Extrait
Table des matières
Introduction
I. le droit au logement décent
A. L´accès à un logement : La reconnaissance législative du droit au logement
B. La garantie du droit à un logement décent
1. La délivrance d´un logement décent
2. Le champ d´application
3. Le caractère des dispositions
(a) Critères de l´exigence de décence
(b) Les caractéristiques du logement décent interprétées par la jurisprudence
(c) Les sanctions encourues par le bailleur en cas d´indécence du logement
§ 1 Le contrôle préventif
§ 2 Le contrôle judiciaire a posteriori de la décence du logement loué
4. Le logement en droit comparé et droit européen
II. Le droit au logement opposable
A. L´opposabilité du droit
1. Le champ d´application
2. Les conditions d´exercice du droit au logement
(a) Le recours amiable
(b) Le recours juridictionnel
B. La portée du régime d´opposabilité du droit au logement
1. L´absence de tout droit subjectif au logement
2. L´application effective du droit au logement
Conclusion
Bibliographie
Ouvrages:
Martine Barré- Pépin, La protection du logement en droit privé
La protection du logement en droit privé
LexisNexis (Paris) 2009
Xavier Bioy
Droits fondamentaux et libertés publiques
5e édition 2018, LGDJ, Lextenso éditions (Issy- les- Moulineaux).
Rémy Cabrillac
Libertés et droits fondamentaux. Maîtrise des connaissances et de la culture juridique
24e édition 2018, Dalloz (Paris).
Dominique Chagnollaud / Guillaume Drago
Dictionnaire des droits fondamentaux
Dalloz 2006
Gérard Cornu
Vocabulaire juridique,
PUF, coll. Quadrige, 12e édition 2018.
Guillaume Drago
Contentieux constitutionnel français
PUF, 4e édition 2016, Paris
Jacques Lafond et Béatrice Vial- Pedroletti
Les baux d´habitation
8e édition 2017, LexisNexis (Paris)
Philippe Malaurie, Laurent Aynès
Droit des contrats spéciaux
10e édition 2018, LGDJ, Lextenso éditions
Jacques Raynard, Jean- Baptiste Seube
Droit des contrats spéciaux
9e édition 2017, LexisNexis
La propriété immobilière. Entre liberté et contraintes.
112e congrès des notaires de France, Nantes, du 5 au 8 juin 2016.
LexisNexis 2016
Articles de périodiques:
Le droit au logement n'est pas une liberté fondamentale au sens de l'article L. 521-2 du Code de justice administrative, Conseil d'Etat 3 mai 2002
note Deschamps,
AJDA 2002, p. 818.
Dix ans de contentieux DALO indemnitaire
Romain Felsenheld
AJDA 2018, p. 2439- 2444.
Un droit au logement « opposable »
Yves Jégouzo
AJDA 2007, p. 57- 59.
DALO : l'Etat est soumis à une obligation de résultat
Marie-Gabrielle Merloz
AJDA 2012, p. 2127 – 2130.
G. Michaelidès-Nouaros
L'évolution récente de la notion de droit subjectif
RTD civ. 1966, p. 216.
Pearl Nguyên-Duy
Premières applications de la loi Dalo
AJDA 2009, p. 128- 124.
L'Etat sera le garant du droit au logement opposable
Marie-Christine de Montecler
AJDA 2007, p. 12.
Le droit au logement opposable toujours à la peine
Jean-Marc Pastor
AJDA 2017, p. 2168.
L'objectif constitutionnel de droit à un logement décent : vers le constat de décès du droit de propriété ?
Hélène Pauliat
Recueil Dalloz 1995, p. 283- 287.
Bail d'habitation (logement décent) : trouble de jouissance et absence de mise en demeure préalable
Observation Y. Rouquet
Recueil Dalloz 2014 p.1274.
Le contentieux du droit au logement opposable, un « contentieux sans espoir » ?
Florien Roussel
RFDA 2012, p. 1175- 1180.
Le sort contrasté du droit au logement opposable français devant la Cour européenne des droits de l'homme
Delphine Tharaud
RDSS 2015, p. 651- 659.
