Selon la grammaire traditionnelle, la coordination s’effectue au moyen de mots invariables qui n’assument pas de fonction dans la phrase. Leur rôle consiste seulement à marquer la liaison des termes ou des membres qu’ils unissent et les grammairiens nous donnent une liste traditionnelle des conjonctions de coordination : et, ni, mais, or, ou, car et donc. Au niveau syntaxique, les conjonctions de coordination coordonnent les éléments grammaticaux équivalents. Cette notion est facile à comprendre, cependant, avec l’évolution linguistique, notamment l’apparition du concept d’analyse du discours, des conjonctions de coordination ont également un rôle discursif dont l’interprétation varie selon les contextes. Pour les apprenants sinophones, ce double rôle peut provoquer beaucoup de difficultés au niveau grammatical et discursif.
Nous nous demandons donc comment les conjonctions de coordination mettent en place leur double rôle et quelles difficultés rencontrent les apprenants. Pour répondre à ces questions, nous structurons en trois parties: dans la première, nous allons analyser, d’une façon théorique, ce double rôle des conjonctions de coordination. Ensuite, en nous appuyant sur notre corpus, nous allons expliquer exhaustivement les difficultés rencontrées par des apprenants sinophones. Finalement, face aux difficultés, l’enseignant et l’apprenant devraient adopter des méthodes didactiques convenables pour rendre l’enseignement et l’apprentissage plus efficace.
Table des matières
Introduction générale
Présentation de corpus
Partie 1 : Du double rôle des conjonctions de coordination aux marqueurs pragmatiques
1.1 Un rôle grammatical et syntaxique
1.1.1 Trois façons de lier les éléments grammaticaux en français
1.1.2 Conjonctions de coordination versus conjonctions de subordination et adverbes/locutions adverbiales
1.1.3 De la grammaire à la syntaxe : les éléments coordonnés
1.2 Un rôle discursif
1.2.2.1 le cas de « or »
1.2.2.2 le cas de « et »
1.2.2.3 Le cas de « mais »
1.2.2.4 Le cas de « ou »
1.3 Des conjonctions de coordination aux marqueurs pragmatiques
1.3.1 Marqueur pragmatique
1.3.2 Connecteurs textuels
1.3.3 Marqueurs discursifs
Partie 2 : Pourquoi les sinophones peuvent-ils rencontrer des difficultés avec la coordination en français?
2.1 De l’interférence à l’interlangue
2.2 Mauvaise transcription en réception auditive- production orale- production écrite
2.3 Méthode choisie pour analyser le corpus
2.4 Difficultés concernant la coordination, rencontrées par des sinophones
2.4.1 Difficultés liées à « et »
2.4.2 Difficultés liées à « ni »
2.4.3 Difficultés liées à « mais »
2.4.4 Difficultés liées à « ou »
2.4.5 Difficultés liées à « car », « puisque », « comme », « parce que »
2.4.6 Difficultés liées à « donc »
Partie 3 : Comment les enseignants et les apprenants évitent et résolvent ces difficultés?
3.1 De la part de l’enseignant
3.1.1 Explication exhaustive appuyant sur les contextes différents
3.1.2 Correction face aux erreurs commises par les apprenants
3.1.3 Remédiation face aux erreurs commises par les apprenants
3.2 De la part des apprenants
3.2.1 Attitude positive face aux erreurs
3.2.2 Remédiation des erreurs commises
3.2.3 Prise de conscience de l’autonomie
3.3 Système d’apprentissage construit par les apprenants et l’enseignant
3.3.1 Prise de conscience de l’individualisation
3.3.2 Système d’évaluation
3.3.3 Système d’interaction avec l’outil TICE
Conclusion
Bibilographie
Annexe 1 Corpus du mémoire
Annexe 2 Tableau de CECREL
Introduction générale
Selon la grammaire traditionnelle, « la coordination s’effectue au moyen de mots invariables qui n’assument pas de fonction dans la phrase. Leur rôle consiste seulement à marquer la liaison des termes ou des membres qu’ils unissent.»1, et les grammairiens nous donnent une liste traditionnelle des conjonctions de coordination : et, ni, mais, or, ou, car et donc. Au niveau syntaxique, les conjonctions de coordination coordonnent les éléments grammaticaux équivalents. Cette notion est facile à comprendre, cependant, avec l’évolution linguistique, notamment l’apparition du concept d’analyse du discours, des conjonctions de coordination ont également un rôle discursif dont l’interprétation varie selon les contextes. Pour les apprenants sinophones, ce double rôle peut provoquer beaucoup de difficultés au niveau grammatical et discursif. Nous nous demandons donc comment les conjonctions de coordination mettent en place leur double rôle et quelles difficultés rencontrent les apprenants. Pour répondre à ces questions, nous structurons en trois parties : dans la première, nous allons analyser, d’une façon théorique, ce double rôle des conjonctions de coordination. Ensuite, en nous appuyant sur notre corpus, nous allons expliquer exhaustivement les difficultés rencontrées par des apprenants sinophones. Finalement, face aux difficultés, l’enseignant et l’apprenant devraient adopter des méthodes didactiques convenables pour rendre l’enseignement et l’apprentissage plus efficace.
