Extrait
Sommaire
Introduction
I. L’essai d’une distinction claire des droits et des principes
A. Les droits de la Charte comme normes préexistantes
B. Les principes dans la Charte comme normes programmatiques
1. Le contexte de l’élaboration du terme de « principe »
a. Un essai d’inspiration par les droits nationaux
b. Une opposition à l’initiative de la distinction entre droits et principes
2. L’impossibilité de distinguer les principes des droits par l’article 52, paragraphe 5
a. La « mise en œuvre » des principes
b. L’interprétation de « tels actes »
c. L’invocabilité des principes de la Charte
II. La prépondérance des ambiguïtés dans la distinction des droits et des principes
A. Les faiblesses multiples de la distinction entre droits et principes
1. La faiblesse des textes
2. Inconsistance de la Jurisprudence de la Cour de Justice
B. Les alternatives possibles à la distinction entre droits et principes
1. La recherche d’autres critères de différenciation entre droits et principes
2. L’abandon de la distinction entre droits et principes
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Abbréviations
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Introduction
Déjà Benjamin Constant constate qu’ « il y a des principes universels parce qu’il y a des données premières qui existent également dans toutes les combinaisons. Mais ce n’est pas à dire qu’à ces principes fondamentaux il ne fallait pas ajouter d’autres principes résultant de chaque combinaison particulière […]. Les principes secondaires sont tout aussi immuables que les principes premiers »1.
Le droit de l’Union européenne parle souvent des principes dans des contextes assez différents qui peuvent tantôt se rapprocher du terme de droit ou des droits fondamentaux, tantôt s’en éloigner.
La définition classique du terme principe qui trouve son origine dans le mot latin « principium » peut être selon M. Cornu une « règle juridique établie par un texte en termes assez généraux destinée à inspirer diverses applications et s’imposant avec une autorité supérieure »2. Un droit est selon M. Cornu une règle « de conduite socialement édictée […] et sanctionnée […], qui s’impose aux membres de la société3 ». Déjà ces deux définitions font pressentir la différence entre les droits et les principes et les difficultés de faire une distinction précise notamment quand un principe coincide avec un droit.
Les définitions assez génériques ne montrent cependant pas toute la réalité nuancée du droit de l’Union européenne qui distingue d’un côté les droits fondamentaux lato sensu qui sont plutôt un « catch-all term » pour parler des principes, libertés et droits4 et qui sont souvent assimilés aux principes généraux de droit comme source non écrite identifiée par la CJUE5. De l’autre côté il y a les droits stricto sensu et les principes6 qui se trouvent dans la Charte des droits fondamentaux où ces derniers ne sont plus une sorte de sur-droit comme dans la définition de Cornu, mais plutôt un terme qui décrit un « sous-droit »7 comme norme incomplète, incapable « d’autosuffisance »8 et d’une « normativité lacunaire9 ». Dans l’analyse qui va suivre les droits de la Charte vont englober à la fois le terme de droit, des droits fondamentaux et de liberté10 pour les opposer aux principes au sens de l’article 52 de la Charte des droits fondamentaux11. L’idée à l’origine de l’emploi du terme « principe » par la Charte était d’avancer des objectifs programmatiques politiques, par exemple les droits sociaux et les droits liés à la protection de l’environnement, ce qui a été notamment mise en avant par le représentant à la convention du Gouvernement français, M. Braibant, ainsi que par le député au Parlement allemand, M. Meyer 12. L’idée a été insérée dans la Charte et de plus les droits fondamentaux reconnus par la Jurisprudence de la CJUE ont été consacrés « afin d’ancrer leur importance exceptionnelle et leur portée de manière visible pour les citoyens de l’Union »13. La Charte a été proclamée par le Parlement, le Conseil et la Commission à Nice en 2000 et de nouveau en 200714. Avec ce traité de Lisbonne, elle est devenue source de droit primaire contraignante puisque « a legally binding Charter, with social and equality rights is most desirable because it would be most integrationist in its effects 15 ». La valeur contraignante de la Charte ayant d’après l’article 6, paragraphe 1 alinéa 1 TUE la même valeur juridique que les traités a fait accroître l’importance de la distinction entre les droits et principes de la Charte, et ceci encore plus avec l’échec du traité établissant une constitution pour l’Europe. Déjà le préambule distingue entre les droits et libertés et les principes dont l’alinéa 7 énonce que « l’Union reconnait les droits, les libertés et les principes énoncés ci-après » ce qui implique que les « principes » mentionnés dans le préambule avant l’alinéa 7 comme le principe de la démocratie, d’égalité et de solidarité et de subsidiarité qui ne sont pas énoncés « ci-après » ne semblent pas en faire partie.