Le DALO au secours des mal-logés : réalité ou utopie ?
Sonia Zouag-Djedid
JA 2009, n°409, p.28.
Introduction
Le logement présente une dimension juridique essentielle, en raison de ses enjeux humains, sociaux et économiques. Bien privé et service d´intérêt général, lieu de vie et d´intimité, le logement est aussi un attribut de la personnalité et l´élément essentiel de la protection individuelle.1 «Garantir le droit au logement constitue un devoir de solidarité pour l'ensemble de la nation.»2. En termes générales, le logement est défini comme «immeuble bâti servant à l´habitation principale ou secondaire» des personnes qui l´occupent, et ce en étant soit propriétaire, soit locataire ou occupant.3 Le bail d´ habitation exerce un rôle économique et social de premier plan: dans sa dimension patrimoniale, le logement est un objet d´investissement, un capital transmissible; occupé à titre privatif ou locatif, il reste un bien de consommation.4 L´instauration de règles et de dispositifs est un devoir délicat, l´encadrement législatif est déterminé par la recherche d´un équilibre entre deux préoccupations contradictoires : d´une part, la préservation des prérogatives des bailleurs, d´autre part, l´objectif politique d´assurer l´accès du plus grand nombre à des logements convenables. La reconnaissance de droits pour les uns, par exemple les locataires, s'accompagne corrélativement d'autant de limitations pour les autres, les propriétaires-bailleurs et l´exercice de leur droit de propriété, droit fondamental d´essence libérale. Toutefois, disposer d'un logement constitue un objectif justifiant que des dispositions législatives restreignent, notamment, le droit de propriété, sous réserve que ce dernier ne soit pas atteint dans sa substance même.5 La Cour européenne des droits de l´homme considère que le logement est un « besoin primordial « dont on ne saurait entièrement abandonner la satisfaction aux forces du marché » » (CEDH, 21 févr. 1986, affaire James c/ R.U., req. n° 8793/79, cons. n°48) tandis que la Charte des droits fondamentaux de l´U.E. consacre dans son art. 34 al. 3 le droit à une aide au logement.
La législation est très dépendante de la conjoncture économique, politique et sociale.6 Concernant le bail d´habitation, un contrat vraiment atypique, l´intervention du législateur est pesante, il y a une imbrication des dispositifs du droit public et des règles du droit privé; ainsi le Code civil n´a plus qu´un rôle résiduel.7 Le droit privé du logement, notamment les baux d´habitation, constitue le droit des contrats spéciaux, mais il relève également du droit civil des personnes et de la famille, du droit processuel et du droit des biens et de la copropriété. Le droit public tend à assurer la mise en œuvre du droit au logement par des divers dispositifs, notamment le Code de la construction et de l´habitation (CCH).8 Ainsi, le droit au logement s´inscrit dans deux dimensions distinctes: une relation horizontale, à travers l´encadrement des contrats entre bailleurs et preneurs, mais aussi une dimension verticale, à travers des droits que des personnes peuvent faire valoir à l´égard de l´État.9
Le droit au logement, bien qu´il n´existe pas de définition légale, a été depuis longtemps proclamé en France. Dans une première décision du 29 mai 199010, le Conseil constitutionnel a considéré que la promotion du logement des personnes défavorisées répond à une exigence d´intérêt national.11 Bien qu´aucune disposition du bloc de constitutionnalité ne se réfère expressément au droit au logement, il apparaît comme l´un des éléments essentiels de la vie humaine. C´est ce qu´avait retenu le Conseil constitutionnel, dans une décision rendue le 19 janvier 1995, en considérant que «que la possibilité pour toute personne de disposer d'un logement décent est un objectif à valeur constitutionnelle» (Cons. const. Décision n° 94-359 DC, p. 176). Les juges ont retenu une interprétation combinée des art. 10 et 11 du Préambule de la Constitution12 ; ce faisant, ils ont établi un lien consubstantiel entre le principe de sauvegarde de la dignité humaine contre toute forme de dégradation et le droit à un logement décent.13 Censé occuper « une place éminente au sein de libertés et droits fondamentaux », il requiert pour son application une démarche volontariste des autorités nationales.14 Mettre en œuvre le droit au logement, notamment celui des personnes défavorisées, est «une exigence d´intérêt national et [une] mission fondamentale de l´État».15 Afin d´atteindre cet objectif, le législateur est habilité à restreindre le droit de propriété, un principe de valeur équivalente, et à adopter des règles spéciales.16
La question du logement présente une dimension politique conséquente qui n´est que la réflexion de l´histoire, laquelle est passée d´une proclamation du droit au logement décent (I) à une obligation de résultat de fournir un logement, le droit au logement opposable (II).
