Masques et mascarades dans Ralph Ellison (The Invisible Man), Scott Momaday (House made of dawn) et Kim Scott (Benang)


Term Paper, 2013

20 Pages, Grade: 1,9


Excerpt


Introduction

« Un visage est-il un masque de comédie
posé sur la tragédie de l’âme ? »

(Shan Sa)

Cette citation de l'écrivain Sa met en évidence une problématique que nous pouvons retrouver, sous différentes formes, dans les trois romans. Non seulement faut-il comprendre le masque comme un accessoire de théâtre, mais aussi dans un sens figuré, en pensant à la dimension culturelle et sociologique. Mon essai a pour but d'analyser comment le thème du masque et de la mascarade est abordé, de montrer les raisons et effets du port d'un masque, ainsi que de suivre de près le parcours de recherche d'une identité propre des personnages principaux.

Dans un premier temps, j'expliquerai le rôle du masque dans le théâtre classique, et les conséquences de l'abandon de ce premier avec le théâtre de Carlo Goldoni. Je parlerai de la signification de la mascarade avant de passer à l'histoire du concept du masque dans la société, qui est important pour décrire le comportement de nombre de personnages dans The Invisible Man, House Made of Dawn et Benang.

Dans un deuxième temps, je présenterai les personnages auxquels le concept de masque et mascarade s'applique ; et on verra qu'il y en a quelques-uns qui imposent un masque aux autres, ainsi que des personnages qui les acceptent ou doivent les accepter. Tout au long de ce travail, je créerai des liens entre les romans en tenant compte des points communs et des différences en ce qui concerne la question de la (non-)acceptation, du faire semblant, et de jouer un rôle. En outre, je prendrai en considération les textes et enjeux étudiés pendant le cours.

Finalement, il y aura une conclusion, etj'indiquerai les sources quej'ai pu consulter.

Masques et mascarades - la dimension théâtrale

L'apparition des masques dans le théâtre grec remonte au VIème siècle avant Jésus-Christ. Ayant été fabriqués en bois, cire et autres matériaux qui ne se sont pas conservés jusqu'à nosjours, il n'y a que des reproductions qui permettent de comprendre leur signification. Les masques tragiques, comiques et satiriques, portés pendant une représentaient, incarnaient toujours un certain type de personnage. C'est la raison pour laquelle les spectateurs, aussi éloignés fussent-ils de la scène, pouvaient reconnaître les personnages facilement.

Cette codification était également à la base de la commedia dell'arte à partir du milieu du XVIème siècle en Italie. Ce genre est caractérisé par le manque de texte des acteurs qui improvisaient toutes les scènes, ainsi que d'un ensemble fixe de personnages : le public était capable de les reconnaître grâce aux costumes et masques standardisés. Au lieu d'un personnage individualisé et unique, il a été représenté un stéréotype qui n'avait pas la possibilité d'échapper à son rôle prédéterminé. Il fallait attendre le XVIIIème siècle et la réforme du théâtre italien par Carlo Goldoni pour que la situation change. En donnant aux acteurs un texte écrit et en abandonnant les masques, il a transformé la commedia dell'arte en comédie de caractère.

Ce que l'on peut repérer de ces deux exemples, c'est l'idée du port d'un masque qui fait disparaître toute individualité ; porté par plusieurs personnes, il les rend indiscernables l'une de l'autre, vu que, avant Goldoni, l'apparence physique était uniformisée et codifiée. Le costume et le masque ont fait appartenir la personne qui les a portés à un groupe auquel sont associées certaines caractéristiques. On comprend donc que les concepts du masque et de la mascarade soient étroitement liés à la question de l'identité. Dans ce qui suit,je donnerai un aperçu du masque dans le domaine de la sociologie afin d'appliquer quelques idées et aspects aux trois romans. Ainsi, je serai capable d'expliquer la conduite et les attitudes des personnages, suivant qu'ils donnent, mettent ou enlèvent leur masque - cette fois-ci au sens figuré.

Masques et mascarades - des notions sociologiques

Dans son article « Masque et identité », Pierre Maranda commence par retracer le développement de la notion d'identité dans la philosophie. David Hume a souligné que celle-là n'était pas stable, mais toujours en train de changer, allant de pair avec la formation de la personnalité de l'homme.

Pendant le cours, quand nous avons évoqué les écrits de Homi Bhabha, intellectuel américain d'origine indienne, cet aspect a également été analysé : Bhabha, critique de catégories binaires et de l'essentialisme, se prononce en faveur de l'hybridité et le tiers espace, le lieu où se rencontrent les différentes cultures. Selon lui, il n'y a pas non plus de fixité dans l'identité.