La distinction des droits et des principes au sens de la Charte se retrouve à l’article 6, paragraphe 1 TUE, à l’article 51, paragraphe 1, phrase 2 de la Charte et est concretisée à l’article 52 dont le paragraphe 5 éclaire expressement la notion de « principe »16: « Les dispositions de la présente Charte qui contiennent des principes peuvent être mises en oeuvre par des actes législatifs et exécutifs pris par les institutions, organes et organismes de l'Union, et par des actes des États membres lorsqu'ils mettent en oeuvre le droit de l'Union, dans l'exercice de leurs compétences respectives. Leur invocation devant le juge n'est admise que pour l'interprétation et le contrôle de la légalité de tels actes ». Bien que ce paragraphe ait été nouvellement introduit depuis le traité de Lisbonne, la distinction entre les droits et les principes de la Charte existait déjà lors des Conseils européens de 199917. L’introduction expresse de quatre nouveaux paragraphes de l’article 52 est le résultat de l’opposition de certains gouvernements, notammment du Royaume-Uni en tête, qui ont eu des craintes quant à la justiciabilité des droits sociaux18. Cependant le Groupe de travail II souligne que les nouveaux paragraphes ne sont que des « adaptations rédactionnelles techniques qui ne reflètent pas des changements substantiels »19. Pour mieux comprendre cette distinction entre des droits et des principes, l’article 52, paragraphe 7 fait référence aux Explications relatives à la Charte des droits fondamentaux publiées le 14 décembre 2007 au JO de l’Union européenne qui n’ont pas en soi de valeur juridique mais sont des outils d’interprétation destinés à éclairer les dispositions de la Charte20. L’article 52 doit comme toute la Charte être lu dans son contexte et ainsi pour distinguer les droits et les principes il est possible de se référer d’un côté à ces Explications, mais aussi aux traités, aux traditions constitutionnelles, aux droits et pratiques des Etats membres (article 52, paragraphe 6), à la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) et aux circonstances du compromis trouvé dans la Charte21. Aussi les interprétations données par la CJUE conduisent la compréhension des dispositions de la Charte. Avec la prise en compte de ces moyens et des développements depuis les dix ans depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, il se pose la question dans quelle mesure une distinction concrète entre les droits et les principes de la Charte est possible. Pour cela une distinction claire des droits et principes dans les dispositions de la Charte peut être essayé (I) qui est pourtant nuancée par les ambiguités prévalantes de cette distinction (II).
I. L’essai d’une distinction claire des droits et des principes
En ce qui concerne la distinction entre les droits et les principes, il est aisé d’encadrer d’abord le terme de « droit » au sens de la Charte (A) pour ensuite tirer les conséquences pour la définition du « principe » dans la comparaison (B).
A. La subjectivité des droits de la Charte
Déjà le titre de la Charte des droits fondamentaux indique l’importance des droits et notamment des droits fondamentaux qui sont élaborés par les inspirations des droits fondamentaux des législations nationales mais aussi de la CEDH22. Alors que les droits fondamentaux étaient encore un non-problème lors de la construction européenne principalement économique23, ils gagnent de l’importance dans la Jurisprudence de la CJUE dans les situations où l’Allemagne était mise en cause24 et sont finalement consacrés en droit positif dans la Charte des droits fondamentaux. L’arrêt Internationale Handelsgesellschaft 25 a marqué le début du développement des droits fondamentaux qui s’est approfondi par les arrêts Nold 26 et Hauer 27. Le contrôle juridictionnel quant aux droits fondamentaux a été étendu par la Jurisprudence Wachauf 28 confirmée par Bostock 29. Il incombe ainsi aux Etats membres de « ne pas se fonder sur une interprétation […] qui entrerait en conflit avec lesdits droits fondamentaux »30. Pour cela, il faut d’abord se rappeler des définitions autonomes que donne le droit de l’Union qui peuvent être « distinctes des acceptations nationales »31. Ainsi les droits de l’homme français ne peuvent pas être simplement assimilés des « Grundrechte » allemands qui ne sont pas l’équivalent des droits fondamentaux32. Pour identifier les droits fondamentaux en droit de l’Union la CJUE s’inspire beaucoup de la Jurisprudence de la CourEDH selon laquelle il faut « un intérêt suffisamment important [qui] est menacé d’une façon telle qu’il donne naissance à des obligations à l’endroit de l’Etat partie »33 ce qui a été relevé par exemple dans l’affaire Koch contre Allemagne 34. Ce raisonnement pour identifier les droits fondamentaux est emprunté par la CJUE ce qui illustre l’affaire Hoechst 35 où la CJUE analyse si une Jurisprudence de la CourEDH existe concernant la question posée, pour faire même dans la négative l’analyse de l’intérêt particulièrement important à protéger par un droit fondamental dont le besoin de protection génère une obligation pour l’Etat en cause36. Ce raisonnement parallèle à la CourEDH s’applique encore après le traité de Lisbonne ce qui montre l’article 52, paragraphe 3 qui dispose que « dans la mesure où la présente Charte contient des droits correspondants à des droits garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, leur sens et portée sont les mêmes que ceux que leur confère ladite convention ». Les droits ayant des correspondants dans la CEDH, semblent alors tomber sous la catégorie des droits au sens de l’article 52 de la Charte. Mais le raisonnement parallèle qu’effectue la CJUE n’est pas une application simple des « droits correpondants » qui sont énumérés dans les Explications relatives à l’article 52 de la Charte en ce qui concerne leur sens et leur portée. Ceci montre par exemple l’affaire Sánchez Morcillo 37 pour la protection du consommateur de l’article 47 dont la protection est plus étendue que celle de la CEDH38, alors que la CEDH ne constitue qu’un « standard minimum »39 et la Jurisprudence de la CourEDH comme élément d’interprétation40. En termes généraux les droits fondamentaux de la Charte s’identifient alors principalement par l’existence d’un « intérêt protégé »41 parallèlement au raisonnement de la CourEDH. Par conséquenc, l’identification des droits fondamentaux par la Jurisprudence de la CJUE donne une piste à suivre pour les distinguer des principes parce que « Rights are an expression of a polity which already exists. »42
Cependant dans le contexte de la Charte, l’identification des droits fondamentaux qui constituent à peu près la moitié de la Charte43 ne suffit pas pour encadrer le terme de « droit » dans son intégralité et n’aide que partiellement à la distinction des droits des principes. Ainsi M. Palombella fait une distinction entre les droits fondamentaux et les droits de l’homme comme deux conceptions différentes du terme de « droit »44. Il faut alors recourir à des critères plus généraux pour identifier l’intégralité des droits dans la Charte. Classiquement des droits et libertés peuvent faire objet des restrictions et d’un contrôle de légalité devant les juridictions des Etats membres ou de l’Union européenne dans les limites de l’article 52, paragraphe 2 de la Charte. Selon les Explications de la Charte sont des droits les articles 2, 3, 6, 9, et 14 de la Charte et sont des libertés qui vont être traités avec les droits (v. Introduction) les articles 10 à 13, 15 et 16 de la Charte45. En analysant ces articles l’approche pour identifier des droits s’inscrit dans la « théorie de l’intérêt » qui peut être qualifié ou universel46. Les droits proprement dits identifiés par les Explications, par exemple le droit à la vie, le droit à la liberté et à la sûreté, le droit de fonder une famille ou à l’éducation paraissent de couvrir un intérêt universel pendant que par exemple pour l’exercice des libertés d’expression et d’information, de réunion et des arts et des sciences un intérêt qualifié semble nécessaire. Pour assurer l’exercice des droits et libertés, il découle de ce qui précède, que les droits ont un lien étroit avec des obligations de l’Etat47 et ils ont valeur légale contraignante48 alors que la violation des droits par l’administration est sanctionnée49 ce qui pourraient être des critères utiles pour les distinguer des principes. De plus, l’article 52 reprend la distinction catégorielle juridique des droits qui sont subjectifs d’un côté et des principes qui nécessitent une concrétisation de l’autre50. Ainsi les droits doivent être respectés et non seulement observés comme les principes (article 51, paragraphe 1) ce qui semble de faire une distinction en termes de justiciabilité.
B. L’essai d’encadrement des principes par la Charte
La question qui se pose est de savoir comment une Charte intitulée « Charte des droits fondamentaux » peut faire place à une catégorie qui s’appelle « principe ». La réponse peut être cherchée dans le contexte de l’élaboration (1) et à l’article 52 de la Charte (2).