I. Le droit au logement décent
A. L´accès à un logement: La reconnaissance législative du droit au logement
En droit interne, la reconnaissance du droit au logement s´est effectuée en plusieurs étapes.
Dans la ligne du droit romain, le droit du bail d´habitation a longtemps été gouverné par la liberté du contrat. Après la Seconde Guerre mondiale, la France a connu une crise du logement17, un déficit de logements accessibles, et le législateur a eu pour objet d´atténuer les conséquences de la pénurie et de préserver à la fois la sécurité, la tranquillité et la salubrité publiques. La loi du 1er septembre 1948, destinée à protéger les locataires, a instauré un contrôle des loyers du secteur privé en portant fixation définitive de la législation des loyers et a crée au profit des locataires un droit de maintien dans les lieux.18 Le loyer est déterminé en fonction de la surface corrigée et de la catégorie de classement de l´immeuble (idée de plafonner le montant des loyers en fonction de barèmes techniques); le droit au maintien dans les lieux permet à l´occupant de bonne foi de s´opposerà la volonté de reprise du bailleur.19 Ce maintien s´analyse en un titre légal d´occupation du logement.20 En décourageant l´investissement et l´amélioration de l´immeuble, la loi a contribué à la baisse de la rentabilité locative des logements et un effondrement de la valeur des patrimoines.21
C´est la loi du 22 juin 1982, dite Quilliot, qui confère pour la première fois au droit au logement un caractère fondamental. L´art 1er dispose que «Le droit à l'habitat est un droit fondamental»; cette disposition est reprise dans plusieurs lois successives. La loi a supprimé le régime de liberté des baux en fixant des clauses qui ne pouvaient pas être librement négociées.22 Les dispositions de la loi sont généralement considérées comme étant protectrices, elles renforcent les prérogatives du locataire.
À la suite du changement politique de la France, un retour à la liberté contractuelle intervient, puisque la loi Méhaignerie du 23 décembre 1986 d´inspiration libérale a supprimé la loi Quilliot (art. 55) et a libéré les loyers. En revanche, elle exigeait la forme écrite et le principe d´une durée minimale du bail de trois ans.23
Après un nouveau changement de majorité, la loi Mermaz du 6 juillet 1989, qui constitue le droit commun des baux d´habitation, modifie cette loi en reprenant l´essentiel du système de la loi Quillot. L´art 1er énonce idéologiquement que le droit au logement est un droit fondamental, dont l´exercice « implique la liberté de choix pour toute personne de son mode d'habitation grâce au maintien et au développement d'un secteur locatif et d'un secteur d'accession à la propriété ouverts à toutes les catégories sociales » (al. 2). D´une part, le loyer est, en règle générale, librement déterminé par les parties, d´autre part, le gouvernement peut dans certaines zones d'urbanisation, fixer par décret annuellement le montant maximum d'évolution des loyers (art. 18).24 Le législateur entend alors atteindre un équilibre ambitieux entre la liberté contractuelle et l´encadrement législatif des loyers et charges. Les principes directeurs de la loi sont le principe du droit au logement (art. 1, al. 1), la liberté de choix du logement (art. 1, al. 4) et celui d´équilibre (al. 5).25 Cette reconnaissance du droit au logement s´est traduit par des mesures d´accompagnement social, notamment la loi du 31 mai 1990 dite Besson qui a reconnu à «toute personne ou famille éprouvant des difficultés particulières, en raison notamment de l'inadaptation de ses ressources ou de ses conditions d'existence, [un] droit à une aide de la collectivité, (…), pour accéder à un logement décent et indépendant ou s'y maintenir» (art. 1 de ladite loi). Cette loi illustre la nouvelle volonté législative d´assurer une protection au bénéfice de personnes défavorisées fondée sur des considérations d´ordre social et économique.26
B. La garantie du droit à un logement décent
1. La délivrance d´un logement décent
La reconnaissance progressive d´un droit fondamental de la personne humaine au logement,27 objectif à valeur constitutionnelle (Cons. const. 19 janv. 1995), a justifié en matière de baux d´habitation le renforcement des droits du locataire.