Présentation de corpus
Notre corpus comporte six parties, et chaque partie concerne une conjonction de coordination et/ou quelques connecteurs, prépositions qui ont un sens proche de cette conjonction. Dans chaque partie, il y a des exercices qui nous permettent de saisir les erreurs commises par des apprenants sinophones qui nous ont donné le résultat de notre corpus. Les exercices sont variés et chaque sous-partie peut montrer au moins une difficulté particulière pour ces apprenants dans l’apprentissage des conjonctions de coordination en français. Et nous sélectionnons les phrases dans les œuvres littéraires, dans le dictionnaire et aussi dans les œuvres de grammaire française. Pour avoir des données raisonnables et fiables, nous choisissons des étudiants au niveau A1- A2, A2- B1, B1- B2 et même C1 pour faire des exercices, parce qu’avant le niveau C1, notamment du niveau A1-B2, il est plus facile de saisir les difficultés rencontrées par les étudiants et les étudiants de chaque niveau rencontrent aussi des difficultés différentes. Et donc quelques exercices faciles sont faits pour les étudiants au niveau de A1-A2 et de B1-B2, et d’autres sont faits pour ceux en B1-B2, voire en C1. Par exemple, les exercices sur la distinction entre et et avec (cf. Exercice 1.1) sont faits pour les étudiants en A1-A2, les traductions (cf. Exercice 1.4 et 3.3) sont faites pour ceux en A2-B1 même B1-B2. Et les exercices Vrai ou faux sont uniquement pour les étudiants qui ont un niveau de B1 à C1. Et afin de mieux analyser les difficultés, nous mettons ensemble tous les exercices dans notre corpus, pour avoir une vue complète par rapport aux difficultés liées à chaque conjonction de coordination.
Partie 1: Du double rôle des conjonctions de coordination aux marqueurs pragmatiques
Les conjonctions de coordination disposent d’une fonction syntaxique de lier différents syntagmes ou les propositions ; au niveau discursif, le sens de quelques-unes varie dans les différents contextes. Dans cette partie, nous mentionnons avant tout ce double rôle et nous nous demandons également pourquoi le double rôle existe. De plus, en élargissant notre point de vue, il est nécessaire de dépasser la limite grammaticale et syntaxique pour entrer dans le domaine pragmatique afin de voir la mise en pratique des marqueurs pragmatiques.
1.1 Un rôle grammatical et syntaxique
Afin d’établir une vue globale par rapport à la coordination, nous présentons premièrement les trois cas où des éléments grammaticaux établissent des relations grammaticales en français. En second lieu, il est nécessaire de comparer les conjonctions de coordination, les conjonctions de subordination et les adverbes de liaison pour connaître la particularité grammaticale des conjonctions de coordination. Par ailleurs, il faut connaître la nature grammaticale des éléments coordonnés et deux types de coordination : la coordination syntaxique et lexicale.
1.1.1 Trois façons de lier les éléments grammaticaux en français
Pour analyser le double rôle des conjonctions de coordination, nous adopterons un point de vue macroscopique. Il existe trois relations grammaticales qui permettent de lier les éléments grammaticaux en français : la juxtaposition, la coordination et la subordination. Et la coordination s’oppose aux autres.