1. Le contexte difficile de l’élaboration du terme de « principe »
L’élaboration des principes s’inscrit dans un contexte de droit comparé et d’inspiration des droits nationaux mais se trouve aussi face à des oppositions de certains Etats membres.
a. Un essai d’inspiration par les droits nationaux
La distinction entre les droits et principes n’est pas une invention nouvelle du droit de l’Union mais beaucoup d’Etats membres font cette distinction depuis longue date dans leurs droits nationaux, notamment la France, l’Allemagne, l’Espagne et la Pologne et c’est notamment du droit français et espagnol que la Charte s’inspire pour la rédaction de l’article 52, paragraphe 551. En Espagne la Constitution de 1978 distingue entre les droits fondamentaux et les « principes gouvernant la politique sociale » ou les « garanties sociales ». Ces principes ont besoin d’une mise en œuvre dans la législation et ne sont pas une « base indépendante pour pouvoir réclamer des droits subjectifs »52. Cependant certains principes de la Constitution sont d’effet direct à formulation inconditionnelle53. En France il y a des principes dégagés par la Jurisprudence qui peuvent être des principes constitutionnels, des principes généraux du droit, des droits-libertés ou des droits-créances qui se rapprochent des principes de la Charte même ayant une terminologie différente54.En Pologne des « normes de programme » existent pour donner des directives et objectifs à suivre qui sont contraignantes mais qui ne créent pas un droit subjectif55. D’autres pays ne parlent pas de principes proprement dits mais emploient des termes voisins parmi lesquels on peut trouver des éléments des « principes » de la Charte. Le droit allemand distingue entre « Zielbestimmungen » comme objectifs qui lient les trois pouvoirs étatiques56, « Vertragszielbestimmungen » qui fournissent des instruments pour la réalisation des objectifs étatiques57 et « Gesetzgebungsaufträge » dont le destinataire est uniquement le législateur58.
La Charte des droits fondamentaux n’a pas consacré un chapitre précis aux principes comme la Constitution espagnole, mais l’identification se fait selon une appréciation au cas par cas par la Jurisprudence de la CJUE. Ainsi l’avocat général Cruz Villalon parle d’une « forte présomption d’appartenance aux principes des droits sociaux » dans les conclusions de l’affaire Association de médiation sociale 59. Dans l’affaire Van den Bergh 60 sont reconnus les principes du droit agricole, l’arrêt Pfizer 61 est l’exemple standard pour le principe de précaution et la CJUE applique la catégorie des principes aux dispositions relatives à l’intégration des personnes handicapées62. Selon les Explications relatives à la Charte sont des exemples pour des principes purs les articles 25, 26 et 37 de la Charte. Aussi le libellé employé par un article de la Charte peut être une allusion à un principe, ainsi toutes les dispositions qui renvoient au droit communautaire ou aux législations et pratiques nationales pour être mis en œuvre sont des indices qu’une disposition est un principe au sens de la Charte63. Mais il se pose la question de savoir si ces affaires cadres et indices marquent une ligne de démarcation suffisamment claire pour distinguer les principes des droits dans le cadre du droit de l’Union.
b. Une opposition à l’initiative de la distinction entre droits et principes
Certains Etats membres craignent l’extension du pouvoir de l’Union européenne par l’introduction des droits sociaux dans la Charte bien que la Charte n’ait pas pour objectif de conférer des compétences nouvelles à l’Union européenne64. Le Royaume-Uni et la Pologne plaident pour l’insertion de l’article 52, paragraphe 5 qui vise à éclairer la distinction des droits et des principes en conformité avec la Jurisprudence de la CJUE65 et entendent d’obtenir une dérogation à l’application de la Charte pour la protection de leurs droits, libertés et principes nationaux ce qui leur est conférée par le protocole n° 30 sur l’application de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne dont la République tchèque souhaitait adhérer aussi après avoir signé le traité de Lisbonne sous son ancien Président. De plus, l’article 52, paragraphe 6 a été ajouté à la suite de la méfiance du gouvernement brittanique66 qui énonce que « les législations et pratiques nationales doivent être pleinement prises en compte comme précisée dans la présente Charte ». Cela vise à protéger les pratiques nationales mais n’a en réalité pas de sens ayant en vue l’obligation préexistante depuis Simmenthal67 de laisser inappliquée toute disposition contraire au droit de l’Union et le fait que le protocole n° 30 n’exempte pas les deux Etats des dispositions contraignantes de la Charte68. Les principes font selon certains auteurs aussi partie des dispositions contraignantes ce qu’ils justifient par la formule de l’article 52, paragraphe 1, deuxième phrase69 qui parle des « limitations » en général sans distinguer entre droits et principes ce qui est renforcé par la deuxième partie de la phrase qui par opposition parle expressément des droits et libertés d’autrui. Même si on ne suit pas cette opinion, les principes sont toutefois des lignes de conduite à suivre dans une certaine mesure par les Etats membres même en présence d’un protocole dérogatif. Cependant l’article 52, paragraphe 5 essaie d’atténuer les effets des principes pour qu’ils ne soient pas des « épées »70 comme les droits.