La loi du 13 décembre 2000 dite SRU a institué l´obligation du propriétaire- bailleur d'offrir un logement décent. L´exposé des motifs du législateur souligne la nécessité d´assurer la «qualité de l'habitat privé, essentielle pour le développement d'une offre de logement diversifiée». Une qualité minimale est manifestement un paramètre principal de l´affirmation d´un droit au logement.28 Le principe du droit à un logement décent a été consacré par le Conseil constitutionnel comme «objectif à valeur constitutionnelle»29. Aux termes de l´art. 1719 du Code civil, qui a été modifié par l´art. 187- I de la loi SRU, le bailleur est non seulement obligé de délivrer au preneur la chose louée «en bon état de réparations de toute espèce» (art. 1720 C.civ.) mais aussi, s´il s´agit de son habitation principale, un logement décent. L´exigence de décence du logement devient une obligation de droit commun du bail au titre de l´obligation de délivrance.30
En outre, la loi SRU complètel´art. 6 de la loi de 1989, le bailleur étant « tenu de remettre au locataire un logement décent ne laissant pas apparaître de risques manifestes pouvant porter atteinte à la sécurité physique ou à la santé et doté des éléments le rendant conforme à l'usage d'habitation». La saisine du Conseil constitutionnel par les opposants à la loi SRU ne pouvant prospérer, les juges ont réfuté leurs arguments. Les obligations qui désormais pèsent sur les bailleurs «ne dénaturent pas le sens et la portée du droit de propriété et ne portent pas à l'économie des conventions et contrats légalement conclus une atteinte d'une gravité telle qu'elle méconnaisse manifestement la liberté» de contracter.31 Puisque «la possibilité pour tout citoyen de disposer d´un logement décent constitue un objectif à valeur constitutionnel», il revient au législateur d´adopter des mesures mettant en œuvre ce droit. Une telle qualification justifie de porter atteinte à d´autres principes constitutionnels en vue de réaliser cet objectif. Le Conseil constitutionnel a également admis que cet objectif permet au législateur de porter atteinte aux contrats en cours.32 En outre, le législateur est autorisé d´instaurer une procédure d'autorisation préalable de mise en location de locaux dans certaines zones délimitées en vue d´éviter la location de logements insalubres.33 Un tel dispositif législatif «ne porte pas au droit de propriété et à la liberté contractuelle une atteinte disproportionnée à l'objectif poursuivi».34 On peut caractériser ces types de décisions du Conseil constitutionnel dans lesquelles il exerce un contrôle de proportionnalité comme une «jurisprudence de seuil»35. Le premier seuil du contrôle concerne la conciliation entre le pouvoir discrétionnaire du législateur et les normes constitutionnelles; le deuxième seuil est celui de la recherche d´une adéquation du dispositif législatif aux fins définies par le législateur. Enfin, les juges tentent de mettre en œuvre une balance, un équilibre en vérifiant la proportionnalité de la mesure au regard de l´effet attendu.36
2. Le champ d´application
Pour que la loi du 6 juillet 1989 (et notamment son art. 6, al. 1) soit applicable, il faut que certains critères soient remplis. Il faut tout d´abord que les parties aient conclu un véritable contrat de location; aux termes de l´art. 1709 du Code civil, le «louage des choses est un contrat par lequel l'une des parties s'oblige à faire jouir l'autre d'une chose pendant un certain temps, et moyennant un certain prix que celle-ci s'oblige de lui payer»37. Les conditions tenant aux immeubles loués sont que le contrat porte sur des «locaux à usage d'habitation ou à usage mixte professionnel et d'habitation, et qui constituent la résidence principale du preneur» (art. 2 al. 1). La notion de résidence principale s´entend comme «le logement occupé au moins huit mois par an, sauf obligation professionnelle» (art. 2 al. 2)38. La loi s ´applique également « aux garages, aires et places de stationnement, jardins et autres locaux » à double condition qu´ils soient loués accessoirement au local principal et par le même bailleur.