Pour mieux comparer les trois relations, observons avant tout la coordination. Dans une relation coordonnante : « Des termes ou des groupes qui assument la même fonction, des propositions parallèles sont coordonnées quand on les relie au moyen d’un mot approprié.»2 et « les conjonctions de coordination relient deux unités sans les hiérarchiser. Dans la liaison qu’elles établissent, il n’y a ni support ni apport, mais deux éléments de même rang syntaxique. »3 Par exemple, le chien et le chat, nous voyons bien que la conjonction de coordination et coordonne deux syntagmes nominaux dont la relation est parallèle et équivalente.
En ce qui concerne la juxtaposition, deux ou plusieurs éléments grammaticaux sont liés par un signe de ponctuation. Par exemple, je suis content ; il fait beau. Dans cet énoncé, les deux propositions sont juxtaposées et séparées par le point-virgule. En revanche, si nous modifions l’énoncé comme : je suis content, car il fait beau. Les deux propositions sont coordonnées par la conjonction car en expliquant un rapport causal entre elles.
La subordination diffère de la juxtaposition et de la coordination « qui sont deux relations entre propositions relevant de la parataxe, [mais] la subordination relève de l’hypotaxe : il y a subordination quand un constituant de la phrase a lui-même la structure d’une phrase. »4 Voici un exemple : Je ne suis pas sorti parce qu’il y avait une manifestation dangereuse. Ici, c’est la conjonction de subordination parce que qui lie les deux propositions et la subordination met les deux propositions dans un état de dépendance grammaticale l’un par rapport à l’autre. De plus, l’ordre des deux propositions est interchangeable. Au contraire, si nous transformons la subordination en coordination, l’ordre des deux propositions n’est plus interchangeable : Je ne suis pas sorti, car il y avait une manifestation dangereuse. Ici, nous ne pouvons pas changer l’ordre des deux propositions (*Car il y avait une manifestation dangereuse, je ne suis pas sorti), parce que car, en tant que conjonction de coordination, n’exerce pas d’influence grammaticale sur la proposition qui le suit. Ainsi, même si parce que et car indiquent une relation causale des deux propositions, car est une conjonction de coordination et parce que est une conjonction de subordination.
D’ailleurs, il est clair de voir la position grammaticale de la coordination dans la langue française : elle lie deux ou plusieurs éléments grammaticaux et les conjonctions de coordination n’exercent pas d’influence grammaticale sur l’élément qui le suit. Mais à l’exception de la conjonction de coordination car que nous avons indiquée, quels sont les autres conjonctions de coordination?
1.1.2 Conjonctions de coordination versus conjonctions de subordination et adverbes/locutions adverbiales
Traditionnellement, pour regrouper les conjonctions de coordination, les grammairiens nous fournissent la liste suivante : et, ou, mais, ni, or, car, donc. Les conjonctions de coordination occupent une position extérieure à la phrase ou à la proposition et « leur rôle consiste uniquement à marquer la liaison des termes ou des membres qu’ils unissent. »5 et « n’impose pas de contraintes sur la catégorie des termes. »6. En général, elles ne peuvent pas se combiner l’une avec l’autre.
De plus, les conjonctions de coordination s’opposent, d’une part, avec les conjonctions de subordination, d’autre part, avec les adverbes ou les locutions adverbiales.
Contrairement aux conjonctions de coordination, les conjonctions de subordinations « imposent des contraintes syntaxiques sur l’expression avec laquelle elles se combinent »7. Par exemple, C’est un professeur qui enseigne à la fac. Dans cette phrase, c’est la conjonction de subordination qui qui lie les deux propositions : C’est professeur, enseigne à la fac. Et syntaxiquement qui est sujet de la deuxième proposition, et cette conjonction fait référence à l’antécédent professeur. Mais voici un exemple contrastif : Il est professeur et enseigne à la fac. La conjonction de coordination et lie aussi les deux propositions mais il n’est pas le sujet de la deuxième proposition. L’existence de et permet d’éviter la répétition du sujet il dans la deuxième proposition.