2. La distinction impossible des principes et des droits par l’article 52, paragraphe 5
Selon l’article 52, paragraphe 5 de la Charte « les dispositions de la présente Charte qui contiennent des principes peuvent être mises en oeuvre par des actes législatifs et exécutifs pris par les institutions, organes et organismes de l'Union, et par des actes des États membres lorsqu'ils mettent en oeuvre le droit de l'Union, dans l'exercice de leurs compétences respectives. Leur invocation devant le juge n'est admise que pour l'interprétation et le contrôle de la légalité de tels actes. ». Dans cette formule des critères des principes de la Charte il convient d’analyser les termes de « mise en œuvre » et de « tels actes » de la deuxième phrase, ainsi que les bénéficiaires des principes.
a. La « mise en œuvre » des principes
Conformément à l’article 52, paragraphe 5 de la Charte il faut une mise en œuvre du principe de la Charte en cause. Le libellé que les principes « peuvent » être mises en œuvre ne se réfère pas à une simple faculté de mettre en œuvre un principe mais concerne les différentes possibilités de la mise en œuvre que confère la première phrase du paragraphe 5. Ainsi la mise en œuvre peut être effectuée par les institutions, organes et organismes de l’Union, mais aussi par des actes des Etats membres qui mettent en œuvre le droit de l’Union. L’interprétation du terme « mise en œuvre » peut être faite de deux façons distinctes. Selon une interprétation littérale du terme une mise en œuvre existe seulement si une mesure au niveau de l’Union ou d’un Etat membre vise de réaliser le principe en question71. Mais cela laisse subsister la possibilité pour les Etats de prendre des mesures qui violent un principe sans que cette mesure puisse être contrôlé au sens de l’article 52, paragraphe 5, phrase 2. Une deuxième interprétation de « mise en œuvre » est alors plus favorable à un niveau de protection plus élevé par les principes. Les principes sont selon cette théorie la protection « pour faire obstacle à l’adoption de certains actes des institutions de l’Union ou des Etats membres qui remettent en cause le niveau de réalisation déjà atteint par des mesures de mise en œuvre »72. Selon cette théorie peut être contrôlée également la violation du principe qui constitue une mise en œuvre.
[...]
1 Constant 2015, cop. 2015, 7, (8).
2 Cornu (Hrsg.), Vocabulaire juridique.Géard, principe » pt 2.
3 Ibid. « droit » pt 1.
4 Anderson/C Murphy, in: Biondi, EU law after Lisbon, 155, (156).
5 Hilson, Maastricht Journal of European and Comparative Law 2008, 193, (196).
6 Dubout, Revue trimestrielle de droit européen 2014, 409, (410).
7 Ibid. (412).
8 Ibid.
9 Ibid.
10 Schmittmann, Rechte und Grundsätze in der Grundrechtecharta, p. 25.
11 Tous les articles mentionnés ci-après sans référence expresse sont présumés de relever de la Charte des droits fondamentaux.
12 Schutter, in: Schutter/Carlier, Une Constitution pour l'Europe, 81, (100).
13 Conseil européen de Cologne 03-04.06.1999: Conclusions de la Présidence, https://www.europarl.europa.eu/summits/kol2_fr.htm.
14 Fiches thématiques sur l’Union européenne | Parlement européen (Hrsg.), La protection des droits fondamentaux dans l’Union, https://www.europarl.europa.eu/factsheets/fr/sheet/146/la-protection-des-droits-fondamentaux-dans-l-union.
15 McCrudden, The Future of the EU Charter of Fundamental Rights, p 17.
16 Jarass, Charta der Grundrechte der Europäischen Union, points 68–70.
17 Grewe, in: Merten/Papier/Grewe, Grundfragen der Grundrechtsdogmatik, 1, (5 s.).
18 Bailleux, in: Picod/van Drooghenbroeck, Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Commentaire article par article, 1287, (1308).