Ensuite, l´art. 40 de la loi énumère des cas dans lesquels ses dispositions ne sont que partiellement applicables. Sont concernés par exemple les logements appartenant aux organismes HLM, les logements soumis à loi du 1er septembre 1948 et les logements conventionnés.39
Sont exclus du champ d´application de la loi les logements- foyers (art. 2 al. 3, 1°), soumis à des réglementations spécifiques, les logements de fonction et les locations aux travailleurs saisonniers (al. 3, 3°). Toutefois, comme le texte l´affirme expressément, l´art. 6 al. 1 et l´art. 20- I de la loi restent applicables, le bailleur étant tenu de remettre au locataire un logement décent.
En outre, tant la doctrine40 que la jurisprudence41 admettent la validité de l´application volontaire de la loi à des situation qui n´en relèvent pas.
Toutefois, il faut tenir compte de l´obligation de délivrance d´un logement décent figurant de façon très générale à l´art. 1719, 1° C.civ., qui vise les locations portant sur l´habitation principale du locataire. Le plus souvent les baux visés par l´art. 1719 du Code civil entreront dans le champ d'application de la loi de 1989, et l'obligation de délivrer au locataire un logement décent résultera de l'art. 6 de cette loi.42
3. Le caractère des dispositions
L´art. 2 de la loi du 6 juillet 1989 affirme expressément que «les dispositions du présent titre sont d´ordre public». La jurisprudence l´a rappelé dans plusieurs décisions (p. ex. Cass. 3e civ, 15 déc. 2004), il en va de même pour l´art. 1719 al. 1 du Code civil43, qui laisse sous- entendre que l´exigence d´un logement décent est une condition intrinsèque au contrat.44 L'exigence de décence ne peut être écartée, ni même atténuée par la volonté des parties (CA Paris, 30 avr. 2002 ; Civ. 3e, 15 déc. 2004). Pareillement, il serait illicite de convenir que le locataire exécuterait, même en contrepartie d´ un loyer réduit, les travaux de mises aux normes de décence.45 La Cour de cassation a sanctionné la clause qui mettait les travaux de mise en conformité du logement à la charge du preneur.46 Le constat de l'atteinte à l'exigence de logement décent suffit à invalider la clause, peu importe la gravité, les juges n'opèrent pas de contrôle de proportionnalité.47 Mais les normes de décence constituent un minimum réglementaire et n´excluent pas par conséquent des règlements sanitaires locaux plus rigoureux (Civ. 3e, 17 déc. 2015).
Cette jurisprudence a été confortée par le décret du 29 mai 2015 «relatif aux contrats types de location de logement à usage de résidence principale».48 Il indique que toutes les clauses de travaux qui auraient pour objet d´imposer au locataire les travaux de mise en conformité du logement aux critères de décence seraient nulles.49 Ces évolutions législatives et réglementaires démontrent que l´exigence de décence devient inhérente à la définition même du logement.