En outre, il n’est pas facile de distinguer les conjonctions de coordination et les adverbes ou les locutions adverbiales. Certains grammairiens veulent élargir la liste traditionnelle en y ajoutant des adverbes ou des locutions adverbiales, car ils se fondent sur les valeurs de sens de conjonctions de coordination. En revanche, cette façon de penser exclut radicalement les conjonctions de coordination. Parce que, premièrement, il est possible pour un adverbe de se combiner avec des conjonctions de coordination, mais celles-ci n’arrivent pas à se combiner entre elles. Dans ce cas, la légitimité de donc dans la liste traditionnelle est contestable. Par exemple : Marie vient d’arriver et donc tu peux la voir cet après-midi. Dans cette phrase, donc, comme un adverbe, se combine avec la conjonction de coordination et. En outre, un adverbe dispose d’une liberté positionnelle dans un énoncé. Prenons un exemple : Marie est donc venue pour notre réunion. Ici, donc se trouve entre l’auxiliaire est et le participe venue, il a une liberté positionnelle et ne peut pas être considéré comme une conjonction de coordination. De plus, lorsqu’un adverbe de liaison se trouve en tête d’une proposition, il peut provoquer une sorte de continuité de sens avec la proposition précédente, sous l’influence des contraintes entre les deux propositions. En revanche, la conjonction de coordination n’impose pas de contraintes aux éléments qu’elle coordonne. Par exemple, Il est sorti mais il pleut, d’ailleurs, il est rentré pour récupérer son parapluie. Ici, la conjonction de coordination mais, en se trouvant entre les deux propositions, coordonne uniquement il est sorti et il pleut. Mais d’ailleurs introduit une proposition qui est la conséquence des propositions antérieures et qui précise la continuité de l’action du sujet il.
Ainsi, en comparant les conjonctions de coordination, les conjonctions de subordination et les adverbes ou les locutions adverbiales, nous délimitons une liste plus stricte pour les conjonctions de coordination et connaissons mieux leur position grammaticale. Et pour approfondir notre analyse, il est nécessaire de connaître les éléments grammaticaux que les conjonctions de coordination peuvent coordonner.
1.1.3 De la grammaire à la syntaxe : les éléments coordonnés
Suivant notre analyse précédente, nous obtenons une liste des conjonctions de coordination plus stricte: et, mais, ni, ou, car, or. Et d’un point de vue grammatical, nous les divisons en deux parties selon les éléments qu’elles peuvent coordonner : la première comporte car et or ; la deuxième comporte le reste. Parce qu’il est facile de remarquer que car et or peuvent coordonner uniquement des propositions ou des phrases, et le reste peut coordonner des termes, des groupes de termes et des propositions.
Par ailleurs, au niveau syntaxique, il existe deux types de coordination : la coordination lexicale8 et la coordination purement syntaxique. Celle-ci correspond à la plupart des cas de la coordination. Par exemple, Il montre mais elle descend. Ici, la conjonction de coordination mais coordonne deux syntagmes verbaux, ce qui illustre typiquement un cas de coordination syntaxique. Cependant, le cas de la coordination lexicale est beaucoup plus compliqué et toujours mis en cause9. Et nous approuvons les arguments favorisant la coordination lexicale, comme ceux de R.D. Borsley. Voici quelques exemples :
1a) Marie achète et apprécie quantité de fleurs.
1b) Marie achète quantité de fleurs et apprécie quantité de fleurs.
Dans a), et coordonne deux verbes et c’est bien un cas de coordination lexicale mais dans 1b), et coordonne deux propositions. En comparant les deux exemples, nous voyons que rien ne dit en 1b) qu’il s’agit des mêmes fleurs, au contraire du cas de 1a). Et afin que 1a) puisse mettre en rapport avec 1b), l’effacement de quantité de fleurs après le verbe achète demande non seulement une identité de forme, mais aussi une identité dénotationnelle10. Plus précisément, nous ne pouvons pas assurer que les deux quantité de fleurs sont les mêmes dans 1a) et 1b), mais la coordination lexicale permet d’effacer l’ambiguïté comme le cas de 1a). De plus, il existe un autre argument en faveur de la coordination lexicale, celui des adjectifs antéposés en français. Prenons les exemples suivants :
2a) une incroyable tâche
2b) une tâche incroyable à faire
2c) * une incroyable à faire tâche
3a) une très/vraiment incroyable tâche
3b) une tâche très/ vraiment incroyable
4) un beau et grand garçon.