Ensuite, Maranda passe à la sociologie en introduisant les normes qui existent dans une société. Le collectif est décisif quand il est question de l'identité parce que ce sont les autres auxquels on se compare et réfère, et qui exercent une influence sur nous : « des identités sont fournies par la société comme un ensemble des rôles reconnus dont le répertoire est restreint et culturellement déterminé » (p. 19). Premièrement, cette citation renvoie à ce que j'ai évoqué en parlant de la commedia dell'arte et l'attribution de caractéristiques prescrites. Deuxièmement, elle fait allusion à ce qui constituera l'un des points d'analyse de ce travail, à savoir le fait de donner un masque à une autre personne. Dans ce contexte, Pierre Maranda pose une question importante : « [M]asques et costumes ne seraient-ils pas tout simplement une forme de marquage pour désigner l'appartenance et la solidarité sociales, c'est-à-dire pour examiner qu'un individu n'obtient une identité que lorsque son groupe d'origine l'affiche comme son bien [...] ? » (p. 18). La fatalité de devoir correspondre à une image est ici soulignée. L'identité doit être acceptée par la société, « [e]t le sens de sa vie [de l'être humain] vient de l'apprentissage des masques et costumes qui lui conférerontune identité acceptable socialement [...] » (p. 20).

En somme, l'auteur se montre conscient du fait que les cultures humaines sont marquées par l'influence de l'extérieur et, en conséquence, la négociation de notre identité. Vu que « l'identité humaine est toujours - inévitablement - manifestée par le corps » (p. 21), le concept du masque social peut être transféré à nos romans. Le narrateur d'invisible Man, par exemple, est harcelé et exclu de la société à cause de sa couleur de peau ; dans Benang, James Segal dit pendant une conversation avec Ernest Scat : « Nous le savons, pour ce qui est de la couleur - et c'est ce qui importe le plus - après tout, c'est leur principal handicap » (p. 49). Ce que font de nombreux personnages dans les romans, c'est ignorer l'individualité et la singularité de chaque personne. Une telle conception de l'homme se retrouve dans le concept de l'ethnocentrisme qui était aussi un enjeu du cours. Dans Nous et les autres, Tzvetan Todorov prend comme modèle l'esprit classique afin d'illustrer le faux universalisme. On a cherché à représenter l'homme en général en négligeant toutes particularités. De plus, l'homme blanc, se croyant supérieur aux Noirs, part de l'idée de posséder des critères absolus selon lesquels il évalue l'autre. Bien sûr, l'universaliste conclut que « [t]ous ceux qui ne nous ressemblent pas [sont des] barbares » (p. 23), il se valorise en dénigrant l'homme noir. Toutefois, il importe d'avoir toujours en tête qu'il s'agit d'un point de vue subjectif, et, comme l'a dit Rousseau, de « secouer lejoug des préjugés [...] et de découvrir la spécificité de chaque peuple, et ses différences éventuelles par rapport à nous » (p. 29). Je montrerai maintenant comment la problématique du racisme est abordée dans les romans à travers les concepts du masque et de la mascarade.

Invisible Man - Bledsoe et Rinehart

Dans l’œuvre de Ralph Ellison, parue en 1952, ce sont les personnages de Dr. Bledsoe et de Rinehart qui montrent, de leur plein gré, un masque à la société. Ils jouent un rôle comme s’ils étaient des acteurs d’une pièce de théâtre, car ce faire semblant leur profite énormément.

Dr. Bledsoe est le président noir du lycée du narrateur. Ce qui compte pour lui, c’est sa carrière et ses propres objectifs qu’il veut atteindre à tous prix : sa volonté de réussite personnelle se traduit par le port du masque de la soumission et l’obédience envers les Blancs. Au début, le narrateur est impressionné par Bledsoe : « [H]e was the example of everything I hoped to be: influential with wealthy men all over the country; [...] had, while black and wrinkle-headed, made himself of more importance in the world than most Southern white men » (p. 79). Cependant, après l’incident avec Mr. Norton et Trueblood, Bledsoe montre son vrai visage (« We take these white folks where we want them to go, we show them what we want them to see », p. 80). Le narrateur est présent au moment où Bledsoe change son masque - une transformation en une personne obséquieuse : « As we approached a mirror Dr. Bledsoe stopped and composed his angry face like a sculptor, making it a bland mask [...] » (p. 81). Vu que le visage de Bledsoe et ce qu’il dit sur Mr. Norton ne vont pas ensemble, le narrateur est déconcerté. Or, Bledsoe joue un mauvais tour non seulement à Norton, mais également au narrateur. Sa prétendue générosité, elle aussi, n’est qu’une mascarade puisque les lettres de recommandation, qui devraient aider le narrateur à trouver un poste de travail, le décrivent comme un criminel. Il ne doitjamais retourner au lycée et ni apprendre qu’il a été explusé. En outre, le narrateur n’est plus un élève, mais un « case [which] represents [...] one of the rare, delicate instances in which one for whom we held great expectations has gone greviously astray [...] » (p. 148).

