39 ibid.

40 ibid.

41 Weissenhofsiedlung Stuttgart. « Architekten ».

42 p. 114. « Es handelt sich hier keineswegs um ästhetische Phantasien oder Trachten nach modischen Effekten, sondern um architektonische Tatsachen […], vom Wohnhaus bis zum Palasthaus ».

43 p. 94-95. Jan de Heer,.

44 Les Couleurs. « Polychromie Le Corbusier ».

45 ibid. « Die Farbklaviaturen ».

46 p. 4. Analyse Doppelhaus von Le Corbusier. Heike Kirnbauer et Anja Ruzicka.

47 ibid.

48 ibid.

49 Cette légèreté doit être vue en relation avec l'effet des pilotis qui font 'flotter' l'étage supérieur. Le Corbusier a choisi les couleurs pour ses maisons avec beaucoup de soin.

50 Tobias Aufmkolk et Gabriele Trost. « Weißenhof-Siedlung ».

51 p. 90. Kathrin Groke.

52 Werner Graeff.

53 p. 35. Jean-Louis Cohen.

54 p. 129. Brigitte Franzen.

55 p. 71. Kathrin Groke.

56 À cette école d'architecture, imprégnée par Bonatz et Schmitthenner, le traditionalisme dominait la formation des élèves. Face à la construction de la Weißenhofsiedlung, elle se sentait offensée, et croyait sa renommée en péril.

Excerpt out of 124 pages

Details

Title
La Weißenhofsiedlung et la Cité Industrielle. Deux projets comparables ?
Subtitle
La conception de l'architecture, de l'urbanisme et de la modernité des visionnaires Le Corbusier et Tony Garnier
College
University of Stuttgart
Grade
2,0
Author
Year
2014
Pages
124
Catalog Number
V277921
ISBN (eBook)
9783656735595
ISBN (Book)
9783656735557
File size
980 KB
Language
French
Keywords
achitecture, modernité, stuttgart, lyon, industrie, quartier des États-Unis, Zola, Travail, musée
Quote paper
Manü Mohr (Author), 2014, La Weißenhofsiedlung et la Cité Industrielle. Deux projets comparables ?, Munich, GRIN Verlag, https://www.grin.com/document/277921

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