Au travers de ces exemples, nous remarquons que, avant tout, les adjectifs antéposés ne disposent pas de complément, ce que montre la comparaison entre 2a) et 2c) dans l’exemple 2. Ensuite, nous avons le droit de les modifier par un nombre restreint d’adverbes comme très, vraiment (cf. l’exemple 3). Donc, il est raisonnable pour les adjectifs antéposés beau, grand de s’inscrire dans la coordination lexicale dans l’exemple 4.
Donc, jusqu’ici, à travers la distinction des trois relations grammaticales pour lier des éléments en français, la comparaison entre les conjonctions de coordination, les conjonctions de subordination et les adverbes de liaison, nous trouvons la position de la coordination et celle des conjonctions de coordination dans la langue française et nous obtenons également une liste stricte des conjonctions de coordination. Pour aller plus loin, nous avons analysé la légitimité de l’existence de la coordination lexicale. Par conséquent, au niveau syntaxique, une vue systématique par rapport à la coordination est établie. Comme le discours influe sur le sens des conjonctions de la coordination, nous continuons à découvrir leur rôle discursif.
1.2 Un rôle discursif
Au fur et à mesure de l’épanouissement de la linguistique contemporaine, les domaines de la recherche s’élargissent. D’ailleurs, avec l’apparition de l’analyse du discours ou de l’énonciation, il nous faudrait découvrir le rôle discursif des conjonctions de la coordination. Dans cette partie, d’une part, nous expliquerons, d’une façon historique, les raisons pour lesquelles les conjonctions de coordination peuvent dépasser la limite grammaticale en ayant un rôle discursif. D’autre part, nous analyserons, d’une manière empirique et exhaustive, le rôle discursif de chaque conjonction de coordination dans la liste traditionnelle.
1.2.1 De « la linguistique proprement dite » à « la linguistique de la parole »
Pourquoi avons-nous le droit d’affirmer que les conjonctions de coordination disposent d’un rôle discursif?11 12 Cette déclaration provient du développement de la linguistique contemporaine dont la source radicale est certainement issue de Saussure. Plus précisément, il sépare d’abord langue et langage et ensuite il oppose langue et parole. En ce qui concerne la séparation de langue et langage, il pense que le langage est une faculté alors que la langue est « un système de signes distincts correspondant à des idées distinctes »13, autrement dit, la langue est « une convention sociale adoptée par les membres d’une communauté linguistique. »14. Après, il lance l’opposition entre langue et parole qui se définit comme le produit linguistique de l’acte individuel, ce qui « revient à séparer le social de l’individuel, l’essentiel du contingent, le virtuel de la réalisation. »15. Plus précisément, comme les locuteurs disposent d’une liberté de combiner des signes linguistiques, le domaine de la parole est beaucoup plus large que celui de la langue. Donc, nous pouvons distinguer deux sortes de linguistique : la linguistique proprement dite dans laquelle s’inscrit la notion de langue et la linguistique de la parole, la source radicale permettant d’expliquer le rôle discursif des conjonctions de coordination.
Reprenant l’opposition langue-parole, l’opposition langue-discours oppose « la langue conçue comme système et son usage en contexte »16, l’analyse du discours traitant notamment du second volet.
Appliquons cette opposition aux conjonctions de coordination. D’une part, leur rôle grammatical est fixe et s’inscrit dans la langue française qui est un système. D’autre part, le contexte est variable, puisque la réalisation de la langue est connaît de nombreuses variations, ce qui caractérise le rôle discursif des conjonctions de coordination.
De plus, pour mieux comprendre le rôle discursif des conjonctions de coordination, il est également nécessaire de distinguer discours et phrase.
En ce sens, « le discours est considéré comme une unité linguistique ‘transphrastique’, c’est-à-dire constituée d’un enchaînement de phrases. »17 Et cette distinction est à l’œuvre dans « discourse analysis » (Z.S. Harris :1952). Comme toutes les conjonctions de coordination peuvent coordonner les phrases, la combinaison entre les différentes phrases par les conjonctions peut constituer un discours dans lequel leur rôle discursif est analysable.