Rinehart, par contre, est un personnage plus énigmatique, sur lequel le lecteur n’a que peu d’informations. Quand le narrateur met des lunettes noires et un grand chapeau, nombre de gens dans la rue le confondent avec Rinehart qui, pourtant, n’apparaît jamais dans le roman. Ce déguisement lui sert d’abord à rester anonyme pendant un rassemblement des fidèles de Ras the Exhorter. Rinehart unifie plusieurs identités à la fois : l’amant d’une belle fille, un proxénète, un prêtre,... . Selon les besoins, il semble jouer tantôt ce rôle-ci, tantôt ce rôle-là. On peut dire qu’il possède plusieurs masques et costumes, de sorte que la personne Rinehart elle-même est invisible. Le narrateur est féru des possibilités que cette mascarade lui offrent : « I trembled with excitement; they hadn’t recognized me. It works, I thought. They see the hat, not me. There is a magic in it. It hides me right in front of their eyes » (p. 375). La manière dont Rinehart mène sa vie (le narrateur crée le néologisme « Rinehartism», p. 391) représente pour lui la liberté par excellence - et pourtant, le narrateur comprend finalement qu’une telle vie inauthentique ne peut jamais être une option parce qu’il est à la recherche de son identité propre. Rinehart lui-même, à travers un prospectus, conseille fortement au narrateur de se méfier de l'invisible (« Behold the Invisible [...] BEHOLD THE INVISIBLE! [...] BEHOLD THE UNSEEN BEHOLD THE INVISIBLE », p. 383).

Les femmes et Brother Jack

Dans mon introduction, j'ai déjà parlé de l'acte d'imposer un masque à une autre personne. En effet, nous en retrouvons dans l’œuvre d'Ellison plusieurs occurences. Emma, la femme qui sert une boisson au narrateur et à Brother Jack, veut savoir de ce dernier : « But don't you think he should be a little blacker? » (p. 234). Après qu'elle a compris quelle sera la tâche du narrateur dans la confrérie, elle associe celle-là à une apparence qu'il faut avoir pour l'accomplir. L'image qu'elle s'est faite d'avance est un stéréotype ; et c'est donc comme un masque si au narrateur était imposé qui ne lui donne pas seulement une peau plus noire, mais qui lui attribue aussi ce qui sont, selon Emma, les traits de caractère d'un « vrai » Noir. A part Emma, il y a encore Sybil pour qui existent également des critères absolus que tous les Noirs remplissent. Elle voit en le narrateur un être primitif et sauvage qui lui sert de jouet pour se divertir : « [S]he was [...] the type of misunderstood married woman [...]. I was expected either to sing "Old Man River" [...] or to do fancy tricks with my muscles. I was confounded and amused and it became quite a contest, with me trying to keep the two of us in touch with reality and with her casting me in fantasies in which I was Brother Taboo- with-whom-all-things-are-possible ».

En ce qui concerne le contexte du masque et la mascarade, Brother Jack, le leader de la confrérie, doit être vu sous deux aspects qui sont en rapport l'un avec l'autre : premièrement, Brother Jack joue un mauvais tour au narrateur en se présentant comme un bienfaiteur altruiste (« It's simple; we are working for a better world for all people. It's that simple », p. 235). Comme c'était le cas avec Dr. Bledsoe, l'homme invisible, après lui avoir fait confiance, trouve en Brother Jack un modèle : d'abord, il pense que celui-ci est compassionnel et accueillant ; mais cette mascarade est finalement dévoilée. Il se croit supérieur aux Noirs qu'il insulte en leur déniant toute intelligence : « Ourjob is not to ask them what they think but to tell them! » (p. 365). On comprend qu'il soit raciste et avide de pouvoir, agissant selon la devise « la fin justifie les moyens ». C'est donc lui-même qui enlève son masque de gentillesse quand il dit : « Only you haven't been in prison, Brother, and you were not hired to think. Had you forgotten that? If so, listen to me: you were not hired to think » (p. 363). Cette citation est évocatrice de la deuxième dimension du masque chez Brother Jack qui voit seulement ce qu'il veut voir dès leur première rencontre (« How would you like to be the new Booker T. Washington? », p. 236), sans s'intéresser au vrai personnage du narrateur. La cécité envers les Noirs est symbolisée par son œil de verre. D'un côté, il a décidé de porter un masque, et de l'autre côté, il impose le rôle de la marionnette au narrateur.