Toutefois, il peut être dérogé à l´obligation du bailleur de délivrer «le logement en bon état d'usage et de réparation».50 La clause par laquelle le locataire est obligé d´exécuter les travaux relatifs à la remise en bon état du logement est devenue permise.51 La notion de bon état n´a pas de définition légale, mais la Cour de cassation l´a précisé dans plusieurs décisions. En termes générales, cette notion signifie que le logement doit être dans un état tel qu´il soit propre aux usages auxquels il est destiné.52 Ainsi, ne respecte pas son obligation de délivrance d´un logement en bon état d´usage le bailleur qui loue un local trop usagé et sale pour permettre une installation immédiate du locataire53 ou encore un logement neuf mais qui n´est pas encore complètement achevé.54 Les «peintures, tentures, tapisseries et moquettes» doivent être en bon état.55 Si le logement loué ne remplit pas ces conditions au moment de l´entrée dans les lieux, le parties peuvent convenir que le locataire prendra en charge exécutera les travaux nécessaires. Une clause expresse doit être prévue par les parties et insérée dans le contrat de bail ou dans un autre acte, laquelle précise la nature des travaux, la manière dont leur montant est imputable sur le loyer et la durée de cette imputation (art. 6 al. 3). Les parties doivent respecter précisément ces exigences légales, à défaut, l´éventuelle clause sera réputée inefficace.56 Ceci soulève toutefois la difficulté pratique de distinguer ce qui ressort du bon état du logement et ce qui ressort de son caractère décent.57 En outre, par un raisonnement a contrario, on peut affirmer que tous les autres travaux, tels que les travaux d´amélioration58 ou les travaux d´entretien59, sont à la charge du locataire et ne peuvent pas être valablement imposés au locataire.
Il convient dans un premier temps de voir les exigences relatives à la décence du logement (a), tels que prévus par la loi et interprétées par la jurisprudence (b), puis les moyens de contrôle prévus par le législateur (c), lequel a favorisé à cette fin l´interventionnisme judiciaire dans le contrat.
[...]
1 Martine Barré- Pépin, La protection du logement en droit privé, 2009, p. 7.
2 Art. 1 de la loi n° 90-449 du 31 mai 1990 visant à la mise en oeuvre du droit au logement, dite loi Besson.
3 Gérard Cornu, Vocabulaire juridique, 2018, «logement».
4 Martine Barré- Pépin, La protection du logement en droit privé, 2009, p. 6.
5 CEDH, gr. ch., 19 juin 2006.
6 Philippe Malaurie/ Laurent Aynès, Droit des contrats spéciaux, 2018, p. 361 § 603.
7 Les dispositions du droit public sont réunies dans le Code de la construction et de l´habitation, tandis que les règles relevant du droit privé sont réunis dans le Code civil, le Code de procédure civile et le Code pénal ou ne sont pas codifiées. Le régime des baux d´habitation a été fixé par un grand nombre de lois successives.
8 Martine Barré- Pépin, La protection du logement en droit privé, p. 3.
9 Xavier Bioy, Droits fondamentaux et libertés publiques, p. 799 § 1494.
10 Décision n° 90-274 DC du 29 mai 1990
11 Droit au logement, Dictionnaire des droits fondamentaux, dir. D. Chagnollaud et G. Drago, p. 537.
12 Dans la Constitution, le droit au logement n´est pas mentionné de façon explicite.
13 Toutefois, les décisions ultérieurement rendues par le Conseil const. (ex. 7 déc. 2000; 12 août 2004) ont écarté à l´inverse cet lien. V. Rémy Cabrillac, Libertés et droits fondamentaux, p. 1056, § 1175.
14 Droit au logement, Dictionnaire des droits fondamentaux, dir. D. Chagnollaud et G. Drago, p. 537.
15 V. Martine Barré- Pépin, La protection du logement en droit privé, p. 49.
16 L'objectif constitutionnel de droit à un logement décent : vers le constat de décès du droit de propriété ? Hélène Pauliat, D. 1995, p. 283.
17 «Ce qu'on entend de nos jours par crise du logement, c'est l'aggravation particulière des mauvaises conditions d'habitation des travailleurs par suite du brusque afflux de la population vers les grandes villes; c'est une énorme augmentation des loyers ; un entassement encore accru de locataires dans chaque maison et pour quelques-uns l'impossibilité de trouver même à se loger.» La Question du logement, 1872, Friedrich ENGELS, Comment Proudhon résout la question du logement? p. 8, https://karlmarx.fr/wp-content/uploads/2019/01/engels-1872-logement.pdf, vu le 02.05.2019.