1.2.2 Discours et interprétations différentes des conjonctions
Bien que la langue s’oppose à la parole et au discours, cette opposition n’est pas leur relation unique. En effet, « les langues sont des constructions sémiotiques autonomes, mais qui d’une part déterminent le discours et d’autres part intègrent des champs entiers du savoir, tant sur le plan référentiel que sur le plan conceptuel »18. Donc, pour quelques conjonctions de coordination, même si le contexte discursif change, leur interprétation est quasiment constante. Cela concerne dans la liste traditionnelle car et ni.
Car traduit tout le temps une relation causale:
Il est en retard, car il a raté le bus.
Ici, car coordonne deux phrases et la phrase suivante explique directement la raison du retard.
Ni apparaît seulement « dans les propositions dont le verbe, à la forme négative, est déterminé par l’adverbe simple ne. » 19 :
Je n’ai dit ni la vérité ni le mensonge.
Dans cette phrase négative marquée par n’, la conjonction ni coordonne deux termes en gardant la continuité de négation.
En revanche, à l’exception des deux conjonctions ci-dessus, nous remarquons que le reste est interprétable d’une manière différente dans les contextes variés.
1.2.2.1 le cas de « or »
Avant tout, or a deux interprétations. Comparons les deux exemples :
1. Il ne veut pas entendre la nouvelle de sa copine, or, elle apparaît à nouveau devant lui.
2. Tous les hommes sont mortels. Or Socrate est un homme. Donc Socrate est mortel.
Dans le premier exemple, or exprime une relation de coïncidence intempestive. La première proposition exprime l’attitude de il, et or coordonne un fait qui est à l’opposition de l’attitude établie.
Dans le deuxième exemple, la conjonction traduit la transition d’une proposition générale à un cas particulier dans un raisonnement. Avant tout, le contexte est établi par une proposition générale : Tous les hommes sont mortels. Après, or introduit un cas particulier, un argument : Socrate est un homme. Enfin pour confirmer la conclusion suivante : Donc Socrate est mortel.
1.2.2.2 le cas de « et »
En général, la relation des unités coordonnées par et établit un parallèle. Mais il y a des cas particuliers dans lesquels la relation des unités coordonnées est différente, voire opposée.
1. La deuxième unité s’additionne à la première:
Combien font six et dix ?
Ici, et coordonne deux termes, et le deuxième dix s’additionne à six pour répondre à la demande de combien.
2. La deuxième unité s’accorde avec la première.
Je suis pour la chasse des animaux et pour mes amis, eux aussi.
Dans cette phrase, une opinion de je s’installe d’abord, ensuite et coordonne eux aussi qui n’a pas de sens clairement établi si nous ne prenons pas la première proposition en compte, autrement dit, hors du contexte discursif. La deuxième unité s’accorde donc à la proposition précédente.
3. La deuxième unité s’oppose à la première.
Vous êtes empereur, Seigneur, et vous pleurez ! ( Racine, Bérénice)
Ici, et coordonne deux propositions, la première précise l’identité de vous, qui est empereur et seigneur. Cette identité montre un stéréotype d’une personne forte et puissante. Et la deuxième exprime un sous-entendu de l’auteur : il est impossible pour vous de pleurer car votre identité ne le permet pas. L’auteur coordonne les deux propositions opposées par et non par mais, ce qui souligne indirectement le sous-entendu en créant une consonance littéraire avec les lecteurs.
1.2.2.3 Le cas de « mais »
Globalement, mais introduit souvent une unité opposée à une autre comme dans:
1. Il préfère la gauche mais elle préfère la droite.
De même, comme dans le cas des conjonctions de coordination précisées dessus, l’interprétation de mais varie selon les différents contextes.
2. Il a fait des bêtises, mais il ne faudrait pas le lui reprocher.
Ici, il s’agit d’un « mais de transition », car le contexte commence par le fait : il a fait des bêtises. Et la deuxième proposition concerne un conseil au lieu d’une opposition comme ce que montre l’exemple 1. Donc, le mais dans cet exemple dispose d’une fonction de transmission de la première proposition à la deuxième.
3. A- Je ne suis pas sûr si ma réponse est correcte…
B- Mais vous avez raison.
Dans cet échange, nous remarquons un « mais d’approbation ». Vous avez raison est une confirmation de la première phrase. Et ce mais s’oppose en réalité à l’hésitation du locuteur A et le deuxième locuteur affirme indirectement que votre réponse est correcte.