19 Groupe de travail II « Intégration de la Charte/adhésion à la CEDH » de la Convention européenne, http://european-convention.eu.int/pdf/reg/fr/02/cv00/cv00354.fr02.pdf.
20 Ibid.
21 Ibid., (1290).
22 Colella, La restriction des droits fondamentaux dans l'Union européenne, p. 95.
23 Gaïa, Revue française de droit constitutionnel 2004, 227, (228).
24 Colella, op. cit, p. 85.
25 CJCE 17 déc. 1970, aff. 11-70, Internationale Handelsgesellschaft, Rec. CJCE 1970 , p. 1125.
26 CJCE 14 mai 1974, aff. 4-73, Nold, Rec. CJCE 1974, p. 491.
27 CJCE 13 déc. 1979, aff. 44/79, Hauer, Rec. CJCE 1979, p. 3727.
28 CJCE 23 juillet 1989, aff. 5/88, Hubert Wachauf, Rec. CJCE 1989, p. 2609.
29 CJCE 24 mars 1994, aff. C-2/92, Bostock, Rec. CJCE 1994, p. I-955.
30 CJCE, 29 janvier 2008, aff. C-275/06, Promuscicae, Rec. CJCE, p. I-309, point 70.
31 Colella, op. cit, p. 115.
32 Colella, op. cit, p. 115.
33 Colella, op. cit, p. 97.
34 CourEDH 19 juill. 2012, Req n°497/09, Koch c. Allemagne, point 35.
35 CJCE 21 septembre 1989, aff. 46/87 et 227/88, Hoechst, Rec. CJCE 1989, p. 02859.
36 Colella, op. cit, p. 106.
37 CJUE 17 juillet 2014, aff. C-169/14, Sánchez Morcillo, ECLI:EU:C:2008:54, point 35.
38 Explications relatives à la Charte des droits fondamentaux, JO 2997/C303/02 du 14.12.2007, art. 52.
39 Jacqué, Les limitations aux droits fondamentaux dans la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, http://www.droit-union-europeenne.be/427772766.
40 Ibid.
41 Colella, op. cit, p. 104.
42 McCrudden, op. cit, p 17.
43 Groussot/Pech, Question d'Europe, (3).
44 Palombella, EUI LAW, (3).
45 Anderson/C Murphy, op. cit, (161).
46 Colella, op. cit, p. 128.
47 Ibid., p. 133.
48 Hilson, op. cit, p. 208.
49 Ibid., p. 214.
50 Terhechte, in: von der Groeben/Schwarze/Hatje, Europäisches Unionsrecht, GRC Art. 52, point 12.
51 ACA Europe, ( 11).
52 Ibid.
53 Ibid.
54 Ibid., p. 12.
55 Ibid.
56 Ipsen, Über das Grundgesetz : Rede gehalten anläßlich des neuen Amtsjahres des Rektors der Universität Hamburg am 17. November 1949, p. 14.
57 Schmittmann, op. cit, p. 70.
58 Ibid., p. 71.
59 CJUE 15 janv. 2014, aff. C-176/12, Association de médiation sociale, ECLI:EU:C:2014:2.
60 CJCE 11 mars 1987, aff. 265/85, Van den Bergh, Rec. CJCE 1987, p. 1155.
61 CJCE 11 sept. 2002, aff.T-13/99, Pfizer, Rec. CJCE 2002, p. II-3305.
62 CJUE 22 mai 2014, aff. C-356/12, Glatzel, ECLI :EU :C :2014 :350.
63 Gaïa, op. cit, p. 235.
64 CES 1005/2000 – SOC/013. Point 3.1.3.
65 CJCE 11 sept. 2002, aff.T-13/99, Pfizer, Rec. CJCE 2002, p. II-3305.
66 Groussot/Pech, Question d'Europe, (6).
67 CJCE 9 mars 1978, aff. 106/77, Simmenthal, Rec. CJCE 1978, p. 629.
68 RAPPORT relatif au projet de protocole sur l'application de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne à la République tchèque (article 48, paragraphe 3, du traité sur l'Union européenne) - A7-0174/2013, https://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//TEXT+REPORT+A7-2013-0174+0+DOC+XML+V0//FR.
69 Jarass, op. cit, point. 69.
70 Schutter, op. cit, p. 113.
71 Ibid., p. 20.
72 Ibid.