18 La propriété immobilière: entre liberté et contraintes, 2016, p. 281 Rn. 2023
19 Investir dans l´immobilier d´habitation, Lefèvre Pelletier et associés, 2010, p. 449 et s.
20 Pascal Puig, Contrats spéciaux, § 560.
21 Philippe Malaurie, Laurent Aynès, Droit des contrats spéciaux, 2018, p. 361 § 603.
22 Jacques Lafond/ Béatrice Vial- Pedroletti, Les baux d´habitation, p. 3.
23 Pascal Puig, Contrats spéciaux, § 560, p. 493.
24 Voir Philippe Malaurie, Droit des contrats spéciaux, p. 362 Rn. 603.
25 V. Jacques Lafond/ Béatrice Vial- Pedroletti, Les baux d´habitation, p. 7.
26 Rémy Cabrillac, Libertés et droits fondamentaux, p. 1053 § 1167.
27 Cass. 3e civ., 16 décembre 1997.
28 Xavier Bioy, Droits fondamentaux et libertés publiques, LGDJ, p. 803 § 1502.
29 Conseil const. 19 janv. 1995, DC n° 94-359, Rec. 176; Cons. const. 29 juillet 1998, DC n° 98-403, Considérant 4; formule depuis réitérée à diverses reprises.
30 Pascal Puig, Contrats spéciaux, § 560, p. 493.
31 Décision n° 2000-436 DC du 7 décembre 2000, Considérant 56.
32 Décision n° 2009-578 DC du 18 mars 2009, Considérant 15.
33 Décision n° 2014-691 DC du 20 mars 2014, Considérant 70 et 71.
34 Décision n° 2014-691 DC du 20 mars 2014, Considérant 28.
35 Guillaume Drago, Contentieux constitutionnel français, p. 433 § 449.
36 Cf. Guillaume Drago, Contentieux constitutionnel français, p. 434 § 449.
37 Le contrat se traduit alors par la concession d´un droit personnel de jouissance, octroyé au locataire à titre onéreux.
38 La loi dite ALUR du 24 mars 2014 a repris purement et simplement la définition légale de l´art. R. 351- 1 CCH, concernant le champ d´application de l´aide personnalisée au logement. V. Jacques Lafond/ Béatrice Vial- Pedroletti, Les baux d´habitation, p. 64.
39 V. Jacques Lafond/ Béatrice Vial- Pedroletti, Les baux d´habitation, p. 67.
40 Jacques Lafond/ Béatrice Vial- Pedroletti, Les baux d´habitation, p. 93.
41 Cass. 3e civ., 21 sept. 2005 ; Cass. 3e civ., 13 nov. 2012 ; CA Paris, 6e ch. B, 13 oct. 1993.
42 Lafond, JCP N 2002, 1177.
43 Cass. 3e civ., 4 mai 2010.
44 La propriété immobilière, p. 343, § 2121.
45 Jacques Lafond/ Béatrice Vial- Pedroletti, Les baux d´habitation, p. 129.
46 Cass. 3e civ., 3 février 2010.
47 AJDI 2010, p. 640, obs. N. Damas.
48 V. La propriété immobilière, p. 343, § 2123.
49 Annexe 1 du décret.
50 Art. 6 al. 3 a) de la loi du 6 juillet 1989.
51 La propriété immobilière, p. 251, § 2138.
52 CA Paris, 1re ch. Urg., 10 févr. 1984.
53 CA Bordeaux, 1re ch. A, 4 juillet 1996: JurisData n° 1996- 044385.
54 CA Nîmes, 2e ch. A, 22 octobre 1998: JurisData n° 1996- 030213.
55 CA Paris, 1re ch. Urg., 10 févr. 1984.
56 La propriété immobilière, p. 352, § 2142.
57 V. La propriété immobilière, p. 251, § 2139.
58 Réalisés par le bailleur selon l´art. 7e) de la loi.
59 Selon l´art. 6 al. 3 c), le bailleur doit entretenir les locaux loués en état de servir à l'usage prévu par le contrat et d'y faire toutes les réparations, autres que locatives, nécessaires au maintien en état et à l'entretien normal.