4. Il est non seulement compétent, mais (aussi) sérieux.
Dans cette phrase, il est impossible d’opposer compétent à sérieux, car il n’y a pas de relation contraire entre les deux adjectifs. De plus, sérieux est additionné par mais avec compétent pour qualifier la personnalité de il. D’ailleurs, nous obtenons « un mais d’addition », sous-entendant un aussi, ce qui n’est pas le cas dans les exemples précédents :
1a. Il préfère la gauche *mais aussi elle préfère la droite.
2a. Il a fait des bêtises, *mais aussi il ne faudrait pas le lui reprocher.
5. On ne lui donne rien à faire, mais ce qui s’appelle rien.
De même, nous n’arrivons pas à opposer les deux propositions, parce que la deuxième fonctionne comme une conclusion de la première. Et ce mais renforce la relation entre les deux propositions au lieu de les opposer. Ainsi encore, nous avons « un mais de renforcement » qui porte sur un élément de la phrase, rien.
1.2.2.4 Le cas de « ou »
Comparé à mais, le cas de ou est beaucoup plus simple. Nous distinguons généralement deux ou:
1. a) Tu veux celui-ci ou celui-là ?
b) Après un incendie, les fleurs sont noyées par de l’eau venant des pompiers ou brûlées par le feu.
c) Ce sera cela ou rien.
Dans les trois exemples, nous remarquons que ou peut poser respectivement une alternative (le cas de a et b) ou un rapport d’exclusion, ce qui correspond exactement à son rôle grammatical.
2. La difficulté, ou le défit, doit être convaincue.
Ici, contrairement à 1, nous avons un ou dont le sens est proche de c’est-à-dire. Et donc ce ou dispose d’une valeur explicative. Plus précisément, ce ou donne une explication précise de La difficulté. En outre, la ponctuation souligne aussi cette valeur.
Jusqu’à ici, nous obtenons les différentes interprétations de conjonctions de coordination dans les contextes variés. Et notre analyse est plutôt empirique que théorique. En ce qui concerne la conjonction mais, selon O. Ducrot, il est nécessaire d’établir un modèle P mais Q20 pour analyser mais d’une manière plus théorique. Et il considère qu’il faudrait se tenir à la conjonction mais au lieu de prendre en compte « le type de relation introduite ou explicitée par mais »21. Contrairement à ce point de vue22, nous préférons une analyse empirique, comme celle que nous avons donnée ci-dessus. Cela ne veut pas dire que nous ne soutenons pas du tout la théorie de O. Ducrot, mais pour expliquer le rôle discursif de mais, une analyse empirique est plus compréhensible et visible.
1.3 Des conjonctions de coordination aux marqueurs pragmatiques
Le double rôle des conjonctions de coordination révèle non seulement la transition de la syntaxe au discours, mais aussi, une transition de la grammaticalisation à la pragmaticalisation. Plus précisément, « [d]’une part, une unité lexicale peut développer des emplois grammaticaux ; elle aura alors été soumise à un processus de ‘grammaticalisation.’ D’autre part, une unité lexicale/grammaticale peut développer des emplois où elle ne joue pas un rôle sur le plan référentiel, mais bien, sur le plan conversationnel ; elle sera alors le résultat d’un processus de ‘pragmaticalisation’. »23 Sur ce point, nous pouvons entrer dans le domaine pragmatique dans lequel les conjonctions de coordination fonctionnent comme un constituant nécessaire de l’énoncé.
Dans ce domaine, la terminologie fait souvent l’objet d’une polémique. Car les trois notions disposent de caractères communs : les marqueurs servent à connecter des éléments ou des groupes d’éléments et chacun a sa propriété et son fonctionnement. Et « La description et la classification des marqueurs du discours varient beaucoup en fonction des différentes traditions linguistiques. La tradition allemande s’y est beaucoup intéressée, tout comme la tradition anglo-saxonne, qui a consacré depuis longtemps un grand nombre d’études aux marqueurs de l’anglais. Les marqueurs de l’espagnol sont également un objet d’étude privilégié depuis des années (cf. Santos Ríos 2003 ; Briz et al. 2008) »24 Et « [l]es travaux plus récents, tant pour le français que pour l’anglais, l’allemand, l’espagnol ou l’italien sont innombrables. Mentionnons notamment les ouvrages importants de M.-B. M. Hansen (1998), K. Aijmer (2002), A. Steuckardt et A. Niklas-Salminen (2005), K. Fischer (2006), G. Dostie et C. D. Pusch (éds) (2007). »25
la réflexion sur les trois notions n’a jamais été homogène. En tant que pionnier du domaine. Pour le français, J.C. Anscombre et O. Ducrot travaillent sur les connecteurs dans le cadre de l’argumentation textuelle. Et ce qu’ils ont fait nous permet d’obtenir une description sémantique exhaustive des connecteurs et des marqueurs comme : mais, pourtant, décidément, bien sûr, eh bien etc.