Le narrateur - un parcours avec plusieurs masques

« Nous sommes si accoutumés à nous déguiser aux autres qu'enfin nous nous déguisons à nous-mêmes. »

(François de La Rochefoucault, Réflexions, maxime 119)

Le roman est une narration rétrospective de nombreuses étapes dans la vie de l’homme invisible, un Noir qui habite aux États-Unis dans les années 1930. Tout au long de l’histoire, il cherche son identité propre - la vraie personne derrière les masques qu’il met, ou qu’il est obligé de mettre. Le lecteur suit son développement d’un élève naïf à un homme qui, en racontant son histoire, s’est rendu compte qu’il était temps qu’il s’exprime lui-même.

Le narrateur commence par sa rencontre avec un Blanc qui l’insultejusqu’à ce que la situation empire et qu’ils se battent. Que cela se soit passé malgré lui, le narrateur l’avoue tout de suite après (« I was both disgusted and ashamed », p. 4). Le masque de la violence qu’il porte ici pour la première fois fait qu’il se défausse de sa responsabilité.

Ensuite, nous voyons la personnalité imposée par Dr. Bledsoe, à savoir celle d’un Noir qui sait comment se comporter envers les Blancs. Pourtant, l’homme invisible ne répond pas à ses attentes, d’où le mécontentement du président. Les haines s’emparent du narrateur (« I felt numb and I was laughing. When I stopped, gasping for breath, I decided that I would go back and kill Bledsoe », p. 151); de sorte que le masque de la violence semble être plus puissant que le narrateur qui n’est plus le maître de ses sentiments négatifs. Il est également question de ce phénomène dans l’article de Pierre Maranda : parfois, « le masque porte celui qui le porte, le porte à agir de telle ou telle manière mais surtout le porte dans son sein » (p. 24).

Pendant que le narrateur travaille pour l’entreprise Liberty Paints, il est obligé de se soumettre à son employeur Mr. Kimbro, et puis à Mr. Brockaway, bien qu’ils ne le traitent pas bien (« ’’You’re the boss,’’ I said sarcastically », p. 165). Mais ce faire semblant lui devient insupportable, et afin de se justifier d’une dénonciation calomnieuse - Mr. Brockaway le soupçonne de pactiser avec la confrérie à un moment où ce n’était pas encore le cas - , les hostilités et accusations dégénèrent en un combat. Nous pouvons donc constater que le narrateur cherche à réagir contre les rôles et identités qui lui sont attribués. Étant donné qu’il ne veut pas accepter ces masques, dégoûté du masque de la servilité, il essaie de s’en libérer. Pourtant, il faut attendre la fin du romanjusqu’à ce que le narrateur arrête dejouer la mascarade, car pendant l’étape suivante, il accepte ce qui va être le masque le plus important de son parcours : il devient un membre de la confrérie et le porte-parole des Noirs à Harlem.

Le masque de l’homme invisible porte avec lui une personnalité, un comportement, et des traits de caractère précisément définis qui sont destinés à former le personnage. Après qu’il a entendu son premier discours, Brother Jack est si enthousiasmé qu’il le recrute.

[...]

Excerpt out of 20 pages

Details

Title
Masques et mascarades dans Ralph Ellison (The Invisible Man), Scott Momaday (House made of dawn) et Kim Scott (Benang)
Grade
1,9
Author
Year
2013
Pages
20
Catalog Number
V231884
ISBN (eBook)
9783656486619
ISBN (Book)
9783656486398
File size
499 KB
Language
French
Keywords
masques, ralph, ellison, invisible, scott, momaday, house, benang
Quote paper
Manü Mohr (Author), 2013, Masques et mascarades dans Ralph Ellison (The Invisible Man), Scott Momaday (House made of dawn) et Kim Scott (Benang), Munich, GRIN Verlag, https://www.grin.com/document/231884

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