En revanche, avant d’entrer dans les détails des marqueurs et des connecteurs, il est nécessaire de distinguer les trois notions : les marqueurs pragmatiques, les connecteurs textuels et les marqueurs discursifs.
1.3.1 Marqueur pragmatique
Nous abordons la notion de marqueur pragmatique : « Le terme réfère à l’ensemble des mots à valeur pragmatique […] »26 Cela veut dire que tous les mots ayant une valeur pragmatique27 peuvent s’inscrire dans cette catégorie. D’ailleurs, cette notion est plus large que les deux autres.
[...]
1 R.L. WAGNER, J. PINCHON Grammaire du Français, p. 456, Hachette Supérieur, 1991.
2 R.L.WAGNER, J. PINCHON Grammaire du Français, Hachette supérieur, p.455
3 D. MAINGUENEAU, E. PELLET Les notions grammaticales au collèges et au lycée, P.37 BELIN.
4 Idem
5 R.L.WAGNER, J. PINCHON Grammaire du Français, Hachette supérieur, p.456
6 D. GODARD, Problèmes syntaxiques de la coordination et propositions récentes dans les grammaires syntagmatiques, Langages, Armand Colin, p.6
7 Idem
8 Cette notion est crée par R.D.BORSLEY (2005) et soutenue par A. Abeillé. et D. Godard. Il s’agit d’une conjonction de coordination coordonne deux mots de même nature. Par exemple : il [lit et comprend] ce livre.
9 Kayne (1994:.59-63) suggère d'analyser les coordinations lexicales comme des coordinations syntagmatiques elliptiques avec un constituant mis en facteur commun à droite (right node raising).
10 D. GODARD, Problèmes syntaxiques de la coordination et proposition récentes dans les grammaires syntagmatiques, Langages N.106.
11 D. MAINGUENEAU, Introduction à la linguistique française, Hachette Education, 2013
12 Idem
13 F. Saussure, Cours de linguistique générale, Paris Payot, p.26
14 J.L CHISS, J. FILLIOLET, D. MAINGUENEAU, Introduction à la linguistique française, p. 28
15 Idem.
16 D.Maingueneau, Discours et analyse du discours, Armand Coli, P.18
17 Idem.
18 S. De Vogüé, La langue entre cognition et discours, le langage et ses niveaux d’analyse, PUR, p. 43.
19 R.L.WAGNER, J. PINCHON Grammaire du Français, Hachette supérieur, p.464
20 O. DUCROT, La théorie de l’argumentation dans la langue.
21 O. DUCROT, Les mots du discours, P.95, Les editions de minuit.
22 Ducrot préfère une analyse théorique en appuyant sur un modèle P mais Q. Et il a établi un corpus dans lequel il considère non seulement la position de mais , mais aussi les circonstances différentes de tous les énoncé des deux premières scènes de la pièce de Georges Feydeau, Occupe-toi d ‘Amélie. Et enfin il pose trois classifications de mais en concluant les énoncés analysés.
23 G. DOSTIE, Pragmaticalisation et marqueurs discursifs, p.27. Editions Duculot.
24 A.R. SOMOLINOS, Les marqueurs du discours-Approche contrastive, Langage, Armand Colin.
25 Idem.
26 G. DOSTIE, Pragmaticalisation et marqueurs discursifs, p.42. De boeck.duculot.
27 Cette valeur pragmatique correspond « aux relations des signes avec leurs utilisateurs, à leur emploi et à leurs effets » P.CHARAUDEAU, D. MAINGEUNEAU, Dictionnaire d’analyse du discours, p454, Seuil.
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